Une machine Ă glaçon est un Ă©lĂ©ment nĂ©cessaire dans la confection de gel. Beaucoup se demande quâavoir un appareil mĂ©nager susceptible de rafraichir les nourritures soit dĂ©jĂ suffisant pour la cuisine, mais encore de tenir les verres de scotch au frais. Certes, il y a des moments et des pĂ©riodes durant lesquelles un tel sujet a un besoin croissant dâun bloc de glace qui ne peut pas provenir dâun rĂ©frigĂ©rateur. Je vais dĂ©velopper cette affirmation dans cet article, mais dâabord je vais dĂ©finir ce quâest un gĂ©nĂ©rateur de cristal liquide. Quâest ce quâune fabrique de glaçon ? Câest un appareil gĂ©nĂ©rateur de cristal liquide. Lâeau se cristallise par elle mĂȘme sous lâeffet congelant occasionnĂ© par un systĂšme thermique contenant dans son mĂ©canisme. Cet instrument contient ou pas un rĂ©servoir dâeau, qui fonctionne automatiquement ou avec un rĂ©glage. Vous pouvez la mettre sur le plancher, la suspendre tout contre le mur du comptoir de votre bar etc. Elle peut ĂȘtre Ă©norme quand il sâagit dâune qui produise une cinquantaine de kilos de bloc. Pour sâattendre Ă une grande quantitĂ© de glaçon, il faudra passer une heure tout au plus. Elle est constatable parmi nos articles Ă©patant de congĂ©lation. En outre, il y en a pour divers carĂ©nage, soit en plastique, en inox, en acier inoxydable. Tout ca, sous plusieurs formes et dimension. Alors veuillez les observer dans ce site. Quelles sont les besoins en masse de cristal liquide? Pour conserver la teneur des fleurs qui viennent de se faire coupĂ©es, les marchands doivent y mettre une bonne quantitĂ© de sĂ©rac. Câest mieux par rapport Ă lâeau douce car le froid contribue directement Ă la prĂ©servation des chlorophylles composant les feuilles. En outre les pĂ©tales sâĂ©vitent de faner rapidement. Donc si vous nâĂȘtes pas encore conscient du bien que procure le gel sur vos marchandise florale alors il est temps de sây mettre. Presque tout le monde sait pertinemment que les athlĂštes ont un besoin recrudescent de bon nombre de glaçon aprĂšs un long exercice. En effet, les muscles deviennent tendus surtout quand le sportif a pris quelques moments de repos avant de se relancer dans ses activitĂ©s habituelles. Une inflammation est mĂȘme constatable au niveau des dorsales, abdomens, fĂ©morales et ainsi de suite. A ce moment prĂ©cis, il faudra recourir Ă des cristaux liquides Ă remplir la baignoire. Cette action consiste Ă dĂ©tendre le corps pour ensuite rĂ©cupĂ©rer et faire face Ă la routine. Lors dâune journĂ©e festive organisĂ©e en plein aire, il ne faudra jamais se passer de bonnes boissons fraĂźches. Pour ce faire il faudrait des glaciĂšres Ă©normes pouvant soutenir des bars de dâeau congelĂ©e pour rafraĂźchir les bouteilles. Ce nâest quand mais pas possible dâemmener un congĂ©lateur amovible, en plus il nây a pas forcĂ©ment un gĂ©nĂ©rateur sur lequel il faudra brancher lâappareil. En plus mĂȘme sâil y en a, lâintensitĂ© nâest pas sensĂ©e soutenir la puissance du rĂ©frigĂ©rateur. Il est donc prĂ©fĂ©rable dâapporter des conservateurs portatifs contenant des fondus dâeau pour combler la fĂȘte ! Sinon au niveau des comptoirs du bar, il faudrait Ă tout prix se mettre ne serait-ce quâun petit appareil, car le besoin des clients en cube de liquide compacte est continue. En fait, câest plus professionnel dâen produire momentanĂ©ment au risque quâelles se fondent petit Ă petit. Ainsi la prĂ©sentation de la boisson et sa saveur sont intactes. Le rĂ©frigĂ©rateur pourrait il remplacer un appareil gĂ©nĂ©rateur de glaçon ? Ce sont deux appareils essentiels dans le quotidien, or leur fonctionnement est assez diffĂ©rent combien mĂȘme ils produisent le mĂȘme produit. En fait, le rĂ©frigĂ©rateur est trĂšs efficace lorsquâon nâa pas besoin de le dĂ©placer durant un Ă©vĂšnement. Il engendre des cristaux liquides tout comme la machine Ă glaçon, par contre il est lent pour effectuer ce genre de travail. Ceci dit, au bout de 30 minutes, vous nâarriverez pas Ă obtenir des glaçons mĂȘme quand vous vous mettez Ă utiliser le congĂ©lateur. A lire aussi Realiser des glaçons personnalisĂ©s ! Par contre une machine conçue pour cette fonction mettra 6 Ă 13 minutes pour en fabriquer plusieurs. Un gĂ©nĂ©rateur de glaçon a lâavantage dâĂȘtre portatif si sa taille est petite ou moyenne. En plus, il consomme moins de courant. Câest cette rapiditĂ© dâaction qui le positionne au premier rang avant le rĂ©frigĂ©rateur. Cet appareil est Donc plus bĂ©nĂ©fique dans la conservation des aliments quand vous envisagez un pic nique et dĂ©tenez une glaciĂšre. Lors dâune grande cĂ©rĂ©monie comprenant un cocktail de boisson, elle est plus utile que jamais. En gros, elle remplira votre besoin immĂ©diat en glaçon. Alors nâattendez-plus !
Lerapport sur le marchĂ© des machines Ă glaçons de Stratview Research est le rĂ©sultat dâune mĂ©thodologie de recherche mĂ©ticuleuse qui approfondit le marchĂ©, couvrant les micro-aspects de lâindustrie. Le rapport donne une analyse dĂ©taillĂ©e des principaux acteurs corrĂ©lĂ©s du marchĂ©, couvrant leur paysage concurrentiel, leur capacitĂ© et les derniers dĂ©veloppements tels que les
Page 2 and 3 A MARIE-ANTOINE-JULES SĂNARD MEMBRPage 4 and 5 Le nouveau, prenant alors une rĂ©soPage 6 and 7 comme les enfants des bĂȘtes. A l'ePage 8 and 9 maniĂšre du cheval de manĂšge, qui Page 10 and 11 II Une nuit, vers onze heures, ils Page 12 and 13 out d'une cour en ouvrir la barriĂšPage 14 and 15 et qui regardait dans le jardin, oPage 16 and 17 fourreau, trop courtes, qui dĂ©couvPage 18 and 19 champs pour ĂȘtre tout seul; je tomPage 20 and 21 claire, aiguĂ«, ou se couvrant de lPage 22 and 23 vinrent quarante-trois personnes, oPage 24 and 25 asĂ© de prĂšs; quelques-uns mĂȘme qPage 26 and 27 aussi qu'on les avait mal reçus, cPage 28 and 29 V La façade de briques Ă©tait justPage 30 and 31 montaient jusqu'aux genoux, avec lePage 32 and 33 laitages, les charrues. HabituĂ©e aPage 34 and 35 vie, elle demandait qu'on l'ensevelPage 36 and 37 Elle dessinait quelquefois; et c'Ă©Page 38 and 39 promener, car elle sortait quelquefPage 40 and 41 VIII Le chĂąteau, de construction mPage 42 and 43 avait Ă©tĂ© disait-on, l'amant de lPage 44 and 45 lune. Emma Ă©coutait de son autre oPage 46 and 47 la serre chaude, oĂč des plantes biPage 48 and 49 IX Souvent, lorsque Charles Ă©tait Page 50 and 51 este du monde, il Ă©tait perdu, sanPage 52 and 53 ans, quand vient l'Ăąge des rhumatiPage 54 and 55 mur, oĂč l'on voyait, en s'approchaPage 56 and 57 D'ailleurs, elle ne cachait plus soPage 58 and 59 DEUXIEME PARTIEPage 60 and 61 Au bas de la cĂŽte, aprĂšs le pont,Page 62 and 63 Depuis les Ă©vĂ©nements que l'on vaPage 64 and 65 couvert, Binet resta silencieux Ă Page 66 and 67 C'Ă©tait lui qui faisait Ă la villPage 68 and 69 cabriolet, et, gĂ©nĂ©ralement, l'onPage 70 and 71 - Ma femme ne s'en occupe guĂšre, dPage 72 and 73 vĂ©cue avait Ă©tĂ© mauvaise, sans dPage 74 and 75 qu'il allait tomber d'un coup de saPage 76 and 77 les personnages, en s'enthousiasmanPage 78 and 79 visage, le fils d'un bonnetier de RPage 80 and 81 Ils causaient d'une troupe de dansePage 82 and 83 IV DĂ©s les premiers froids, Emma qPage 84 and 85 parlaient Ă voix basse, et la convPage 86 and 87 V Ce fut un dimanche de fĂ©vrier, uPage 88 and 89 pouvait parler de lui aux Trois FrPage 90 and 91 Il en fut de mĂȘme les jours suivanPage 92 and 93 encore plus Ă l'Ă©cartement. Sa prPage 94 and 95 la petite enceinte et les derniĂšrePage 96 and 97 - Pardonnez-moi! j'ai connu lĂ de Page 98 and 99 Quand Charles, Ă onze heures du soPage 100 and 101 Lorsque le moment fut venu des embrPage 102 and 103 - Et quoi de neuf chez vous? - Pas Page 104 and 105 VII Le lendemain fut, pour Emma, unPage 106 and 107 Souvent, elle variait sa coiffure Page 108 and 109 en effet, Ă©tait un domaine prĂšs dPage 110 and 111 - Elle est fort gentille! se disaitPage 112 and 113 Mais la jubilation qui Ă©panouissaiPage 114 and 115 emplissant beaucoup d'espace avec lPage 116 and 117 existence excentrique, les dĂ©sordrPage 118 and 119 voiture. Le tambour battit, l'obusiPage 120 and 121 oeuvre toute de civilisation ! vousPage 122 and 123 laissant dĂ©passer un bout de son fPage 124 and 125 - Ainsi, nous, disait-il, pourquoi Page 126 and 127 animaux, triomphateurs indolents quPage 128 and 129 lui, pis de sa bonne mĂ©nagĂšre, ilPage 130 and 131 on se laisse entraĂźner par ce qui Page 132 and 133 lignes des peupliers, qui dĂ©passaiPage 134 and 135 Le drap de sa robe s'accrochait au Page 136 and 137 monde encore serait endormi. Cette Page 138 and 139 Emma ne rĂ©pondit tien. Il poursuivPage 140 and 141 lecture l'eĂ»t amusĂ©e. Mais CharlePage 142 and 143 C'Ă©tait l'Ă©poque oĂč le pĂšre RouPage 144 and 145 Et il eut l'air de ne point remarquPage 146 and 147 mieux pour plaire aux femmes ; et lPage 148 and 149 journal..., tout le monde peut-ĂȘtrPage 150 and 151 - Car, disait l'ecclĂ©siastique d'uPage 152 and 153 Mais l'apothicaire, en rougissant, Page 154 and 155 dĂ©lectait dans toutes les ironies Page 156 and 157 - A quoi cela sert-il ? demandait lPage 158 and 159 - Quand minuit sonnera, disait-ellePage 160 and 161 BientĂŽt pourtant il lui sembla quePage 162 and 163 Au galop de quatre chevaux, elle Ă©Page 164 and 165 Cela ressemblait aussi Ă quelque mPage 166 and 167 XIII A peine arrivĂ© chez lui, RodoPage 168 and 169 ce bonheur idĂ©al, comme Ă celle dPage 170 and 171 croulĂąt. Pourquoi n'en pas finir? Page 172 and 173 Homais demanda comment cet accidentPage 174 and 175 XIV D'abord, il ne savait comment fPage 176 and 177 heures, Ă la tombĂ©e du jour, les Page 178 and 179 Alors, elle se livra Ă des charitPage 180 and 181 Ă©flexions philosophiques qui en foPage 182 and 183 Puis, s'adressant Ă Emma, qui portPage 184 and 185 De peur de paraĂźtre ridicule, EmmaPage 186 and 187 quand ils poussĂšrent l'adieu finalPage 188 and 189 - LĂ©on? - Lui-mĂȘme ! Il va venir Page 190 and 191 - C'est que..., balbutia-t-elle avePage 192 and 193 I M. LĂ©on, tout en Ă©tudiant son dPage 194 and 195 myosotis sur sa chevelure dĂ©nouĂ©ePage 196 and 197 s'Ă©paississait sur les murs, oĂč bPage 198 and 199 Emma, le soir, Ă©crivit au clerc unPage 200 and 201 perdue dans les oraisons comme une Page 202 and 203 - ImbĂ©cile ! grommela LĂ©on s'Ă©laPage 204 and 205 II En arrivant Ă l'auberge, Mme BoPage 206 and 207 Ignores-tu le soin que j'observe daPage 208 and 209 tandis que Charles en face d'elle, Page 210 and 211 Emma le laissait parler. Elle s'ennPage 212 and 213 III Ce furent trois jours pleins, ePage 214 and 215 IV LĂ©on, bientĂŽt, prit devant sesPage 216 and 217 Charles revint donc encore une foisPage 218 and 219 une claire-voie, des statues, un viPage 220 and 221 Il savourait pour la premiĂšre foisPage 222 and 223 Puis les voyageurs de l'Hirondelle Page 224 and 225 Et elle alla au secrĂ©taire, fouillPage 226 and 227 Et il la considĂ©rait fixement, touPage 228 and 229 - Non, non! Tu l'aimes mieux que moPage 230 and 231 VI Dans les voyages qu'il faisait pPage 232 and 233 dĂ©tournait; il la retint; et, s'afPage 234 and 235 - Eh ! tant pis ! qu'il me trompe, Page 236 and 237 - Tenez ! Puis, remontant la page aPage 238 and 239 L'automne commençait et dĂ©jĂ lesPage 240 and 241 Les cafĂ©s d'alentour Ă©taient pleiPage 242 and 243 Elle s'affaissa, plus assommĂ©e qu'Page 244 and 245 ouges et mous comme des limaces, quPage 246 and 247 profonde que son amour; et elle conPage 248 and 249 Et cette interrogation voulait direPage 250 and 251 - De grĂące, restez! je vous aime! Page 252 and 253 - il Ă©tait brave pourtant, il avaiPage 254 and 255 VIII Elle se demandait tout en marcPage 256 and 257 Car, depuis trois ans, il l'avait sPage 258 and 259 Elle resta perdue de stupeur, et n'Page 260 and 261 Elle s'Ă©piait curieusement, pour dPage 262 and 263 elle avouait pour lui plus d'amour Page 264 and 265 allait ainsi, plein de cette majestPage 266 and 267 Enfin les trois chevaux dĂ©talĂšrenPage 268 and 269 Pour amasser diligemment Les Ă©pis Page 270 and 271 L'apothicaire, Ă bout d'idĂ©es, sePage 272 and 273 d'une telle bĂȘtise; et ils n'Ă©taiPage 274 and 275 Les herbes aromatiques fumaient encPage 276 and 277 X Il n'avait reçu la lettre du phaPage 278 and 279 On chantait, on s'agenouillait, on Page 280 and 281 - Ah! c'est la fin pour moi, voyez-Page 282 and 283 dĂ©couvrit un petit R au bas de la Page 284 and 285 Pulvermacher ; il en portait une luPage 286 and 287 Rodolphe lui sauta en plein visage,Page 288 VOUS POUVEZ RECEVOIR SUR CD ROM UTI
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Les services et produits mentionnĂ©s ci-dessous ont Ă©tĂ© choisis indĂ©pendamment de la publicitĂ© et des ventes. Mais peut obtenir une petite commission Ă lâachat de tout service ou produit via un lien dâaffiliation vers le site Web du marchand. Il y a prĂšs de cinq dĂ©cennies, mon Ă©pouse et moi avons choisi de partir acheter une machine Ă glaçons mobile. CâĂ©tait un aprĂšs-midi dâĂ©tĂ© chaud et je souhaitais trouver une machine Ă glaçons pour pouvoir me dĂ©tendre au soleil avec une boisson rafraĂźchissante Ă la main. Il existe de nombreux types de machines Ă glaçons sur le marchĂ©, mais nous avons dĂ©cidĂ© dâacheter une machine Ă glaçons mobile. Nous avons pondĂ©rĂ© chacun des choix, parcouru toutes les informations et choisi dâacheter une machine Ă glaçons qui peut crĂ©er 22 kg de glace chaque jour. Nous avons dĂ©cidĂ© quâil serait prĂ©fĂ©rable dâacheter la plus grande unitĂ© disponible pour aller grand ou rentrer Ă la maison et nous sommes rentrĂ©s chez nous et avons commencĂ© Ă crĂ©er de la glace. Quâavons-nous dĂ©couvert? Nous avons dĂ©couvert que nous adorons notre machine Ă glaçons portable et quâelle est utilisĂ©e tous les jours. Dans ce guide, nous prĂ©senterons plusieurs raisons pour lesquelles je pense que les machines Ă glaçons portables valent vraiment la peine dâĂȘtre achetĂ©es. Chacune de ces choses est produite par une personne qui utilise quotidiennement sa machine Ă glaçons mobile et pourrait manquer si quelque chose lui arrivait. Voici quelques raisons pour lesquelles les machines Ă glaçons mobiles en valent la peine. 1. Ils Sont PORTABLESSommaire1. Ils Sont SONT PEU COĂTS3. ILS SONT PERSONNALISABLES4. ILS SONT SIMPLES Ă MAINTENIR5. Ils Sont Construits Pour Sont Ă Un Clic Une des principales raisons pour lesquelles les machines Ă glaçons portables valent vraiment la peine dâĂȘtre achetĂ©es est inscrite dans son titre mobile. Vous pouvez emporter des machines Ă glaçons mobiles partout oĂč il y a de lâeau et une prise de courant. Nous avons emmenĂ© notre fabricant de glace nager avec nous et avons Ă©conomisĂ© de lâargent en fabriquant de la glace plutĂŽt que dâaller au magasin tous les jours pour lâacheter. Jâai des copains qui attirent leur fabricant de glace dans leur voilier, ainsi que dâautres amis qui rĂ©unissent leur fabricant de glace dans leur VR. Nous avons emmenĂ© notre machine Ă glaçons portable avec nous pour les fĂȘtes de famille, les activitĂ©s de lâĂ©glise et nous lorsque nous partions en vacances. Peu importe la complexitĂ© de votre rĂ©frigĂ©rateur et la qualitĂ© de la machine Ă glaçons dans votre rĂ©frigĂ©rateur, vous ne prĂ©voyez pas de lâattirer en camping avec vous, et il ne rentrera probablement pas sur votre VR. Les machines Ă glaçons portables ont un Ă©norme avantage sur les autres types de machines Ă glaçons, car elles peuvent ĂȘtre transportĂ©es lĂ oĂč elles sont nĂ©cessaires. SONT PEU COĂTS Une autre raison pour laquelle les fabricants de glace valent votre investissement serait que votre premier investissement pour en avoir un est assez minime. De nombreuses machines Ă glaçons de comptoir coĂ»tent aussi peu que vous pouvez Ă©galement acheter une machine Ă glaçons pour en dessous ou Ă proximitĂ© Comparez cela avec un tout nouveau rĂ©frigĂ©rateur ou mĂȘme une machine Ă glaçons commerciale, et vous verrez immĂ©diatement Ă quel point les machines Ă glaçons mobiles sont vraiment Ă©conomiques. Sachez que les machines Ă glaçons mobiles ne doivent pas ĂȘtre installĂ©es par un expert. Tout ce que vous avez Ă faire est dâajouter de lâeau, de brancher lâappareil et vous ĂȘtes prĂȘt Ă commencer Ă gagner de la glace. Vous nâavez pas besoin dâinstaller une conduite dâeau dans votre rĂ©sidence, pas de drains sans aucun tracas. Tout ce que vous avez Ă faire est dâacheter votre machine Ă glaçons, de trouver un emplacement dans vos comptoirs, de la brancher et vous ĂȘtes prĂȘt Ă crĂ©er un excellent hockey sur glace. De plus, vous pouvez lâemporter avec vous une fois que vous dĂ©mĂ©nagez ou que vous partez. Non seulement ils sont bon marchĂ© Ă acheter, mais ils sont Ă©galement bon marchĂ© Ă exploiter. Pour faire de la glace tous les jours Ă lâaide dâune machine Ă glaçons mobile, cela peut vous coĂ»ter environ 30 Ă 50 cents pour chaque 45 livres de hockey sur glace. Câest beaucoup moins cher que dâacheter un sac de glace dans un magasin. Beaucoup dâhommes et de femmes pensent que pour acquĂ©rir une toute nouvelle machine Ă glaçons, ils auraient besoin dâacheter un nouveau rĂ©frigĂ©rateur avec une machine Ă glaçons intĂ©grĂ©e. Ne dĂ©pensez pas lâexcĂšs dâargent pour remplacer un rĂ©frigĂ©rateur parfaitement fin, une fois quâil est possible de trouver une machine Ă glaçons mobile pour moins cher. 3. ILS SONT PERSONNALISABLES Les machines Ă glaçons portables valent vraiment la peine car il est possible dâacheter lâunitĂ© idĂ©ale pour rĂ©pondre Ă vos besoins. Tout le monde a des besoins diffĂ©rents en matiĂšre de crĂ©ation de hockey sur glace. Il y en a quelques-uns qui recherchent une unitĂ© compacte et lĂ©gĂšre pour pouvoir lâemporter. Vous recherchez peut-ĂȘtre une machine Ă glaçons qui offre de la glace claire pour votre cinĂ©ma maison ou votre pub. Plusieurs dâentre vous sont Ă la recherche dâune unitĂ© plus grande produisant 22 kg de glace par jour, tout comme celle que jâai achetĂ©e il y a plusieurs annĂ©es. Certaines personnes veulent aujourdâhui avoir une machine Ă glaçons avec un congĂ©lateur intĂ©grĂ© pour sâassurer que leur glace ne fond pas. Certains veulent une unitĂ© Ă la mode qui rougeoie et coĂ»te moins cher, alors il y a dâautres personnes qui ont besoin de la technologie Bluetooth et dâune machine Ă glaçons qui gĂ©nĂšre une pĂ©pite ou un hockey sur glace. Peu importe le type de glace dont vous avez besoin, la couleur de cet appareil ou la taille de cette machine, vous pourrez obtenir exactement ce que vous souhaitez et dĂ©sirez avec une machine Ă glaçons mobile. Lisez mon message ici pour quelques raisons que votre bureau ou votre salle Ă manger peut utiliser une machine Ă glaçons mobile. 4. ILS SONT SIMPLES Ă MAINTENIR Une autre raison pour laquelle les glaciers mobiles valent lâinvestissement, câest quâils sont simples Ă conserver. Jâai travaillĂ© dans un magasin dâĂ©lectromĂ©nagers il y a quelque temps et je comprends de premiĂšre main Ă quel point il est coĂ»teux de faire venir un rĂ©parateur chez vous pour vĂ©rifier votre rĂ©frigĂ©rateur ou votre congĂ©lateur. Yikes! Les machines Ă glaçons portables ne sont pas du tout comme ça. Pour commencer, vous pouvez leur apporter lâappareil. DeuxiĂšmement, vous pouvez effectuer vous-mĂȘme toute la maintenance. Le nettoyage de la machine est un jeu dâenfant, tout ce que vous avez Ă faire est de nettoyer lâunitĂ© une ou deux fois par mois Ă lâaide dâune solution de nettoyage. Il est facile de crĂ©er votre propre solution de nettoyage en ajoutant une cuillĂšre Ă cafĂ© de vinaigre dans cinq tasses dâeau. Le dĂ©pannage de votre appareil est Ă©galement simple. Les machines Ă glaçons portables ne sont pas compliquĂ©es Ă comprendre et la plupart des problĂšmes de temps avec lâunitĂ© peuvent ĂȘtre rĂ©solus. Entretenir votre propre unitĂ© nettoyĂ©e et remplie dâeau est la moitiĂ© de la bataille en ce qui concerne les compteurs de glace. Ils sont simples Ă utiliser et simples Ă conserver. 5. Ils Sont Construits Pour Durer Les machines Ă glaçons portables peuvent Ă©galement ĂȘtre construites pour durer. La plupart des entreprises rĂ©putĂ©es crĂ©ent des machines Ă glace qui persistent pendant un trĂšs long moment. Jâai ma machine Ă glaçons depuis de nombreuses annĂ©es maintenant, et je lâutilise chaque jour. Ils vous offrent Ă©galement une excellente garantie pour vous assurer que votre achat est sans souci. Sont Ă Un Clic Vous nâavez pas besoin de deviner si lâappareil que vous avez achetĂ© vous convient ou sâil fera le travail que vous souhaitez quâil exĂ©cute. Vous pouvez voir les meilleures machines Ă glaçons portables disponibles sur le marchĂ© de nos jours, en cliquant sur le lien ici. Nous avons choisi parmi les meilleurs des meilleurs pour vous fournir une collection complĂšte dâexcellentes machines Ă glaçons mobiles. Lâachat dâun fabricant de glaçons en ligne enregistre Ă©galement votre en cas de problĂšme de garantie, vous disposerez de votre rĂ©ception pour rĂ©soudre le problĂšme rapidement.
Vouspouvez programmer lâappareil pour prĂ©parer des glaçons Ă lâavance ou Ă la derniĂšre minute, et mĂȘme les garder dans la machine pour plus tard ! Vous pouvez choisir la taille des glaçons selon vos besoin. La KB15 vous permettra aussi de remplir les glaciĂšres, qui sont bien utiles pendant les pique-nique dâĂ©tĂ©. GARANTI : Tous nos produits H.Koenig sont garantis 2 ans.
avril 6, 2022 News 0 likes 135 vues 0 commentaires Il existe beaucoup dâappareils indispensables dans les Ă©tablissements de boissons. Câest le cas de la machine Ă glaçons professionnelle qui est un dispositif qui produit rapidement des morceaux de glace. Mieux, cette production se fait en grande quantitĂ©. Pour un usage professionnel, lâimportance de cette machine nâest plus Ă dĂ©montrer. Seulement, pour avoir un produit de qualitĂ©, contactez PROCOLD. Vous trouverez chez votre partenaire une gamme de machines Ă glaçons professionnelles. CritĂšres de choix de machine Ă glaçons professionnelle Lâachat dâune machine Ă glaçons exige que lâon tienne compte dâun certain nombre de critĂšres. La forme des glaçons La forme des glaçons est le premier critĂšre justifiant la bonne qualitĂ© dâune machine qui en fabrique. Dâune machine Ă glaçons Ă une autre, vous pouvez avoir diffĂ©rentes formes de glaçons. Il sâagit de glaçons pleins, de glaçons creux, de glaçons en demi-lune ou de glaçons pilĂ©s. Peu importe la forme, sa prĂ©sentation raffinĂ©e peut vous orienter sur la qualitĂ© de lâoutil de fabrication. La performance de productivitĂ© des glaçons Avant dâacheter votre machine Ă glaçons professionnelle, il est capital de connaĂźtre la quantitĂ© de glaçons produits. Ensuite, vous devez connaĂźtre le temps nĂ©cessaire pour cette production. Par exemple, pour un usage personnel, vous pouvez sĂ©lectionner la machine de 20 kg. Câest un Ă©quipement qui fabrique des glaçons en 24 h. Elle est trĂšs pratique pour les zones restreintes. Pour ce qui est des grands modĂšles, leur capacitĂ© de production sâĂ©tend jusquâĂ 150 kg de glace/24 h. Le choix entre les petites et grandes machines dĂ©pend du cadre de service et des besoins de votre clientĂšle. Le systĂšme de refroidissement de la machine de fabrication de glaçons Le choix est portĂ© sur telle ou telle machine Ă glaçons en tenant compte aussi du systĂšme de refroidissement. Refroidissement Ă air Avec le refroidissement Ă air, la congĂ©lation est rapide. Pourquoi ? Parce que la machine aspire de lâair de lâenvironnement immĂ©diat grĂące Ă son ventilateur se trouvant sur le cĂŽtĂ©. Câest le choix idĂ©al pour faire des Ă©conomies, mais Ă©galement pour les grands locaux. Câest dire que si lâespace de votre cuisine est vaste, alors, sĂ©lectionnez ce type de machine. Toutefois, le systĂšme de fonctionnement de cet Ă©quipement nâest pas adaptĂ© pour une zone Ă forte chaleur. Autrement dit, si la tempĂ©rature dĂ©passe 30 °C, il ne faut pas utiliser cet appareil. Refroidissement Ă eau Les petits modĂšles dâappareils Ă glaçons avec un systĂšme de refroidissement Ă eau sont trĂšs adaptĂ©s aux cadres trĂšs petits. Donc, pour les petites cuisines, voici ce quâil vous faut. Contrairement Ă celles Ă©voquĂ©es plus haut, ces machines ne sont aucunement sensibles aux tempĂ©ratures hautes. La puissance de production La puissance du moteur nâest point nĂ©gligeable dans la vĂ©rification dâune meilleure version de machine Ă glaçons. En effet, elle dĂ©termine la vitesse de production des glaçons, mais Ă©galement la tĂ©nacitĂ© de la machine. La consommation en Ă©nergie de votre matĂ©riel dĂ©pend de sa durĂ©e de productivitĂ©. Vous avez besoin de fabriquer des glaçons en quinze minutes par exemple. Il faut choisir une machine Ă glaçons possĂ©dant une puissance de 120 watts au minimum. Optez pour PROCOLD, câest sĂ©lectionner les meilleures machines Ă glaçons professionnelles Vous voulez une machine Ă glaçons professionnelle remplissant les critĂšres Ă©voquĂ©s ci-dessus. Pas dâinquiĂ©tude. PROCOLD est votre dernier recours. Ă propos, cette entreprise vous propose une gamme variĂ©e de matĂ©riels. Il est question dâappareils convenables Ă votre lieu de service et selon vos besoins et exigences. En dâautres mots, vous allez tomber sur des Ă©quipements Ă glaçons de 12 kg ; 22 kg ; 25 kg 30 kg⊠Quel est la tarif des machines Ă glaçons professionnelles Les appareils de fabrication des glaçons vendus par PROCOLD sont les meilleurs sur le marchĂ©. Ils sont Ă trĂšs bon prix et valent la peine dâen avoir en prenant compte de leur qualitĂ©. GĂ©nĂ©ralement, le tarif varie entre 50 et 100 euros pour les petits modĂšles et va jusquâĂ 500 euros pour les grands. Au demeurant, nâhĂ©sitez pas vous rapprocher de PROCOLD pour avoir les meilleures machines Ă glaçons professionnelles.
Publication Il y a 2 jours. Les GlaciĂšres de Lyon ne redoutent pas les vagues de chaleur. Bien au contraire. Câest en Ă©tĂ© que ce vendeur de glace Ă rafraĂźchir rĂ©alise le gros de son chiffre dâaffaires. « AprĂšs deux annĂ©es difficiles dues Ă la crise sanitaire, on peut dire que la mĂ©tĂ©o de 2022 est Ă notre avantage, » observe
Comparatif des meilleures glaciĂšres Ă©lectrique de 2019 Les prĂ©paratifs pour partir en vacances sont toujours une aventure Ă laquelle il faut se prĂ©parer en avance. Vous devez penser Ă tous les dĂ©tails logistiques, y compris Ă amener tout le matĂ©riel pour cuisiner. Cela passe par le transport de la plaque de cuisson et du mini-four. Mais la glaciĂšre Ă©lectrique a beaucoup de succĂšs en ce moment. Non seulement, elle se transporte facilement, mais elle permet aussi de stocker au frais un nombre impressionnant de liquides ou de solides. Notre Ă©quipe dâexperts a donc testĂ© des dizaines de glaciĂšres Ă©lectriques afin de vous prĂ©senter ce comparatif avec les 3 meilleures de 2019. Vous ĂȘtes prĂȘt ? Alors on y va ! Comparatif des meilleures glaciĂšres Ă©lectriques Table des matiĂšres1 Comparatif des meilleures glaciĂšres Ă©lectriques2 Mobicool Q40 La meilleure glaciĂšre Ă©lectrique de lâannĂ©e Une allure qui donne La fĂ©e Ă©lectricitĂ© est lâalliĂ© des dĂ©tendeurs de cette glaciĂšre Ă©lectrique3 GlaciĂšre Ă©lectrique Mobicool W40 AC/DC Le meilleur rapport qualitĂ©/prix Une ergonomie bien pensĂ©e et OĂč emmener sa glaciĂšre Ă©lectrique ?4 Mobicool W48 AC/DC La meilleure glaciĂšre Ă©lectrique pas Quâest ce que la mousse PolyurĂ©thane?5 Comment choisir sa glaciĂšre Ă©lectrique ?6 Les avantages et inconvĂ©nients dâune glaciĂšre Ă©lectrique7 FAQ Nous rĂ©pondons Ă vos questions8 Notre verdict sur les glaciĂšres Ă©lectriques9 Comment garder la ligne et bien manger ? Mobicool Q40 La meilleure glaciĂšre Ă©lectrique de lâannĂ©e Voir le prix Avantages Comme lâatteste la photographie ci-dessus, on peut ranger le cĂąble dans le couvercle GrĂące Ă Ă ses coins en aluminium, la glaciĂšre Ă©lectrique est solide InconvĂ©nients Ce modĂšle de glaciĂšre Ă©lectrique ne possĂšde pas de roulettes Une allure qui donne envie MĂȘme si on le voit pas sur la photo que nous avons sĂ©lectionnĂ©, nous devons vous spĂ©cifier que cette glaciĂšre Ă©lectrique est connue pour ĂȘtre trĂšs solide. Conçue tout en aluminium, son revĂȘtement en est la preuve la plus flagrante. De plus, des coins en acier viennent renforcer sa robustesse lĂ©gendaire. MalgrĂ© ses presque dix kilos, vous pouvez la dĂ©placer grĂące Ă poignĂ©es latĂ©rales disposĂ©es sur les cĂŽtes. De ce fait, cette glaciĂšre Ă©lectrique demeure lâexemple type de lâaccessoire quâon peut utiliser partout sans craindre de tomber en panne en cours de terme dâisolation, cette glaciĂšre Ă©lectrique possĂšde un revĂȘtement en mousse polyurĂ©thane. Nous vous expliquerons ses qualitĂ©s un peu plus tard dans ce comparatif, mais sachez que câest ce qui se fait de mieux actuellement sur le marchĂ© de la glaciĂšre Ă©lectrique. La fĂ©e Ă©lectricitĂ© est lâalliĂ© des dĂ©tendeurs de cette glaciĂšre Ă©lectrique En plus, vous pouvez la brancher Ă lâintĂ©rieur comme Ă lâextĂ©rieur. Dans le colis, deux sortes de cĂąbles Ă©lectriques sont fournis. Lâun pour les prises de courant basiques de la maison. Lâautre pour lâallume cigare de la voiture. Les deux combinĂ©s ouvrent la voie Ă une utilisation illimitĂ©e. Voir le prix GlaciĂšre Ă©lectrique Mobicool W40 AC/DC Le meilleur rapport qualitĂ©/prix Voir le prix Avantages La glaciĂšre Ă©lectrique refroidit jusquâĂ moins dix-huit degrĂ©s La glaciĂšre Ă©lectrique est maniable InconvĂ©nients Cette glaciĂšre Ă©lectrique pĂšse dix kilos, câest la plus lourde du comparatif Une ergonomie bien pensĂ©e et calculĂ©e En plus des deux poignĂ©es prĂ©cĂ©dentes sur le prĂ©cĂ©dent modĂšle, deux avantages viennent complĂ©ter le tableau. Dâune part, une poignĂ©e de transport dĂ©pliable va considĂ©rablement amĂ©liorer le confort des personnes chargĂ©es de la transporter. Puis, une fois Ă terre, des roulettes viennent en renfort pour que la glaciĂšre Ă©lectrique ne tangue pas pendant le reste du trajet. Surtout si ce dernier sâeffectue Ă pied. Pour finir, une nouvelle fois, vous avez le loisir dâoptimiser le rangement des accessoires nĂ©cessaires Ă son rattachement Ă lâĂ©lectricitĂ©. SituĂ© sous le couvercle, un espace est dĂ©diĂ© aux cĂąbles. OĂč emmener sa glaciĂšre Ă©lectrique ? Lorsquâon lâhabitude de pratiquer une activitĂ© Ă lâextĂ©rieur, on aime bien avoir son lot de boissons fraĂźches Ă portĂ©e de bouche. Ainsi, quand on doit attendre que les poissons mordent Ă lâhameçon. Quand on va Ă la plage un jour de canicule. Cette glaciĂšre Ă©lectrique peut vous accompagner sans aucun problĂšmes. Il en va de mĂȘme pour vos rĂ©ceptions en maison. Si vous manquez dâun endroit pour stocker vos bouteilles de biĂšre ou autres envies de liquide, la glaciĂšre Ă©lectrique peut accueillir des bouteilles de deux livres couchĂ©es Ă lâhorizontale. Vous lâavez compris, en tant que frigo dâappoint, cet objet peut trĂšs remplir sa mission sans Ă avoir Ă vous lĂącher dans le courant de lâaprĂšs-midi. A vous de vous organiser afin de recharger la batterie avant de vous en servir pendant toute une aprĂšs-midi. Voir le prix Mobicool W48 AC/DC La meilleure glaciĂšre Ă©lectrique pas cher Voir le prix Avantages Cette glaciĂšre Ă©lectrique est en mousse polyurĂ©thane Autant lĂ©gĂšre que pratique, la glaciĂšre Ă©lectrique peut contenir beaucoup Cette glaciĂšre Ă©lectrique possĂšde une poignĂ©e tĂ©lescopique InconvĂ©nients Elle ne refroidit pas assez rapidement Quâest ce que la mousse PolyurĂ©thane? On le voit, ces trois produits sont constituĂ©s en majeure partie de ce matĂ©riau. Indispensable pour isoler des aliments solides ou liquides, ce revĂȘtement les conserve Ă basse tempĂ©rature. Ainsi pour cette glaciĂšre Ă©lectrique, tout son contenu sera stockĂ© Ă environ moins seize degrĂ© en dessous de la tempĂ©rature ambiante. Ce qui peut largement convenir lors dâun pique-nique ou dâun barbecue entre amis. MĂȘme les enfants pourront Ă©galement y rajouter leurs sorbets ou leurs cones glacĂ©s puisque la glaciĂšre Ă©lectrique possĂšde un sĂ©parateur amovible. Cet Ă©lĂ©ment sâavĂšre indispensable si toute une mĂȘme famille se sert du produit pendant une longue pĂ©riode. Enfin, Ă moins de huit kilos, il est facile de sâen servir surtout quâune poignĂ©e tĂ©lescopique va vous faciliter la tache de lâemmener avec vous en camping, sur la plage, en randonnĂ©e. Toutes les combinaisons sont possibles tant cet objet ne prend pas de place au sol ni dans une voiture. En sortie, nâoubliez pas de mettre le cĂąble allume-cigare Ă sa place, soit sous le couvercle. Voir le prix L'alimentation Ă©lectrique fixeGrĂące Ă un voltage allant de 220 Ă 240 volts, vous pouvez brancher ces appareils oĂč bon vous semble. Cuisine, chambre, salon, salle Ă manger tout est possible. Par exemple, si vous recevez des amis pour une raclette ou pour plancha Ă©lectrique, stocker vos bouteilles de vin dans une glaciĂšre Ă©lectrique vous permettra dâen profiter Ă parfaite tempĂ©rature jusquâau bout de la nuit. L'alimentation Ă©lectrique nomadeCette fois-ci, câest lâallume cigare qui va faire tout le travail. SituĂ© dans la voiture, celui-ci va vous permettre de recharger votre glaciĂšre afin quâelle puisse vous accompagner dans vos sorties plage, pĂȘche ou encore pratique de sport avec de longue distances randonnĂ©e Le volume de stockageCes modĂšles acceptent autour de quarante voir cinquante litres de boissons. Câest une aubaine pour tout ceux qui aiment se rafraĂźchir sans Ă avoir Ă bouger de leur transat. L'ergonomieSouvent, les roulettes sont ce quâil a de mieux pour la sortir de chez soi et lâemmener jusquâĂ la voiture. Mais les poignĂ©es latĂ©rales sont sont souvent utiles lorsquâon a la chance dâavoir quelquâun de costaud Ă proximitĂ© de soi. Enfin, sur le troisiĂšme modĂšle, la poignĂ©e tĂ©lescopique est un avantage certain pour ceux qui sâen servent tout le temps. Sans se baisser, se pencher ou trop soulever, la glaciĂšre Ă©lectronique va se fondre dans votre quotidien et celui de toute votre famille. Le rangement des cĂąblesLe logement des cĂąbles dans le couvercle est un atout logistique. En effet, pour les plus Ă©tourdis, ce compartiment fera office de piqĂ»re de rappel pour ravitailler la batterie de la glaciĂšre Ă©lectrique en courant. Les avantages et inconvĂ©nients dâune glaciĂšre Ă©lectrique Avantages La glaciĂšre Ă©lectrique se branche nâimporte oĂč allume-cigare, chambre, etc. Elle contient aliments liquides boissons comme solides glaces On peut lâutiliser pour remplacer un petit frigo La glaciĂšre Ă©lectrique est facilement transportable en vacances grĂące Ă un systĂšme de poignĂ©es et roulettes. InconvĂ©nients Il faut bien sâorganiser avant en la rechargeant suffisamment Il faut bien prĂ©voir savoir quelle quantitĂ© on emmĂšne et dont on dispose FAQ Nous rĂ©pondons Ă vos questions Qu'est ce qu'une glaciĂšre Ă©lectrique ?Câest un objet en forme de gros cabat qui permet de transporter avec soi du solide et du liquide Comment fonctionne une glaciĂšre Ă©lectrique ?Comme on le sait, on peut brancher la batterie sur diffĂ©rentes sortes de prises. Tout dâabord, douze volts. Cela concerne lâembout allume cigare dâune voiture. Quand on a un sortie de prĂ©vue avec des enfants en bas Ăąge, ce critĂšre est parfaite. Ensuite, une prise de courant lambda en intĂ©rieur fait trĂšs bien lâaffaire. Cela correspond Ă 220 ou 230 volts. Combien de temps peut-on laisser brancher une glaciĂšre Ă©lectrique ?Lâensemble de ces informations figurent sur la notice de la glaciĂšre Ă©lectrique. Nâoubliez pas de vĂ©rifier cet aspect avant de faire votre achat. Quelle glaciĂšre Ă©lectrique choisir ? En premier lieu, vous devez contrĂŽler la capacitĂ© de stockage de votre glaciĂšre Ă©lectrique. Ce critĂšre a une base unitĂ© en litres. Par exemple, pour ces trois modĂšles, le taux maximum est de cinquante Litres. De ce fait, le constructeur prĂ©cise Ă chaque fois que des bouteilles de deux litres peuvent rentrer mais mises de maniĂšre horizontales. En outre, un sĂ©parateur amovible vous aidera Ă vous organiser au sein de lâappareil. En second lieu, vous devez vĂ©rifiez le revĂȘtement. Bien sur, la mousse polyurĂ©thane qui isole particuliĂšrement bien les liquides. Mais aussi, savoir de quoi est composĂ© le matĂ©riau extĂ©rieur de votre glaciĂšre Ă©lectrique. Aluminium ? Plastique ? Toutes les combinaisons sont possibles. Enfin, comme nous vous lâavons expliquĂ© juste au dessus, le branchement Ă lâĂ©lectricitĂ© est un enjeu majeur pour amortir votre glaciĂšre Ă©lectrique. Ou acheter une glaciĂšre Ă©lectrique ?Tous les magasins de sport ont forcĂ©ment un coin avec des glaciĂšres. En effet, Ă cotĂ© des tentes, matĂ©riel de camping ou de randonnĂ©e, vous avez forcĂ©ment le modĂšle qui vous correspondra le mieux en terme de budget, de fonctionnalitĂ©s et de capacitĂ©s physiques et logistiques. Notre verdict sur les glaciĂšres Ă©lectriques Nous espĂ©rons que notre petit comparatif sur ces grandes glaciĂšres Ă©lectriques vous a plu. Si vous voulez avoir notre avis sur les glaciĂšres 12V 200V, nous vous conseillons de consulter notre guide avec comparatif dĂ©diĂ© Ă ces modĂšles.
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LEPĂRIL BLEU DU MĂME AUTEUR FantĂŽmes et Fantoches Histoires singuliĂšres, publiĂ© sous le pseudonyme Vincent Saint-Vincent Plon-Nourrit. 1 vol. Le Docteur Lerne, sous-Dieu, roman Mercure de France. 1 vol. Le Voyage Immobile, suivi dâautres Histoires singuliĂšres Mercure de France. 1 vol. EN PRĂPARATION Suite Fantastique nouvelles Histoires singuliĂšres.Notre-Dame Homme chez les Microbes. Il a Ă©tĂ© tirĂ© de cet ouvrage dix-huit exemplaires numĂ©rotĂ©s quatre sur Japon de la Manufacture impĂ©riale et quatorze sur vergĂ© de Hollande Droits de traduction et de reproduction rĂ©servĂ©s pour tous pays. MAURICE RENARD OO LE PĂRIL BLEU Car, on peut le dire, madame pour les oiseaux et les philosophes, la terre nâest que le fond du ciel, et les hommes sây trainent pesamment, avec, au-dessus dâeux, lâocĂ©an dâazur interdit oĂč passent les nuĂ©es ainsi que des ou lâEscale ImprĂ©vue. â SOCIĂTĂ DES ĂDITIONS â â â LOUIS-MICHAUD â â168. Boulevrard Saint-Germain, 168â â â PARIS â â â Ă ALBERT BOISSIĂRE PREMIĂRE PARTIE OĂč ?⊠Comment ?⊠Qui ?⊠Pourquoi ?⊠PrĂ©liminaire Il y a six mois, â câĂ©tait exactement le lundi 16 juin 1913 Ă neuf heures du matin, â je vis entrer dans mon studio la jeune chambriĂšre qui me servait alors. Comme je venais de mettre la premiĂšre main Ă la biographie passionnante et vĂ©ridique de feu FlĂ©chambault, et comme la consigne Ă©tait de me laisser tranquille, les paroles qui montĂšrent Ă mes lĂšvres furent trois ou quatre blasphĂšmes de choix. Mais la fille nâen eut point souci et continua dâavancer. Elle portait sur un plateau de laque une carte de visite, et sa figure exultait dâun triomphe si Ă©clatant, quâelle avait lâair de mimer, avec des accessoires de fortune, la cĂ©lĂšbre chorĂ©graphie oĂč SalomĂ© promĂšne sur un plateau dâargent la tĂȘte de Iokanaan. Je lâapostrophai sans bienveillance â Quâest-ce qui vous prend ? Câest la carte du PĂšre Ăternel que vous trimbalez ? â Donnez. â Ah ! mon Dieu ! Pas possible ?!⊠Faites entrer ! presto ! presto ! » Jâavais lu le nom, la qualitĂ© et lâadresse de lâhomme illustre parmi les plus illustres, lâhomme de 1912, lâhomme du PĂ©ril Bleu JEAN LE TELLIER Directeur de lâObservatoire 202, boulevard Saint-Germain. Durant quelques secondes, je contemplai dâun regard Ă©bloui la fiche de bristol Ă©vocatrice de tant de gloire et de science, de malheur et de courage ; puis mon attention se fixa sur la porte. Bien souvent, au cours de la terrible annĂ©e 1912, les feuilles publiques avaient reproduit les traits de M. Le Tellier, et je voyais dâavance apparaĂźtre au seuil de la chambre un visiteur dans la force de lâĂąge, avec un bon sourire et de grands yeux clairs sous un front large et pur, redressant sa haute taille et caressant dâune main dĂ©liĂ©e sa barbe soyeuse et brune. Or, celui qui tout Ă coup sâencadra dans le chambranle ressemblait Ă ma vision comme un vieillard ressemble Ă sa jeunesse. Je courus Ă sa rencontre. Il essaya de sourire et fit une grimace. â Il marchait voĂ»tĂ©, dâun pas incertain, et soutenait Ă grandâpeine un portefeuille volumineux. â HĂ©las ! Ă prĂ©sent sa redingote noire flottait large autour de sa maigreur ; Ă prĂ©sent la rosette rouge qui boutonnait son parement voisinait avec une barbe grise ; ses paupiĂšres demeuraient baissĂ©es timidement, peureusement ; Ă prĂ©sent, enfin, toutes les Ă©motions, toutes les souffrances, toutes les Ă©pouvantes de 1912 se lisaient Ă ce front blĂȘme et dĂ©garni, tourmentĂ© de rides douloureuses. Nous Ă©changeĂąmes les politesses de rigueur. AprĂšs quoi M. Le Tellier voulut bien sâasseoir, posa sur ses genoux le portefeuille ballonnĂ©, puis me dit en le tapotant â Monsieur, voici du travail que je vous apporte. » â Vraiment ? » fis-je dâun ton aimable. Et⊠de quoi sâagit-il, monsieur ? » Il leva les yeux vers les miens. â Ha ! ses yeux nâavaient pas changĂ©. CâĂ©taient bien ces yeux-lĂ que jâavais espĂ©rĂ©s de grands yeux intimidants, habituĂ©s au spectacle des soleils et des lunes, et qui daignaient me regarder⊠â Lâastronome ne rĂ©pondit pas tout de suite Ă ma question, et je commençais Ă trouver, au sujet de ses yeux, des choses ravissantes, comme ceci par exemple quâils semblaient restĂ©s tout imprĂ©gnĂ©s de bleu cĂ©leste, et luire toujours de lueurs sidĂ©ralesâŠ, â quand M. Le Tellier prononça cette phrase Ă©bahissante â Jâai lĂ tous les documents nĂ©cessaires Ă lâhistoire de ce quâon nomme, plus ou moins justement, les Terreurs de lâAn mil neuf cent douze. » â Comment ! » mâĂ©criai-je au comble de la surprise. Vous voudriez que⊠» â ⊠ce soit vous qui fassiez ce travail. » â Vous me faites beaucoup dâhonneur⊠Mais, en vĂ©ritĂ©âŠ, monsieur, avez-vous rĂ©flĂ©chi⊠Câest une chose⊠énorme ! Le sujet nâest pas Ă ma pointure⊠Dâabord, je ne suis pas un historien⊠Un historiographe, tout au plus. Mon Ćuvre, bien modeste, se borne Ă quelques monographies⊠Tenez, quand vous ĂȘtes arrivĂ©, prĂ©cisĂ©ment, je mâoccupais⊠» â Je sais, monsieur, je sais. » â Et puis, gardez-vous bien de me croire un savant ! Je raconte, Ă la bonne franquette, de petits Ă©pisodes anormaux ; câest tout. Sâil me fallait expliquer scientifiquement cette gigantesque aventure⊠Mais, dâailleurs, est ce que cela nâest pas dĂ©jĂ fait ? Est-ce que plusieurs de vos confrĂšres nâont pas⊠» â Monsieur. » trancha mon interlocuteur, on nâa point Ă©crit lĂ -dessus dâouvrage populaire, et câest un ouvrage populaire dont je souhaite la publication. Pour des raisons que la lecture de ces documents vous fera clairement saisir, il est bon, â il est mĂȘme de la plus grande utilitĂ©, â que tout le monde connaisse et comprenne ce qui sâest passĂ© lâannĂ©e derniĂšre. Si je mâadresse Ă vous, monsieur, nâen prenez pas ombrage câest justement parce que vous nâĂȘtes pas un homme de science, ou du moins pas un spĂ©cialiste. Vous nâaccumulerez pas, vous, dans votre rĂ©cit, de ces termes techniques et de ces locutions professionnelles qui rendent impermĂ©ables aux esprits du commun la plupart de nos rĂ©dactions. Moi qui vous parle, jâai tentĂ© sans y rĂ©ussir cette tĂąche Ă quoi je vous convie. La cause de mon Ă©chec est simple je ne saurais parler quâune langue trop juste, inaccessible aux masses Ă force de propriĂ©tĂ©, bref une langue obscure Ă force de lumiĂšre aveuglante⊠Ne rougissez donc pas de lâhonneur », comme vous dites, puisque câest votre ignorance qui vous le procure, et non votre savoir. » â Excusez-moi, » repris-je en dissimulant quelque mauvaise humeur, mais parviendrai-je Ă dĂ©crire un phĂ©nomĂšne aussi prodigieux Ă lâaide seulement du vocabulaire familier ?⊠» â Nâen doutez pas. » â Mais encore, les profanes sâintĂ©resseront-ils Ă de froids commentaires⊠» â Monsieur ! monsieur ! saisirez-vous jamais ?⊠Ce que je vous demande, câest lâhistoire dâune famille pendant les Terreurs de mil neuf cent douze ; câest lâhistoire de ma famille ! » Ă ces mots qui Ă©veillaient le souvenir de telles surhumaines catastrophes et mâapprenaient enfin la mission grandiose qui mâĂ©tait rĂ©servĂ©e, un souffle dâenthousiasme souleva tout mon ĂȘtre. â Quoi, monsieur ! vous consentiriez Ă livrer Ă la fouleâŠ, en dĂ©tail, les pĂ©ripĂ©ties⊠intimes⊠poignantes⊠» â Il le faut », dit gravement M. Le Tellier. â Oh ! alors, je lĂąche FlĂ©chambault ! mâĂ©criai-je. Vite, monsieur, montrez-moi le dossier ! Je brĂ»le dâentamer la besogne⊠» Les papiers sâĂ©talaient dĂ©jĂ sur mon bureau. On trouvait dans ces liasses toutes les formes de renseignements lettres, journaux, croquis, notes, procĂšs-verbaux, revues, constats, photographies, tĂ©lĂ©grammes, etc., soigneusement classĂ©s par rang de date, numĂ©rotĂ©s de 1 Ă 1046 et rĂ©pertoriĂ©s. M. Le Tellier feuilleta cette chronique, parcourut les piĂšces une Ă une, et fit revenir pour moi le fantĂŽme des heures sinistres. Elles dĂ©passaient en horreur et en bizarrerie ce que la notion vulgaire de la crise mâavait permis de soupçonner. Amateur dâinsolite et scribe de miracles, jâai connu et divulguĂ© les plus Ă©tranges destins. Jâai frĂ©quentĂ© le physicien Bouvancourt, qui pĂ©nĂ©tra dans lâimage du monde reflĂ©tĂ©e aux miroirs. Un de mes vieux compagnons fut M. de Gambertin, dĂ©vorĂ© de nos jours, en pleine Auvergne, par un monstre antĂ©diluvien. Jâai compulsĂ© le testament de ce pauvre XâŠ, lequel vit accourir au rendez-vous dâamour le cadavre de sa maĂźtresse. Jâai surpris lâexistence du docteur Lerne, qui interchangeait les cervelles de ses clients ou de ses victimes et falsifiait ainsi leur personnalitĂ©. LâingĂ©nieur Z⊠me confia le soin dâexposer comment on fait le tour du globe en restant Ă la mĂȘme place. JâĂ©tais lĂ quand Nerval, le compositeur, mourut dâavoir Ă©coutĂ© les SirĂšnes au creux dâun coquillage. Je possĂšde aussi â jâen passe et des meilleurs â les mĂ©moires de FlĂ©chambault, lâinfortunĂ© qui sĂ©journa chez les microbes⊠Enfin, mes registres contiennent pas mal de curiositĂ©s. Mais, en mon Ăąme et conscience je lâaffirme, tout cela nâest rien au regard des Ă©vĂ©nements dont M. Le Tellier poursuivit lâĂ©numĂ©ration, tandis que son doigt dĂ©charnĂ© fouillait les archives du PĂ©ril Bleu. Je dois dire quâil racontait dâune maniĂšre saisissante, comme tous ceux qui ont vĂ©cu leur narration. Parfois mĂȘme il tremblait dâune angoisse rĂ©trospective, au vu de certaines pages quâil avait tracĂ©es de sa propre main vacillante, au sortir dâun nouvel accident, tout chaud », pour ainsi dire, et sous le coup du dĂ©sespoir. Ce jour-lĂ , nous oubliĂąmes tous deux lâheure du dĂ©jeuner. Telles sont les conjonctures dans lesquelles je fus appelĂ© Ă Ă©crire cette histoire de lâan de disgrĂące 1912. Jâai suivi, pour ce faire, lâordre du temps, â le seul quâun historien puisse adopter sâil mĂ©prise lâeffet, comme câest son devoir. Et toutes les fois quâune piĂšce du dossier me lâa permis par sa concision, sa briĂšvetĂ©, sa justesse et la bonhomie de son Ă©criture, je lâai versĂ©e telle quelle Ă ma relation. Il en rĂ©sulte un ensemble fort disparate et beaucoup de morceaux dĂ©nuĂ©s de style ; cela est regrettable ; mais fallait-il Ă©chapper la moindre occasion de substituer la vie, toute palpitante, au discours dâun rapporteur ? Ă ce propos, sans doute me fera-t-on grief de lâhospitalitĂ© libĂ©rale octroyĂ©e dans mon livre Ă la correspondance de M. Tiburce. Elle offre peu dâintĂ©rĂȘt, et sa part dans lâaction est assez minime, je lâavoue. Mais elle achĂšve si bien le portrait dâun personnage dont le type funeste incline Ă se trop multiplier ; mais elle montre avec tant de bonheur oĂč peuvent conduire certains excĂšs, â quâil mâa paru naturel et moral de la dissĂ©miner aux endroits que lui assignait la chronologie. Du reste, M. Tiburce qui est maintenant de mes amis, comme tous les hĂ©ros survivants de cette Ă©popĂ©e est revenu de ses erreurs, et lui-mĂȘme a voulu quâon trouvĂąt ci-aprĂšs la leçon de ses ridicules avec la peinture de sa folie. Ce dernier trait lâhonore dans la mesure prĂ©cise oĂč son extravagance lâavait dĂ©criĂ© ; je suis heureux de lâen fĂ©liciter. Un mot encore. â Bon nombre de personnes ont lâexcellente habitude de suivre sur la carte la marche des faits et le dĂ©placement des acteurs. Pour situer ainsi les phases du PĂ©ril Bleu, je recommande les cartes de lâĂtat-major Nantua 160 et ChambĂ©ry 169, ou la carte du ministĂšre de lâIntĂ©rieur Belley xxiii, 25. Ces topographies joignent Ă lâexactitude la plus stricte le mĂ©rite dâĂȘtre levĂ©es Ă une Ă©chelle suffisante pour quâon y puisse piquer de minuscules drapeaux indicateurs ou des Ă©pingles Ă tĂȘte de verre colorĂ©. â Quant au plan de Paris, le premier venu fera lâaffaire. Et maintenant, tournons les yeux vers le passĂ© et revenons en idĂ©e au mois de mars 1912. iEntrĂ©e en MystĂšre Ăquelle date faut-il placer la premiĂšre manifestation du PĂ©ril Bleu ? Câest un problĂšme qui nâa jamais Ă©tĂ© bien rĂ©solu, mais dont il importe de dire quelques mots. Faisons dâabord justice dâune croyance singuliĂšrement tenace dans le peuple et quâon est en droit dâappeler la lĂ©gende de lâAuvergnate. â Non, la femme trouvĂ©e le 28 fĂ©vrier, dans un champ, prĂšs de Riom, couchĂ©e sur le dos et le front ouvert, nâa aucun rapport avec le dĂ©but de ce qui nous intĂ©resse. Il est vraiment extraordinaire quâon accrĂ©dite encore une fable pareille, quand lâassassin de cette dame, arrĂȘtĂ© six mois plus tard, fit lâaveu de son crime et se vit condamner Ă vingt ans de travaux forcĂ©s par le jury du Puy-de-DĂŽme, â ainsi quâil appert des piĂšces 1 et 2 du dossier Le Tellier procĂšs-verbal de la dĂ©couverte du cadavre et extrait de jugement. AprĂšs cela, comment se trouve-t-il toujours des sots pour accuser les Sarvants dâavoir commis ce meurtre ? LâĂ©pouvante rĂ©gnait Ă lâĂ©poque des dĂ©bats, il faut quâelle en ait dĂ©tournĂ© lâattention publique ; je ne vois pas dâautre excuse Ă de telles aberrations. Revenons au dossier. â Le troisiĂšme document est une sĂ©rie de cinq dĂ©coupures de journaux. Ă leur vue, force lecteurs vont se rappeler lâincident qui les occupe et dans lequel M. Le Tellier pense reconnaĂźtre la marque initiale des Sarvants. Ce nâest dâailleurs quâune prĂ©somption ; rien de plus. On apprĂ©ciera. Le Journal Sous le titre COLLISION EN MER Le Havre, 3 mars. Le paquebot Bretagne, faisant le service entre New-York et Le Havre et quâon attendait ce soir, a fait savoir au siĂšge de sa compagnie, par marconigramme, que, dans la nuit du premier au deux, il a Ă©tĂ© abordĂ© par un navire quâil nâa pu identifier et qui sâest enfui. La collision sâest produite par tribord et Ă lâarriĂšre. La coque est fortement endommagĂ©e, heureusement au-dessus de la ligne de flottaison. Neuf cabines de premiĂšre classe sont dĂ©truites. Il y a cinq morts et sept blessĂ©s. Lâaccident ne retardera pas sensiblement la marche du paquebot. Le Havre, 4 mars. La Bretagne est arrivĂ©e hier avec trois heures de retard. On nâa aucune nouvelle du navire abordeur. Celui-ci sâest esquivĂ© avec une telle rapiditĂ© que les projecteurs Ă©lectriques de la Bretagne, aussitĂŽt mis en action, ne purent le dĂ©couvrir. Il est vrai que la mer Ă©tait houleuse et que la pluie, tombant Ă verse, aveuglait les observateurs et limitait le champ dâĂ©clairage. La collision se serait produite pendant que la Bretagne Ă©tait soulevĂ©e par une forte lame. [Suit la liste des morts et des blessĂ©s.] Le Havre, 5 mars. Les personnages qualifiĂ©s pour le savoir nâont pas connaissance quâun navire ait dĂ» se trouver sur la route de la Bretagne Ă la date et Ă lâheure indiquĂ©es par le capitaine de ce transport. LâĂšre des pirates Ă©tant passĂ©e, il faudrait donc se rallier Ă lâhypothĂšse dâun vaisseau de guerre en mission clandestine. Cette supposition serait dâailleurs confirmĂ©e par ce fait que lâĂ©norme brĂšche de la Bretagne semble avoir Ă©tĂ© pratiquĂ©e par lâĂ©peron dâun avant blindĂ©. Alors, est-on en prĂ©sence dâun accident ou dâune attaque ? â Il importe de noter que les vigies de la Bretagne nâont aperçu aucun fanal. De Plymouth, 6 mars. Le destroyer Swift, de la flotte britannique, est entrĂ© en cale sĂšche hier aprĂšs-midi pour ĂȘtre rĂ©parĂ©. Il a subi des avaries au sujet desquelles la consigne paraĂźt de se taire [sic]. Nây aurait-il pas un rapprochement Ă faire entre ces mystĂ©rieuses rĂ©parations et lâaccident non moins mystĂ©rieux de la Bretagne ? La Libre Parole Article de tĂȘte du 9 mars. Fragment terminal. ⊠Une fois de plus les Diplomates se sont abouchĂ©s, et comme toujours, les nĂŽtres ont exĂ©cutĂ© en mesure les courbettes les plus serviles devant les dĂ©clarations de lâĂ©tranger. Ainsi donc, Messieurs les Larbins chamarrĂ©s, vous croyez le commandant du destroyer anglais lorsquâil soutient que, au moment de lâabordage, il se trouvait Ă 35 milles au nord de la Bretagne » ?⊠Et vous le croyez encore lorsquâil avoue que lâaccident du destroyer sâest produit nĂ©anmoins quelques secondes aprĂšs celui du paquebot » ?⊠Quand il dĂ©clare que prenant part Ă une manĆuvre de nuit, il devait naviguer tous feux Ă©teints », cela ne vous dit rien, cela ?⊠Quand il sâĂ©crie comme le commandant de la Bretagne, parbleu ! Je nâai rien vu ! » vous admettez cela, vous ?⊠Alors, sâil vous plaĂźt, le vaisseau-fantĂŽme, prĂ©sent partout Ă la fois, serait-il ressuscitĂ© ? Ou bien les deux embarcations se sont-elles heurtĂ©es Ă travers la distance de soixante et dix kilomĂštres ?⊠Allons ! allons ! jâaime mieux croire Ă la culpabilitĂ© du capitaine anglais et Ă lâaveuglement â bien pardonnable â du capitaine français. Câest plus simple. Mais la Diplomatie a parlĂ© ! Saluons ! La perfide Albion glapit Lâaccident du destroyer Swift est inexplicable ! » Et lâAmirautĂ© prĂ©tend avoir fait le silence autour de lui seulement pour Ă©viter que lâon rapprochĂąt les deux collisions » !!! Seulement » câest dĂ©jĂ joli ; mais deux » câest sublime. Pas dâhypocrisie, morbleu ! ambassadeurs que vous ĂȘtes ! Et comme disait le pĂšre Hugo Câest bien. Essuyez-vous. » iiLa Campagne hantĂ©e Cet incident diplomatique Ă©tait rĂ©glĂ© depuis plus dâun mois et lâon avait oubliĂ© lâaffaire de la Bretagne », quand lâattention de M. Le Tellier fut mise en Ă©veil par un fait-divers du journal Lyon rĂ©publicain. Et si lâon veut savoir pourquoi M. Le Tellier reçoit Ă Paris le Lyon rĂ©publicain, je le dirai. Câest quâil sâintĂ©resse beaucoup Ă la rĂ©gion de lâAin et particuliĂšrement au Bugey, qui est le pays de Mme Le Tellier. La mĂšre de celle-ci, Mme Arquedouve, y possĂšde le chĂąteau de Mirastel, oĂč lâastronome et sa famille passent les vacances, et la sĆur aĂźnĂ©e de Mme Le Tellier, Mme Monbardeau, habite toute lâannĂ©e le village dâArtemare, prĂšs de Mirastel, oĂč son mari exerce la profession de mĂ©decin. Câest donc avec un intĂ©rĂȘt bien naturel que M. Le Tellier parcourut les lignes suivantes dans le numĂ©ro du 17 avril piĂšce 8 ĂTRANGES DĂPRĂDATIONS DANS LE DĂPARTEMENT DE LâAIN Il se passe dans lâAin des faits regrettables. Des malfaiteurs, animĂ©s dâun stupide esprit de pillage et de dĂ©gradation, y commettent journellement leurs mĂ©faits, et par malheur on nâa pu jusquâici sâemparer dâaucun dâeux. Câest Ă Seyssel[1], au confluent du RhĂŽne et du Fier, aux confins des trois dĂ©partements de lâAin, de la Haute-Savoie et de la Savoie, que la chose a commencĂ©. Dans la nuit du 14 au 15 avril, nombre dâoutils de jardinage et dâinstruments aratoires, laissĂ©s au dehors, ont Ă©tĂ© subtilisĂ©s. Les premiers Seysselans qui sâen aperçurent prirent le chemin de la mairie, afin dây dĂ©poser une plainte. Et en arrivant Ă la maison commune, ils virent que pendant la nuit on avait absurdement arrachĂ© les aiguilles de la grande horloge. Une lanterne, accrochĂ©e Ă une potence, avait Ă©galement disparu. Lâopinion gĂ©nĂ©rale incrimina certains habitants qui, la veille au soir, sâĂ©taient manifestement enivrĂ©s. Mais tous, ayant fourni lâemploi de leur temps, se disculpĂšrent. Le parquet fut avisĂ©. La journĂ©e du 15 se passa tranquillement. Ă midi et au soir, en rentrant chez eux, les Seysselans ne trouvĂšrent aucune trace de vols ou de dĂ©gĂąts. Ils se couchĂšrent sans inquiĂ©tude. Mais le lendemain, ils constatĂšrent de nouvelles dĂ©prĂ©dations encore moins justifiĂ©es, encore moins raisonnables que les prĂ©cĂ©dentes. Un drapeau, fixĂ© au pignon dâune bĂątisse neuve, avait Ă©tĂ© enlevĂ© ; la sphĂšre de zinc, peinte en jaune, qui servait dâenseigne Ă lâauberge de la Boule dâOr, ne pendait plus Ă sa ferrure ; une quantitĂ© de branches dâarbres avait Ă©tĂ© coupĂ©e dans les vergers ; une borne, au coin de la place, nâĂ©tait plus lĂ ; des moellons de silex avaient quittĂ© leur tas pour une destination inconnue ; enfin le chat de lâĂ©picier, qui depuis quelque temps rĂŽdait sur les toits, ne put se retrouver. Les Seysselans, dâautant plus furieux que les gens dâalentour commençaient Ă les railler, se promirent Ă faire bonne garde la nuit dâaprĂšs. Mais ce fut inutile. Rien ne se passa. Lâavis de tous est quâil sâagit dâune bande de mauvais plaisants. Ce sont lĂ les menĂ©es de grossiers mystificateurs de village. » Telles sont les nouvelles qui nous sont parvenues voilĂ vingt-quatre heures et que nous refusĂąmes dâinsĂ©rer avant de nous ĂȘtre assurĂ©s de leur exactitude. Aujourdâhui nous en sommes certains, et nous savons de bonne source car, en vĂ©ritĂ©, il nâest pas superflu de la mentionner que la nuit oĂč les Seysselans guettĂšrent sans rĂ©sultat, ce fut le village voisin, Corbonod, qui reçut la visite des filous. LĂ , ils sâattaquĂšrent surtout aux potagers, quâils dĂ©valisĂšrent. Et la nuit suivante, les tristes voyous se livrĂšrent Ă leurs actes de vandalisme dans le hameau de CharbonniĂšre, toujours Ă cĂŽtĂ© de Seyssel. Un chevreau de cette localitĂ©, qui sâĂ©tait Ă©chappĂ©, nâa pas Ă©tĂ© revu. La gendarmerie est sur les lieux. On soupçonne plusieurs individus et notamment un vagabond qui chemine avec lenteur et dont le sĂ©jour dans les villages Ă©prouvĂ©s coĂŻncide justement avec lesdites Ă©preuves. Nous attendons dâautres dĂ©tails et nous tiendrons nos lecteurs au courant. â Mais voilĂ une aventure de voleurs bien digne de ce pays ; car, ne lâoublions pas, câest Ă la crĂȘte des rochers dominant le Val du Fier quâon montre aux voyageurs la maison de qui ?⊠De Mandrin. Ces lignes intriguĂšrent M. Le Tellier, peut-ĂȘtre mĂȘme plus que de raison. Mais, Ă rĂ©flĂ©chir, lâidĂ©e lui vint que probablement le mystĂšre rĂ©sidait surtout dans les termes de lâinformation, et que le manque de dĂ©tails nâavait seul produit lâapparence. Comme il devait Ă©crire Ă son beau-frĂšre Monbardeau, cet homme avide de lumiĂšre profita de lâoccasion pour lui demander lĂ -dessus quelques Ă©claircissements. Voici sa lettre. Je la reproduis in extenso, car elle traite dâĂ©vĂ©nements et de choses Ă©troitement liĂ©s Ă notre histoire. piĂšce 9 Au docteur C. Monbardeau, Artemare, Ain.. Paris, 202, boulevard Saint-Germain. 18 avril 1912. Mon cher Calixte,Grande nouvelle ! Nous arriverons Ă Mirastel le 16 dans la soirĂ©e, ma femme, ma fille, mon fils, mon secrĂ©taire et moi. Je prĂ©viens par mĂȘme courrier cette bonne madame Arquedouve. â Tu as bien lu mon fils », Maxime nous accompagne ; le prince de Monaco lui donne un mois de congĂ© entre deux croisiĂšres ocĂ©anographiques. Et maintenant te voilĂ prodigieusement ahuri ! Tu te demandes pourquoi nous quittons Paris de si bonne heure cette annĂ©e !⊠Mettons⊠mettons que je sois fatiguĂ© par lâinauguration du grand Ă©quatorial. Ce sera le prĂ©texte officiel. Ah ! mon pauvre Calixte, cet Ă©quatorial ! Tu ne reconnaĂźtras plus lâObservatoire. LâObservatoire de Perrault, on dirait maintenant le PanthĂ©on de Soufflot ! Je mâexplique Pour loger lâimmense lunette donnĂ©e par le milliardaire Hatkins, il a fallu construire sur la terrasse, au milieu des petites coupoles, un vrai dĂŽme de basilique. Câest pourquoi je parle de PanthĂ©on. LâesthĂ©tique en souffre cruellement. Si encore la science y gagnait I Mais quel enfantillage dâĂ©tablir un instrument dâoptique aussi merveilleux Ă Paris ! Ă Paris qui trĂ©pide sans cesse ! Ă Paris dont le ciel est chargĂ© de poussiĂšre ! et sur un monument vibratile, oĂč la chaleur rayonnante gĂȘne lâobservation !⊠Toutefois, lâAmĂ©ricain dĂ©sirant que son tĂ©lescope fĂ»t placĂ© comme il lâest, on ne pouvait que sâincliner. La fĂȘte inaugurale du 12 avril a Ă©tĂ© de tous points rĂ©ussie. Beaucoup dâĂ©trangers, Ă cause de lâexotisme du donateur. â Mais je te raconterai tout cela. Autre chose. Tu trouveras ci-inclus un article du Lyon RĂ©publicain. Il a piquĂ© ma curiositĂ©. Toi qui es sur place, donne-moi donc des explications complĂ©mentaires. Est-ce sĂ©rieux ? Je flaire une de ces farces pyramidales dont nos paysans sont coutumiers. Affections Ă ta femme ainsi quâĂ ton fils et Ă ta dĂ©licieuse belle-fille, puisque vous avez le bonheur de les possĂ©der en ce moment. De cĆur, Jean Le Tellier. Et voici la rĂ©ponse piĂšce 10 Ă Monsieur J. Le Tellier, Directeur de lâObservatoire, 202, boulevard Saint-Germain, Paris. Artemare, 20 avril 1912. Laisse-moi dâabord, mon cher Jean, bĂ©nir les causes de votre arrivĂ©e hĂątive en Bugey. Ces causes, le ton dĂ©gagĂ© de ta lettre accuse leur peu de gravitĂ©. Alors gaudeamus igitur ! Quant aux Ătranges dĂ©prĂ©dations », elles ne sont peut-ĂȘtre en effet quâune mauvaise plaisanterie. Oui, mais bigrement mauvaise ! Câest quelque chose comme â en grand â une maison hantĂ©e. La campagne hantĂ©e, quoi ! Et sais-tu comment nos villageois, imbus de superstitions, nomment leurs mystĂ©rieux tourmenteurs ? Devine ? un mot de patois⊠Des Sarvants, parbleu ! Des fantĂŽmes !⊠Et de fait, les malandrins sont insaisissables et ne laissent de trace que la trace mĂȘme de leurs dĂ©lits. DâoĂč, tu peux lâimaginer, une assez forte apprĂ©hension, qui sâĂ©tend Ă mesure que les pillages nocturnes se multiplient. Car cela continue tu as dĂ» lâapprendre par le Lyon RĂ©publicain, et les villages de Remoz et de Mieugy, entre Seyssel et Corbonod, ont subi, chacun Ă son tour, leur petite brimade nocturne. Lorsque jâai reçu ta lettre comme par un fait exprĂšs, on venait de mâappeler prĂšs dâune malade dâAnglefort. Je mây suis rendu avec ma 9-chevaux, et jâen ai profitĂ© pour pousser jusquâau théùtre de la beffa, comme disent les Italiens. Ă parler franc, les dĂ©gĂąts sont de piĂštre consĂ©quence et plus vexatoires que rĂ©ellement dommageables. Mais ils nâen restent pas moins bizarres et commis avec un luxe de particularitĂ©s burlesques voulant avoir lâair surnaturelles, bien faites pour frapper lâimagination de mes concitoyens. â Un point remarquable ce sont des vols. OĂč la main des chenapans sâest posĂ©e, sans exception il manque un objet. Non contents dâabĂźmer un cadran dâhorloge, ils en chipent les aiguilles. On ne retrouve pas les branches coupĂ©es, les lĂ©gumes arrachĂ©s, lâenseigne dĂ©pendue, rien. Ce sont des vols, et souvent de choses inutilisables. Que ferait-on dâun vieux drapeau ? de rameaux Ă peine feuillus ? dâune moitiĂ© de bicyclette jetĂ©e aux ordures ?⊠Il est vrai quâon a dĂ©robĂ© des pelles, des hoyaux, des bĂȘches et, ce qui est plus grave, des animaux un chat et une biquette. Mais jâai le pressentiment que tout sera restituĂ© une fois la comĂ©die terminĂ©e, ou, si tu prĂ©fĂšres, une fois la vengeance exercĂ©e. ExercĂ©e⊠par qui ? Dans le pays, on ne devine pas. Les populations ne se connaissent pas dâennemis. Et alors, en dĂ©sespoir de cause, on admet la possibilitĂ© de quelque vindicte dâoutre-tombe une levĂ©e en masse de revenants, une invasion de Sarvants ! Câest fou ! mais que veux-tu tout cela se perpĂštre la nuit, avec de ces raffinements puĂ©rils que lâon a coutume dâattribuer aux spectres ; et puis, le matin, nulle empreinte de pas ! nul vestige dâune prĂ©sence quelconque ! Au surplus, on a vite observĂ© que la plupart des vols Ă©taient commis Ă des hauteurs oĂč la mode nâest pas de cambrioler au sommet dâun arbre, au pignon dâune toiture, au fronton dâune mairie ; et comme les malicieux personnages ont soin dâeffacer toute trace des pieds de leurs Ă©chelles, deux lĂ©gendes sont nĂ©es qui courent le pays, lâune de spectres gĂ©ants, lâautre de spectres grimpeurs ! Maintenant, oĂč se cachent les sacripants durant la journĂ©e ? OĂč vont-ils dĂ©poser le fruit de leurs larcins ? Autant de questions quâil serait facile de rĂ©soudre, si les campagnards voulaient bien passer la nuit Ă lâaffĂ»t. Mais ils sâenferment Ă double tour, et quand les chiens aboient, ils se cachent sous leurs couvertures. Quelques esprits forts veillent cependant, et des policiers avec eux. Par malchance, toutes les fois quâils sâembusquent dans un village, les dĂ©prĂ©dations sâaccomplissent dans un autre. â DâaprĂšs moi, la troupe car ils sont plusieurs, Ă nâen pas douter se retire avant le jour au fond des bois du Colombier, qui dĂ©verse ses derniĂšres pentes jusquâaux villages maraudĂ©s, Ă lâouest. Câest lĂ quâils se dissimulent et quâils enterrent leur butin, Ă moins quâils ne lâenfouissent dans les sables du RhĂŽne, lequel, tu le sais, coule tout au long de ces communes, de lâautre cĂŽtĂ©, Ă lâest. Une Ă©nigme plus malcommode Ă dĂ©chiffrer, par exemple, câest lâabsence de piste dâarrivĂ©e et de dĂ©part. Ah ! ce sont des malins. Et ils ont jurĂ© dâaffoler cette rĂ©gion. Je reprends ma lettre, interrompue un instant. Il paraĂźt quâAnglefort a Ă©tĂ© saccagĂ© cette nuit. On ne sây attendait pas. Les habitants faisaient les farauds, quand jây suis allĂ©. Ils traitaient leurs voisins de jobards ou de menteurs, les accusant mĂȘme de simulation⊠Eh bien ! ça y est ! On leur a pris une brouette, une charrue, des branches encore beaucoup moins, un Ă©pouvantail Ă moineaux dans un champ de blĂ© tendre quelques vieilles dĂ©froques sur une perche et une statue dans le jardin de ma cliente. Câest le domestique de cette dame qui vient de me lâannoncer. Je ne sais pourquoi, mais ces deux derniers vols paraissent lâavoir Ă©mu davantage lui et tout le monde lĂ -bas. Je ne vois pas ce quâil y a de si troublant au rapt dâun mannequin de guenilles et dâun bonhomme en plĂątre⊠On a soustrait aussi des volailles et⊠Mais je veux te narrer lâhistoire ; elle est amusante. Une vieille bigote, dont la maison sâappuie au chevet de lâĂ©glise, entendit, cette nuit, du bruit. Quel bruit ? On nâa pu le lui faire spĂ©cifier. Elle dormait encore. Elle a dit sâĂȘtre Ă©veillĂ©e au moment oĂč le bruit cessait. Mais alors elle distingua trĂšs nettement le cri dâun coq. Ce coq chantait dans les tĂ©nĂšbres, et son chant venait dâen haut et du clocher ! Ce nâĂ©tait pas, du reste, une fanfare dâaurore, pas lâaubade classique et coqueriquante, mais câĂ©tait le cri dâun coq qui se sauve, qui se dĂ©bat ou qui sâenvole ». Et le lendemain câest-Ă -dire ce matin, elle vit â et chacun put voir â que le coq de fonte, perchĂ© depuis cent ans au faĂźte du clocher, sâen Ă©tait Ă©vadĂ© !⊠AussitĂŽt on crie au miracle, au lieu de crier au ventriloque ; et lâon refuse de poursuivre une affaire dont le bon Dieu se mĂȘle ; et lâon dĂ©niche je ne sais quelle corrĂ©lation macaronique entre le coq religieux, symbole du reniement de saint Pierre, et le coq gaulois, gallus gallus, emblĂšme de la France renĂ©gate ! Galimatias, câest le cas de le dire. Heureusement, la police ouvre lâĆil. Car, vengeance ou plaisanterie, en voilĂ assez. On va surveiller, jâespĂšre, les villages qui se trouvent dans la direction suivie par les ravageurs le sud. On va garder cette traĂźnĂ©e de hameaux dont la file sâĂ©grĂšne entre le RhĂŽne et le Colombier. Cependant les pistes suivies sont abandonnĂ©es lâune aprĂšs lâautre. On a relaxĂ© un chemineau, reconnu sans mĂ©chancetĂ©. Mais il y a, dit-on, de nouveaux suspects deux journaliers piĂ©montais. Ils travaillent depuis peu dans la contrĂ©e et suivent la mĂȘme route que les bizarreries. Porteurs de pelles et de pioches, ils auraient donc, dĂšs le dĂ©but, possĂ©dĂ© les outils nĂ©cessaires Ă lâinhumation de leurs rapines, avant de sâĂȘtre procurĂ© par la fraude un surcroĂźt dâinstruments analogues, â ce qui rĂ©vĂšle encore une bande. Figure-toi que ma femme sâeffraie ! Comme câest curieux ! Elle, si intelligente ! Elle dit Jâai toujours eu en horreur les charivaris et les farces macabres. Or ceci est macabre, puisque les morts sont en jeu et quâon fait dire des messes pour le repos de leur Ăąme. â Et le pire, câest que, si cela persiste, de deux choses lâune JusquâĂ prĂ©sent, nâest-ce pas, les mystificateurs ont suivi Ă la fois le cours du RhĂŽne et le bas du Colombier. Mais, Ă Culoz, celui-ci sâarrĂȘte brusquement. Eh bien, puisquâil nâest de villages quâau long du fleuve et quâautour de la montagne, il leur faudra donc choisir entre ces deux directions. Et sâils sâavisent de contourner lâĂ©peron que fait le Colombier, dans ce cas, Mirastel dâabord, Artemare ensuite se trouvent en plein sur leur trajet ! » VoilĂ beaucoup de prĂ©voyance ! Toutes ces billevesĂ©es auront leur terme bien avant dâarriver Ă Culoz, â bien avant que vous nây dĂ©barquiez vous-mĂȘme le 26. Dans le cas contraire, votre prĂ©sence, ajoutĂ©e Ă celle dâHenri et de Fabienne, nos chers amoureux, stimulera la vaillance dâAugustine. Je souhaite donc cette prĂ©sence, de tout mon cĆur de beau-frĂšre et de mari. Tout Ă toi, Calixte Monbardeau Ă partir de cette lettre, dont lâampleur inattendue Ă©tonna grandement son destinataire, les coupures de journaux abondent au dossier. Comme tout ce qui paraĂźt toucher Ă lâau-delĂ , les mĂ©saventures du Bugey dĂ©fraient rapidement la presse française. â Ces coupures sont, pour la plupart, des entrefilets narquois, fourmillant dâerreurs. Nous en retiendrons seulement lâadoption du mot Sarvants » qui, par sa nouveautĂ© apparente et son acception fantasmagorique, semble propre Ă dĂ©signer des crĂ©atures inĂ©dites et mystĂ©rieuses. Mais on lira ci-dessous une suite de passages choisis pour Ă©viter les redites dans un rapport trĂšs remarquable dĂ» au procureur de la RĂ©publique Ă Belley, â donc un professionnel de lâobservation. Ce magistrat, avant dâĂȘtre commis officiellement, opĂ©ra des recherches pour son propre compte, en dilettante, et les bribes suivantes sont tirĂ©es des notes officieuses oĂč fut consignĂ© le rĂ©sultat de cette enquĂȘte. piĂšce 33 ⊠à ce moment [celui de son arrivĂ©e, 24 avril] sept villages avaient Ă©tĂ© molestĂ©s, Ă savoir le bourg de Seyssel et les hameaux de Corbonod, CharbonniĂšre, Remoz, Mieugy, Anglefort et Champron, tous situĂ©s sur la route de Bellegarde Ă Culoz, entre fleuve et mont, du nord au sud⊠Les populations Ă©taient presque atterrĂ©es⊠voyaient plus de choses quâil nây en avait ⊠Ils se claquemuraient⊠Lâhistoire du coq dâAnglefort avait provoquĂ© une grande sensation⊠Je suis montĂ© au clocher. Rien nâaurait Ă©tĂ© plus facile que dâenlever sans effraction le coq de tĂŽle dorĂ©e ; il nâĂ©tait quâenfoncĂ© sur une hampe de fer, au moyen dâune douille soudĂ©e Ă ses pattes et non goupillĂ©e. Il nây avait donc quâĂ le tirer de bas en haut. NĂ©anmoins, dans leur prĂ©cipitation, les dĂ©linquants ont coupĂ© la douille Ă lâaide dâune cisaille. â Le chant du coq nâa-t-il pas Ă©tĂ© lancĂ© pour masquer le bruit du coup de cisaille ? Les branches disparues sont assez grosses, dâaprĂšs les tronçons. Non pas sciĂ©es, mais tranchĂ©es, avec un sĂ©cateur dâune puissance inaccoutumĂ©e⊠Les gens se lamentent Câest la faux de la Mort ! »⊠La boule de lâauberge nâa pas Ă©tĂ© dĂ©crochĂ©e, mais on a coupĂ© sa chaĂźnette, dâun coup de ces mĂȘmes ciseaux robustes⊠Tous les vols commis au dehors et la nuit⊠Pas dâexemple quâon ait pris deux objets semblables ; mĂȘme pour les branches. Si deux branches de poiriers manquent Ă lâappel, câest quâun des poiriers est en feuilles et lâautre, en bourgeons. Il nây a pas deux choux de la mĂȘme espĂšce qui aient Ă©tĂ© razziĂ©s. Les volailles emportĂ©es ne sont pas de mĂȘme race⊠⊠Aucune marque dâescalade sur le mur de lâauberge, ni sur la façade de la mairie, Ă Seyssel. Aucune, non plus, sur les tuiles de la flĂšche dâAnglefort⊠⊠La façon dâĂ©vacuer, sans laisser de trace, charrue, brouette et autres corps de dĂ©lit pesants et volumineux, est aussi un problĂšme⊠Lâemploi dâun ballon dirigeable expliquerait tout ; mais ce serait, pour une simple farce, un matĂ©riel Ă©trangement disproportionné⊠Les histoires les plus fantastiques courent les rues. Le Diable y rejoue son vieux rĂŽle. On ne peut croire personne⊠La statue grandeur nature, volĂ©e dans un jardin dâAnglefort, est devenue un cauchemar. Elle est assez belle, au dire des paysans, et peinte de maniĂšre Ă simuler une personne ». Sans doute quelque ignoble coloriage⊠⊠Un garde de lâĂtat, descendu de la forĂȘt, mâa dit avoir entendu sous bois, en plein jour, des espĂšces de dĂ©tonations sĂšches, pareilles aux claquements dâun fouet. ConsidĂ©rant quâil a trouvĂ© par lĂ des arbres dĂ©capitĂ©s, il impute ces bruits, ces clac », au jeu dâune forte cisaille. Il dĂ©pose Ă©galement quâil a mis le pied dans une petite flaque de sang frais, dont il est incapable dâinterprĂ©ter la formation sur le sol, attendu quâelle ne se trouve pas sous un arbre dâoĂč quelque bĂȘte aurait pu saigner mais dans une clairiĂšre ; quâelle nâest mĂȘlĂ©e dâaucun dĂ©bris de plume ou de poil, et quâelle nâest entourĂ©e dâaucun vestige de bataille. Cet homme mâa fait lâimpression dâun nerveux suggestionnĂ© par les racontars, puis hallucinĂ© par la solitude. Requis par moi dâavoir Ă dĂ©velopper son idĂ©e, il nâa plus voulu parler. Conclusion. â Nous avons affaire Ă une association dâindividus armĂ©s de puissants moyens dâexĂ©cution, câest-Ă -dire abondamment pourvus de capitaux, et dont le but immĂ©diat est de terroriser leurs victimes. Les deux manouvriers que lâon surveille doivent ĂȘtre seulement des complices. â Mais cette terreur est-elle rĂ©pandue pour elle-mĂȘme, ou bien comme une sorte dâanesthĂ©sique prĂ©alable ? Est-ce la comĂ©die ? ou nâest-ce quâun prologue ? Et alors est-ce le prologue dâun drame ? Ce nâĂ©tait ni ceci, ni cela. Ou plutĂŽt, câĂ©tait ceci et cela, tout Ă la fois. iiiLes Voleurs volants Les deux ouvriers italiens ne pouvaient ignorer que des soupçons pesaient sur eux. Seuls passants Ă©quivoques, seuls hĂŽtes inconnus, on se montra dâautant plus acharnĂ© Ă les croire coupables que cette culpabilitĂ© devait, si lâon peut dire, dĂ©classer la mĂ©saventure et la faire tomber du rang supraterrestre oĂč lâavait guindĂ©e lâimagination rurale. Ces PiĂ©montais ! ces gueux dâĂ©trangers ! » On les aurait sur lâheure Ă©charpĂ©s !⊠Mais les gendarmes prĂ©sents et certain reporter venu de Paris empĂȘchĂšrent cette justice expĂ©ditive. Mieux vaut, disaient-ils, surveiller leurs agissements. » â On sây rĂ©solut. Lâastuce Ă©lĂ©mentaire conseillait de fournir du travail aux deux gars et de continuer Ă les hĂ©berger, pour endormir leur dĂ©fiance. Malheureusement, les fermiers sây refusĂšrent Ă la suite lâun de lâautre. Les Italiens touchĂšrent leur derniĂšre paye le 23 dans la soirĂ©e, chez un cultivateur de Champrion village tourmentĂ© la nuit prĂ©cĂ©dente et couchĂšrent Ă la belle Ă©toile, en bordure de la forĂȘt voisine. Une couple de gendarmes fut prĂ©posĂ©e Ă leur surveillance, et, cachĂ©e selon les rĂšgles de lâart, sâendormit comme un seul homme. Cependant Champrion fut tarabustĂ© pour la seconde fois. Les Sarvants sâadjugĂšrent une oie et des canards, que leurs propriĂ©taires avaient nĂ©gligĂ© de rentrer, dans lâassurance de nâĂȘtre point lĂ©sĂ©s deux nuits Ă la file. Et lâon eut encore Ă dĂ©plorer la perte de lâurne en simili-bronze, garnie dâun gĂ©ranium-lierre, qui surmontait lâun des piliers dâune grille dâentrĂ©e. Lâautre vase, sur lâautre pilier, avec un autre gĂ©ranium-lierre, fut respectĂ©. Toujours cet esprit de dĂ©pareillage et de taquinerie spĂ©cial aux Farfadets, Gnomes, Lutins, Kobolds, Dives, Gobelins, Korrigans, Djinns, Trolls â et Sarvants. Ă leur rĂ©veil, les pandores jumelĂ©s qui sâĂ©taient endormis dâun si fĂącheux accord ne retrouvĂšrent plus les Italiens. Mais ils soutinrent mordicus que ceux-ci Ă©taient dissimulĂ©s sous les ramures au point de pouvoir, sans ĂȘtre aperçus, se couler Ă travers bois, exĂ©cuter leurs vilaines prouesses et rallier leur cachette. Il est du reste avĂ©rĂ© que les journaliers Ă©taient partis de grand matin, se dirigeant vers ChĂątel. Un jeune garçon put les rejoindre Ă bicyclette dans ce hameau, situĂ©, comme les autres, sur la route de Bellegarde Ă Culoz, entre fleuve et mont. LĂ , toute la journĂ©e, on vit les deux compagnons aller de porte en porte, implorant un embauchage quâon leur refusait inexorablement. Les ChĂątelois supputaient la continuation des bizarreries et savaient quâĂ prĂ©sent câĂ©tait leur tour dâen souffrir. Ils regardaient les deux parias comme les Ă©claireurs du Malin. Or tels se prĂ©sentaient les courriers diaboliques lâun, grand et blond, faisait contraste avec lâautre, petit et brun. De larges ceintures les sanglaient, rouge pour le premier, bleue pour le second. VĂȘtus de costumes pareils, dâun beige dĂ©colorĂ©, coiffĂ©s de vagues feutres moulĂ©s Ă leur tĂȘte, ils Ă©taient chaussĂ©s de lourds brodequins, et chacun portait en sautoir son bissac et ses outils de terrassier liĂ©s en faisceau. Le soir venu, chassĂ©s de partout, mĂȘme de lâauberge, ils mangĂšrent du pain tirĂ© de leurs bissacs, et sâĂ©tendirent sous un buisson, Ă lâorĂ©e du village, du cĂŽtĂ© de Culoz. Les habitants, apeurĂ©s de sentir descendre une nuit redoutable, emprisonnĂšrent les bĂȘtes et verrouillĂšrent les portes. Le soleil nâavait pas touchĂ© lâhorizon, que le silence de minuit rĂ©gnait dĂ©jĂ sur ChĂątel. Le reporter parisien et deux gendarmes de rechange prirent alors position Ă la lucarne dâun grenier bas, dâoĂč lâon dĂ©couvrait le buisson des Italiens. Ces trois guetteurs avaient dĂ©cidĂ© de partager la nuit en quatre pĂ©riodes de garde ; un seul dâentre eux prendrait le quart, pendant le sommeil de ses compĂšres. â Ce fut le brigadier GĂ©ruzon qui monta la premiĂšre faction, tandis que, en prĂ©vision de la leur, son collĂšgue Milot et le publiciste ronflaient dans la paille. GĂ©ruzon devait les prĂ©venir Ă la moindre alerte. Les suspects reposaient Ă vingt mĂštres de lui, couchĂ©s contre une touffe dâĂ©glantiers. Non loin, sur la gauche, passait la route, bientĂŽt disparue Ă la corne dâun bois. De ce mĂȘme cĂŽtĂ©, le RhĂŽne grondait. Et de lâautre, sâĂ©levait, immĂ©diat, en son Ă©crasante suprĂ©matie, le Colombier massif, Ă©norme entassement dâĂ©tages chaotiques, tout bossuĂ© de contreforts et sinuĂ© de ravines, rocheux et verdoyant, sombre Ă cause de lâheure, et masquant dâun Ă©peron final les maisons de Culoz. Une cloche piqua sept coups, et lâon avait encore devant soi quelques bons instants de clartĂ©, lorsque GĂ©ruzon vit le grand PiĂ©montais bouger, sâasseoir et rĂ©veiller son camarade. Ils eurent ensemble un colloque Ă voix basse, firent des gestes vers le hameau, dâun air dĂ©couragĂ©, comme si quelque chose les avait déçus, puis soudain, paraissant se dĂ©cider, jetĂšrent leurs bissacs et leurs outils en bandouliĂšre, et, sâengageant sur la route, se mirent Ă marcher dans le sens de Culoz. Le brigadier GĂ©ruzon se dit alors que rĂ©veiller ses coopĂ©rateurs prendrait du temps et ferait sans doute quelque bruit. Comme les Italiens venaient de sâĂ©clipser Ă la corne du bois, il sauta de la lucarne Ă terre et sâĂ©lança derriĂšre eux. Et il fallait le voir courir ! sans emprunter la route, bien sĂ»r, en vue des fugitifs, â mais Ă travers champs et tout droit sur ladite corne. Il y parvenait, quand une sorte dâexclamation, â une sorte de Hop ! » a-t-il dit, â frappa ses oreilles. Et dans lâinstant quâil arrivait au chemin, sortant avec mille prĂ©cautions du rideau de feuillages, il aperçut les deux PiĂ©montais Ă la distance de soixante mĂštres environ, mais pas sur la route au-dessus de la route, Ă la hauteur approximative de quinze mĂštres, sâenlevant toujours plus haut et filant vers Culoz avec une rapiditĂ© surprenante, en plein ciel. â GĂ©ruzon les vit, dâun clin dâĆil, se dĂ©rober derriĂšre le premier contrefort du Colombier. Ainsi vĂ©cut, prompte comme la parole, cette aventure prodigieuse. Le brigadier, dâabord, en demeura stupide ; puis, courant Ă perdre le souffle, il sâen fut rĂ©veiller Milot et le reporter, afin de leur conter le phĂ©nomĂšne dans les termes succincts oĂč lâon vient de lâapprendre. Il essuya leur mĂ©contentement et se vit reprocher dâavoir voulu se rĂ©server toute la gloire. Mais il riposta par lâexposĂ© des motifs qui lâavaient induit Ă se comporter de la sorte, et fit valoir sa bravoure, ajoutant quâil nâavait pas Ă©tĂ© sans ressentir un petit frisson. Sur cet aveu, les autres lâaccusĂšrent dâhallucination, voire dâhystĂ©rie sic, et le plaignirent dâen ĂȘtre descendu au crĂ©tinisme » des paysans. â Mais, la nuit sâĂ©tant faite aussi noire quâil est permis, le publiciste rĂ©solut de remettre au lendemain les constatations. Jusque-lĂ , se disant que ChĂątel Ă©tait dĂ©signĂ© par la logique pour ĂȘtre attaquĂ©, les trois sentinelles, lâoreille au guet, scrutĂšrent le silence. Ils nâentendirent aucun bruit anormal. Ă lâaube, les indigĂšnes constatĂšrent avec joie que rien nâavait souffert dans les tĂ©nĂšbres ; et lâon connut que les Italiens nâĂ©taient rien moins que des Sarvants dâune espĂšce particuliĂšrement maligne des dĂ©mons volants ; et lâon frĂ©mit Ă la pensĂ©e de Culoz, vers quoi ils sâĂ©taient envolĂ©s Culoz oĂč les gens nâĂ©taient pas sur le qui-vive !⊠Et lâon avait raison de frĂ©mir. Le premier voiturier qui passa, venant de Culoz, rĂ©pandit la nouvelle de son pillage. â Les Sarvants avaient sautĂ© ChĂątel, nây trouvant rien Ă marauder. Par cette dĂ©couverte sâexpliquait admirablement et dâune maniĂšre simple comme bonjour lâabsence dâempreintes Ă la suite des vols, ainsi que lâaltitude oĂč les voleurs volaient, â puisque câĂ©taient des voleurs volants, qui restaient suspendus en lâair pendant le travail ». Pourtant â est-il besoin de lâĂ©crire ? â plusieurs personnes traitaient cela de calembredaines, et bien des regards de pitiĂ© se posaient sur le brigadier GĂ©ruzon. LâhonnĂȘte gendarme nâen avait cure. Il guida le reporter, du buisson dâĂ©glantiers Ă la corne du bois, et tous deux relevĂšrent la trace des Italiens. Les pas, cloutĂ©s, se distinguaient aisĂ©ment sur la glĂšbe du champ ; mais, parvenus Ă la route, ils nâĂ©taient plus visibles, les deux piĂ©tons ayant marchĂ© sur le revers de gazon. Ă nâen croire que leur piste, il se pouvait donc que les PiĂ©montais eussent cheminĂ© de cette façon jusquâĂ Culoz et mĂȘme au delĂ . Il se pouvait, aprĂšs tout, quâils ne se fussent pas envolĂ©s â au cas dâune aberration probable de GĂ©ruzon â et mĂȘme quâils ne fussent pour rien dans le sac de Culoz. Le reporter prit sur lui dâenvoyer par lĂ des Ă©missaires cyclistes, chargĂ©s de reconnaitre la position actuelle des Italiens, sans toutefois les inquiĂ©ter. Puis, en attendant leur retour, il extirpa GĂ©ruzon dâun groupe de campagnards oĂč son rĂ©cit commençait Ă devenir trop mirobolant, et lui conseilla de ne point tarder Ă rĂ©diger son rapport. Cela fait, il conclut Ă lâinsuffisance de cette littĂ©rature. â Voulez-vous », demanda-t-il au brigadier, rĂ©pondre au petit questionnaire que je vous poserai ? » GĂ©ruzon consentit volontiers Ă lâinterrogatoire du journaliste. Celui-ci stĂ©nographia scrupuleusement les demandes et les rĂ©ponses, et nous lui devons le prĂ©cieux monument que voilĂ [2] piĂšce 76 D. â Ă quelle heure avez-vous vu se rĂ©veiller les Italiens ? R. â Sept heures et quelques minutes. D. â Voyiez-vous trĂšs clair ? R. â Parfaitement clair. D. â DâaprĂšs leurs gestes pendant quâils se parlaient, quel Ă©tait, selon vous, le sens de leur conversation ? R. â Il y en avait un, le grand, le premier debout, qui semblait expliquer un empĂȘchement Pas moyen, pas moyen ! » Et il montrait le village. DâaprĂšs moi, ça voulait dire Il nây a rien Ă prendre cette nuit, parce quâon nâa rien laissĂ© dehors. Allons-nous-en autre part. » D. â Cela nâaurait-il pu signifier On ne veut pas nous donner dâouvrage ; il nây a plus rien Ă faire dans ce pays ; quittons-le » ? R. â Câest bien possible. Mais alors, pourquoi se seraient-ils couchĂ©s et endormis ? Ă mon idĂ©e, ils ont fait mine de sâendormir pour pouvoir filer ni vus ni connus. D. â Il se peut quâil sâagisse dâun rĂ©veil dĂ» au hasard et dâune dĂ©termination prise sous lâinfluence dĂ©primante du soir et de lâabandon. Au surplus, il y en a un qui dormait rĂ©ellement, puisque lâautre lâa rĂ©veillĂ©, nâest-ce pas ? R. â Oui, le petit noir a Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© par lâautre, câest vrai. Je nây pensais pas. D. â Ne pensez-vous pas que le grand blond ait pu redouter pour eux-mĂȘmes le danger qui menaçait le village ? pour eux qui Ă©taient dehors, exposĂ©s par consĂ©quent aux malfaçons des nommĂ©s Sarvants ? R. â Tout cela serait possible sans la suite. D. â Arrivons-y. Une fois sur le chemin, Ă la lisiĂšre du bois, vous les avez vus en lâair ? R. â Comme vous dites. D. â Ătes-vous bien sĂ»r que ce soit eux ? R. â Oui. je les ai reconnus Ă leurs ceintures rouge et bleue. Ils sâenvolaient. D. â Il sâenvolaient !?⊠Ce nâest pas certain. Vous nâavez distinguĂ© aucun appareil au-dessus dâeux ? Pas de ballon ? pas dâaĂ©roplane ? R. â Absolument rien. Mes yeux sây sont portĂ©s dâeux-mĂȘmes, au-dessus dâeux, comme qui dirait machinalement ; ils volaient seuls. D. â Comment pouvez-vous affirmer quâils volaient ? R. â Ils faisaient de forts mouvements des bras et des jambes, censĂ©ment comme un oiseau avec ses ailes, mais extrĂȘmement vite et en tous sens. D. â Des â bras â et â des â jambes ? R. â Des bras surtout. D. â Ă quel intervalle se tenaient-ils lâun de lâautre ? Semblaient-ils sâentrâaider ? R. â Non. Ils Ă©taient peut-ĂȘtre Ă deux mĂštres dâintervalle, gĂ©nĂ©ralement. Peut-ĂȘtre trois. Cela variait. Et sĂ»r quâils avaient lâhabitude de voler, parce quâils filaient rectum. D. â Recta, vous voulez dire. â Vous nâavez pas vu leur figure ? R. â Il est arrivĂ© Ă chacun de se retourner de mon cĂŽtĂ©, mais ils ont toujours Ă©tĂ© trop loin pour que je puisse voir quelle tĂȘte ils faisaient. D. â Vous avez dit ce matin quâils vous avaient paru tout noirs⊠et quâune odeur de roussi flottait dans le bois ? R. â Je me suis laissĂ© un peu entraĂźner. En causant, nâest-ce pas⊠D. â Quand ils se retournaient vers vous, est-ce que leur direction sâen trouvait modifiĂ©e ? R. â Non. Ils avaient lâair censĂ©ment de voler sur le dos, comme on nage sur le dos, mais ils continuaient Ă sâĂ©lever de compagnie et Ă sâĂ©loigner. Ils ont disparu derriĂšre un pan du Colombier, en face Landaise. D. â Vers Culoz ? R. â Oui. Mais assez loin tout de mĂȘme. ? ? ? D. â Avaient-ils toujours leurs outils et leurs sacs au dos ? R. â Oui. D. â Ătes-vous sĂ»r quâils ne se servaient dâaucun engin mĂ©canique ? R. â Jâen rĂ©ponds. D. â Pas dâailes ? Leurs bras nâĂ©taient pas munis dâailes ? R. â Mais non, je vous dis. Ils volaient comme on nage quand on ne sait pas. D. â Vite ? R. â Oh ! dare-dare ! D. â Et ils montaient⊠R. â Oui, quand je les ai aperçus. Alors ils ont montĂ© moins raide et ont piquĂ© droit sur le coin du Colombier. D. â Donc sur la forĂȘt. R. â Comme de juste. D. â Ils vous ont vu ? R. â Je crois. Il mâa semblĂ© quâau moment oĂč je me suis dĂ©couvert de ma personne, leur montĂ©e sâest amoindrie et leur direction sâest accentuĂ©e. ?? D. â Ils nâont pas cherchĂ© Ă dĂ©doubler votre attention en se sĂ©parant ? R. â PlaĂźt-il ? â Ah ! bien. â Non, non. D. â Vous parlez, dans votre rapport, dâune exclamation⊠R. â Oui. Ă un moment que jâĂ©value avec assurance ĂȘtre celui oĂč les suspectĂ©s ont pris leur vol, jâentendis une exclamation dans le genre de Hop ! » Sur lâheure, je ne savais pas ce que cela voulait dire ; mais dĂšs que jâai eu vu, je saisis illico. D. â Quoi ? R. â Que câĂ©tait lâexclamation de quelquâun qui prend son Ă©lan ! D. â Mais, avant dâavoir vu, auriez-vous assimilĂ© ce cri Ă un appel ? celui dâun homme appelant un camarade ? un signe pour haler une corde, par exemple ? R. â Cela se peut. Mais je certifie, de mon honneur, quâil nây avait pas de corde, ni quoi que ce soit, en lâair. D. â Il y avait bien des nuages, cependant ? R. â Je ne me souviens pas ; mais jâen suis sĂ»r quand mĂȘme ? ! ; aussi loin que la vue pouvait aller, il nây avait rien. Ils volaient, enfin, lĂ ! D. â Pourriez-vous imiter leurs mouvements ? â Et dâabord, faisaient-ils chacun les mĂȘmes ? R. â Je vous Ă©coute ! des mouvements absolument Ă©quilatĂ©raux ? ! puisquâils se maintenaient au mĂȘme niveau, Ă la mĂȘme distance et Ă la mĂȘme vitesse. â VoilĂ comment ils faisaient ; et parfois ils se touchaient. Ici, le brigadier GĂ©ruzon se prit Ă gesticuler dâune façon violente et dĂ©sordonnĂ©e. Je le mis devant une glace [Ă©crit le reporter] afin quâil se rendĂźt bien compte du mĂ©rite de sa reproduction, dont je doutais. Mais il mâaffirma que câĂ©tait bien cela. Mauvais observateur ou mauvais comĂ©dien, il ne put que me faire rire avec ses entrechats. â Je repris mon interrogatoire. D. â Cette exclamation, nâest-ce pas votre avis quâelle Ă©tait imprudente, lancĂ©e Ă haute voix non loin du village ? En somme, elle aurait pu donner lâĂ©veil ? R. â Elle fut en effet trĂšs bruyante. Il est probable quâun des deux Sarvants ne pouvait sâenlever quâavec effort. Ăa lui a Ă©chappĂ©. Mais il lâa Ă©touffĂ© aussitĂŽt. Cela fut bref et comme interrompu. D. â Ătes-vous de ce pays-ci ? R. â Oui, je suis de Vions. D. â On vous a racontĂ© beaucoup dâhistoire de Sarvants ? R. â Encore assez. D. â Et de Sarvants qui volaient ? R. â Non. Jamais. D. â Comment expliquez-vous le fait auquel vous avez assistĂ© ? R. â Je ne lâexplique pas. Jâai vu. Jâai vu de visu ! deux hommes sâenvoler. Je ne sais pas comment, mais ils volaient. Un point, câest tout. Le reporter ajoute Jâai rencontrĂ© les Italiens deux jours avant leur prĂ©tendue ascension. La physionomie de ces hommes Ă©tait vraiment patibulaire. â Ceux qui les ont employĂ©s nâen disent rien de particulier. Vers midi, les patrouilles de cyclistes lancĂ©es Ă la poursuite des nomades rentrĂšrent Ă ChĂątel, sans avoir recueilli le plus faible indice de leur prĂ©sence oĂč que ce fĂ»t. Et cette nouvelle acheva de convaincre le journaliste, du moins suffisamment pour que, le lendemain, lâun des grands journaux de Paris Ă©talĂąt cette manchette sensationnelle piĂšce 81 LA FAILLITE DES AĂROPLANES LâAVĂNEMENT DES AVIANTHROPES LES HOMMES-OISEAUX DU BUGEY En suite de quoi se trouvait exposĂ©e lâinterprĂ©tation de mystĂšre bugiste par lâexistence dĂ©montrĂ©e dâune Ă©quipe de rĂŽdeurs en possession du secret de voler sans ailes. Notre journaliste les nommait pĂ©dantesquement des avianthropes aptĂšres. Il gĂ©missait de voir entre les mains de pareils fripons une dĂ©couverte aussi capitale, ayant pour effet, sans doute, la diminution du poids corporel, une sorte dâĂ©mancipation physique de la matiĂšre sâaffranchissant de la pesanteur ». Et il terminait sur un tableau poussĂ© au noir de lâeffarement des Bugistes, quâil reprĂ©sentait sidĂ©rĂ©s par lâeffroi » et se demandant ce qui allait advenir maintenant que les Sarvants, parvenus Ă Culoz, devaient opter entre les villages riverains du RhĂŽne et les villages semĂ©s Ă la base du Colombier. Cet article, oĂč perçait vaguement un reste de scepticisme, fut taxĂ© de canard jusquâĂ plus ample informĂ©. On exigeait des preuves ; et cela fut cause quâune nuĂ©e de reporters sâabattit sur le Bugey, dĂ©barquant Ă Culoz, ce nĆud de voies ferrĂ©es, et provenant de Suisse, dâItalie, dâAllemagne et autres nations plus ou moins limitrophes. Seulement, soit que le voisinage combinĂ© du fleuve et de la montagne fĂ»t nĂ©cessaire Ă leurs exploits, soit quâils fussent rĂ©duits Ă lâhonnĂȘtetĂ© par la vigilance de la gendarmerie, soit enfin pour toute autre raison, â les Sarvants cessĂšrent tout Ă coup de tenir campagne. Les journalistes regagnĂšrent, qui sa rĂ©publique, qui son royaume, qui son empire ; les paysans se dĂ©ridĂšrent ; GĂ©ruzon crut avoir fait un rĂȘve ; et cette quiĂ©tude inespĂ©rĂ©e ne devait un peu dĂ©cevoir que le meilleur des ĂȘtres, â je veux dire M. Le Tellier. Car, en sâinstallant Ă Mirastel le soir du 26 lendemain de la dĂ©confiture de Culoz, il comptait employer ses vacances Ă lâĂ©tude raisonnĂ©e du mystĂšre. Les partisans de la thĂšse mystification » prĂ©tendirent mĂȘme que la survenance dâun homme aussi clairvoyant nâĂ©tait pas sans rapport avec la cessation des hostilitĂ©s. ivMirastel et ses Habitants Voici venue lâheure de peindre le site oĂč M. Le Tellier, sa famille et son secrĂ©taire venaient dâarriver ; lâheure aussi dâesquisser le portrait de ceux quâil amenait avec lui et de ceux quâil retrouvait ; lâheure enfin de rĂ©vĂ©ler pourquoi Mirastel avait Ă recevoir ses hĂŽtes annuels dans un temps si prĂ©maturĂ©. Ă qui lâobserve du midi â par exemple au touriste naviguant sur le lac du Bourget â le Colombier semble un piton formidable, un kopje isolĂ©. On le prendrait alors pour un frĂšre gĂ©ant de ces buttes qui parsĂšment la contrĂ©e de leurs brusques rotonditĂ©s et que les autochtones appellent des mollards. Câest une illusion. Le Colombier nâa rien dâun piton, Ce que vous regardez comme tel, câest la croupe dâune longue, longue chaĂźne oĂč se termine le Jura. Le Colombier vient de trĂšs loin dans le nord, et il a soulevĂ© son Ă©chine tortueuse pendant des lieues et des lieues avant de sâarrĂȘter ici, dans un effondrement Ă©chelonnĂ© de mamelons et de ravines, â descente magnifique de forĂȘts courtes et trapues, succession de gorges abruptes et de landes onduleuses, sorte dâabside Ă quelque surhumaine cathĂ©drale, dâoĂč rayonnent les contreforts de roc et de verdure comme des arcs-boutants qui seraient des montagnes. Le versant oriental du Colombier meurt au niveau du RhĂŽne qui, de ses mĂ©andres, en festonne le contour. Le versant de lâouest ne plonge point si bas, et forme en sâĂ©talant lâagrĂ©able plateau du Valromey. Quant Ă la croupe, elle borne un vaste marĂ©cage traversĂ© par le RhĂŽne. Or, au pied de cette croupe, sur le chemin de grande communication qui Ă©pouse sa courbe, la contourne et va de GenĂšve Ă Lyon en passant par les lieux hantĂ©s du Sarvant, â se rencontrent des villages et des chĂąteaux alternĂ©s. Les communes sont bĂąties au bord de la route et se nomment Culoz, BĂ©on, Luvrieu, Talissieu, Ameyzieu et Artemare. Entre elles, mais plus haut, sur le flanc de la montagne, les manoirs se dressent dans leur beautĂ© diverse et plus ou moins seigneuriale Montverrand, fĂ©odal, â Luyrieu, un dĂ©combre, â ChĂąteaufroid, nĂ©o-moyenĂągeux, â Mirastel, Louis XIII, â et Machuraz, dâun quinziĂšme renaissant mĂȘlĂ© dâune Renaissance ressuscitĂ©e. De tout ces chĂąteaux, Mirastel seul nous intĂ©resse. Il est facilement reconnaissable. Du chemin de fer, qui longe la route Ă quelque distance, on le voit se dĂ©tacher sur le fond vert assombri de la montagne, entre Machuraz, qui a des murs blancs sous des tuiles rouges, et ChĂąteaufroid, dont les deux tourelles portent gothiquement des cĂŽnes dâardoises bleues. Il est en briques â des briques devenues roses, dont la chaude clartĂ© lâensoleille toujours â et flanquĂ© de quatre tours dâangle. Trois sont encore coiffĂ©es de leurs vieux toits dâardoises grises, en forme de ballons pointus comme des casques sarrasins ; mais la quatriĂšme supporte une coupole dâobservatoire. Le jardin de Mirastel, penchĂ© sur le dĂ©vers comme sur un pupitre, lâentoure dâun moutonnement de frondaisons. Sa terrasse, plantĂ©e dâarbres, lui fait de sa muraille un socle rocailleux. Il domine ses deux voisins, et lui-mĂȘme est dominĂ© par les hameaux montagnards dâOuche et de Chavornay, qui, vers la gauche, se superposent derriĂšre lui, jalonnant la voie pierreuse des sommets. Deux chaussĂ©es carrossables montent en lacets au portail de Mirastel. Lâune vient de Talissieu, lâautre dâAmeyzieu. Toutes deux viennent donc de la route. Mais, au milieu du vague triangle que dessine leur fourche, un sentier de chĂšvres escalade la rampe roide et vous mĂšne directement de la route au seuil de lâenclos. Comment ce castel, dans la fraĂźcheur de son Ăąge, a-t-il Ă©chappĂ© aussi totalement Ă la haine de Richelieu ? Pourquoi nâest-il pas, comme tant dâautres, une ruine quâon prend de loin pour un rocher, parmi tous ces rochers que le soir assimile Ă des bastilles dĂ©mantelĂ©es ? â La lĂ©gende veut quâalors il abritĂąt non quelque hobereau batailleur, mais un doux gentilhomme inoffensif, sans doute affligĂ© dâinsomnie, et qui, passant ses journĂ©es Ă lire dans des livres et ses nuits Ă lire dans le ciel, aimait Ă recenser les constellations du haut dâune tour Ă©levĂ©e. De lĂ serait venu le nom de Mirastel, qui veut dire Mire-Ă©toiles ou Observateur-des-astres. Ă la vĂ©ritĂ©, quand feu M. Arquedouve acheta cette rĂ©sidence, la tour du nord-ouest nâavait jamais eu de couverture elle sâachevait en plate-forme. Et lâon dĂ©nicha dans les combles â sous lâapparence dâun amas de cuivres dĂ©coupĂ©s et gravĂ©s, embellis de figures allĂ©goriques â force antiques machines dâastronomie, telles que sphĂšres zodiacales et Ă©quinoxiales, horizons azimutaux, quadrants, sextants, globes cĂ©lestes, astrolabes, gnomons et autres vieilleries renouvelĂ©es des ChaldĂ©ens, auxquelles il convient dâadjoindre un de ces interminables tĂ©lescopes dont KĂ©pler amĂ©liorait lâagencement Ă lâĂ©poque oĂč Mirastel Ă©tait flambant neuf. M. Arquedouve, riche industriel lyonnais, acquit le domaine en 1874, onze ans aprĂšs son mariage et sur les instances de son Ă©pouse, qui raffolait du paysage et ne rĂȘvait quâastronomie. Cette femme supĂ©rieure, Ă©mule des Hypathie, des Mme Lepaute et des Mme du ChĂątelet, voulut amĂ©nager un observatoire sur la plate-forme de la tour ; â et les travaux Ă©taient finis, lorsquâun double malheur vint frapper Mme Arquedouve. Une amaurose assez inexpliquĂ©e la priva pour toujours de la vue, et son mari dĂ©cĂ©da, laissant la pauvre aveugle avec deux filles, Augustine et Lucie, ĂągĂ©es de dix et de huit ans. De ce jour, Mme Arquedouve ne quitta plus Mirastel. MalgrĂ© son infirmitĂ©, lâĂ©nergie et lâhabitude firent dâelle une Ă©ducatrice remarquable et une maĂźtresse de maison accomplie. Elle vaquait chez elle aux besognes les plus diffĂ©rentes, avec une adresse incroyable. Mais, sortie de son parc, elle rentrait dans les tĂ©nĂšbres ; et câĂ©tait grandâpitiĂ©, par les belles nuits scintillantes, de la voir lever ses yeux trĂ©passĂ©s vers la splendeur dâun ciel quâils ne pouvaient sonder, mais dont elle Ă©coutait la silencieuse harmonie. Son idĂ©al Ă©tait dâavoir un gendre qui fĂ»t astronome. Elle le rĂ©alisa. Quatre ans aprĂšs le mariage de sa fille aĂźnĂ©e avec le docteur Calixte Monbardeau, Ă©tabli Ă Artemare, la cadette Ă©pousait Jean Le Tellier, alors attachĂ© Ă lâObservatoire de Marseille. Ce fut Ă M. Le Tellier que profita lâinstallation de la tour. Une bonne lunette Ă©quatoriale sây trouvait qui lui permit de poursuivre Ă Mirastel, durant la chaude saison, quelques-uns de ses travaux. Et maintenant M. Le Tellier Ă©tait directeur de lâObservatoire de Paris. Et maintenant Mme Arquedouve Ă©tait quatre fois grandâmĂšre. â Mais, hĂ©las ! une avanie dĂ©plorable lâavait encore accablĂ©e. Suzanne Monbardeau, lâaĂźnĂ©e de ses petits-enfants, sâĂ©tait laissĂ© sĂ©duire par un nommĂ© Front, de Belley, â un don Juan rustaud, dĂ©pourvu de tout sentiment. Il lâavait enlevĂ©e ; et, M. Monbardeau ne voulant plus entendre parler de sa fille, la triste Suzanne vivait avec son amant, dans un modeste cottage Ă lâĂ©cart de la petite ville, et ne frĂ©quentait plus, de toute sa famille, que son frĂšre Henri. Encore devait-il, pour la rencontrer, se cacher Ă la fois de Front et de leurs parents. â Bien de la misĂšre, comme on voit. Suzanne, au mois dâavril 1912, avait trente ans, et son frĂšre vingt-neuf. Sujet hors ligne, docteur et biologiste, attachĂ© Ă lâInstitut Pasteur, cĂ©lĂšbre aujourdâhui par son admirable traitement de lâartĂ©rio-sclĂ©rose, Henri Monbardeau venait dâĂ©pouser une charmante jeune fille du pays, Fabienne dâArviĂšre ; et le nouveau couple se reposait Ă Artemare dâun voyage de noces quelque peu fatigant, lorsque les Le Tellier reçurent lâhospitalitĂ© de Mme Arquedouve. Leur cousin Maxime Le Tellier, lui, courait alors sur ses vingt-six ans. Reçu au Borda, aspirant, puis enseigne, il avait depuis peu quittĂ© la marine de guerre pour sâoccuper dâocĂ©anographie avec le Prince de Monaco. Averti que toute sa famille allait se rĂ©unir en Bugey, il avait fait coĂŻncider avec cette assemblĂ©e le mois dâindĂ©pendance auquel il avait droit. Et voici, dans la sĂ©duction de ses dix-huit ans et la grĂące de sa beautĂ© blonde, Marie-ThĂ©rĂšse Le Tellier, sa sĆur, dont il faudrait dĂ©crire en vers de grand poĂšte la chevelure dâor aux reflets dâargent, le teint de corolle fraĂźche, le regard mouillĂ©, tel que Greuze lâaimait, la taille ronde, fine, souple⊠Et gentille ! Et bonne ! il faut savoir comme !⊠Enfin ! cette enfant, on ne pouvait lâentendre parler sans adorer sa pensĂ©e ; et pourtant, lâaspect de sa forme Ă©tait si troublant, que les jeunes hommes ne lâĂ©coutaient pas, et quâen voyant ses lĂšvres merveilleuses, ils ne pensaient quâaux baisers de plus tard et non aux paroles dâaujourdâhui. Suzanne et Henri Monbardeau, Maxime et Marie-ThĂ©rĂšse Le Tellier avaient vĂ©cu le meilleur de leur enfance Ă Mirastel et Ă Artemare, en Ă©tĂ©. LĂ , Fabienne dâArviĂšre sâĂ©tait mĂȘlĂ©e Ă leurs jeux dâadolescents ; lĂ aussi un pauvre petit orphelin, que M. Le Tellier faisait instruire, avait passĂ© en leur compagnie beaucoup de belles vacances, avant de devenir le secrĂ©taire fidĂšle de son protecteur. Artemare et Mirastel ! Que de souvenirs ! Les jeunes Monbardeau idolĂątraient la tante Le Tellier ; les petits Le Tellier ne juraient que par la tante Monbardeau ; et câĂ©tait, pendant la saison du soleil, un perpĂ©tuel va-et-vient entre le chĂąteau de Mme Arquedouve et la villa du docteur. On vivait dans les deux. On dĂ©jeunait ici ou lĂ . Souvent mĂȘme on y couchait. On y prenait pension, quelquefois plusieurs jours de suite. Mme Arquedouve prĂ©sidait guillerettement aux rĂ©jouissances du chĂąteau. Et elle Ă©tait tant vivelette, cette menue damerette aux bandeaux lisses presque bleus, en sa robe dâalpaga noir dâune coupe monastique, avec une petite pĂšlerine, avec aussi un col et des manchettes de lingerie, â elle Ă©tait, cette fluette damoisette, tellement alerte et remuante, quâon oubliait quâelle fĂ»t aveugle, et que sans doute elle lâoubliait aussi, par moments. La faute de Suzanne, hĂ©las ! avait jetĂ© sur tout cela lâombre pourpre de la honte⊠Mais, nâest-ce pas, on nâest pas tenu de rougir sans discontinuer parce quâune fille de la maison est devenue la proie dâun suborneur⊠Et ce fut au milieu dâune rĂ©union assez joviale que M. Le Tellier fit son entrĂ©e Ă Mirastel, prĂ©cĂ©dĂ© de sa femme Lucie, de sa fille Marie-ThĂ©rĂšse, suivi de son fils Maxime et de son secrĂ©taire M. Robert Collin. â Les Sarvants Ă©taient alors dans toute leur gloire, et pendant le dĂźner la conversation ne roula que sur eux. DĂšs la fin du repas, les quatre cousins sâĂ©chappĂšrent. Tous les ans, le mĂȘme rite joyeux poussait les nouveaux arrivĂ©s Ă faire, au dĂ©bottĂ©, le tour de Mirastel. On chercha, dans la nuit venue, la silhouette de lâantique demeure, avec ses girouettes de fer forgĂ© pointant vers les Ă©toiles ; on parcourut la ferme attenant au chĂąteau, le parc inclinĂ©, la terrasse plantĂ©e de marronniers fleuris. Le ginkgo-biloba, lâarbre rarissime de qui les aĂŻeux remontent au dĂ©luge, y fut saluĂ© comme un vieil oncle vĂ©gĂ©tal. Puis le quatuor sâengagea sous la charmille centenaire qui mĂšne au portail et dont le berceau tĂ©nĂ©breux faisait parmi la nuit une nuit plus nocturne. CâĂ©taient quatre taches mouvantes, deux grandes, sombres, et deux petites, claires, glissant, avec un bruit de galets remuĂ©s, sur le gravier tirĂ© de la riviĂšre. Et elles disaient des phrases oĂč le nom de Suzanne revenait frĂ©quemment⊠Mais voici, jappant et frĂ©tillant, quelque chose de noir qui se prĂ©cipite vers les promeneurs. Câest Floflo, un loulou de PomĂ©ranie au poil lustrĂ© de caresses, un ami dâenfance, lui aussi, et le contemporain de Marie-ThĂ©rĂšse, malgrĂ© que dĂ©jĂ ce soit un vieillard-chien⊠On le fĂȘte. On oublie un peu Suzanne. Et lâon poursuit la ronde sentimentale, au clair de la lune qui vient de jaillir dâune crĂȘte. Fort bien. â Et les parents ? Les parents ? Ils devisent dans le salon, avec Mme Arquedouve et Robert Collin. Et tandis que Mme Monbardeau, lâesprit tout aux Sarvants, sâinquiĂšte Ă part soi de la sortie des enfants », quâelle traite dâimprudence, â lâaĂŻeule, sâadressant Ă M. Le Tellier, lui demande â Jean, pourquoi venez-vous si tĂŽt Ă Mirastel ? » Mais lâastronome ne rĂ©pond pas tout de go. Il regarde sa femme dâun air gĂȘnĂ©. Celle-ci, alors, toise le secrĂ©taire avec beaucoup dâarrogance ; elle parcourt dâun regard malveillant le pauvre petit homme chĂ©tif qui est lĂ , si maigre et si laid ; elle semble faire lâinventaire de ses dĂ©savantages physiques, de ses pommettes saillantes, de son front excessif, de sa vilaine barbe mousseuse ; et elle fixe, derriĂšre les lunettes dâor, les grands beaux yeux immensĂ©ment rĂȘveurs, comme sâils Ă©taient aussi dĂ©shĂ©ritĂ©s que le reste. Robert Collin a compris. Il sent quâil est de trop, se lĂšve, bredouille Si vous permettez, je vais⊠hum ! je vais dĂ©faire mes bagages. » Puis se retire en essuyant ses besicles dâor. Et Mme Monbardeau â Quel brave garçon, ce Robert ! Comme tu le traites, Lucie ! » â Je nâaime pas les gĂȘneurs », fait Mme Le Tellier sur un ton langoureux. Ce monsieur toujours en tiers, câest assommant !⊠Et encore, avec une tĂȘte pareille ! » â Luce ! Luce ! » gronde M. Le Tellier. Or, le lecteur a de la chance. Les deux sĆurs ne pouvaient rien dire qui les peignĂźt plus au vif en moins de mots lâune indulgente et bonne, franche et sans apprĂȘt ; lâautre nonchalante et pleine dâĂącretĂ©, dure au prochain. Ajoutons que Mme Le Tellier se teignait les cheveux au hennĂ© ; quâelle restait des heures Ă©tendue, sans raison valable ; que ses ongles paraissaient huilĂ©s Ă force de luire et dâĂȘtre polis et repolis, â et nous lâaurons dĂ©crite trĂšs suffisamment. Cependant Mme Arquedouve a rĂ©pĂ©tĂ© sa question, et puisquâon est en famille dĂ©sormais â Ma mĂšre, » commence M. Le Tellier, moi je retournerai Ă Paris dans une quinzaine. Mais je vous ai amenĂ© surtout Marie-ThĂ©rĂšse. » â Est-ce quâelle est souffrante ? Ou quoi ?⊠» sâeffare la grandâmĂšre, qui pense Ă son autre petite-fille, Suzanne⊠â Non. Tranquillisez-vous. Mais vous savez que nous avons inaugurĂ©, le 12 avril, lâĂ©quatorial donnĂ© par M. Hatkins ?⊠â Quâest-ce que tu as. Calixte ? » Le docteur avait sursautĂ©. â Rien », fait-il. Câest ce nom de Hatkins⊠Continue, continue. » â Cette fĂȘte, ma mĂšre, fut trĂšs brillante. Dâillustres personnages, des mondains notoires et pas mal dâĂ©trangers de marque y assistaient. Notre Marie-ThĂ©rĂšse, qui faisait lĂ ses premiĂšres armes, obtint un succĂšs fou⊠et depuis cet aprĂšs-midi â que le diable emporte ! â jâai reçu tant et tant de demandes en mariage, si pressantes, si flatteuses et mĂȘme si⊠imprĂ©vues, que, nous refusant dâune part Ă la marier si jeune, et dâautre part ne sachant plus que rĂ©pondre Ă lâavalanche infatigable de lettres et de visites que cette excellente raison ne suffisait point Ă rebuter, â nous avons pris le parti de fuir ! Ce nâĂ©tait plus tenable ! Ici, nul ne viendra nous relancer. » Mme Arquedouve prononça doucement â Le duc dâAgnĂšs, â vous savez ce camarade de classe de Maxime, lâaviateur qui est venu Ă Mirastel lâannĂ©e derniĂšre, â est-ce quâil a demandĂ© Marie-ThĂ©rĂšse ? » â Non⊠» â Câest dommage. Jâaurais aimĂ© cela. » â Moi aussi », affirma Mme Le Tellier. â Elle aussi », conclut Mme Monbardeau. â Mon Dieu, » repartit lâastronome, dĂ©concertĂ©, mon Dieu⊠le duc dâAgnĂšs nâest pas un savant⊠Je ne verrais pas dâinconvĂ©nient, toutefois, Ă ce que⊠Mais il ne lâa pas demandĂ©e. » â En vĂ©ritĂ©, vous avez reçu tant de propositions ? » admira le docteur. Et Mme Le Tellier, languissante â Il y en avait dâimpayables, figurez-vous. Un attorney de Chicago. Un officier de cavalerie espagnol. Un attachĂ© dâambassade hongrois. Et jusquâĂ ce Turc Abd-Ul-Kaddour ! » â Ah ! le Turc, câest le bouquet ! » sâĂ©cria M. Le Tellier en Ă©clatant de rire. Un pacha, venu pour visiter Paris avec douze crĂ©atures de son harem !⊠Il les promenait sans relĂąche, hermĂ©tiquement voilĂ©es, au fond de trois landaus de louage ! » â Hatkins ne sâest pas mis sur les rangs ? » demanda M. Monbardeau, le visage sĂ©vĂšre. â Non⊠Pourquoi ? » â Ouf ! je respire. » â Mais, mon cher ami, M. Hatkins ne connaĂźt pas Marie-ThĂ©rĂšse⊠De plus, tout le monde sait quâil garde un culte fervent au souvenir de sa femme⊠Enfin, M. Hatkins est le plus humble des philanthropes, et ne sâest pas montrĂ©, mĂȘme une seconde, Ă lâinauguration. Il nâa jamais vu ma fille, jâen rĂ©ponds. » â Tant mieux, tant mieux. » â Mais enfin⊠» â Jâai mes raisons. » â Puisque tu le connais, sais-tu quâil va partir avec des amis pour faire le tour du monde ? » â Ăa mâest bien Ă©gal ! » Ă cette minute, les enfants » rentraient, clignant les yeux aux lumiĂšres des lampes. â M. Monbardeau les interpella â HĂ© ! Vous nâavez pas rencontrĂ© le Sarvant ? » Et tous de rire, plus ou moins de bon cĆur. â Ătes-vous contents ? » interrogea Mme Arquedouve â En doutez-vous, grandâmĂšre ? On va reprendre dĂšs demain la bonne vie dâautrefois ! » rĂ©pondit Maxime. â Tu retrouveras ton laboratoire avec tes anciennes collections, ton aquarium ! » â Il va mĂȘme resservir, cet aquarium. Je voudrais tenter ici quelques expĂ©riences utiles Ă mes travaux dâocĂ©anographie. Ce vieux Philibert me fournira de poissons tous les huit jours⊠Et puis, je compte aussi faire beaucoup dâaquarelle. » â Et des excursions, je suppose ! » sâĂ©cria Marie-ThĂ©rĂšse. Tout cet hiver, je nâai pensĂ© quâau moment oĂč je pourrais toucher la croix du Grand-Colombier ! Câest si beau, lĂ -haut ! » â Ah ! toujours lâintrĂ©pide ascensionniste ! » dit gaiement Mme Monbardeau. Marie-ThĂ©rĂšse, viendras-tu bientĂŽt nous demander le gĂźte et le couvert Ă Artemare ? » â Ma tante, jây ai dĂ©jĂ songĂ© ! » â Oh ! pas tout de suite ! » rĂ©clama la grandâmĂšre, en flattant de sa main dâaveugle, mobile et vivace, la chevelure de sa petite-fille. â Quand cela te chantera », reprit la tante Monbardeau. Inutile de prĂ©venir ; ta chambre sera prĂȘte. Et la tienne aussi, Maxime. » La modique 9-chevaux du mĂ©decin de campagne teufteufait sur la terrasse, devant le chĂąteau. Les quatre Monbardeau sây installĂšrent. â Adieu ! adieu ! â Ă demain ! â Ă bientĂŽt ! » Le clair de lune baignait le panorama superbe et montagneux. Lâauto dĂ©valait promptement aux zigzags de la cĂŽte. AppuyĂ©s au parapet, ceux de Mirastel criaient avec des rires â Prenez garde au Sarvant ! » La corne beugla au tournant de la route. Il faisait si calme, quâon entendit le ronron du moteur jusque dans Artemare, oĂč il sâarrĂȘta. vLâAlarme Huit jours plus tard. Le cinq mai. Toujours Ă Mirastel. Il est agrĂ©able de se reprĂ©senter M. Le Tellier pĂ©nĂ©trant, ce matin-lĂ , dans son cabinet de travail ; car câest un beau spectacle que la rencontre dâun homme heureux avec un rayon de soleil, au centre dâune piĂšce noble et vaste. M. Le Tellier traverse la grande salle, jette un coup dâĆil aux livres qui tapissent la muraille, ouvre la fenĂȘtre, respire une bouffĂ©e dâair pur, dâair lumineux et matinal, dâair dominical â câest dimanche et cela se voit bien â et finalement sâaccoude, et regarde. Entre les marronniers en fleurs alignĂ©s sur la terrasse, il voit se succĂ©der les plans de lâĂ©chappĂ©e majestueuse le marais, â puis la falaise, au pied de quoi glisse le SĂ©ran et fuit le chemin de fer, â puis sur la falaise un plateau boisĂ© dâarbustes courtauds, oĂč culmine, central, le chĂąteau de Grammont, â puis lĂ -bas, noyĂ©s de brume, des pics, des aiguilles, des arĂȘtes, des montagnes avec un peu de neige encore Ă leur sommet, bientĂŽt fondue le Mont du Chat Aix-les-Bains !, le Nivolet ChambĂ©ry !, â puis enfin, perdues tout au fond de lâespace, les Alpes Dauphinoises, comme un brouillard dentelĂ©. Un train siffle au long de la falaise. Une automobile ronfle sur la route. Et M. Le Tellier songe avec satisfaction quâune jolie semaine, bien longue, lui reste Ă consommer, avant que le train ou sa grande auto blanche ne lâemportent vers Paris. Son visage nâest quâun sourire. Le Sarvant eut beau sâĂ©vanouir comme un fantĂŽme quâil nâĂ©tait pas, M. Le Tellier a quand mĂȘme trouvĂ© de quoi se rĂ©crĂ©er. Non certes en Ă©piant le monde stellaire ; car, pour venir Ă Mirastel, il a interrompu ses importants travaux concernant lâĂ©toile VĂ©ga ou alpha de la Lyre, dont il mesurait la vitesse radiale ; et de pareilles entreprises exigent de fortes lunettes de prĂ©cision. Mais il a dĂ©couvert au grenier, dans un rĂ©duit poudreux et non loin des gnomons disloquĂ©s, un archaĂŻque traitĂ© dâastronomie. Et il sâamuse Ă le dĂ©chiffrer, avec sa loupe dâhorloger. Sur le bureau, le vieil in-quarto lui offre Ă Ă©peler ses feuillets manuscrits⊠Mais il fait si beau, ce matin, que M. Le Tellier sâaccorde un brin de flĂąnerie. Il rĂȘvasse. Aujourdâhui, les habitants de Mirastel doivent aller dĂ©jeuner Ă Artemare, oĂč Marie-ThĂ©rĂšse les a devancĂ©s depuis hier. â Il rĂȘvasse. Tiens, voilĂ Mme Arquedouve et Mme Le Tellier qui passent, errantes, sous le ginkgo-biloba, ce gracieux survivant de la flore primitive », comme diraient les manuels. Floflo les accompagne. â Il rĂȘvasse. Ah ! voici le facteur⊠Et qui donc se met Ă chanter ? Câest Maxime, dans la tour du sud-est, celle qui renferme son laboratoire⊠Oui, Maxime chante un air dâopĂ©rette, cependant quâil Ă©tudie lâintĂ©rieur de ses infortunĂ©s poissons⊠Fort gentille cette chansonnette⊠â La vie est belle », murmure M. Le Tellier. Elle est belleâŠ, et pourtant, au soleil de mai, comme on ressent lâhumiliation de vieillir !⊠» Un soupir. Et il se retourne, face au bouquin de cosmographie. Câest alors, et non plus tard ou plus tĂŽt, quâil entend cogner Ă la porte un petit coup sec, â aussi sec, ma foi, que si quelque squelette eĂ»t frappĂ© de sa phalange osseuse la planche au vantail. â Entrez ! » Est-ce vraiment un squelette qui va entrer ?⊠Oui, puisque câest un homme. Câest mĂȘme un squelette avec trĂšs peu de chair dessus et pas beaucoup de muscles, puisque câest Robert Collin. â Il sâavance vĂȘtu de son Ă©ternelle petite redingote ; la mousse pĂąle de sa barbe floconne Ă ses joues ; sa myopie lui fait des yeux trĂšs doux, cerclĂ©s dâor. Il apporte le courrier. â Bonjour, Robert, ça va ? » LâinterpelĂ© sâĂ©trangle, ĂŽte ses lunettes, et dit â Non, maĂźtre, ça ne va pas⊠Jâai Ă vous entretenir⊠de sujets⊠graves, et jâen⊠jâen suis, Ă©motionné⊠ridiculement. » â Dites, mon ami. Comment ! vous avez peur de me parler ? Vous savez pourtant combien je vous estime. » â Je sais tout ce que je vous dois, mon cher maĂźtre la vie dâabord, et lâĂ©ducation, et lâinstruction. Vous mâavez donnĂ© une famille et beaucoup dâamitié⊠et cette estime Ă laquelle vous faites allusion. Aussi, je ne devrais pas⊠Mais, voyez-vous, on a des devoirs envers soi-mĂȘme Ă©galement⊠Et je nâai pas le droit de me taire, encore que je sache avec certitude que mon audace est inutile⊠Seulement, jurez-moi, mon maĂźtre, de ne pas mâen vouloir si ma demande vous paraĂźt trop dĂ©placĂ©e⊠» M. Le Tellier pressent de quoi il retourne. Il est dâailleurs plus touchĂ© que surpris et plus ennuyĂ© que touchĂ©. â Câest jurĂ© », dit-il. â Eh bien ! maĂźtre, jâaime Mlle Marie-ThĂ©rĂšse, et jâai lâhonneur de vous demander sa main. » â Patatras ! nous y sommes », sâĂ©crie mentalement M. Le Tellier. Lâautre continue. Il rĂ©cite un morceau prĂ©parĂ©, câest visible. â Je suis pauvre, orphelin, gauche et laid. Je nâignore pas combien ma personne est grotesque. Mais quand on a lâaudace dâaimer, que voulez-vous ? il faut avoir lâaudace de le dĂ©clarer. Et celui qui aperçoit le bonheur, fĂ»t-ce Ă des hauteurs folles, a le devoir de sâĂ©lancer vers lui. Maintenant, mon cher maĂźtre, jâai accompli cette obligation vis-Ă -vis de mon propre individu. Je connais dâavance votre rĂ©ponse. Jâai fait ce que je devais. Nâen parlons plus. » â Mon ami, moi aussi jâai des devoirs. Le mien, dans cette affaire, est de consulter ma fille⊠quand elle aura vingt ans. Ainsi, dans deux ans, je lui ferai part de vos sentiments. Et je puis vous dire, mon cher Robert, quâils rehaussent Ă mes yeux la valeur de Marie-ThĂ©rĂšse et quâils nous honorent tous. Je fais plus que vous aimer, mon ami je vous admire. Vous ĂȘtes un grand savant, et, qui mieux est vous ĂȘtes un brave homme. » â Elle ne voudra pas⊠Je suis trop mal bĂąti⊠» â Qui sait ? » prononce M. Le Tellier, mĂ©ditatif. Vous ĂȘtes douĂ© de singuliĂšres qualitĂ©s scientifiques⊠une Ă©trange perspicacité⊠une sorte de divination⊠qui peut vous mener aux places les plus enviĂ©es. Marie-ThĂ©rĂšse ne lâignore pas. Je sais, moi, quâelle vous apprĂ©cie comme vous le mĂ©ritez⊠» â Il y a votre famille, mon maĂźtre ! » â Câest vrai ; mais Marie-ThĂ©rĂšse est libre de choisir⊠» â HĂ©las ! » â Allons, voyons, voyons ! Pas de tristesse. Je ne vous dĂ©courage pas, cependant ! RĂ©flĂ©chissez. Ne pleurez pas ! Voyons ! je vous tiens un discours dâespĂ©rance, par un clair soleil, Ă vous qui ĂȘtes jeune, â et vous pleurez ! Ah ! la belle matinĂ©e de printemps, Robert ! Elle est si belle et si printaniĂšre, quâon voudrait ĂȘtre amoureux, ne fĂ»t-ce que pour en souffrir ! » â Je serai franc, tenez je crains que⊠que Mlle Marie-ThĂ©rĂšse nâaime dĂ©jĂ quelquâun. Jâai reconnu⊠sur cette enveloppe Ă votre nom⊠lâĂ©criture de M. le duc dâAgnĂšs⊠Venant aprĂšs toutes les sollicitations qui vous ont assailli et que mon cĆur sâexcuse dâavoir Ă©ventĂ©es, cette lettre mâa⊠bouleversĂ©. Jâai voulu la prĂ©cĂ©der, ce matin ; alors, jâai parlé⊠» â Donnez-moi cela. » En effet, la lettre est signĂ©e François dâAgnĂšs » et dĂ©bute ainsi piĂšce 104 Cher Monsieur, Jâai devinĂ© pourquoi vous quittiez Paris en grand mystĂšre ; et cela me dĂ©cide Ă tenter auprĂšs de vous une dĂ©marche dont il est peu probable que vous soyez surpris. Jâavais lâespoir de vous faire ma demande non par correspondance, mais par⊠» M. Le Tellier nâose plus lever les yeux de dessus le billet. Il se rappelle certaine affirmation de Mme Monbardeau touchant Marie-ThĂ©rĂšse et le duc dâAgnĂšs. Il compare les deux prĂ©tendants ce malingre petit savant de rien du tout et le sportsman intrĂ©pide, juvĂ©nile et magnifique, noble de cĆur et de lignĂ©e, riche dâor et dâesprit, adorable enfin, câest vrai ! Et dans sa pensĂ©e il y a des voix qui chuchotent Salut ! Le Tellier. Ta fille sera duchesse. » Mais on frappe Ă la porte. Et il tressaille. Cette fois câest un coup sourd, comme si quelque cadavre en rupture de tombeau Ă©tait venu heurter le vantail, de ses poings lourds et mous⊠Et voilĂ les deux causeurs frĂ©missent⊠Car câest vraiment une façon de cadavre qui entre, avant que lâon ait dit Entrez ! » Câest un homme dâune pĂąleur terreuse. Ses habits dĂ©chirĂ©s sont couverts dâimmondices, ses chaussures ont marchĂ© longtemps sur des cailloux. Il Ă©carquille des prunelles hagardes, et reste lĂ , dans la porte, Ă grelotter comme un pauvre. Dâabord M. Le Tellier recule. Cet inconnu est effrayant. Puis tout Ă coup il sâĂ©lance vers le spectre diurne et le prend dans ses bras doucement, doucement⊠Car la plus terrible qualitĂ© de lâintrus livide, affolĂ©, tremblant, sĂ©pulcral, câest dâĂȘtre M. Monbardeau, â mĂ©connaissable. Son beau-frĂšre nâa quâune idĂ©e Marie-ThĂ©rĂšse est depuis la veille chez son oncle ; quelque chose lui est arrivĂ©. â Ma fille⊠Parle donc ! parle donc ! » â Ta fille ?⊠Il sâagit bien de ta fille ! » articule pĂ©niblement le docteur. Ce sont mes enfants, Henri et sa femme, Henri et Fabienne⊠Ils ont disparu ! » M. Le Tellier respire. M. Monbardeau, affalĂ© sur une chaise, poursuit, en larmes â Disparus !⊠Hier. On ne voulait pas vous le dire⊠Mais il nây a plus de doute maintenant⊠Quelle nuit !⊠Hier matin, partis tous deux en promenade⊠au ColombierâŠ, joyeux ! Ils avaient dit Nous dĂ©jeunerons peut-ĂȘtre lĂ -haut. » Alors, nâest-ce pas, on ne sâest pas prĂ©occupĂ© de leur absence au dĂ©jeuner⊠Et voilĂ , voilà ⊠La journĂ©e a passé⊠Au dĂźner, personne encore ! Et pas de nouvelles ! Pas de messager disant jambe cassĂ©e, accident, et cĆtera⊠Rien ! rien !⊠Il Ă©tait dĂ©jĂ trĂšs tard quand jâai commencĂ© Ă chercher⊠TĂ©nĂšbres⊠Parcouru les villages. Mais les gens sâeffrayaient, me traitaient de Sarvant ! refusaient de mâouvrir, les brutes ! et ne rĂ©pondaient pas⊠Parcouru les bois. CriĂ©, comme un fou, au hasard, stupidement⊠à lâaube, je suis rentrĂ©, dans lâespĂ©rance de les retrouver Ă la maison⊠Mais non !⊠Et Augustine dans un Ă©tat !⊠Alors, je me suis dĂ©cidĂ© Ă venir ici⊠Je craignais dâĂ©pouvanter les femmes. Jâai pris par la mĂ©tairie, afin de ne pas les rencontrer dans le parc. Il mâavait semblĂ© entrevoir Mme Arquedouve et Marie-ThĂ©rĂšse⊠» â Marie-ThĂ©rĂšse ?⊠Allons, mon bon vieux, remettons-nous ! Tu es mal dâaplomb. Il faut garder sa tĂȘte, morbleu ! Tu sais bien que Marie-ThĂ©rĂšse est chez toi depuis vingt-quatre heures. Rappelle tes souvenirs, voyons ! Elle a dĂ©jeunĂ© avec vous hier matin, et⊠» â DĂ©jeunĂ© ? Marie-ThĂ©rĂšse ? Hier matin ?⊠Jamais de la vie ! Nous ne lâavons pas vue⊠Mais alors⊠Mais⊠» M. Le Tellier se sent pĂąlir tout entier. Il regarde, sans le voir, Robert Collin dont le masque est celui dâun suppliciĂ©. Et il Ă©coute cet air dâopĂ©rette que Maxime chante toujours â et que jamais plus il ne pourra souffrir. â Ils ont disparu tous les trois ! » sâexclame le docteur. â Cherchons !⊠Il faut chercher tout de suite. Vite ! vite ! » Et M. Le Tellier a lâair dâun insensĂ©. â Oui », fait M. Monbardeau. Cherchons. Mais pas comme moi. MĂ©thodiquement. Jâai perdu, moi, le temps le plus prĂ©cieux de mon existence ! » â Ne nous Ă©nervons pas ; tu as raison. De la logique, de la logique. » â Si lâon prĂ©venait M. Maxime ? » hasarde Robert Collin. Nous ne serons jamais trop nombreux⊠» â Câest cela », fait M. Le Tellier. Du reste, ce nâest plus lâheure de chanter. » On va, de salle en salle, jusquâĂ la chanson. Au milieu de ses collections et de ses aquariums, dans la rotonde garnie de vitrines et de cuves, Maxime apparaĂźt. Il chante, mais il a des mains toutes rouges et son tablier blanc est ensanglantĂ©. Il vient dâarracher la vessie natatoire au poisson que voilĂ ; il la dissĂšque maintenant, et chante. Mais il est si rouge de sang, que, malgrĂ© sa hĂąte et son trouble, M. Le Tellier fait un pas en arriĂšre. â Papa⊠mon oncle⊠quây a-t-il ? » Le docteur raconte Marie-ThĂ©rĂšse, Henri et Fabienne ont disparu. Il faut les retrouver. Alors Maxime et Robert se concertent. Eux seuls sont capables de raisonner, ils le sentent. Les deux pĂšres ne savent plus que se dĂ©soler. Ce ne sont pas des ĂȘtres dâaction, et le chagrin submerge leur intelligence ! Robert et Maxime rĂ©sument la situation. â En somme, la tĂąche est double. Primo, Henri et Fabienne sont partis dâArtemare ; cela fait une trace quâon doit rechercher. Secundo, Marie-ThĂ©rĂšse est partie de Mirastel ; cela fait une autre voie. Ătant donnĂ©e la simultanĂ©itĂ© des deux dĂ©parts, il y a gros Ă parier que nos deux pistes se rejoignent et quâun mĂȘme accident a causĂ© les trois disparitions. Nâimporte ! il faut dĂ©mĂȘler systĂ©matiquement chaque itinĂ©raire. â Robert Collin, le docteur et M. Le Tellier relĂšveront le trajet dâHenri et de Fabienne ; lâautomobile de lâastronome les transportera. Quant Ă Maxime, il se charge dâapprendre Ă sa mĂšre et Ă sa grandâmĂšre la sinistre nouvelle, puis de reconnaĂźtre le chemin suivi par Marie-ThĂ©rĂšse. Lâancien officier de marine organise froidement les opĂ©rations. Robert Collin active lâembarquement. Il se poste prĂšs du chauffeur. Lâautomobile dĂ©marre. ProstrĂ© sur le capiton de cuir jaune, M. Le Tellier fait peur Ă voir. Il ressemble Ă M. Monbardeau comme un frĂšre de souffrance. Les paysans dâAmeyzieu, revenant de la messe, nâont pas saluĂ© cette figure cendrĂ©e, durcie, Ă©trangĂšre. Pourtant, devant la poste dâArtemare, M. Le Tellier se galvanise. Il fait stopper, descend, et disparaĂźt dans le bureau. Cinq minutes aprĂšs, il en ressort. On lâaide Ă remonter. â Allez ! » La receveuse admire, de sa fenĂȘtre, le confortable double-phaĂ©ton qui sâenfuit vĂ©loce et furtif, Ă tire de roues, â et transmet la dĂ©pĂȘche quâon vient de lui passer piĂšce 105 Duc dâAgnĂšs, 40, avenue Montaigne, Paris. Marie-ThĂ©rĂšse disparue. Accourez avec professionnels habituĂ©s aux recherches. Jean Le Tellier. viPremiĂšre Recherches Elle nâest pas arrivĂ©e Ă Artemare ? Oh ! » Devant, Maxime, qui tordait fĂ©brilement sa courte barbe, Mme Le Tellier rĂ©pĂ©tait â Marie-ThĂ©rĂšse nâest pas arrivĂ©e chez sa tante ?⊠Elle nâest pas arrivĂ©e ? » DĂ©faite, Ă©garĂ©e, tenant sa tĂȘte Ă deux mains, elle tournait sur elle-mĂȘme. Mme Arquedouve, trĂšs pĂąle mais toujours impassible, tĂąchait de lâapaiser. â Ăcoutez, maman, » reprit Maxime, Marie-ThĂ©rĂšse est certainement avec Henri et Fabienne. Câest une sauvegarde, cela. » â OĂč penses-tu quâils soient ? » fit la grandâmĂšre. â Dans le Colombier ! Ils ont eu quelque aventure pendant leur promenade. Un accident⊠» â Mais lequel ? Il nây a pas de crevasses⊠» â Que sais-je ? Il y a des fondriĂšres⊠» â VoilĂ ce que câest ! » gĂ©mit Mme Le Tellier. Je ne voulais pas quâelle sortĂźt sans ĂȘtre accompagnĂ©e ! Je nâai pas cessĂ© de mây opposer ! » â Oh ! maman, pour aller chez mon oncle ! Deux kilomĂštres Ă faire en plein jour, sur une route des plus frĂ©quentĂ©es ou par une sente constamment dĂ©serte !⊠Mais, justement, il faut que je sache⊠Voyons, dâabord Ă quelle heure Marie-ThĂ©rĂšse est-elle partie, hier matin ? » â Ă dix heures », rĂ©pondit sa mĂšre. Elle mâa dit au revoir dans le vestibule. â Ah ! si jâavais su !⊠» â Et vous ĂȘtes certaine, nâest-ce pas, quâelle se rendait Ă Artemare ? » â Absolument. Marie-ThĂ©rĂšse ne sait pas mentir. » â Câest vrai. â Quel chemin a-t-elle pris ? Par le haut ? ou par le bas ? » â Ah ! cela, je lâignore. » â Moi aussi », ajoute Mme Arquedouve. â Quelle robe avait-elle ? » â Sa petite robe grise, et son chapeau de tulle noir. » â Son costume de touriste, Ă jupe courte ? » â Non. â Mais, tu sais, elle nâavait pas du tout lâidĂ©e de faire une excursion⊠» â Oh ! avec Marie-ThĂ©rĂšse, peut-on jamais savoir ! Ce nâest pas le vĂȘtement qui la gĂȘne. Elle franchirait les Alpes en toilette de soirĂ©e. Vous savez bien quâelle adore la marche ; et si, Ă©tant passĂ©e par le haut, elle a rencontrĂ© son cousin et sa cousine en route pour le Colombier, nul doute quâelle ne les ait suivis, malgrĂ© sa jupe longue et ses bottines lĂ©gĂšres⊠Elle Ă©tait sĂ»re que son absence nâinquiĂ©terait personne, puisque mon oncle et ma tante nâĂ©taient pas prĂ©venus de sa visite et puisque nous ne devions les revoir tous quâau dĂ©jeuner dâaujourdâhui⊠Depuis quelque temps elle ne parlait que de monter au Colombier⊠Enfin, nous ne pouvons tarder Ă savoir⊠Je vais commencer mes recherches. » â Fais atteler le poney », dit Mme Arquedouve. Ta mĂšre et moi nous irons tenir compagnie Ă ta tante. Je ne veux pas quâelle reste seule pendant vos explorations. » Maxime sâenquit, auprĂšs des domestiques, de la direction que Marie-ThĂ©rĂšse avait adoptĂ©e en sortant du parc. Ils ne purent le renseigner. Alors il sortit, et se trouva dâemblĂ©e au carrefour de quatre voies. Ă sa gauche, sâamorçait le sentier du haut. Ă sa droite, descendaient en divergeant les trois chemins conduisant Ă la grandâroute ; le premier la rejoignait dans Talissieu, le second en pleine voie câĂ©tait, on sâen souvient, un sentier de traverse, un raidillon direct et brutal, et le troisiĂšme au village dâAmeyzieu. De ces quatre voies Marie-ThĂ©rĂšse avait pris lâune ou lâautre. Si la jeune fille avait prĂ©fĂ©rĂ© la descente Ă la montĂ©e, il Ă©tait peu probable quâelle eĂ»t choisi dans cette patte-dâoie le chemin de Talissieu, qui lâĂ©cartait dâArtemare ; mais une raison quelconque pouvait lâavoir induite Ă faire ce dĂ©tour. Maxime prĂ©sumait avec bon sens que sa sĆur avait pris par le haut. Par acquit de conscience, il voulut cependant examiner lâhypothĂšse contraire, â et sâen fut vers le bas. Il interrogea les choses. Nulle trace de pas ne se distinguait aux macadams durement empierrĂ©s. Nulle trace non plus aux dĂ©clivitĂ©s rocheuses du sentier. Ă lâendroit humide oĂč celui-ci dĂ©bouche sur la route, on remarquait pourtant de multiples empreintes dans la glaise marĂ©cageuse ; mais il y en avait tant et tant, de toute sorte, quâon sây perdait. Maxime questionna les gens. Par malheur, Ă cette saison, trĂšs peu de campagnards travaillent ces terres ingrates oĂč quelques vignes seulement poussent, par miracle, dans un sol quasi perpendiculaire Ă la plaine et criblĂ© de rocaille. Des trois ou quatre vignerons interviewĂ©s aucun nâavait aperçu, la veille, Marie-ThĂ©rĂšse. Mais, vous comprenez, on ne fait pas attention Ă tous ceux qui vont et viennent⊠» MĂȘme rĂ©ponse Ă Talissieu, Ă Ameyzieu. Du reste, Ă dix heures du matin, â heure de la sortie de la jeune fille, â les villages sont dĂ©peuplĂ©s au profit des cultures. Quant aux ouvriers employĂ©s dans les champs voisins de la route, ils nâavaient pu rien voir, des haies continues, Ă©paisses et hautes, encaissant la chaussĂ©e. Et puis, cette route est celle de la Suisse et dâAix-les-Bains, une procession dâautos et de cycles la parcourt sans relĂąche, et câest lĂ une reprĂ©sentation devenue banale, quâon ne regarde pas. Ă plus forte raison, comment une femme Ă pied aurait elle forcĂ© lâattention des villageois, en admettant quâils aient pu lâentrevoir aux Ă©claircies de la haie ? Seul, un mĂ©canicien rĂ©parateur dâautomobiles, logĂ© Ă lâentrĂ©e dâArtemare et qui besogne toujours en plein air, affirma que Mlle Le Tellier nâavait point passĂ© devant sa boutique vingt-quatre heures auparavant Jâai reconnu tout Ă lâheure le double-phaĂ©ton de M. Le Tellier. Ă lâinstant, jâai vu le tonneau de Mirastel occupĂ© par votre mĂšre, votre grandâmĂšre et le cocher. Mais hier, personne du chĂąteau. » Ayant acquis la certitude prĂ©vue que nul vestige dâaccident, nulle trace de Marie-ThĂ©rĂšse nâexistaient de ce cĂŽtĂ© dans lâaspect des choses ou le souvenir des hommes, Maxime, dĂ©tective scrupuleux, refit Ă lâenvers le trajet Mirastel-Artemare. Sans doute serait-il plus heureux en suivant la piste du haut. Marie-ThĂ©rĂšse avait certainement grimpĂ© Ă Chavornay par la sente. Elle comptait la suivre jusquâĂ cette commune, et lĂ , utilisant un chemin vicinal, rattraper Ă Don la route dâArtemare, câest-Ă -dire la route quâHenri et Fabienne avaient dĂ» emprunter dans lâautre sens pour gagner les hauteurs. Maxime reconstituait la rencontre de sa sĆur avec ses cousins, Ă la jonction des voies, un peu au-dessus de Don, ou bien entre ce point et Artemare. Le reste sâexpliquait tout naturellement⊠jusquâĂ lâaccident. VoilĂ Maxime en train de gravir la sente au milieu des broussailles. Ă prĂ©sent, convaincu de lâexcellence de la piste, il opĂ©rait, sans le vouloir, avec plus de soin. Ă Chavornay, lâun de ces nabots difformes et crĂ©tins que lâon voit tout le jour accroupis sur les seuils, ne comprit ses demandes quâĂ moitiĂ© et ne voulut jamais convenir quâune demoiselle en gris, avec un chapeau noir, eĂ»t traversĂ© le hameau. Mais, prĂšs de Don, parvenu Ă la croisĂ©e des routes, Maxime aperçut, montant la cĂŽte et venant Ă lui, la grande auto blanche de son pĂšre suivie de la 9-chevaux du Dr Monbardeau, â et cette coĂŻncidence le confirma dans la supposition que Marie-ThĂ©rĂšse sâĂ©tait trouvĂ©e, lĂ ou un peu plus bas, en face dâHenri et de Fabienne. M. Monbardeau conduisait sa voiture, prĂšs de M. Le Tellier. Lâautre vĂ©hicule portait maintenant Mme Arquedouve, ses deux filles et Robert, qui sauta du siĂšge aussitĂŽt lâarrĂȘt. La prĂ©sence des femmes Ă©tonnait Maxime. Robert en donna les raisons Mme Monbardeau avait tenu Ă prendre sa part des recherches ; pendant quâon recueillait dans Artemare quelques indications, sa mĂšre et sa sĆur Ă©taient arrivĂ©es dans le tonneau ; rien nâavait pu les empĂȘcher de venir, elles aussi. Alors on avait frĂ©tĂ© la 9-chevaux. â Bon ! Câest lâaffolement ! » grommela Maxime. Mais sa grand, mĂšre, trĂšs surexcitĂ©e, lui demandait â As-tu des nouvelles, Maxime ? Nous en avons, nous. Henri et Fabienne ont montĂ© par ici. » â Câest exact », dit Robert. On les a vus sortir dâArtemare quelques minutes avant dix heures, habillĂ©s en excursionnistes, ayant, lui, des bas, elle, une jupe-trotteur, et tous deux leurs cannes ferrĂ©es. Sur la route de Don, un cantonnier les a remarquĂ©s, et il prĂ©cise lâheure, â dix heures, â sâappuyant, pour la certifier, sur ce que le petit train local quitte Artemare Ă dix heures prĂ©cises pour monter vers Don, et sur ce que la locomotive sifflait au dĂ©part quand les Monbardeau le saluĂšrent en passant. Ă Don, plusieurs personnes aussi les ont vus. Ils y sont arrivĂ©s en mĂȘme temps que le petit train. Le mĂ©decin nous lâa dit. Il Ă©tait venu chercher Ă la station un de ses confrĂšres venant de Belley. Mais, Ă cet instant-lĂ , M. et Mme Henri Monbardeau Ă©taient seuls. » â Donc, » interrompit Maxime, Marie-ThĂ©rĂšse les a rencontrĂ©s entre Don et la croisĂ©e oĂč nous sommes ; cela va de soi. Câest lĂ quâils ont fait cause commune. Ensemble, ils seront allĂ©s jusquâĂ Virieu-le-Petit, comme on fait toujours ; ils auront achetĂ© Ă lâauberge de quoi dĂ©jeuner dans les bois, selon la coutume ; et je les vois dâici monter Ă travers la forĂȘt⊠Allons, vite ! Ă Virieu-le-Petit ! » Lâespoir Ă©tait sur les visages. On atteignit rapidement Virieu-le-Petit â Ă 800 mĂštres dâaltitude â qui est le point extrĂȘme oĂč les voitures peuvent mener les promeneurs du Colombier. Maxime entra chez lâaubergiste, â une vieille brave femme. Oui donc, quâelle avait vu M. Henri ! Il lui avait achetĂ©, vers midi, du pain, du saucisson, du vin, et mĂȘme empruntĂ© un carnier pour loger tout ça, avec les couteaux et les trois verres⊠» â Trois ? Trois verres ? Ah ! » Maxime sentait la joie le prendre au gosier. â Et⊠il Ă©tait avec⊠qui ? » â Avec deux dames, restĂ©es au dehors, sur la route. Pendant quâil sâapprovisionnait, elles continuaient de marcher Ă petits pas sur la cĂŽte. Il les a rattrapĂ©es. » â Enfin, câĂ©taient Mme Henri Monbardeau et ma sĆur, Mlle Le Tellier ? » â Oh ! sĂ»r et certain ! Maintenant que vous me le dites, pas dâerreur ! Mais, sur le moment, Je les voyais de dos⊠Il y en avait une habillĂ©e en petite fille⊠» â Câest-Ă -dire avec une jupe courte ? » â Oui bien. Et lâautre comme tout le monde. » â En gris ? En gris ? » â Oui, oui, en gris. » Toute la famille entourait lâaubergiste. On poussa des exclamations de victoire. â CâĂ©tait sĂ»r ; cela crevait les yeux ! » dit Maxime en riant. â On ne mâa point rendu mon carnier », rĂ©clama lâaubergiste. Alors le sentiment de la situation revint dans les esprits. CâĂ©tait dimanche ; lâauberge Ă©tait bondĂ©e. On y trouva sans peine des gars de bonne volontĂ©, pour fouiller la montagne. Bornud, un garde particulier, petit vieillard chafouin, nerveux et jaune, clignotant dâun Ćil noir et malicieux, se mit de la partie avec son chien Finaud. Mme Arquedouve, exigeant que nul ne sâoccupĂąt de son sort, sâaccommoda dâune chambre rustique, â pendant que la troupe des sauveteurs attaquait la pente du Colombier. DĂšs que ce bataillon eut gagnĂ© la forĂȘt, de nombreux embranchements lâobligĂšrent Ă se diviser en compagnies, puis en sections, puis en escouades ; car, de toutes les excursions possibles, on ne savait laquelle avait sĂ©duit les trois disparus. Comme on allait opĂ©rer la premiĂšre dislocation, Bornud dĂ©couvrit, par terre, des croĂ»tes de pain et des peaux de saucisson. Il fureta dans les environs, et trouva, sous une branche qui le dissimulait, le carnier de lâaubergiste. AprĂšs un dĂ©jeuner frugal, Henri avait cachĂ© le sac dĂ©sormais inutile, gĂȘnant, et il sâĂ©tait dit Je le reprendrai au retour. » Cette trouvaille jeta un froid. Une Ă une, les patrouilles se dĂ©tachaient aux bifurcations. Lâair vif sâallĂ©geait et se refroidissait au cours de la montĂ©e. Bornud assura que la neige couvrait encore le sommet du Grand-Colombier, lĂ -haut, Ă mĂštres au-dessus du niveau de la mer ; mais le fait nâĂ©tait vĂ©rifiable quâau pied mĂȘme de la cime ou trĂšs loin de la montagne, Ă cause des masses environnantes qui faisaient Ă©cran. Lâascension fatiguait les femmes, mal Ă©quipĂ©es. Mme Le Tellier, naguĂšre si paresseuse, gravissait avec acharnement les sentiers malaisĂ©s. Lâhiver en avait fait des lits de torrents, jonchĂ©s de pierres coupantes oĂč les pieds se blessaient, oĂč les chevilles se tordaient⊠Ce fut, tout dâabord, une battue assez logique, cernant le Colombier. On observait. De temps Ă autre, quelquâun jetait Ă pleine voix un long appel⊠Mais, Ă mesure que le soleil baissait, la fiĂšvre gagna les malheureux parents. Ils descendirent au fond de ravines abruptes quâil suffisait de cĂŽtoyer pour dĂ©couvrir tout entiĂšres. Mme Le Tellier soulevait des cailloux, Ă©cartait des feuillages, et regardait dessous, inconsciemment. Ils allaient de droite et de gauche, Ă tort et Ă travers. BientĂŽt ils ne cessĂšrent plus de crier. M. Monbardeau hurlait sans trĂȘve un refrain familial, ce joyeux thĂšme, ce bout de musique allĂšgre dont les vallons du Colombier avaient retenti jadis tant de fois, et qui rĂ©sonnait aujourdâhui lugubre et mineur, sans que personne sâaperçût de lâĂ©trange modulation. Un tel dĂ©sordre sâĂ©tendit forcĂ©ment aux autres pelotons, partout dissĂ©minĂ©s. Le silence du soir sâemplit de clameurs. LâĂ©cho les multipliait ; cela fit croire Ă des rĂ©ponses. Pensant aller vers ceux quâils recherchaient, les uns et les autres se trouvaient nez Ă nez. Il leur fallait revenir sur leurs pas et reprendre la voie dĂ©laissĂ©e. Le temps se couvrit ; la nuit venait ; lâombre accumula des formes indĂ©cises et transforma les choses. Des taches de feuilles rougies, sur la mousse, Ă©pouvantaient de loin. On tremblait en fouillant du regard les Ă -pic, du haut des roches vertigineuses. La bise anima dâune vie frĂ©missante les sapins funĂ©raires et les fourrĂ©s compacts ; on aurait dit, soudain, quâils abritaient un blessĂ© convulsif ou quelque prĂ©sence inopinĂ©e⊠Mme Monbardeau se lacĂ©rait les mains Ă force de scruter les buissons Ă©pineux. Bornud, lâĆil attentif, espionnait la vie forestiĂšre, et son chien quĂȘtait devant lui, le nez au vent⊠Mais rien, â rien, â rien. Rien de visible sur ces maudites pierrailles et sur la sĂ©cheresse de la terre. Rien, nulle part ! Rien que des clameurs enrouĂ©es rebondissant de rochers en rochers, se mĂȘlant parfois au fracas dâune cascade et traversant les gorges sombres oĂč la forĂȘt ne plongeait que pour remonter, tantĂŽt profonde et tantĂŽt culminante, mais toujours taciturne et secrĂšte. Des vapeurs sâĂ©levaient des bas-fonds. Le ciel noircit. Mme Le Tellier, qui allait avec sa sĆur, son mari et Bornud, se laissa tomber sur un tertre, Ă la lisiĂšre supĂ©rieure des bois ; elle nâen pouvait plus. De cette place, on voyait enfin le sommet du Grand-Colombier. CâĂ©tait un dos dâĂąne gigantesque et nu, tapissĂ© dâun gazon glissant. Il opposait Ă lâescalade un versant hostile. Trois bosses ondulaient sa crĂȘte ; elles Ă©taient blanches de neige, et sur la plus haute â celle du milieu â se dressait une croix monumentale, infime dans la distance. Ils levĂšrent les yeux. Un homme montait vers la croix, laborieusement, avec des glissades et des haltes frĂ©quentes. M. Monbardeau se fit une visiĂšre de ses mains. â Câest Robert Collin », dit-il. Un gĂ©missement lui rĂ©pondit. Mme Le Tellier, harassĂ©e de fatigue et dâinanition, se pĂąmait. â Elle revint Ă elle. Mais il ne fallait plus songer Ă poursuivre la reconnaissance. Du reste, Ă quoi bon ? Le jour finissait. Des nuages sâamoncelaient au-dessous dâeux. Et nâavaient-ils pas rempli leur tĂąche ? Toute la montagne ne se trouvait-elle pas explorĂ©e, depuis le bas jusquâĂ la crĂȘte dĂ©serte oĂč parvenait Robert ? Le retour fut mortel et sâaccomplit dans un mutisme gros de pensĂ©es. Les Monbardeau et les Le Tellier Ă©taient Ă jeun depuis douze heures ; la faim exaltait leur angoisse. Ă lâauberge, oĂč Mme Arquedouve avait fait servir un dĂźner, la lampe Ă©claira des faces extĂ©nuĂ©es qui sâinterrogeaient anxieusement. Rien. â Personne nâavait rien dĂ©couvert. Et tous Ă©taient rentrĂ©s, Ă lâexception de Robert. Il avait dit Ă Maxime Ne mâattendez pas pour repartir. Je mâarrangerai. Quâon ne se tourmente pas Ă mon sujet. » â Eh bien, mon garçon ? » fit M. Le Tellier avec un geste dĂ©couragĂ©. Que dis-tu de cela ? » â Moi ? Mais⊠quâil faut prĂ©venir la justice⊠» â Tu ne crois plus Ă un accident ? » â Mon Dieu⊠oui et non⊠Mais la justice⊠» Un sourire entendu plissa les lĂšvres des paysans. â La justice est dĂ©jĂ prĂ©venue », balbutia M. Le Tellier Ă voix basse et dâun air confus. Jâai tĂ©lĂ©graphiĂ© ce matin au duc dâAgnĂšs, qui va nous amener des gens de la police⊠» Maxime, abasourdi, le regardait baisser les paupiĂšres. â Si ce nâest pas un accident, » sâĂ©cria M. Monbardeau, quâest-ce que ce serait donc ?⊠Une fugue ? câest inadmissible. » Il hĂ©sita, lâespace dâune seconde Un enlĂšvement, alors ?⊠» â Je commence Ă le croire », dit M. Le Tellier. Je mâattends Ă recevoir une lettre exigeant la forte somme en Ă©change de Marie-ThĂ©rĂšse⊠» â Sans doute », approuva Maxime. Il y avait lĂ une quarantaine de montagnards formant le cercle. Ils secouaient la tĂȘte en signe dâincrĂ©dulitĂ©. Mme Monbardeau les imitait. M. Le Tellier les dĂ©visagea lâun aprĂšs lâautre. â Est-ce que vous avez une opinion, mes amis ? » demanda-t-il. Si vous en avez une, dites-la. » Bornud rĂ©pondit pour eux tous, avec lâaccent doucereux du terroir â Oh ben lĂ non ! Ben sĂ»r que non ! Nous autres, on ne peut pas savoir ! » Mais la terreur du Sarvant planait sur eux. La pluie, tout Ă coup, tomba violemment. Cela fit comme un piĂ©tinement soudain de mille petites pattes cabriolant de tuile en tuile au-dessus de la compagnie. Quelques Ă©paules tressaillirent Ă ce bruit. M. Monbardeau sâapprocha de son beau-frĂšre, et tout bas â Comprends-tu, maintenant, pourquoi le vol dâune statue et dâun mannequin les impressionnait pareillement ? Saisis-tu la progression ? » â Soyons francs », avoua M. Le Tellier. Toi depuis hier, moi depuis ce matin, pensons-nous Ă autre chose ? â Quelle sottise ! » viiLâAttente et lâArrivĂ©e des Renforts Le lendemain matin, vers huit heures, on se rĂ©unit comme Ă lâordinaire dans la salle Ă manger de Mirastel. M. et Mme Monbardeau sây trouvaient ; lâhorreur dâĂȘtre seuls les avait saisis au moment de rĂ©occuper la maison dâArtemare, et Mme Arquedouve leur donnait asile jusquâĂ nouvel ordre. Mauvaise nuit. LâextrĂȘme lassitude et lâangoisse avaient tenu chacun dans lâinsomnie. La pluie tombait encore. Ils la maudissaient de venir trop tard et de rendre la terre sensible aux empreintes quand il nâĂ©tait plus temps. Aucune nouvelle. Robert Collin nâĂ©tait pas rentrĂ©, le duc dâAgnĂšs pas arrivĂ©, et le courrier nâavait pas apportĂ© Ă M. Le Tellier la lettre de chantage quâil attendait, quâil espĂ©rait ! On parlait beaucoup, de peur que le silence laissĂąt trop de latitude aux imaginations. Mme Le Tellier, en plus de son chagrin, ressentait un grand dĂ©pit de ce que Marie-ThĂ©rĂšse eĂ»t disparu Ă la minute mĂȘme oĂč le duc dâAgnĂšs avait sollicitĂ© lâhonneur dâĂȘtre son gendre. Elle sâĂ©chauffait, sanglotait, et disait dans son dĂ©sespoir mĂȘlĂ© de rancune â Jâaimerais mieux⊠oh ! jâaimerais mieux lâavoir mariĂ©e au Turc, tenez ! plutĂŽt que dâignorer ce quâon lui fait Ă cet instant !⊠» Et elle pleurait de plus belle, avant de profĂ©rer dâautres extravagances. Maxime, inquiet de lâabsence prolongĂ©e de Robert et froissĂ© de lâindiffĂ©rence unanime Ă lâĂ©gard dâun tel dĂ©vouement, se retira dans son laboratoire afin dây goĂ»ter un peu de calme. â Mais ses poissons, dans leurs aquariums, ne lâintĂ©ressaient plus. LâocĂ©anographie lâimportunait. Ses pinceaux et ses couleurs lui firent lâeffet de joujoux bons pour les enfants, qui, eux, nâont pas de souci. Maxime parcourut dâun regard distrait les boĂźtes de collection suspendues autour de la rotonde, et il se mĂ©prisa de les avoir jamais estimĂ©es. Elles renfermaient cependant des choses curieuses. Jadis, il sâĂ©tait diverti Ă capturer les animaux, de toute espĂšce, dont la forme et la couleur sâidentifient Ă celles de leur support ou de leur milieu, si exactement, que leurs ennemis ne peuvent plus les en distinguer. Il avait aussi attrapĂ© les bĂȘtes qui sâĂ©vertuent Ă ressembler Ă dâautres bĂȘtes, soit pour effrayer leurs adversaires, soit pour tromper la mĂ©fiance de leurs victimes. En en mot, câĂ©tait une collection de mimĂ©tismes. Voulant apaiser son inquiĂ©tude, Maxime essaya de se rappeler la difficultĂ© de ses chasses puĂ©riles, oĂč la proie Ă©tait dâautant plus inestimable quâelle se dissimulait avec plus de perfection. Et il se souvenait tristement de sa joie, lorsquâil pouvait mettre sous verre quelque bestiole inĂ©dite, posĂ©e sur la feuille, la branche ou la pierre qui se confondait avec elle. Que de fois, pour lui faire plaisir, Marie-ThĂ©rĂšse sâĂ©tait mise en quĂȘte de mimĂ©tismes !⊠Pauvre chĂšre jolie sĆur !⊠Allons ! la solitude et lâinaction ne valaient rien, dĂ©cidĂ©ment ! Il valait mieux boucler ses guĂȘtres et se porter au-devant de Robert. Maxime, ayant prĂ©venu M. Le Tellier, sâen fut dans la montagne. La pluie avait cessĂ©. Ă Mirastel, on attendait ; et le temps sâĂ©coulait avec une lenteur dĂ©sespĂ©rante. M. Le Tellier arpentait les couloirs du chĂąteau et les allĂ©es du jardin. M. et Mme Monbardeau sâefforçaient de lire les journaux, qui retraçaient lâĂ©vĂ©nement tout de travers. Quant Ă Mme Le Tellier, elle Ă©tait montĂ©e Ă la chambre de sa fille avec Mme Arquedouve, et lâune sâingĂ©niait Ă retrouver Marie-ThĂ©rĂšse dans la vue de son entourage intime, tandis que lâautre respirait tendrement lâodeur florale qui sâen exhalait. Quelques visiteurs sonnĂšrent au portail. Ils laissaient des cartes avec lâexpression de leur sympathie. On ne reçut que Mlle de Baradaine, lâunique parente de Fabienne Monbardeau-dâArviĂšre. Elle Ă©pancha le trop plein de son gros cĆur dans une tirade prodigieuse dâabondance et de banalitĂ©. La consternation gĂ©nĂ©rale redoubla. Ă quatre heures, M. Le Tellier, en vigie sur la terrasse, dâoĂč il guettait lâarrivĂ©e du duc dâAgnĂšs par la voie du ciel ou la voie du sol, â entendit Maxime qui lâappelait Ă la fenĂȘtre de son laboratoire. Robert se tenait prĂšs de lui. M. Le Tellier courut les rejoindre. â Mon ami, mon cher ami ! » dit-il en apercevant son secrĂ©taire accablĂ© de lassitude. Que je vous suis reconnaissant⊠» Robert lâarrĂȘta. â Jâai passĂ© la nuit et la matinĂ©e dans le Colombier, » dit-il, mais ne me plaignez pas il nâest tombĂ© quâune oĂč deux gouttes de pluie Ă lâendroit oĂč jâĂ©tais⊠Et câest plus heureux quâon ne pourrait le supposer. » â Vous savez quelque chose ! » Robert et Maxime sâentre-regardĂšrent. â Oui, papa, il y a du nouveau. Mais nous avons tenu Ă ce que vous fussiez seul Ă le savoir ; parce que les autres, sâils lâapprenaient, nâauraient de cesse quâune fois renseignĂ©s par le menu. Et nous avons la conviction quâil vaut mieux ne pas dĂ©crire ce que Robert a trouvĂ©. » â Comment ! comment ! » â Oh ! rassurez-vous sa dĂ©couverte nâest pas Ă©pouvantable ! Loin de lĂ , puisquâelle met un atout dans notre jeu. Mais nous prĂ©fĂ©rons, Robert et moi, que lâon voie les choses, au lieu dâen Ă©couter la description, afin que chacun puisse se prononcer librement Ă leur sujet. Vous savez combien le langage le plus neutre est tendancieux ; vous savez comme lâopinion de celui qui parle se trahit, malgrĂ© lui, dans le choix des formules. Toute phrase est un jugement, si impartiale quâon la suppose ; exprimer un fait, câest, du mĂȘme coup, en faire la critique. Or, il sâagit dâun indice tellement extraordinaire, inexplicable, dâun problĂšme si ardu, quâil faut absolument recueillir lĂ -dessus le plus grand nombre dâavis, sans que les uns aient subi lâinfluence des autres. » â Soit. Pouvez-vous me conduire tout de suite⊠» â Câest au sommet du Colombier », dit Robert. Nous irons avec les policiers dĂšs demain. Je croyais les trouver ici. » â François dâAgnĂšs nâest pas encore lĂ ? » sâĂ©tonna Maxime. VoilĂ qui est surprenant. » M. Le Tellier fut tirĂ© de la mĂ©ditation oĂč lâavait plongĂ© cet entretien par le ronflement dâune automobile lointaine. Il sâapprocha de la croisĂ©e, et vit une machine de course arriver sur la route comme un engin dĂ©vastateur. Dans un crĂ©pitement de fusillade, un tonnerre grandissant de mitrailleuse, elle se rua, forcenĂ©e, Ă lâassaut de la rampe. Elle bondissait ; elle montait la cĂŽte en zigzags plus vite quâune avalanche ne lâeĂ»t dĂ©gringolĂ©e ; elle dĂ©rapait follement aux virages, avec des grondements impĂ©tueux. Et lâon apercevait, Ă travers les Ă©claboussures jaillies de son passage, quatre hommes vĂȘtus de caoutchouc, cramponnĂ©s au petit bonheur sur deux baquets, parmi des valises et des pneus de rechange. M. Le Tellier restait immobile dâadmiration. Chaque tournant Ă©tait une acrobatie. Le duc dâAgnĂšs exĂ©cuta le dernier sur deux roues. Une seconde aprĂšs, la pĂ©tarade furibonde emplissait la charmille, et le monstre dâacier, fumant, maculĂ© de flĂšches boueuses oĂč sa vitesse apparaissait toujours, sâarrĂȘta devant le perron. M. Le Tellier descendit Ă la rencontre des nouveaux venus. DĂ©barrassĂ© de la blouse cirĂ©e et du suroĂźt qui lui donnaient la mine dâun loup de mer, le duc dâAgnĂšs parut, svelte, bien dĂ©couplĂ©. En vain les averses et les rafales avaient-elles rougi et gonflĂ© la peau de son visage ; en vain pleuraient ses yeux Ă©ventĂ©s ; il Ă©tait si jeune et si beau, quâon aurait dit un prince Charmant dĂ©livrĂ©, sur lâheure, de quelque affreuse mĂ©tamorphose. Il expliqua son retard â Jâaurais voulu partir dĂšs hier, aussitĂŽt reçue votre dĂ©pĂȘche, monsieur. Mais le prĂ©fet de police tenait beaucoup Ă mâadjoindre certain de ses auxiliaires qui nâĂ©tait libre quâaujourdâhui. Et je serais venu en aĂ©roplane, malgrĂ© le temps, si je nâavais eu Ă transporter deux personnes en sus de mon chauffeur. â Je vous prĂ©sente M. Garan et M. Tiburce. » M. Le Tellier tendit la main aux deux hommes. Le premier la secoua rondement. Mais le deuxiĂšme devait ĂȘtre franc-maçon ou quelque chose de similaire, car il chatouilla dâun attouchement fort indiscret la paume et les doigts de lâastronome. CâĂ©tait presque impudique. M. Le Tellier, cramoisi, poussa les voyageurs dans son cabinet. Il leur raconta, sans perdre un instant, tout ce quâil savait de lâaventure dĂ©sastreuse, et nâeut garde dâomettre la conversation quâil venait dâavoir avec son fils et son secrĂ©taire. On lâĂ©couta religieusement. Toutefois, lorsquâil entama le chapitre des hypothĂšses, lâun des Ă©trangers, M. Garan, lâinterrompit. Ce personnage, de corpulence moyenne et dâallure martiale, avait le teint basanĂ©, des joues bleues, et portait ses cheveux poivre et sel taillĂ©s en brosse. Une moustache trop noire, beaucoup trop menaçante et infiniment trop grande pour lui, semblait sous son nez deux cornes de bison. Des sourcils considĂ©rables et de mĂȘme couleur imitaient sur ses yeux une autre moustache, fourvoyĂ©e. Et il retroussait constamment vers le ciel ce quadruple accroche-cĆur. â Excusez-moi », dit-il, si je vous arrĂȘte lĂ . Mais nous connaissons, Ă la PrĂ©fecture, lâhistoire des dĂ©prĂ©dations bugeysiennes, et je les ai dites Ă ces messieurs, chemin faisant. Quant aux suppositions qui pourraient vous ĂȘtre venues, je prĂ©fĂšre ne pas les savoir. Laissez-moi dâabord me rendre compte de ce qui est. Il convient dâĂ©lucider le point mystĂ©rieux du Grand-Colombier. Ensuite, nous discuterons. Câest une mĂ©thode des plus recommandables. » â Pardon, jâavais oubliĂ© », fit le duc dâAgnĂšs. M. Garan est inspecteur de la SĂ»retĂ©. » M. Le Tellier, que lâimpatience dâagir aiguillonnait, dĂ©signa lâautre inconnu, profondĂ©ment absorbĂ© dans lâexamen de la salle, et dit Ă M. Garan â Câest bien aussi lâopinion de votre collĂšgue ? » Le policier sourit derriĂšre sa moustache cornue â Monsieur nâest pas mon collĂšgue⊠Je nâai pas lâhonneur⊠» â Tiburce est un de mes amis », exposa le duc dâAgnĂšs non sans marquer de lâembarras. Il peut nous ĂȘtre utile⊠oui⊠vraiment utile. Câest un vieux camarade de pension Ă Maxime et Ă moi. » Sur ces paroles, Tiburce se leva de sa chaise. EnveloppĂ© dâun macfarlane Ă grands carreaux, ce jeune homme rasĂ©, blafard, â muni dâune bouche Ă©carlate impossible Ă fermer, qui Ă©clatait dans sa figure comme une tomate sur un fromage blanc, â lâĆil rond, les traits figĂ©s dans une atonie de plĂątre classique, â ce jeune homme, dis-je, reprĂ©sentait un spĂ©cimen accompli dâanglomane. Il eĂ»t sans doute constituĂ© un gentil petit Français, rien quâen laissant croĂźtre sa barbe blonde et naĂźtre Ă ses lĂšvres ultra-purpurines le sourire qui les sollicitait sans trĂȘve. Peut-ĂȘtre mĂȘme, vĂȘtu comme vous et moi, Tiburce nous eĂ»t-il Ă©galĂ©s vous et moi⊠Mais voilĂ Tiburce faisait lâAnglais ; il entourait dâĂ©toffes londoniennes sa prestance de Gaulois ; il recouvrait sa physionomie parisienne du masque britannique. Câest pourquoi, au lieu dâĂȘtre auguste Ă la façon dâun lord, il lâĂ©tait Ă la maniĂšre dâun clown ; au lieu dâĂȘtre sĂ©duisant Ă lâĂ©gal de vous et moi, il Ă©tait burlesque, monsieur, â tout simplement. â Mon ami », poursuivit le duc dâAgnĂšs, est un⊠» â Je suis sherlockiste, et rien de plus. » M. Le Tellier fit des yeux en points dâorgue. â PlaĂźt-il ? » viiiTiburce Tiburce sâefforça dâatteindre le comble du flegme et de lorgner son interlocuteur bien en face. â Je dis que je suis sherlockiste », rĂ©pĂ©ta-t-il. â Mais alors il devint si rouge que ses lĂšvres disparurent dans lâembrasement de tout son visage⊠Sherlockiste ou holmesien, si vous prĂ©fĂ©rez ; comme on dit carliste ou garibaldien. » Ă cette minute, M. Garan figurait assez heureusement lâironie, M. dâAgnĂšs la contrariĂ©tĂ©, et M. Le Tellier lâincomprĂ©hension. Ce que voyant, Tiburce reprit â Enfin, monsieur, vous avez bien entendu parler de Sherlock Holmes ? » â Euh⊠Serait-ce un parent de cette Augusta HolmĂšs qui faisait de la musique ? » â Nullement. Sherlock Holmes est un virtuose, mais un virtuose dĂ©tective. Câest un policier de gĂ©nie, dont sir Arthur Conan Doyle a racontĂ© les exploits fantaisistes⊠» â Eh ! monsieur, Ă lâheure oĂč nous sommes, au diable les romans ! et foin de votre Shylock HermĂšs ! » â Sherlock, » rectifia Tiburce, Sherlock Holmes. » Et il poursuivit sans trop sâĂ©mouvoir Eh bien, monsieur, moi je suis lâĂ©mule vivant de ce hĂ©ros imaginaire, et jâapplique aux difficultĂ©s de la vie rĂ©elle sa mĂ©thode incomparable. » Le duc dâAgnĂšs, apercevant que M. Le Tellier sâagaçait de plus en plus, hasarda timidement â Jâaffirme⊠en vĂ©rité⊠que Tiburce nous sera dâun grand secours. » Et Tiburce â Ăcoutez-moi quelques instants. Si vous manquez de foi, câest que vous ne comprenez pas. Laissez que je mâexplique. » Voyez-vous, monsieur, ma vocation sâest dĂ©cidĂ©e Ă lâĂ©poque oĂč je faisais ma philosophie, â non pas un jour que je piochais quelquâun de ces scolastiques dont je devais tant chĂ©rir les Ćuvres, â mais un soir que je lisais le conte de Voltaire appelĂ© Zadig ou la DestinĂ©e. On y trouve, monsieur, certain morceau qui est comme le prototype de toutes les intrigues policiĂšres, oĂč Zadig, quoique nâayant jamais vu la chienne de la reine, nâen fait pas moins la description frappante au Premier Eunuque, grĂące aux vestiges quâelle a laissĂ©s de son passage dans un petit bois. » Cette lecture mâouvrit les yeux, et je rĂ©solus de cultiver en moi les dispositions Ă la perspicacitĂ©, que je sentais impĂ©rieuses et riches, â soit dit sans fausse modestie. » Ă quelque temps de lĂ , les contes dâEdgar Poe me tombĂšrent sous la main ; je fus Ă©merveillĂ© par lâesprit sagace du policier Dupin. Enfin, ces derniĂšres annĂ©es, toute une littĂ©rature sâest mise Ă fleurir Ă la suite du Crime de la rue Morgue, de la Lettre volĂ©e, du MystĂšre de Marie Roget, et ma vocation se dessina de plus en plus. Ă vrai dire, Sherlock Holmes domine cette production comme NapolĂ©on domine lâhistoire de son temps ; mais chacun de ces ouvrages a pourtant son importance, et forme un brĂ©viaire du chasseur dâinconnu. Leur ensemble, renforcĂ© de plusieurs traitĂ©s de logique, compose la bibliothĂšque du dĂ©tective amateur ; â et cette bibliothĂšque, monsieur, ne me quitte pas. » Tiburce, disant ces paroles, ouvrit une valise quâil avait dissimulĂ©e sous la cloche de son macfarlane, et tira de ses profondeurs une kyrielle de volumes solidement reliĂ©s. Il les posa un par un sur le bureau, glissant cĂŽte Ă cĂŽte Aristote et Maurice Leblanc, Mark Twain et Stuart Mill, Hegel et Gaston Leroux, Conan Doyle et Condillac, â faisant voisiner le Parfum de la Dame en noir avec les trois premiers tomes du Spectateur et les Aventures dâArsĂšne Lupin avec la Logique inductive et dĂ©ductive. â Voici mes maĂźtres », dit-il avec un geste pompeux. Mais nâallez pas croire que lâĂ©tude de ces livres soit mon labeur unique. Je bĂ»che Ă©normĂ©ment, monsieur, et dans tous les genres, â afin dâacquĂ©rir les connaissances universelles du grand Sherlock. Je ne laisse un manuel dâalgĂšbre, de menuiserie, de mĂ©decine ou dâĂ©levage, que pour courir Ă la salle dâescrime, au club de boxe, au gymnase ou bien au manĂšge ; et mes vacances, je les emploie Ă faire de la logique appliquĂ©e Ă passer des principes Ă la pratique, de la thĂ©orie au service en campagne. » Et jâose le dire mes dĂ©buts sont encourageants. â Permettez-moi de vous soumettre un ou deux exemples de mon savoir-faire. Cela stimulera votre confiance. » M. Le Tellier paraissant rĂ©signĂ©, Tiburce repartit avec assurance, malgrĂ© lâair narquois de M. Garan â De toutes mes petites prouesses, je vous signalerai seulement celles que mon ami dâAgnĂšs, ici prĂ©sent, pourra certifier. » Cet hiver, nous causions, lui et moi, dans sa chambre, lorsque Mlle Jeanne dâAgnĂšs entra. Je lui dis Ă brĂ»le pourpoint Mademoiselle, vous sortez de la maison portant le numĂ©ro 13 de la rue de Prony. Vous venez de prendre le thĂ©, dans la serre, chez la chanoinesse de Bouvillon. » Et comme elle sâĂ©tonnait, je lui fis remarquer, sur sa robe de velours, lâempreinte du siĂšge cannĂ© oĂč elle sâĂ©tait assise. Un entrelacs bizarre avait frappĂ© le velours fin, et lâon y reconnaissait les arabesques de fauteuils trĂšs curieux, dâun travail exotique, dont Mme de Bouvillon a meublĂ© la serre de son hĂŽtel. Or, cette serre, on nây pĂ©nĂštre guĂšre que pour le five-oâclock⊠» â Ce nâĂ©tait pas trĂšs difficile », murmura M. Le Tellier. â Il a fait mieux que cela, monsieur », dit le duc dâAgnĂšs. Il vient de faire une chose trĂšs forte, qui mâa dĂ©cidĂ© Ă lâamener ici. » â Pouh ! Rien du tout ! » sâexclama Tiburce dĂ©daigneusement. Avant-hier je reçus de François une carte-pneumatique mâassignant un rendez-vous. Jây fus ; et je lui dis quâil avait Ă©crit ce bleu au CafĂ© de la Restauration, â quâĂ ce moment-lĂ le cafĂ© Ă©tait rempli de consommateurs, â et que lui-mĂȘme Ă©tait pressĂ© dâen finir avec sa correspondance. » Pourquoi au cafĂ© ? Parce que la gomme de la carte avait le goĂ»t du vermouth-grenadine, mixture que lâon boit rarement ailleurs⊠» â Comment ! » sâĂ©cria M. Le Tellier, vous avez lĂ©chĂ© cette colle quâun autre dĂ©jà ⊠» â Câest le mĂ©tier. â Je reprends » Pourquoi au CafĂ© de la Restauration ? Parce que, dans les traits des caractĂšres, tracĂ©s au crayon, se dessinaient les stries du buvard sur lequel M. dâAgnĂšs les avait Ă©crits, â buvard dont vous ne rencontrerez dâexemplaire que chez des particuliers ou dans cette taverne. Or je savais, par le vermouth-grenadine, quâil fallait Ă©carter lâidĂ©e de particuliers. » Pourquoi beaucoup de monde ? Parce que, ayant demandĂ© de quoi Ă©crire, François dâAgnĂšs nâavait pu obtenir quâun buvard et pas de plume puisquâil sâĂ©tait servi dâun crayon. Donc toutes les plumes Ă©taient en main ; et cela implique la prĂ©sence dâune foule. » Pourquoi pressĂ© ? Parce quâil nâavait pas attendu dâavoir une plume ; ce qui pourtant nâaurait tardĂ©. » HĂ© ! que dites-vous de cela ?⊠Je vois avec plaisir, monsieur, que vous revenez sur votre premiĂšre impression. Allez ! allez ! je retrouverai votre fille, câest moi qui vous le dis ! Et tenez, je veux vous convaincre davantage encore ! » LĂ , Tiburce sâenfonça dans un canapĂ©, croisa les jambes, fixa un coin du plafond, se rongea quelque peu les ongles, et dĂ©bita dâune voix rapide et nĂ©gligente, aigre et blanche, â de cette voix, enfin, que lâacteur GĂ©mier prĂȘtait au personnage de Sherlock Holmes â Monsieur, vous possĂ©dez un chien de la race dite griffon Boulet Ă poils durs ». Et ce chien dâarrĂȘt, vous en faites un toutou dâappartement. Car vous nâĂȘtes pas chasseur. Pas chasseur, mais pianiste. TrĂšs bon pianiste, mĂȘme ; ou du moins vous croyez lâĂȘtre. Jâajouterai que vous avez servi dans la cavalerie, que vous portez Ă lâordinaire un monocle, et quâun de vos passe-temps favoris est le tir Ă la cible. â Chut ! taisez-vous ; priĂšre de ne pas mâinterrompre. » Et, sans cesser de regarder en lâair, il continua â Le bas de votre pantalon est couvert de poils. Or ces poils ne peuvent appartenir quâĂ un chien de lâespĂšce prĂ©citĂ©e ou Ă une chĂšvre. Mais il nâentre pas dans nos mĆurs de faire coucher des chĂšvres sur nos pieds. Donc⊠Concluez vous-mĂȘme. â Dâautre part, je sais que vos occupations ne vous laissent pas le loisir de chasser, et jâen dĂ©duis que votre chien, malgrĂ© sa nature, est un chien dâappartement, par destination. â Vous jouez du piano ; oui. En vous donnant la main, jâai reconnu au bout de vos doigts les callositĂ©s professionnelles des pianistes. Elles mâont rĂ©vĂ©lĂ© que vous jouez mĂȘme trĂšs frĂ©quemment. Or un homme de votre Ăąge et de votre intelligence ne saurait montrer tant dâassiduitĂ© dans lâexercice dâun art aussi dĂ©licat, que sâil y est excellent ou sâil croit y exceller. Ă cause dâIngres et de son violon, je nâose affirmer votre talent de pianiste, en dĂ©pit de votre gĂ©nie dâastronome. â Vous avez servi dans la cavalerie ; car vous marchez les jambes Ă©cartĂ©es et vous descendez les escaliers comme si vous redoutiez dâaccrocher vos Ă©perons aux degrĂ©s. Donc vous avez lâhabitude du cheval. Et câest une habitude qui date de loin, car on ne vous voit jamais cavalcader Ă Paris. Votre jeunesse humble et studieuse ne vous ayant pas permis lâĂ©quitation, il faut par consĂ©quent que vous ayez chevauchĂ© les destriers du gouvernement. â Silence, je vous prie. â Vous portez un monocle. Parfaitement. Jâai dĂ©couvert sa trace au pli de votre orbite droite. â Et je prĂ©tends que vous tirez souvent au pistolet ou Ă la carabine, car votre Ćil gauche a coutume Ă se fermer pour viser il est un peu plus petit que lâautre, et les plis de la ride nommĂ©e patte dâoie » sont plus accusĂ©s Ă gauche quâĂ droite. Comme vous ne chassez pas, il sâen suit que vous pratiquez le tir Ă la cible. â Câest tout. Jâai dit. » â Si vous nâĂȘtes pas content avec cela ! » sâĂ©cria Garan sur un ton moqueur. Mais M. Le Tellier nâĂ©tait pas disposĂ© Ă la plaisanterie. Sans dire un mot, il tira de lâombre, sous le bureau, une chanceliĂšre en peau de bique, et la jeta au milieu de la piĂšce. â Voici le griffon Boulet Ă poils durs », fit-il. Puis il ouvrit une armoire, et montrant sa machine Ă Ă©crire â Voici le piano. » Dâun tiroir il sortit sa loupe dâhorloger, lâencastra sous son arcade sourciliĂšre droite, et ajouta dâune voix coupante â Voici le monocle. » Enfin il produisit une photographie qui le reprĂ©sentait dans la posture de son Ă©tat lâĆil droit Ă lâoculaire dâune lunette mĂ©ridienne et lâĆil gauche fermĂ©, ainsi quâil arrive Ă tous les astronomes pendant leurs observations. â Et voici la carabine ou le pistolet », dit-il avec un sifflement irritĂ©. Quant Ă la cavalerie, je ne sais ce que vous voulez dire. Il se peut que jâaie les jambes en manches de veste, mais je ne suis jamais montĂ© Ă cheval. â Ă prĂ©sent, mon jeune ami, permettez-moi de vous dĂ©clarer que, pour faire le jocrisse, vous avez mal choisi votre heure et votre lieu ; et que, sâil Ă©tait de tradition de se servir des serins pour tirer des auspices, vous seriez un oiseau de bien mauvais augure. â Câest tout. Jâai dit. » Garan Ă©clata de rire avec la derniĂšre inconvenance. Mais Ă peine M. Le Tellier eut-il vomi ces imprĂ©cations sous lâempire de sa colĂšre, quâil se repentit de lâavoir fait. Tiburce, maintenant, ne cherchait plus Ă doubler Sherlock Holmes. VerdĂątre et penaud, il balbutiait de vagues excuses tremblotantes. Il semblait dĂ©solĂ© ; beaucoup plus dĂ©solĂ© mĂȘme que sa dĂ©convenue ne le comportait. Si bien que lâastronome, saisi de pitiĂ©, sâempressa dâajouter â AprĂšs tout, on peut se tromper quelquefois⊠Vous serez plus heureux demain, nâest-ce pas ?⊠Excusez un mouvement dâhumeur. â Allons, messieurs, je vais vous faire conduire Ă vos chambres. » Il sonna. Un domestique parut. Mais le duc dâAgnĂšs laissa partir ses deux compagnons. â Je voudrais vous parler », dit-il Ă M. Le Tellier. » Avant tout, monsieur, pardonnez-moi Tiburce. Voici pourquoi je lâai amenĂ©. Tiburce est restĂ© mon ami depuis le collĂšge. Il y a des annĂ©es que je le connais, â des annĂ©es que je suis tĂ©moin de sa bontĂ©, de son grand cĆur, â et des mois que jâassiste Ă sa bĂȘtise, qui est rĂ©cente. Câest le plus fidĂšle, le plus dĂ©vouĂ©, le plus⊠ingĂ©nu⊠des caniches. NĂ©anmoins, ces qualitĂ©s nâauraient pas suffi Ă me dĂ©cider, et je ne lâaurais pas conduit Ă Mirastel, nâĂ©tait ceci » Tiburce Ă©tait prĂ©sent lorsque jâai reçu votre dĂ©pĂȘche. BouleversĂ© par une nouvelle aussi Ă©tonnante, apprenant dâun seul coup la disparition de Mlle Marie-ThĂ©rĂšse et lâagrĂ©ment â sous-entendu â de ma demande puisque vous rĂ©clamiez mon secours, je restai quelque temps abasourdi dâavoir soudain gagnĂ© ma cause et perdu ma fiancĂ©e. » â Pardon, pardon, mais⊠» â Un instant. â Sur ces entrefaites, monsieur, Tiburce me jura quâil retrouverait Mlle Marie-ThĂ©rĂšse. JâĂ©tais encore sous lâinfluence de sa derniĂšre rĂ©ussite, vous savez lâhistoire de la carte-tĂ©lĂ©gramme. Jâoubliais, dans mon dĂ©sarroi, les innombrables gaffes dont le pseudo-Sherlock sâĂ©tait rendu fautif⊠Ah ! lui dis-je, si tu retrouves Marie-ThĂ©rĂšse, demande-moi tout ce que tu voudras ! » â AussitĂŽt, je mâaperçus de ma sottise. » Depuis deux ans, monsieur, Tiburce aime ma sĆur, et Jeanne lâaime aussi. Certes, si cela ne dĂ©pendait que de moi, leur mariage serait dĂ©jĂ un vieil Ă©vĂ©nement ; car je ne connais pas de meilleures crĂ©atures que Tiburce et que Jeanne. Dâun autre cĂŽtĂ©, vous savez que ma bonne petite sĆur nâest pas trĂšs belle⊠Tiburce, qui jouit dâune fortune colossale, ne lâĂ©pouserait donc pas pour sa dot⊠Somme toute, ce serait le bonheur⊠» â Eh bien, alors ? » fit M. Le Tellier. â Eh bien, monsieur, je me souviens de feu mon pĂšre, le duc Olivier, de feu ma mĂšre, nĂ©e dâEstragues de Saint-Averpont, et de tous mes aĂŻeux. Souffriraient-ils, aux cieux, quâune dâAgnĂšs sâappelĂąt dâun nom roturier ? » â Quâen pense Mlle dâAgnĂšs ? » â Ma sĆur sâest rangĂ©e Ă lâavis du chef de famille, â au mien. Dans nos maisons, ces dĂ©cisions-lĂ ne se discutent jamais⊠Seulement⊠hum⊠quand Tiburce mâa dit Me donnes-tu Mlle Jeanne en Ă©change de Mlle Marie-ThĂ©rĂšse ? » â que voulez-vous !⊠il mâa semblĂ© quâau fond de leur tombeau mes ancĂȘtres ne devaient plus songer Ă grandâchose⊠et jâai rĂ©pondu Oui. Retrouve Marie-ThĂ©rĂšse, et Jeanne sera ta femme. » » Une heure aprĂšs, en accomplissant mes dĂ©marches Ă la prĂ©fecture de police, ma folie me stupĂ©fia. Jâaurais bien voulu revenir sur ma promesse et ne pas emmener lâinutile Tiburce ! Mais je nâen avais plus le droit. Si certain que je sois de son incapacitĂ©, il me faut dĂ©sormais lui faciliter une tĂąche dont jâai fait le serment de rĂ©compenser le succĂšs ! » â Je comprends sa mine dĂ©confite ! Pauvre garçon ! Câest dommage quâil ne soit pas plus dĂ©gourdi, ce M. Tiburce ; il aurait retrouvĂ© Marie-ThĂ©rĂšse. Avec un pareil mobile, on arrive Ă tout. Lâamour !⊠» â Ha ! monsieur, lâamour ! Si vous mesurez les chances de rĂ©ussite Ă la grandeur de lâamour, alors nâest-ce pas moi qui retrouverai ma fiancĂ©e ? » â Hum, votre fiancĂ©e⊠Câest-Ă -dire que⊠euh ! Ăcoutez donc⊠Jâai Ă©tĂ© un peu affolĂ©, au moment de la dĂ©pĂȘche⊠Il y a un autre jeune homme qui, concurremment avec vous, mâa demandĂ© la main de ma fille⊠Je vous avoue que, pour ma part, euh⊠Enfin, elle choisira. Elle sera libre de choisir entre vous et M. Robert Collin⊠Mais, en toute justice, il est bien certain que celui qui la retrouvera⊠» â Mais, monsieur, » se rĂ©cria le duc dâAgnĂšs tout interloquĂ©, ne savez-vous pas que Mlle Marie-ThĂ©rĂšse me fait lâhonneur de mâaimer ? » â Câest vous qui me lâapprenez, monsieur. » â Ho ! ho ! mais⊠il mâavait semblĂ© que tout le monde le savait⊠» DĂ©cidĂ©ment, » se dit M. Le Tellier, jâai trop vĂ©cu dans les Ă©toiles. » ixĂ la Cime du Colombier Aux instants critiques, chaque nouveau venu paraĂźt un sauveur. Les femmes et le docteur Monbardeau accueillirent MM. dâAgnĂšs, Tiburce et Garan comme une trinitĂ© de messies. Et il ne faut pas douter que Maxime et Robert eussent partagĂ© leur sentiment, si le premier nâavait Ă©tĂ© confondu de voir en cette affaire son ancien condisciple, Tiburce le simple, et si la prĂ©sence du duc dâAgnĂšs avait pu exciter dans lâesprit de Robert autre chose que de la jalousie. Sur lâavis de M. Garan, on sâabstint, ce soir-lĂ , de toute conjecture Ă lâendroit des disparitions, et lâon se borna Ă prĂ©parer lâexpĂ©dition du lendemain vers le secret du Colombier. Lorsque chacun sâen fut coucher, le grand espoir provoquĂ© par la rescousse de chercheurs professionnels Ă©tait dĂ©jĂ tombĂ©. Tiburce sâĂ©tait dĂ©voilĂ© le plus godiche des maniaques, et Garan, sous ses dehors de capitaine en bourgeois, venait de prouver une mentalitĂ© de sergent de ville. â Cependant, plusieurs personnes auguraient favorablement Ă une absence assez longue et restĂ©e mystĂ©rieuse quâil avait faite avant le dĂźner, â au sujet de quoi, par discrĂ©tion, nul ne voulut lâinterroger. On devait partir au lever du soleil. Quand il se montra, Garan piaffait dĂ©jĂ depuis une heure. Il fallut lui prĂȘter un paletot, une canne et des jambiĂšres ; car il nâavait rien apportĂ©. Tiburce, lui, fut en retard. Il accourut enfin, dans un bruit de souliers Ă clous, dâobjets entre-choquĂ©s ; et lâon put admirer son Ă©quipement ses bottes, son alpenstock, son capuchon, son chapeau tyrolien et la profusion de sacs, sacoches, Ă©tuis, fourreaux, gaines et musettes qui lui pendaient autour du corps ainsi que des fruits saugrenus. M. Le Tellier haussa les Ă©paules. Mme Arquedouve et ses filles avaient sagement rĂ©solu de ne pas quitter Mirastel. Toutes hĂąves aux clartĂ©s de lâaube, â en deux jours vieillies de deux ans, â elles assistĂšrent au dĂ©part des automobiles. Les enquĂȘteurs Ă©taient au nombre de sept. AprĂšs Don, Garan se fit montrer la croisĂ©e de chemins oĂč Marie-ThĂ©rĂšse avait rencontrĂ© Henri et Fabienne Monbardeau. Ă Virieu-le-Petit, lâinspecteur interrogea de nouveau la tenanciĂšre du cabaret, qui maintint ses premiĂšres dĂ©clarations. Puis la caravane se mit en branle, et bientĂŽt elle eut dĂ©passĂ© lâendroit oĂč Henri Monbardeau avait dissimulĂ© le carnier de lâaubergiste, â lâendroit oĂč se perdait la piste des trois disparus. Au bout dâune heure et demie de montĂ©e Ă travers les bois reverdoyant, lâĂ©troite route ayant contournĂ© de sa corniche force ravins somptueux et traversĂ© de son ruban maints pĂąturages plus beaux que de belles pelouses, â on aperçut la triple bosse du Grand-Colombier. Depuis lâavant-veille, les trois calottes de neige sâĂ©taient un peu rĂ©duites. La croix gĂ©ante apparaissait minuscule, trĂšs haut, trĂšs loin encore ; des aigles planaient au-dessus et dĂ©crivaient leurs lentes spirales. Sous la conduite de Robert, on entreprit lâascension pĂ©nible du calvaire. La pente se redressait de plus en plus ; elle glissait davantage Ă mesure que les semelles sây polissaient, et elle prenait pour ses assaillants lâapparence dâune muraille infinie. Tiburce soufflait. Il sâĂ©tait dĂ©lestĂ© de sa cargaison au profit des uns et des autres ; mais ses bottes Ă clous ronds patinaient Ă qui mieux mieux. On dut le hisser. Le vent rude, qui rĂąpait le versant, lui emporta son chapeau tyrolien. Quand il sâarrĂȘtait, il nâosait pas jeter de regards en arriĂšre, Ă cause du vertige ; et ainsi se privait-il de contempler, tout en bas, lâĂ©talement fastueux du Valromey et les toits lilliputiens de Virieu-le-tout-Petit. M. Monbardeau et M. Le Tellier, pris dâune ardente curiositĂ©, serraient les lĂšvres pour sâempĂȘcher de questionner Maxime ou Robert. Ce dernier, qui devançait tout le monde â et que la gravitĂ© des circonstances avait singuliĂšrement dĂ©lurĂ© â atteignit le bord de la housse blanche, et sâarrĂȘta. Les aigles tournoyants sâĂ©levĂšrent. On entendait la neige pĂ©tiller sous le soleil. Ă cinquante mĂštres plus haut, le vent faisait siffler la croix. â Ah ! » sâĂ©cria M. Monbardeau. Il y a des pas sur la neige ! » â Ne faites pas dâautres empreintes ! » recommanda Maxime. Restez en dehors. » Robert assujettit ses lunettes, et parla. â Câest ici que nous retrouvons la trace de ceux que nous cherchons. Ă coup sĂ»r, ils ont suivi le chemin que nous venons de parcourir. Leur promenade avait pour but la croix du Colombier. Ils furent les premiers Ă faire, cette annĂ©e, lâexcursion traditionnelle ; et la neige a modelĂ© leur passage, dont la terre sĂšche, le gazon et les rochers nâavaient rien conservĂ©. » â Ătes-vous certain que ce soient eux ? » fit Garan. â Absolument. Ăcoutez-moi et regardez. Nous sommes en prĂ©sence de trois traces parallĂšles qui entament la carpette de neige Ă trois mĂštres environ lâune de lâautre et qui montent vers le sommet. Elles sont rĂ©centes et de mĂȘme date ; car la fonte les a dĂ©formĂ©es lĂ©gĂšrement et pareillement. De plus, cet intervalle de trois mĂštres est bien celui que prennent entre eux des compagnons dâescalade. TĂ©moin ce que nous venons de faire nous-mĂȘmes. â Donc, trois personnes sont venues ici, ensemble, depuis peu. » Eh bien, je dis que la trace de gauche est celle de M. Henri Monbardeau. Câest la seule, en effet, qui soit faite par des souliers dâhomme, â des souliers de touriste, larges et cloutĂ©s pour la montagne. Les deux autres ont Ă©tĂ© imprimĂ©es par des bottines de femme. Mais la voie du milieu trahit des brodequins solides, Ă talon plat, garnis de pointes ; tandis que la trace de droite accuse nettement les contours de bottines lĂ©gĂšres, Ă talon Louis XV. â On ne saurait trouver de vestiges correspondant avec plus dâexactitude au signalement pĂ©destre des trois disparus ; et cela suffirait Ă nous convaincre que voici les traces de M. Henri, de sa femme et de Mlle Marie-ThĂ©rĂšse. Mais ce nâest pas tout. » Remarquez ces petites cavitĂ©s rondes qui suivent chaque voie et qui sont beaucoup plus importantes pour les deux pistes de gauche que pour celle de droite. Ce sont, dâun cĂŽtĂ©, des trous de cannes ferrĂ©es, et, de lâautre, des piqĂ»res dâombrelle ou de parapluie. En grattant la neige, on sâaperçoit que celles-lĂ se terminent en pointe et celle-ci Ă plat. » En outre, la trace de droite sâaccompagne dâindices particuliers. On dirait que la neige a Ă©tĂ© balayĂ©e⊠» â Parbleu ! Câest la jupe ! la jupe longue de ma fille ! » sâexclama M. Le Tellier. â Vous lâavez dit, maĂźtre. » â TrĂšs bien », approuva Garan. â TrĂšs bien ! » opina Tiburce, bouche bĂ©e. â VoilĂ une excellente dĂ©couverte », reprit lâinspecteur. La direction des traces, Ă la sortie de cette zone rĂ©vĂ©latrice, va nous orienter. Faisons le tour de la bosse, en suivant la lisiĂšre de la neige ; nous les rencontrerons forcĂ©ment. Il est inutile de se geler les pieds Ă suivre les empreintes. » â Parfait », acquiesça Robert. Câest, mot pour mot, le raisonnement que je me suis tenu. » Ils commencĂšrent Ă longer la bordure de la couche Ă©blouissante, Ă la file indienne. PenchĂ©s au flanc de la dĂ©clivitĂ© rapide, ils tournĂšrent le mamelon et passĂšrent de lâautre cĂŽtĂ© de la montagne, face aux Alpes. Le Mont Blanc dominait lâhorizon formidable, et miroitait parmi des nuages. Sur cette face, le gouffre se creusait plus vertigineux. Tout au fond de sa vallĂ©e profonde, le RhĂŽne semblait immobile et dĂ©risoire ; et les hommes, microscopiques, disparaissaient. â Tiens ! encore des pas ! Mais montent-ils ou descendent-ils ?⊠» â Nâen tenez pas compte », rĂ©pondit Robert Ă M. Monbardeau. Ce sont les miens et ceux de Maxime⊠Vous comprendrez tout Ă lâheure. Hier nous avons marchĂ© dans nos propres trace, de peur de multiplier les voies. » Ils continuĂšrent Ă border la neige, tournant ainsi autour de la croix, quâils avaient toujours fort au-dessus dâeux et dont ils ne voyaient que la partie supĂ©rieure. Or, il arriva quâĂ force de tourner, ils se retrouvĂšrent Ă leur point de dĂ©part, vingt minutes aprĂšs lâavoir quittĂ©, ayant parcouru tout le pĂ©rimĂštre de la calotte blanche et sans avoir aperçu la moindre trace descendante. M. Monbardeau et M. Le Tellier sâĂ©criĂšrent en mĂȘme temps â Ils sont restĂ©s lĂ -haut ! » Le reflet de la neige pĂąlissait encore leur pĂąleur. â Dame, naturellement ! » appuya Tiburce. Puisquâils ne sont pas descendus, câest quâils sont toujours la-haut ! » M. Le Tellier chancela. â Robert, mon ami, pourquoi nous avoir caché⊠» â Montons », dit le secrĂ©taire. Je vous demande seulement de faire un dĂ©tour, afin que les trois pistes que voici restent bien isolĂ©es et bien nettes. » La crĂȘte du Grand-Colombier nâest rien moins que spacieuse. Sa bande aplatie nâa pas deux mĂštres de large sur trente de long. M. Monbardeau, qui grimpait avec une sorte de furie, arriva le premier, et demeura muet de saisissement contre le poteau de la croix. LĂ oĂč son imagination avait dĂ©jĂ couchĂ© les cadavres de son fils, de sa bru et de sa niĂšce, il nây avait personne. Il nây avait rien. Rien ? Ah ! si ! â La canne dâHenri ! Sa canne, brisĂ©e ! Elle est brisĂ©e ! » â Nây touchez pas ! » cria de loin Maxime. Câest essentiel ; nây touchez pas ! » â Mais, les traces ? les traces ?⊠» demandait M. Le Tellier. Il faut bien cependant que les traces⊠Ho ! Ăa, câest trop fort ! » En effet, câĂ©tait trop fort. Les trois pistes montaient jusquâĂ la crĂȘte, mais lĂ elles cessaient tout Ă coup. Les disparus Ă©taient bien arrivĂ©s au sommet du Colombier, mais ils nâen Ă©taient pas redescendus, et pourtant ils ne sây trouvaient plus. Maxime, voyant son pĂšre et son oncle incapables dâobserver et de raisonner, se chargea de leur exposer la situation, de lâĂ©tudier pour eux et de faire les remarques quâelle comportait. â Voyons », dit-il. Un peu dâattention et de tranquillitĂ©. Examinons les choses, et reprenons les traces Ă partir du bord de la neige. » Elles poursuivent leur ascension, dâabord parallĂšles ; puis les deux voies extrĂȘmes sâĂ©cartent lĂ©gĂšrement de celle du milieu ; si bien que, arrivĂ©s sur la ligne de faĂźte, Fabienne se trouve Ă un mĂštre Ă gauche de la croix, Henri Ă cinq mĂštres de Fabienne sur sa gauche et Marie ThĂ©rĂšse Ă six mĂštres dâelle sur sa droite. LĂ , nos promeneurs se sont arrĂȘtĂ©s pour regarder le panorama ; chaque piste, en effet, nous prĂ©sente le mĂȘme piĂ©tinement lĂ©ger, la mĂȘme superposition dâempreintes, et lâon voit trĂšs bien que les cannes et le parapluie ou lâombrelle se sont appuyĂ©s fortement sur le sol. Tout fait foi dâune courte station. â Mais la ressemblance entre les trois pistes ne va pas plus loin. » En effet, la piste dâHenri sâachĂšve net Ă ce piĂ©tinement placide et normal du touriste qui se repose. Câest comme une impasse. » Pour la piste de Fabienne, câest diffĂ©rent. Nous dĂ©couvrons, parties de son piĂ©tinement, quatre traces de pas qui se dirigent du cĂŽtĂ© dâHenri. Et câest tout. DeuxiĂšme impasse. â Remarquons, toutefois, au sujet de ces quatre pas, que la distance de lâun Ă lâautre est dĂ©latrice de grandes enjambĂ©es. Ma cousine Fabienne devait courir lorsquâelle a fait ces quatre pasâŠ, courir vers son mari⊠Dâailleurs, au milieu de son piĂ©tinement stationnaire, nous relevons une marque de semelle vigoureusement enfoncĂ©e, qui tĂ©moigne dâun brusque dĂ©part, dâune prise dâĂ©lan Ă©nergique. » La piste de Marie-ThĂ©rĂšse â celle de droite â est plus compliquĂ©e. Venant du piĂ©tinement, une suite de pas prĂ©cipitĂ©s se dirige vers la croix ; mais soudain, Ă un mĂštre de celle-ci, un crochet les rabat sur la droite, et ces pas se mettent Ă descendre le versant du RhĂŽne, Ă toute vitesse. Nous comptons six empreintes depuis le crochet ; mais ce ne sont plus des enjambĂ©es, ce sont de vĂ©ritables sauts ; câest une course folle sur une pente scabreuse, et qui finit soudainement Ă la sixiĂšme empreinte. â DerniĂšre impasse. » Il y eut donc un instant oĂč Fabienne et Marie-ThĂ©rĂšse se sont hĂątĂ©es dans la mĂȘme direction, qui Ă©tait, pour Fabienne, celle dâHenri, et pour Marie-ThĂ©rĂšse, celle de Fabienne et dâHenri. Une cause inconnue empĂȘcha la premiĂšre dâarriver jusquâĂ son mari et fit rebrousser chemin Ă la seconde. Ce fut sans doute cette mĂȘme cause qui les escamota tous les trois. » â Certainement cela ne sâest pas effectuĂ© sans bataille », dit M. Monbardeau. Cette canne brisĂ©e⊠Câest bien la canne dâHenri⊠Je la reconnais. » â Que ce soit celle de M. Henri ou une autre, » rĂ©pondit Robert, le point capital est que ce soit la canne dont M. Henri se servait samedi. Son bout ferrĂ© ne peut sâadapter quâaux empreintes de gauche. » â Ce que je ne comprends pas, » marmonna Tiburce, câest quâelle se trouve si loin des traces de M. Henri Monbardeau⊠» â Ah ! parfaitement », reprit Robert. Messieurs, je vous prie de noter la position occupĂ©e par cette canne, Ă savoir prĂšs de la croix, entre la piste montante de Mme Henri Monbardeau et le crochet de Mlle Le Tellier, câest-Ă -dire Ă sept mĂštres cinquante environ du piĂ©tinement oĂč se manifeste pour la derniĂšre fois la prĂ©sence â la prĂ©sence calme, jâinsiste â de M. Henri. » â Il lâaura jetĂ©e de lĂ ? » proposa M. Monbardeau. â Non. Jây ai pensĂ©. Cela nâest pas possible. Car alors il lâaurait lancĂ©e contre les deux femmes, au risque de les blesser ; et votre fils nâest pas homme Ă perdre la tĂȘte Ă ce point. » â Mais, qui vous dit », contesta Garan, que les deux femmes Ă©taient lĂ quand la canne a Ă©tĂ© jetĂ©e ? Peut ĂȘtre quâelles avaient dĂ©jĂ quittĂ© leur place⊠» â Distinguons. Jâaffirme quâelles Ă©taient Ă leur place de stationnement tandis que M. Henri Ă©tait Ă la sienne, muni de cette canne dont voici le moule tubulaire Ă cĂŽtĂ© de ses traces de pause ; car câest en se portant vers lui quâelles ont laissĂ© les voies ici prĂ©sentes, dont lâune sâarrĂȘte pile et dont lâautre se dĂ©tourne avant de disparaĂźtre non moins totalement. Mais jâaffirme aussi que M. Henri nâa pas jetĂ© sa canne de lâendroit oĂč il stationnait, premiĂšrement parce quâil aurait pu blesser ses compagnes, secondement parce que la neige, autour de la canne tombĂ©e, ne prĂ©sente aucune Ă©raflure, ce qui prouve que la canne est arrivĂ©e par terre non pas en oblique, mais verticalement. On lâa donc jetĂ©e dâen haut. » Tiburce, mordant ses lĂšvres ardentes, lâinterrompit â M. Henri Monbardeau a pu la jeter en lâair, et elle serait retombĂ©e⊠» â Mais non, monsieur. Dâabord, je le rĂ©pĂšte, il nâaurait pas risquĂ© de geste pĂ©rilleux pour ses voisines. Et puis, regardez la brisure. Il a fallu un rude coup pour la produire, et certainement celui qui a cassĂ© cette canne de la sorte la tenait Ă pleine main. Un pareil effort, de la part dâun homme, nĂ©cessite Ă©galement un point dâappui, ou tout au moins un bon calage sur les pieds. Or vous nâen trouvez pas de vestige parmi les traces de M. Henri⊠Cette canne a Ă©tĂ© brisĂ©e entre le point de stationnement de son propriĂ©taire et le point oĂč vous la voyez enfoncĂ©e dans la neige, qui lâa moulĂ©e comme un Ă©crin. â Et si nous lâexaminons de plus prĂšs, cette canne, nous constaterons que la brisure, qui en fait un angle presque droit, ne peut ĂȘtre que la consĂ©quence dâun choc violent sur un coin trĂšs dur⊠Je vous ferai observer que la croix est une charpente de sapin revĂȘtue dâun blindage de tĂŽle peint en blanc, cylindrique dans le haut, rectangulaire dans le bas. On pourrait donc supposer que la canne a Ă©tĂ© rompue sur lâun des quatre angles de sa partie infĂ©rieure. Il nâen est rien. Nul renfoncement nâa martelĂ© la tĂŽle, et la canne ne conserve pas la plus petite parcelle de peinture blanche. â Voyez vous-mĂȘme. â Câest dĂ©cisif. » Sur quoi donc sâest-elle brisĂ©e ? â Sur quelque chose qui Ă©tait lĂ et qui nây est plus. Et sur quelque chose qui se tenait suspendu dans les airs. » â Vous ĂȘtes fort », dit lâinspecteur avec un ricanement. Le duc dâAgnĂšs intervint â Je me demande pourquoi tous ces embrouillages de raisonnements. Nâest-il pas clair que les disparus ont Ă©tĂ© enlevĂ©s au moyen dâun ballon ?⊠un dirigeable⊠» â Ou un aĂ©roplane ! » ajouta Tiburce. â Ah ! cela, non ! » riposta le duc. Il nâexiste pas dâaĂ©roplane assez parfait pour cueillir successivement trois personnes Ă ras de terre, ni assez puissant pour les emporter, elles avec lâĂ©quipage que nĂ©cessiterait un coup de main aussi complexe. Tandis quâun dirigeable⊠» â EnlevĂ©s ? EnlevĂ©s ? » monologuait M. Le Tellier. Mais dans quel but ? Si on les avait enlevĂ©s, nous aurions dĂ©jĂ reçu des nouvelles, des menaces, des offres de⊠Que sais-je ? » â Ce nâest pas possible ! » surenchĂ©rit M. Monbardeau en levant les yeux au ciel. â Ce ne peut ĂȘtre quâun dirigeable », dĂ©clara Tiburce. Mais M. Monbardeau montra les aigles qui planaient. â Tenez, » fit-il dâun ton bizarre, autant prĂ©tendre que ce sont des aigles-colosses qui nous ont pris nos enfants. » Tiburce sâĂ©gaya. â Ne riez pas », dit Robert. Si baroque que soit lâidĂ©e, elle mâest venue Ă lâesprit. Certes, lâhypothĂšse est fausse a priori. Mais elle expliquerait tout. Car, un dirigeable, monsieur dâAgnĂšs, cela se voit venir, câest une masse qui attire les yeux. Et si les ravisseurs sâĂ©taient approchĂ©s dans un aĂ©ronat, nos amis sâen seraient garĂ©s, et leurs pas sur la neige indiqueraient des mouvements de retraite, â alors que rien de tout cela nâexiste. » â Câest vrai », fit le duc. â Au contraire, des aigles, mais on en voit toujours au sommet du Colombier ! On nây fait pas attention, aux aigles !⊠Or je vous dĂ©fie dâĂ©valuer la taille dâun oiseau qui passe aux environs du zĂ©nith, â parce que vous ne pouvez pas mesurer la hauteur de son passage. Il faut connaĂźtre lâun des deux facteurs pour en dĂ©duire lâautre ; et si⊠» â Fort exact, monsieur. » â ⊠et si des aigles fabuleux, loin de tout objet de comparaison, avaient planĂ© Ă mille mĂštres au-dessus des trois excursionnistes, ceux-ci les auraient pris tout bonnement pour des aigles communs, situĂ©s Ă quelque portĂ©e de fusil. â Cela passĂ©, admettons quâun de ces rapaces chimĂ©riques se soit laissĂ© tomber sur M. Henri Monbardeau. Il le surprend, il lâenlĂšve. Mme Fabienne Monbardeau se prĂ©cipite au secours de son mari. Mais un deuxiĂšme oiseau sâabat et lâemporte. Mlle Marie-ThĂ©rĂšse, elle, sâĂ©lance pour assister sa cousine ; mais, apercevant le troisiĂšme aigle qui fond sur elle, la voilĂ qui se prend Ă fuir Ă©perdument jusquâĂ ce que⊠» â Taisez-vous ! » chuchota M. Le Tellier en dĂ©signant M. Monbardeau qui ouvrait des yeux effrayants. â Ce nâest quâune façon de me faire comprendre, mon maĂźtre. Remettez-vous, docteur, et pardonnez-moi. Câest une hypothĂšse absurde et fantastique. Je ne lâai formulĂ©e que pour matĂ©rialiser nos rĂ©flexions⊠Si cette conjecture Ă©tait vraisemblable, lâhistoire de la canne viendrait la dĂ©mentir. Il faudrait imaginer des becs dâairain, suffisamment inĂ©branlables pour quâon y puisse rompre des bĂątons. Et il nây a pas plus de becs dâairain que de vautours capables dâenlever soixante-dix kilogrammes de chair humaine. » M. Monbardeau sâĂ©pongea le front et dit dâune voix rauque â Des oiseaux⊠non. Mais⊠des hommes⊠volants ?⊠Voyez, ici, en bas Seyssel, Anglefort⊠Et pensez Ă la statue enlevĂ©e, là ⊠» â Ha ! mon oncle ! » se rĂ©cria Maxime. De grĂące, ne mĂȘlez pas cette fumisterie au malheur qui nous frappe ! » Mais Robert lui imposa silence â VoilĂ encore une supposition dâaspect lunatique, et pourtant je lâai envisagĂ©e, elle aussi ; car jâestime que, pour mener lâesprit Ă la vĂ©ritĂ©, rien ne vaut lâĂ©tude des hypothĂšses fausses. En science quelquefois, comme en grammaire toujours, deux nĂ©gations valent une affirmation. Quand je sais quâune chose nâest pas ici, je me doute quâelle peut ĂȘtre lĂ . Et puis, Ă force de perdre, on finit par gagner. Consolez-vous, docteur. Les voleurs dâhommes â si voleurs il y a â ne sont pas des Sarvants de lâair â si Sarvants il y a. LâenlĂšvement dâune seule personne Ă travers le ciel exigerait lâalliance de trois individus volant avec la force proportionnĂ©e Ă leur taille des condors les plus vigoureux. Il aurait donc fallu neuf complices pour exĂ©cuter le rapt de samedi. Or, si des aigles, mĂȘme dĂ©mesurĂ©s, peuvent ne pas ĂȘtre remarquĂ©s Ă cause des raisons que je vous ai donnĂ©es, â une volĂ©e de neuf ornianthropes ne saurait passer inaperçue ! Nos amis se seraient retirĂ©s Ă leur approche ; et, encore une fois, ces traces ne dĂ©cĂšlent ni Ă©cart, ni reculade, ni fuite, avant lâattaque de M. Henri, qui fut assailli le premier. » Non, non le dirigeable, les aigles, les hommes volants, rien de tout cela ne tient debout. » M. Monbardeau serrait les poings â Alors ?⊠Alors, quoi ?⊠Ils ne se sont pas volatilisĂ©s !⊠pas dissous dans lâair comme des morceaux de sucre dans lâeau, je suppose !⊠La foudre ne les a pas transportĂ©s au diable !⊠Ils ne se sont pas Ă©chappĂ©s par le sommet du Colombier comme lâĂ©lectricitĂ© par les pointes !⊠Ils ne sont pas montĂ©s au ciel comme des prophĂštes, eh ?⊠Alors quoi ? quoi ? quoi ?⊠Câest idiot, Ă la fin ! » Robert eut un geste Ă©vasif. Garan sourit, et, retroussant moustaches et sourcils, dĂ©cida â Nous nâavons plus rien Ă faire ici. » â Pardon ! la neige va continuer de fondre », rĂ©pliqua M. Le Tellier ; je vais prendre un croquis de toutes ces empreintes. » Câest alors quâil dessina lâesquisse que nous reproduisons pour plus de clartĂ©. Ă cette vue, Tiburce annonça quâil ferait mieux encore et quâil allait photographier la neige, du haut de la croix. Mais lâintrĂ©pide sherlockiste avait trop prĂ©sumĂ© de son agilitĂ©. Il ne put sâĂ©lever quâĂ mi-chemin des solives transversales ; et ce fut Maxime qui, se souvenant des mĂąts et des vergues du Borda, rĂ©ussit lâentreprise. Pendant quâil Ă©tait Ă cheval sur les bras de lâimmense gibet â destinĂ©, semblait-il, Ă crucifier quelque Titan, â lâinspecteur lui demanda de contrĂŽler si le zinc ne portait aucune marque et le badigeon nulle Ă©raillure pouvant ĂȘtre attribuĂ©es au frottement de cordages. â Rien », rĂ©pondit Maxime. Et il prit quelques clichĂ©s des empreintes. Par malheur, quand Tiburce, rentrĂ© Ă Mirastel, voulut dĂ©velopper les prĂ©cieuses photographies, il sâaperçut quâil avait oubliĂ© de charger son appareil. xDĂ©libĂ©ration Ce chapitre x nâest autre que la piĂšce 197 du dossier. â Elle se prĂ©sente sous lâaspect dâune petite ramette de huit pages. M. Le Tellier lâĂ©crivit tout entiĂšre de sa propre main. Le premier feuillet contient une notice explicative, trĂšs postĂ©rieure au document lui-mĂȘme, et qui date du jour paisible oĂč lâastronome colligea tous les matĂ©riaux de la prĂ©sente Ă©tude. 14 fĂ©vrier 1913. Ce fut dans la nuit du 7 au 8 mai 1912 que je traçai les lignes suivantes. Fortement Ă©branlĂ© par lâĂ©trange spectacle des pas sur la neige, brisĂ© de fatigue et de chagrin, je ne pouvais goĂ»ter le repos qui mâĂ©tait si nĂ©cessaire. Lâinsomnie, sans misĂ©ricorde, me retournait sur ma couche, et les tĂ©nĂšbres augmentaient mon exaltation. Pour tromper cette fiĂšvre, je dĂ©cidai dâallumer une lampe et de travailler. Mais la seule occupation qui sĂ»t ne pas mâimportuner Ă©tait de rĂ©flĂ©chir au sort mystĂ©rieux de mon enfant ; et je ne pus trouver quelque apaisement Ă mes soucis quâen dressant de mĂ©moire un compte rendu de la sĂ©ance que nous venions de tenir dans le salon de Mirastel, Ă la descente du Colombier. Je voyais dans cette tĂąche un dĂ©rivatif Ă mes souffrances, et jâespĂ©rais par surcroĂźt quâelle me fournirait un texte sur lequel on pourrait mĂ©diter plus Ă lâaise que sur un ensemble de pensĂ©es fuyantes. Mes souvenirs ont toujours Ă©tĂ© fidĂšles ; ce compte rendu reflĂšte donc avec beaucoup dâexactitude notre conseil de famille, Ă peine rĂ©duit et simplifiĂ© dans la mesure convenable. Jâaperçois encore, autour de la grande table, nos visages de tristesse et de lassitude. La canne brisĂ©e de mon neveu Ă©tait lĂ , au milieu du cercle, comme une piĂšce Ă conviction dans un prĂ©toire. Ma belle-sĆur nâen pouvait dĂ©tacher son regard⊠On dĂ©couvrait aussi sur la table, devant Mme Arquedouve, le schĂ©ma que jâavais relevĂ© des empreintes et dont Maxime avait pointillĂ© chaque trait au moyen dâune aiguille, afin de rendre sensible aux doigts de sa grandâmĂšre aveugle lâeffigie de la chose Ă©tonnante et terrible. DĂLIBĂRATION DU 7 MAI, Ă 6 HEURES DU SOIR[3] Moi. â Ă prĂ©sent que nous connaissons tout ce quâon peut connaĂźtre en fait de vestiges matĂ©riels et de tĂ©moignages concrets, il faut raisonner et tĂącher de dĂ©couvrir quelque chose qui oriente nos recherches⊠Un point de direction⊠Car il faut agir, enfin ! Je propose que chacun donne son avis Ă la ronde. Garan, avec un regard Ă la dĂ©robĂ©e sur Maxime et Robert. â Je ne vous cacherai pas que ma conviction est presque faite. Cependant, je ne suis pas infaillible ; et, dans tous les cas, un peu de discussion ne fera pas de mal. Mais, avant de se demander oĂč, qui et comment, il faudrait savoir pourquoi. Tiburce, se rongeant les ongles. â Parfaitement. Pourquoi X. a-t-il enlevĂ© Mlle Le Tellier, M. et Mme Henri Monbardeau ? Moi. â Encore enlevĂ© » ! Toujours enlevĂ© » ! Rien ne prouve quâils aient Ă©tĂ© enlevĂ©s » ! Ne mettons pas la charrue avant les bĆufs ! Garan. â Dâaccord. La premiĂšre question est en effet celle-ci Lâun des trois disparus avait-il une raison de disparaĂźtre volontairement ? Calixte. â Mais nous nous Ă©garons, voyons ! Ce qui sâest passĂ© au Colombier nâest quâune rĂ©pĂ©tition, une suite, de ce qui sâest passĂ© Ă Seyssel, Ă Corbonod, Ă Anglefort, Ă Culoz ! Une suite rationnelle ! On a commencĂ© par enlever des minĂ©raux, puis des simulacres humains, et, aprĂšs les simili-personnes, on ou X, comme dit M. Tiburce, on ou X a volĂ© de vrais hommes !⊠Je ne dis pas, bien sĂ»r, que X soit le Sarvant⊠Maxime. â Heureusement, que vous ne le dites pas ! â Allons donc ! La progression organique que vous signalez dans les corps de dĂ©lit ne saurait ĂȘtre que fortuite, sapristi !⊠à moins⊠à moins que les vols de Seyssel aient Ă©tĂ© commis pour prĂ©parer le rapt de samedi et pour donner le change Ă la police, en faisant croire Ă quelque sĂ©rie fantastique⊠Garan, goguenard. â Pas mal, pas mal. Nous reviendrons lĂ -dessus. Mais commençons par le commencement. â Quelquâun connaĂźt-il assez la vie des trois disparus pour affirmer quâils nâavaient aucun motif de sâĂ©clipser, soit ensemble, soit individuellement ? Calixte. â Pour mon fils et ma belle-fille, jâen suis sĂ»r. Ils nâavaient aucune raison⊠Augustine. â Aucune. Henri est le plus franc⊠Maxime. â Et moi je rĂ©ponds de Marie-ThĂ©rĂšse. Garan. â Docteur, vous connaissez Ă fond votre fils ? Calixte. â Oui certes⊠Garan, insinuant. â Il nâavait pas de secret pour vous ? Calixte, interdit. â Non⊠Je ne crois pas⊠Garan. â Saviez-vous quâil reçoit des lettres poste restante Ă Artemare ? Stupeur gĂ©nĂ©rale. Jâai procĂ©dĂ©, hier soir, Ă une petite enquĂȘte de ce cĂŽtĂ©-là ⊠Le matin mĂȘme de lâĂ©vĂ©nement, M. Henri Monbardeau sâest prĂ©sentĂ© au guichet de la poste et a demandĂ© sâil nây avait pas de lettre aux initiales H. M. Calixte. â Je ne savais rien⊠Je⊠vraiment⊠Maxime. â ArrĂȘtez ! vous ĂȘtes engagĂ©s sur un dĂ©faut. Mon oncle, cette lettre, moi je sais ce que câest. Henri me pardonnera de lâavoir trahi ; mais des intĂ©rĂȘts capitaux dominent la situation, â je dois parler. Ces lettres aux initiales H. M. sont des lettres de Suzanne. Elle et son frĂšre correspondent en cachette. Calixte. â Comment ! ils sâĂ©crivent ! Maxime. â Oui, mon oncle. Oh ! la pauvre fille⊠Calixte, tremblant dâindignation. â Une pauvre fille qui apprend la disparition de son frĂšre on ne parle que de cela dans tout le pays et qui nâa pas mĂȘme lâidĂ©e de nous⊠de nous⊠exprimer sa douleur et son⊠et sa⊠Augustine. â Mon ami, tu lâas chassĂ©e et tu lui as dĂ©fendu de nous Ă©crire ! Calixte, pleurant. â Dans une pareille circonstance⊠je crois que⊠je lui⊠je lui aurais pardonné⊠Elle aurait dĂ» le sentir ! Garan. â Docteur, je suis curieux dâapprendre qui est cette Suzanne ? Tiburce. â Oui. Qui est cette Suzanne, docteur ? Augustine. â Ma fille aĂźnĂ©e, monsieur ; elle nâhabite pas avec nous⊠Calixte, trĂšs nerveux. â Elle habite avec un drĂŽle qui nous lâa prise ! Je lâai reniĂ©e ! je lâai maudite ! Il paraĂźt que mon fils a conservĂ© des relations avec elle, comme vous voyez⊠Jâignorais. Moi. â Laissons cela. â Nous sommes sĂ»rs, nâest-ce pas, que ni Marie-ThĂ©rĂšse, ni Henri, ni Fabienne nâavaient la moindre raison de nous fausser compagnie ? Plusieurs voix. â Absolument. Garan. â Bon. Alors, puisquâils sont partis sans lâavoir voulu ce qui, du reste, semble ressortir des faits, câest quâon les a enlevĂ©s ! Donc, deuxiĂšme question Qui avait intĂ©rĂȘt Ă les enlever ? Tiburce, fumant Ă toute vapeur. â Ăvidemment. Garan. â Passons donc en revue la liste de ceux qui pouvaient bĂ©nĂ©ficier de cette triple disparition, â de toutes les personnes, par exemple, qui⊠Robert. â Des personnes ? Hum ! Garan. â Monsieur Collin, je dois vous avouer que cette interruption⊠baroque, de votre part, mâest singuliĂšre, pour ne pas dire suspecte⊠Si ce nâest pas des personnes, quâest-ce donc ?⊠Voudriez-vous insinuer â vous un savant, vous qui tantĂŽt souteniez le contraire â que les aigles ou les Sarvants seraient pour quelque chose dans cet imbroglio ?⊠Venant de vous, cette explication grotesque serait suspecte au premier chef ; et je vous avertis que votre conduite mâa dĂ©jĂ semblĂ© louche. Moi. â Oh ! monsieur, que dites-vous lĂ ? Robert. â Mais ce nâest pas du tout ce que je voulais dire ! Seulement, il mâest difficile de me prononcer avant dâavoir creusĂ© certains problĂšmes⊠Lucie. â Pour finir, je ne connais personne qui en ait jamais voulu Ă ma fille. Sâattendrissant Marie-ThĂ©rĂšse nâa fait que du bien autour dâelle. La bontĂ© mĂȘme⊠la douceur⊠Moi. â Ma chĂ©rie, nous ne supposons pas forcĂ©ment la rancune chez les ravisseurs. Un enlĂšvement peut avoir dâautres mobiles⊠Garan. â Mlle Marie-ThĂ©rĂšse, madame, peut avoir Ă©tĂ© enlevĂ©e par lâun des prĂ©tendants que vous avez Ă©vincĂ©s ces jours-ci⊠Moi. â Comment ? vous savez⊠Garan. â Si jâai Ă©tĂ© dĂ©signĂ© par mes chefs pour suivre cette affaire, câest que, de par mon service habituel, je suis prĂ©posĂ© Ă la sĂ©curitĂ© de la colonie Ă©trangĂšre de Paris. Comme tel, chargĂ©, le 12 avril, dâassurer un service dâordre discret Ă lâinauguration du tĂ©lescope Hatkins, jâai assistĂ© Ă la fĂȘte que vous donniez, monsieur Le Tellier. Alors, ayant eu lâoccasion de mâoccuper de vous une premiĂšre fois, on a cru bon de me choisir quand M. dâAgnĂšs est venu Ă la PrĂ©fecture demander quelquâun. â Des gens bien renseignĂ©s mâont certifiĂ© quâĂ la suite de cette cĂ©rĂ©monie plusieurs demandes en mariage avaient Ă©tĂ© formulĂ©es, et jâai de bonnes raisons de croire que votre brusque dĂ©part Ă©tait une dĂ©robade. â Voulez-vous me donner lâĂ©tat des demandes que vous avez reçues ? Moi. â Certainement. Il y avait⊠Mais, Ă vrai dire, nous nâavons reçu que trois demandes catĂ©goriques. Les autres ne furent que des avances, des marches dâapproche, destinĂ©es Ă nous pressentir. Garan. â Vous nâavez opposĂ© que trois refus formels ? Lucie. â Oui. Garan. â Nâexaminons que cela. Un candidat dĂ©finitivement Ă©cartĂ© peut seul se rĂ©soudre Ă lâextrĂ©mitĂ© dâun enlĂšvement. â Ces demandes provenaient toutes trois dâĂ©trangers ? Moi. â Oui. Mais lâune dâelles serait la bouffonnerie de ce drame, si ce drame nâĂ©tait pas le nĂŽtre⊠Câest la demande dâAbd-Ul-Kaddour-Pacha. Garan, avec un sourire retenu. â Non ? Pas possible ? Abd-Ul-Kaddour ? Lâhomme aux odalisques ?⊠Ah ! lâanimal ? Ce quâil mâa donnĂ© de peine pendant son sĂ©jour ! Quelle surveillance !⊠Câest un dĂ©traquĂ©, malade de corps et dâesprit, usĂ© par tous les abus. Ah ! il nâa pas ratĂ© une seule extravagance ! Demander votre fille, ça, câest merveilleux ! â En tout cas, mettons-le hors de cause. Tel que je le connais, sa lubie nâaura pas durĂ©. Et dâailleurs, il a quittĂ© Paris sous ma garde le matin mĂȘme des disparitions, le 4 mai, par train spĂ©cial ; et le soir, Ă 6 heures, nous lâavons embarquĂ© Ă Marseille, lui, ses douze femmes et sa suite, Ă destination de la Turquie. Câest moi qui ai veillĂ© sur lui jusquâĂ la fin ; et ceci causa justement le retard de M. dâAgnĂšs, qui dut attendre mon retour par lâexpress de Marseille, avant de pouvoir se mettre en route pour le Bugey. â Quelles sont les deux autres demandes ? Moi. â Lâune Ă©mane de M. Evans, un attorney de Chicago. Il mâa Ă©crit le lendemain de lâinauguration, et jâai lâassurance quâil est reparti pour lâAmĂ©rique aussitĂŽt aprĂšs avoir connu notre rĂ©ponse nĂ©gative. Garan, aprĂšs sâĂȘtre recueilli. â Ă exclure Ă©galement. George Evans est le frĂšre du secrĂ©taire dâambassade rĂ©cemment nommĂ© Ă Paris. Sa famille nâa aucune relation en France. Peu de fortune. Donc ne possĂ©dant pas les moyens de prĂ©parer et dâexĂ©cuter un enlĂšvement de cet acabit. Au surplus, comme vous le dites, Evans est parti le⊠voyons⊠le 20 avril, autrement dit treize jours avant le rapt. Rien Ă faire par lĂ . â Le troisiĂšme postulant ? Moi. â Don Pablo de las Almeras, lâattachĂ© militaire⊠Garan. â Ah ! celui-lĂ serait capable de bien des Ă©quipĂ©es ! Cerveau brĂ»lĂ©, fĂȘtard, millionnaire et Espagnol, ce serait lui que je soupçonnerais⊠sâil nâĂ©tait fiancĂ© depuis quelques jours Ă Mlle da Posta-XĂ©rez, â et fiancĂ© pour de bon ! Lucie, amĂšrement. â Il a vite oubliĂ© Marie-ThĂ©rĂšse⊠Garan. â Maintenant quelquâun aurait-il enlevĂ© Mlle Le Tellier sans lâavoir demandĂ©e en mariage ? avec son propre assentiment ? Maxime. â Non, monsieur⊠Ma sĆur nâavait pas de secret pour moi. Jâaffirme que non. Garan. â Monsieur Maxime, jâaimerais entendre cela dâune autre bouche que la vĂŽtre. Maxime, violemment. â Que voulez-vous dire ? On le calme. Garan. â Il suffit. Je mâentends. Maxime. â Je ne laisserai pas⊠Mme Arquedouve. â Paix ! paix ! on discute, mon petit⊠Lucie, Ă Garan. â Monsieur, ma fille est aussi trĂšs confiante avec moi. Le seul homme qui aurait pu lâenlever dans ces conditions â je veux dire de son plein grĂ© â avait au contraire toutes sortes de raisons pour nous laisser Marie-ThĂ©rĂšse. Du reste, il est ici. Câest le duc dâAgnĂšs. Jâajoute que ma fille nâaurait jamais consenti Ă fuir de cette façon. Augustine. â Mais, monsieur, voyons ! un enlĂšvement de cette nature nâaurait pas comportĂ© celui de mon fils et de sa femme ! Garan. â Pardon. On les aurait confisquĂ©s accessoirement, pour supprimer deux tĂ©moins. â Mais je vois quâil faut renoncer Ă Ă©claircir les choses en prenant Mlle Le Tellier comme victime principale. Ătudions Ă prĂ©sent le cĂŽtĂ© Monbardeau. En ce qui touche Mme Henri Monbardeau, mon enquĂȘte dâArtemare est concluante. Une seule personne avait profit Ă se lâapproprier câest son ancien soupirant, le nommĂ© Raflin⊠Calixte. â Vous savez donc tout ? Garan. â On est bavard Ă la campagne â ⊠le nommĂ© Raflin, dis-je, quâil faut rĂ©cuser, ce garçon Ă©tant incapable de machiner une telle opĂ©ration et, de plus, gardant la chambre, Ă Artemare, depuis deux mois, avec une fracture de la jambe gauche. Voici donc un nouveau point acquis Mme Henri Monbardeau nâĂ©tait pas lâobjectif capital du coup de filet. Reste alors son mari. ConnaĂźt-on quelquâun dont⊠Calixte, soudain levĂ© et comme illuminĂ©. â Oui Hatkins ! Tiburce. â Ah ! Enfin ! Une piste ! Garan. â Hatkins ! Le milliardaire ? Le philanthrope ?⊠Vous lâaccusez ?⊠Calixte. â Oui, Hatkins, le donateur du tĂ©lescope ! oui, le bienfaiteur des hĂŽpitaux ! â je lâaccuse ! Garan. â Câest inadmissible ! Moi. â Nâest-ce pas ? M. dâAgnĂšs. â Câest insoutenable. Je lâai beaucoup frĂ©quentĂ© Ă lâoccasion de meetings dâaviation⊠Calixte. â Ah ! vous voyez il sâintĂ©resse aux aĂ©roplanes ! M. dâAgnĂšs. â Laissez donc les aĂ©roplanes tranquilles. Câest une branche qui mâest familiĂšre, et je soutiendrai toujours que les aĂ©roplanes nâont jouĂ© aucun rĂŽle dans cette aventure. Il nâen existe pas dâassez obĂ©issants, ni dâassez amples. Au demeurant, un seul, immense, ou plusieurs en flottille, voilĂ qui aurait attirĂ© lâattention des trois touristes ! Et vous savez bien que leurs traces⊠Garan. â Pourquoi soupçonnez-vous Hatkins dâavoir enlevĂ© votre fils, docteur ? Calixte. â Parce que mon fils a refusĂ© de lui vendre sa dĂ©couverte du sĂ©rum anti-sclĂ©reux. Moi. â HĂ©, lĂ ! Calixte. â Oui⊠On ne devait pas le publier avant quelque temps. Mais ça y est au moyen de lâultra-microscope, Henri a trouvĂ© le bacillus sclerosans. Il lâa isolĂ©, cultivĂ©, attĂ©nuĂ©, et maintenant la guĂ©rison de lâartĂ©rio-sclĂ©rose est un fait accompli. Le nom de mon fils est liĂ© Ă lâune des plus belles victoires de la science, puisquâon nâa, dit-on, que lâĂąge de ses artĂšres⊠Et câest ce triomphe-lĂ que M. Hatkins voulait lui acheter. Il est docteur, lui aussi, Hatkins ! M. dâAgnĂšs. â Ce nâest pas trĂšs joli, en effet. Garan. â Mon Dieu, câest amĂ©ricain. Je suis sĂ»r que Hatkins nây pensait plus le lendemain ; comme je suis sĂ»r que le prix offert Ă©tait un trĂ©sor. Calixte. â Cinq millions. Il nâen a plus reparlĂ©. Garan. â Vous voyez. Tiburce. â AprĂšs tout, rien ne prouve que la lettre H. M. poste restante ne venait pas de Hatkins⊠Maxime. â Quelle absurditĂ© ! Moi. â Sommes-nous Ă©tourdis ! M. Hatkins a commencĂ© son tour du monde bien avant les disparitions⊠Il est Ă New-York. Tiburce. â Et sâil avait fait exĂ©cuter lâescamotage par des complices, pendant que lui se procurait un alibi ? Moi. â Alors, ma fille et ma niĂšce ne seraient donc prisonniĂšres que par occasion ? Hatkins retiendrait mon neveu jusquâĂ ce quâil ait souscrit Ă ses volontĂ©s ?⊠Garan. â Non, non, non, et cent fois non ! Ce nâest pas Hatkins. Il achĂšterait nâimporte quoi, ce yankee, mais il ne peut faire que du bien. M. dâAgnĂšs. â Câest tout Ă fait mon avis. Moi. â Et le mien. Maxime. â Parbleu ! Robert. â Jâai la conviction que ce nâest pas lui. Tiburce. â Et moi je suis sĂ»r que câest lui ! Calixte. â Ă la bonne heure ! Moi, Ă Tiburce. â Mais pourquoi ĂȘtes-vous sĂ»r ? Tiburce. â Je nâen sais rien. Câest une idĂ©e comme ça. Garan, haussant les Ă©paules. â Et comment sây est-il pris, sâil vous plait ? Tiburce. â Ăa, je nâen sais rien non plus. Moi. â Allons, allons ! nous pataugeons, et le temps passe, et il faut agir, encore un coup ! â Que chacun donne son avis. Moi, je flotte, jâhĂ©site. Je ne distingue pas de raisons⊠et pourtant il me semble bien que câest un enlĂšvement⊠mais un enlĂšvement des trois promeneurs au mĂȘme titre⊠impersonnel. Un enlĂšvement par des bandits que voulez-vous, jâen reviens toujours lĂ !⊠des bandits qui vont exiger une rançon⊠Maxime. â Vous y ĂȘtes, papa. Ce sont des espĂšces de pirates, des Ă©cumeurs de terre, disposant de moyens nouveaux et puissants, inintelligibles pour le moment. Ils attendent que vous soyez Ă point », vous et mon oncle, pour vous Ă©crire. Ils attendent que vous soyez au comble de lâaffolement et prĂȘts Ă tous les sacrifices. Ensuite ils rĂ©aliseront peut-ĂȘtre dâautres captures et dâautres gains. Mme Arquedouve. â Ne croyez-vous pas que les dĂ©prĂ©dations attribuĂ©es aux Sarvants ont un lien quelconque avec notre malheur ? M. dâAgnĂšs. â Si fait, madame. Elles ont terrorisĂ© la contrĂ©e, facilitĂ© les rapts, aggravĂ© lâinquiĂ©tude elles proviennent des mĂȘmes forbans. Ils se sont livrĂ©s Ă la contrefaçon des spectres. Et, pour ma part, je ne serais pas surpris que ces exploiteurs ne fassent connaĂźtre leur but, leurs exigences et leur identitĂ© quâaprĂšs avoir commis nombre dâenlĂšvements, afin dâaccrĂ©diter plus longtemps la fable des Sarvants et dâobtenir, par ce procĂ©dĂ©, une hausse du tarif des restitutions. Les campagnards paieront moins douloureusement Ă lâheure oĂč la dĂ©claration des bandits se dĂ©masquant les dĂ©barrassera de toute crainte superstitieuse. Garan, rompant les chiens. â Eh bien, non ! Les histoires de Seyssel⊠Jusquâici jâai consenti Ă des discussions oiseuses, mais en voilĂ assez ! Les histoires de Seyssel, Culoz et autres lieux ne sont quâune mystification pure et simple, au mĂȘme titre que les pas sur la neige du Colombier, qui sont une mystification pure et simple ! Maxime. â Quâentendez-vous par lĂ ? Garan. â Jâentends, monsieur Maxime Le Tellier, et vous monsieur Robert Collin, que je nâaime pas beaucoup les personnes qui vous mĂšnent Ă un endroit oĂč elles ont passĂ© plusieurs heures auparavant ; oĂč elles ont fait dans la solitude ce que bon leur semblait ; et qui vous montrent lĂ , sous forme dâempreintes abracadabrantes, le joli rĂ©sultat de leur truquage. Et jâentends, enfin, que vous ĂȘtes des metteurs en scĂšne de premiĂšre force. Maxime, blanc de rage. â Je vous prie de vous taire ! Robert. â Je me moque de vos insinuations. Garan, Ă Robert. â Quâavez-vous fait, vous surtout, seul, au Colombier, dans la nuit de dimanche Ă lundi ? Robert. â Je suis restĂ© parce que, la nuit, je voulais Ă©pier, monter la garde, et, le jour, rĂ©flĂ©chir devant les traces elles-mĂȘmes. Garan. â Allons donc ! Protestations unanimes. Moi. â Je vous supplie, monsieur, de ne pas continuer. Garan. â Parfait. Oh ! câest fini. Je me tairai, maintenant. Lucie, dĂ©sespĂ©rĂ©e. â Ho ! il faudra pourtant bien trouver ! Jâai beau chercher⊠Ma tĂȘte tourne⊠Ces empreintes⊠Cet anĂ©antissement subit⊠Cette suppression totale⊠Tiburce, citant un de ses auteurs. â Dans la vie rĂ©elle il y a de ces effets si singuliĂšrement Ă©tranges, de ces circonstances si extraordinaires, quâils dĂ©passent tout ce que lâimagination la plus fantastique et la plus audacieuse pourrait inventer. â RĂšgle gĂ©nĂ©rale plus une chose est bizarre, moins elle est mystĂ©rieuse. » â MĂ©fiez-vous des rĂȘveries, madame. Une lĂ©gende⊠Augustine. â Les journaux mentionnent une autre lĂ©gende que celle des Sarvants, Ă propos de tout cela. Lucie. â Oui, ma femme de chambre mâa entretenue trĂšs sĂ©rieusement dâun dirigeable-fantĂŽme. Il ferait pendant au vaisseau-fantĂŽme, et serait le spectre du RĂ©publique, sinistrĂ© voilĂ trois ans, et montĂ© par toutes les victimes de lâair un Ă©quipage de revenants ! Les domestiques rapprochent cette ineptie du fameux dirigeable quâon a cru voir plusieurs nuit de suite sur les cĂŽtes dâAngleterre, en 1909, et qui sâĂ©vanouissait dans lâombre⊠Câest insensĂ© ; mais nâest-il pas effroyable que des suppositions aussi monstrueuses puissent naĂźtre au sujet de⊠Moi. â Avez-vous rĂ©flĂ©chi que si lâenlĂšvement sâest accompli pendant la nuit, les ravisseurs ont pu sâapprocher sans ĂȘtre vus ? Robert. â Il sâest accompli pendant le jour. On ne monte pas au Colombier quand il fait noir ; et puis, nos trois amis nâauraient pas laissĂ© leurs parents dans lâinquiĂ©tude. Moi. â En effet. On ne sait plus que penser. Il est temps de conclure. Monsieur Garan, que dĂ©cidons-nous ? Garan. â Oh ! moi, je ne veux plus rien dire. Moi. â Soit. Et vous, Robert ? Robert. â Je ne puis rien dire, mon cher maĂźtre⊠Rien encore, du moins. Garan, entre ses dents. â Je te crois⊠Moi, vivement. â Et vous, monsieur Tiburce ? Tiburce. â Hatkins ! Hatkins ! Calixte. â Bravo ! Exclamations indignĂ©es. Tiburce. â Eh ! quoi ? Avant tout, cherchons des explications simples, possibles, naturelles. Ne sortons pas du naturel ! Citant Jâai depuis longtemps pour principe que quand vous avez exclu lâimpossible, ce qui reste, quelque improbable que ce soit, est pourtant la vĂ©ritĂ©. » Or ce qui reste », Ă mon avis, câest lâhypothĂšse brigands et lâhypothĂšse Hatkins. Et cette derniĂšre, Ă©tant la moins compliquĂ©e, doit ĂȘtre la bonne. Robert. â Lâ impossible »⊠Quel homme pourrait savoir ce qui est impossible ? â et ce qui est naturel ?⊠Mme Arquedouve. â Pour ma part, je suis avec M. Robert. Je sens quâil a mĂ©ditĂ© de toute la force de son savoir. Lucie, Ă bout de patience. â Et moi je veux quâon me rende ma fille ! Je veux ! je veux !⊠Moi. â Que fait-on, enfin ? Que fait-on ? Tiburce, feuilletant un indicateur. â Je pars aux trousses de Hatkins ! Il y a un paquebot demain soir. Demain matin je vous quitterai. Garan. â Nous partirons ensemble ; je me dĂ©sintĂ©resse de tout ceci. Je rentre Ă Paris. Moi. â Robert, Maxime, quâallez-vous faire ? Robert. â Penser. Maxime. â Attendre. Attendre la sommation des corsaires. Moi. â Et vous, monsieur dâAgnĂšs ? M. dâAgnĂšs. â Je vais me mettre, avec mon ingĂ©nieur, Ă construire des aĂ©roplanes aussi vites et aussi stables que possible⊠de fins voiliers⊠pour la chasse aux pirates aĂ©riens⊠Maxime. â Ah ! tu es de mon avis ! Robert. â Faites toujours, monsieur, cela peut ne pas ĂȘtre inutile. Tiburce. â Hatkins ! vous dis-je ! M. dâAgnĂšs. â Tu es fou ! Tiburce. â Oh ! laisse-moi espĂ©rer que jâai raison, toi qui sais pour quoi je travaille !⊠Et puis, M. Monbardeau nâest-il pas convaincu ? Calixte. â Hum ! vous savez⊠aprĂšs tout, moi je ne lâai jamais vu, ce Hatkins ! Ils sont lĂ , tous, Ă crier son innocence !⊠Tiburce. â HĂ©, tant pis ! Ă la grĂące de Dieu ! Calixte. â Je vais, cependant, faire explorer les aires des aigles⊠Quâen dis-tu, Jean ? Moi. â Ne me demandez plus quoi que ce soit ; je suis hĂ©bĂ©té⊠Garan. â Je vous prie dâoublier ce que jâai avancĂ© tout Ă lâheure⊠CâĂ©tait mon devoir dâĂȘtre sincĂšre. Moi. â On ne vous en veut pas. Vous avez exprimĂ© votre opinion avec franchise, et, en dĂ©finitive, elle est dĂ©fendable, je le reconnais. Seulement, voyez-vous, mon fils et mon secrĂ©taire sont au-dessus de tout soupçon. Vous ne le saviez pas. M. Le Tellier termine ainsi Ă lâissue de cette rĂ©union, je vis M. dâAgnĂšs sâapprocher de Robert. Les deux jeunes hommes sâentretinrent quelques instants et se quittĂšrent sur une poignĂ©e de mains loyale. Ceux qui Ă©taient au courant de la situation comprirent que le duc venait dâaffirmer Ă son humble rival en quel mĂ©pris il tenait les allĂ©gations de lâinspecteur. Puis ils durent convenir de faire tous leurs efforts pour retrouver Marie-ThĂ©rĂšse, lâun avec sa science, lâautre avec sa richesse, tous deux sans souci de lâavenir[4]. xiUne Leçon de Sherlockisme Monsieur Garan, dont la chambre Ă©tait contiguĂ« Ă celle de Tiburce, fut rĂ©veillĂ© de bonne heure par des bruits sourds et rythmiques, des exclamations cadencĂ©es, qui venaient de lĂ . Il entra sans façon, vĂȘtu de sa chemise, et trouva le sherlockiste en train de se livrer Ă une pantomime gymnastique et suĂ©doise, destinĂ©e Ă entretenir la souplesse du corps et la vigueur des muscles. Ă son aspect, Tiburce, qui Ă©tait nu, lui tourna le dos et continua ses gestes scandinaves. Ils avaient pris congĂ© de tous la veille au soir ; car leur train Ă©tait matinal et lâautomobile de M. Le Tellier devait ĂȘtre parĂ©e vers cinq heures pour les conduire Ă Culoz. â Eh bien, mon confrĂšre ! » dit Garan. Vous partez toujours Ă la poursuite de M. Hatkins ? » Tiburce acheva scrupuleusement sa rotation du torse autour des hanches â Plus que jamais ! » â Vous savez que câest insensĂ© ! » Tiburce versa de lâeau dans un tub et se mit Ă barboter selon la rĂšgle. â Admettez que ce soit de lâinspiration », fit-il au bout dâun instant. Lâinspecteur examinait la chambre. â Un dĂ©sordre voulu Ă la Sherlock y faisait un capharnaĂŒm. Cela sentait trĂšs fort le tabac anglais navy cut. â Ă lâombre de ses moustaches et de ses sourcils retroussĂ©s en toits de pagode, la bouche et les yeux de Garan recommencĂšrent Ă sourire. â Je vous assure que votre mĂ©thode est dĂ©fectueuse », dĂ©clara-t-il. Vous manquez dâexpĂ©rience » â Ce sera donc une Ă©cole », rĂ©pondit froidement Tiburce. Jâai bien rĂ©flĂ©chi. » Lâautre repartit â Non seulement le caractĂšre de M. Hatkins dĂ©ment vos accusations ; mais encore son dĂ©part, antĂ©rieur Ă lâenlĂšvement, vous prouve que, sâil en est lâauteur ou lâinstigateur, du moins les trois disparus ne sont-ils pas avec lui⊠Il les aurait donc fait mettre de cĂŽtĂ©, pour sâoccuper dâeux Ă son retour ?⊠Voyons !⊠» Mais Ă prĂ©sent, Tiburce, gantĂ© de crin, se frictionnait la peau et sifflotait en mesure, comme les palefreniers dâAngleterre au pansage de leurs cracks. Ce quâayant observĂ©, M. Garan pivota sur ses jambes velues, et alla se dĂ©barbouiller. Ils se trouvĂšrent prĂȘts Ă la mĂȘme minute ; et Tiburce, constatant leur avance, dit au mĂ©canicien â Nous partons Ă pied. Vous nous rattraperez sur la route. » Ils descendirent le petit sentier raide, entre les deux chemins. â SĂ©rieusement, » reprit lâinspecteur, voulez-vous me croire ? » â Non. » â Ăcoutez, câest inepte ! Et tout le monde vous lâa dit⊠Il est vrai que parmi tout le monde » il y a deux lascars qui savent le fin mot⊠» â Robert et Maxime, nâest-ce pas ? » â Un peu, cher monsieur. » â Ă mon tour de vous dire câest inepte. » â Ouais ! Les traces surnaturelles du chiquĂ© ! Du chiquĂ© parce que surnaturelles, comme les fourbis de Seyssel, manigancĂ©s pour donner le change. Ă la PrĂ©fecture, on se doutait bien que câĂ©tait le prĂ©ambule de quelque chose⊠Quoique, pourtant, il y ait peut-ĂȘtre une autre corrĂ©lation entre ces attrape-nigauds et lâenlĂšvement⊠» â Certes, je suis de votre avis lĂ -dessus les deux Ă©vĂ©nements sont connexes. Mais, Ă lâĂ©gard de Maxime et de Robert, vous errez. DâAgnĂšs les connaĂźt trĂšs bien et il garantit leur bonne foi. Quant aux pistes sur la neige, il va de soi quâelles ne peuvent ĂȘtre surnaturelles⊠Cependant, tout bien pesĂ©, je ne soutiens pas que lâenlĂšvement ait eu lieu au sommet du Colombier. Les empreintes ne sont peut-ĂȘtre quâun stratagĂšme Ă deux fins, combinĂ© 1o pour effrayer, 2o pour tromper les esprits sur lâemplacement vĂ©ritable du rapt. On aurait apportĂ© la canne aprĂšs lâavoir brisĂ©e ; on aurait imprimĂ© les traces avec des bottines au bout de longues perches, du haut dâun ballon dirigeable arrimĂ© Ă la croix⊠Je parle dâarrimage Ă cause du vent perpĂ©tuel qui doit empĂȘcher lĂ -haut tout stationnement dâappareil en liberté⊠» â Mais, » sâĂ©cria Garan, savez-vous que câest justement ce que je pensais ! VoilĂ pourquoi jâai demandĂ© Ă M. Maxime sâil ne voyait pas dâĂ©raflures, pas de stigmates de cordages⊠» â Toujours est-il », conclut Tiburce, que Surnaturel = Inexistant. » â Amen ! Il est regrettable que vous ne raisonniez pas toujours ainsi. » â Mon systĂšme est donc si dĂ©fectueux ? » â Yes, sir. Dâabord, vous ergotez. De plus, vous ratiocinez la plupart du temps sur des indices qui comportent plusieurs explications possibles. Exemple vos gaffes Ă propos de la chanceliĂšre, du monocle et de tout ce que vous avez dĂ©goisĂ© au pĂšre Le Tellier. » Quand il se prĂ©sente une multitude dâexplications possibles, il faut la considĂ©rer tout entiĂšre ; car, si lâune dâelles vous Ă©chappe, câest toujours la meilleure. Et parfois, devant cette infinitĂ© de solutions, on ne sait laquelle adopter. â Il vaut mieux sâen prendre lorsquâon a le choix, ainsi que vous lâaviez au tĂ©moignage dâun seul acte, Ă lâeffet quâune seule cause a Ă©tĂ© capable de produire. » Tenez au sujet de ce pantalon qui vous a conduit Ă lâun de vos impairs, vous auriez pu remarquer que le pli du coup de fer Ă©tait plus effacĂ© Ă droite quâĂ gauche, et en dĂ©duire avec raison que M. Le Tellier croise habituellement la jambe gauche sur la droite. CâeĂ»t Ă©tĂ© dâun intĂ©rĂȘt relatif, je vous lâaccorde ; mais, au moins, vous nâauriez pas dit de bĂȘtises. â De mĂȘme, vous pouviez affirmer sans crainte Ă M. Le Tellier que depuis le matin il sâĂ©tait promenĂ©, songeur et longuement, dans son cabinet. » â Pourquoi ? » â Ă cause des buĂ©es signalĂ©tiques. â Il y a trois fenĂȘtres Ă ce cabinet deux au sud, lâautre Ă lâouest. Or, Ă la hauteur du front de M. Le Tellier, chaque fenĂȘtre sâembrumait lĂ©gĂšrement de multiples buĂ©es, telles quâen laissent les fronts que lâon colle aux vitres, â buĂ©es oĂč lâon reconnaissait la ride frontale, si prononcĂ©e, de M. Le Tellier. Cela impliquait, de sa part, des allĂ©es et venues, de lâagitation, de la prĂ©occupation. » â Il guettait notre arrivĂ©e, tout simplement. » â Non. Ă la fenĂȘtre de lâouest, la vue est bouchĂ©e par des arbres. On nây peut donc regarder que machinalement. » â Et si les buĂ©es provenaient de la veille ou de lâavant-veille ? » â Impossible. Les carreaux avaient Ă©tĂ© lavĂ©s le matin mĂȘme. » â Comment lâauriez-vous su avant dâavoir interrogĂ© le valet de chambre ? » â Comment ? Mais parce que lâaverse de la nuit, venant du sud-ouest, avait forcement laissĂ© des traces aux carreaux, Ă travers les jalousies. Or ces traces extĂ©rieures avaient Ă©tĂ© enlevĂ©es ; et dans une maison tenue comme on tient Mirastel, les larbins ne font pas les carreaux dâun seul cĂŽtĂ© quand les deux faces en ont besoin. » Tiburce admira la sagacitĂ© de lâinspecteur. Celui-ci reprit â Des assertions de ce genre, on peut les risquer sans peur. Elles sont prouvĂ©es par ceci que toute autre interprĂ©tation ne sâajuste pas aux faits. Tandis que vous, avec vos procĂ©dĂ©s, vous verriez partout des tĂ©moignages de ce que vous avez prĂ©conçu. Mais, tenez, tenez, moi, je me fais fort de dĂ©couvrir nâimporte oĂč la preuve de nâimporte quoi ! Que dĂ©sirez-vous ? Rixe ? Viol ? Assassinat ? Parions quâici, Ă cette amorce du sentier avec la route, je dĂ©montre Ă volontĂ© un crime, un dĂ©lit ou une contravention !⊠Voici un buisson tout froissĂ© ; voici, dans le sol gras, des foulĂ©es profondes. Quâest-ce, au juste ? Sans doute quelque dĂ©mĂȘlĂ© de rustre avec sa vache, ou mille autres choses ! â Voyez sur la route, maintenant cette double excavation nous apprend quâune lourde automobile a dĂ©marrĂ© brusquement vers Artemare. Ce sont les creux des deux roues arriĂšre qui ripaient sous un effort subit. Quâest-ce que ça Ă©tablit ? Quâun mĂ©cano rageur a dĂ» rĂ©parer un pneu et repartir avec brutalitĂ© ; quâun apprenti chauffeur a fait ses dĂ©buts et sâest exercĂ© aux arrĂȘts comme aux dĂ©parts ; quâune voyageuse sentimentale a voulu cueillir de cette aubĂ©pine ; que⊠Est-ce que je sais ? Tout, enfin ! tout ! » Tiburce baissait la tĂȘte. â Vous avez raison », dit-il. Mais que voulez-vous que jây fasse ? Câest ma vie, cela, monsieur Garan !⊠Ne le dites Ă personne si je retrouve Mlle Le Tellier, jâĂ©pouse Mlle dâAgnĂšs ! » â Ah ! bien, bien !⊠Alors, nâallez pas aux trousses de Hatkins. Car soupçonner un homme pareil, câest contester une vĂ©ritĂ© de La Palisse. TĂąchez plutĂŽt dâobtenir la vĂ©ritĂ© de M. Maxime et de M. Robert, â de ce dernier surtout, qui a peut-ĂȘtre dupĂ© son camarade, puisquâil Ă©tait avant lui sur le Colombier. » â Ah çà ! monsieur Garan, jây songe est-ce que par hasard vous soupçonneriez une complicitĂ© quelconque entre Robert et lâun des trois disparus ? » â Eh bien oui, lĂ ! câest le fond de ma pensĂ©e. Je crois fermement que, de connivence ou non avec les Henri Monbardeau, M. Robert Collin et Mlle Le Tellier, qui sâaiment⊠» â Vous croyez quâils sâaiment ! Et câest lĂ -dessus que vous basez vos charges ? » sâĂ©cria Tiburce avec une sorte dâallĂ©gresse. â Certes ! » â Dans ce cas, monsieur lâinspecteur, vous avez du flair ! Prenez donc la peine de vous dĂ©tromper. Il y a deux ans que Mlle Le Tellier sâest Ă©prise du duc dâAgnĂšs, mon ami intime. » â SĂ»r ? » â Pas le moindre doute ! » â SacrĂ© nom dâun chien !⊠Alors⊠Mais⊠Alors, il ne me reste plus quâĂ faire des excuses⊠je vais retourner⊠» â Cela me paraĂźt inutile. Vous ĂȘtes plutĂŽt discrĂ©ditĂ© dans la famille⊠» M. Garan fronça ses cornes sourciliĂšres. Et câĂ©tait une chose si drĂŽle Ă voir, que Tiburce partit dâun grand Ă©clat de rire â Pauvre cher inspecteur ! Si vous nâaviez que cela dans votre sac, il vous faudra dĂ©sormais croire aux hommes volants ! » â Ouiche ! Des bonshommes en baudruche ! » grommela le policier dĂ©confit. Des petits ballons-mannequins gonflĂ©s dâhydrogĂšne ! Câest la thĂšse de la PrĂ©fecture. » â Pas si bĂȘte ! » approuva Tiburce. VoilĂ qui expliquerait pourquoi ils suivaient de conserve la mĂȘme direction celle du vent ! On aurait dĂ» perquisitionner dans le petit bois de ChĂątel ; je suis sĂ»r que les vĂ©ritables Italiens y sont restĂ©s cachĂ©s pendant quâon battait la campagne Ă leur recherche. â Ăa, au moins, câest naturel. » Ă ce moment, lâautomobile, chargĂ©e des bagages de Tiburce, les rejoignit. â Allons ! En route ! » dit Garan. â En route ! Ă la poursuite de Hatkins ! » DĂ©pitĂ©, furieux de sa maladresse, lâinspecteur rĂ©pliqua grossiĂšrement que Tiburce Ă©tait libre de poursuivre qui bon lui semblait, et que lui, Garan, sâen foutait pas mal. historique Comme ils arrivaient Ă la gare, quantitĂ© de voyageurs en sortaient. Un train de nuit les avait amenĂ©s. Ils venaient de Paris. La plupart Ă©taient munis dâappareils photographiques. Garan reconnut des journalistes. Lâun dâeux sâapprocha de lui â Ah ! monsieur Garan, nâest-ce pas ? Quelle bonne aubaine ! Permettez-moi, une seconde⊠» Et il voulut lui prendre une interview. â Mais le policier se dĂ©fendit et devint hargneux. â Enfin, monsieur lâinspecteur, » insistait le pauvre homme, il sâagit bien dâun enlĂšvement ?⊠Oui ?⊠Non ?⊠Dites ? je vous en prie. Qui est-ce qui a enlevĂ© ces personnes ? » Alors lâinterrogĂ© se mit Ă vocifĂ©rer â Ce sont des diables, monsieur. Je les ai vus. Ils ont des ailes de chauve-souris, des oreilles de bouc et une queue en fer de lance. EntiĂšrement velus, ils jettent du feu par la gueule ; et ils ont, Ă la place du derriĂšre, la tĂȘte dâun journaliste qui vous ressemble comme un frĂšre ! LĂ ! Ătes-vous satisfait ? » Ayant dit ces mots, il sâengouffra dans la salle dâattente en retroussant contre le ciel la quadruple menace de ses sourcils et de sa moustache coalisĂ©s. xiiSinistres Le duc dâAgnĂšs Ă©tait pressĂ© de se mettre Ă lâĆuvre avec son ingĂ©nieur. Il quitta Mirastel le mĂȘme jour que Tiburce. Et le lendemain, 9 mai, M. et Mme Monbardeau regagnĂšrent Artemare. Alors, au vieux chĂąteau, la vie commença dâĂȘtre un labeur douloureux et funĂšbre. LâidĂ©e de Marie-ThĂ©rĂšse obsĂ©dait les esprits. Par moments, on aurait prĂ©fĂ©rĂ© lâassurance de sa mort Ă lâincertitude, qui est une torture innombrable. Quand on craint pour une jeune fille, on a tant de choses Ă craindre, nâest-ce pas ? Mme Le Tellier passait des heures et des heures enfermĂ©e dans la chambre de sa fille. Puis soudain, le besoin dâaction qui les travaillait tous domptait sa langueur native, la poussait dehors et la faisait marcher au hasard, trĂšs vite, dâun pas tumultueux. Chacun possĂ©dait, sur sa table ou sa cheminĂ©e, quelque portrait de la disparue, et chacun le contemplait bien des fois, religieusement, avec des souvenirs et des pensĂ©es, comme une icĂŽne sur un autel. Mme Arquedouve Ă©tait privĂ©e de cette humble consolation ; ses yeux dĂ©jĂ morts la lui refusaient. Mais il y avait dans le salon un buste irrĂ©prochable de Marie-ThĂ©rĂšse, â un buste si ingĂ©nieux quâil Ă©voquait la jeune fille tout entiĂšre. Et lâon voyait la petite vieille dame palper le marbre longuement, de ses mains blanches et subtiles, et considĂ©rer de la sorte lâunique ressemblance quâelle pĂ»t distinguer. CâĂ©tait une occupation qui lui causait tout ensemble du plaisir et de la peine. Elle souriait, puis elle sanglotait. Ainsi ses yeux, qui lâavaient devancĂ©e au nĂ©ant, cessaient par malheur dâĂȘtre inutiles, et pleuraient dâautant plus quâils ne pouvaient rien voir. â Quand elle entendait venir Mme Le Tellier, elle interrompait dâun effort le cours de ses larmes, et les deux femmes se plaisaient Ă parler dâune infortune que tout leur rappelait. Tout. MĂȘme le chien Floflo, qui se tenait silencieux. MĂȘme le logis, qui paraissait dĂ©solĂ©. Dâhabitude, il Ă©tait fleuri par les soins de Marie-ThĂ©rĂšse. Elle savait grouper des fleurs dans un vase avec cette grĂące japonaise qui fait croire quâelles ne sont pas cueillies et moribondes⊠Mais les vases, tels des corps sans Ăąme, restaient vides ; et les iris, prĂšs de la botasse[5], vainement mauves, pourrissaient loin des hommes. Il semble que le plus accablĂ© de tous ait Ă©tĂ© M. Le Tellier. Lâastronome ne sortait plus de son cabinet de travail. ExtĂ©nuĂ© de contention morale, las de rĂ©flĂ©chir Ă cette catastrophe incomprĂ©hensible, il nâavait plus la force de raisonner ; il rĂȘvait, face au paysage magnifique. Le site printanier, plein de vie et de soleil, lui paraissait morne et dĂ©sert. La joie de la saison aggravait sa tristesse. Il regardait les arbres des vergers en fleurs et songeait Ă des squelettes macabrement pomponnĂ©s. Devant ce dĂ©cor dâespace et de montagnes sa fille avait passĂ© si souvent â si souvent, mon Dieu ! â quâil nây voyait plus que le fond dâun portrait quâelle eĂ»t dĂ©sertĂ©, â le spectacle mĂȘme de son absence. Pour Maxime et pour Robert, ils travaillaient le premier dans son laboratoire, afin de lutter contre lâinquiĂ©tude, et le second dans sa chambrette, Ă des ouvrages clandestins dont le but se devine aisĂ©ment. Jusquâau 13, rien ne troubla ce calme cruel, si ce nâest pourtant quelques tournĂ©es dâexploration faites par Robert du cĂŽtĂ© de Seyssel et des communes molestĂ©es, et si ce nâest un voyage de M. Le Tellier Ă Lyon. Un voyage atroce. Il partit comme un fou, ayant lu quâon avait retirĂ© du RhĂŽne le cadavre dâune femme inconnue dont la mort pouvait remonter Ă la date nĂ©faste du 4 mai. Il sâabsenta sous un prĂ©texte, Ă lâinsu de tous, et revint le soir mĂȘme, soulagĂ© dâun pesant fardeau. La femme de la Morgue se trouvait brune, dâĂąge mĂ»r et de type oriental. Une drague lâavait extraite de la vase, cousue dans un sac et nue. Tout cela Ă©tait si loin de Marie-ThĂ©rĂšse, si Ă©tranger aux prĂ©occupations de M. Le Tellier, quâil sâaperçut enfin de lâexcĂšs oĂč lâavait menĂ© son abattement. De ce jour, il se raffermit peu Ă peu. Il y eut aussi des reporters qui sâen vinrent carillonner Ă la porte de Mirastel, et qui, une fois Ă©conduits, se bornaient Ă prendre des vues du chĂąteau et de ses parages. Il y eut encore les arrivĂ©es du facteur, toujours attendues, toujours dĂ©cevantes⊠Et câest tout ce quâil y eut. Et dans la campagne Ă©galement la tranquillitĂ© sâĂ©tait rĂ©tablie, â quand ceci arriva tout Ă coup Dans la nuit du 13 au 14, le village de BĂ©on, â situĂ© entre Culoz et Talissieu, au pied du Colombier, Ă trois kilomĂštres de Mirastel, â fut ravagĂ©. Des mains sacrilĂšges Ă©mondĂšrent la floraison des arbres fruitiers. DiffĂ©rentes bestioles, couchant Ă la belle Ă©toile, disparurent sans laisser de trace. Enfin et surtout, une femme, attirĂ©e dans son potager par un bruit insolite, ne rentra pas et subit le mĂȘme sort que les branches et les animaux. Il fut impossible de la retrouver. De BĂ©on, une vague circulaire dâĂ©pouvante se propagea sur le pays. Les journalistes y affluĂšrent. Mais, Ă partir de cet instant, les sources de terreur ne devaient plus cesser de se multiplier ; car, chaque nuit, un village nouveau reçut la visite du Sarvant. BientĂŽt mĂȘme il y eut des gens qui furent confisquĂ©s en plein jour, dans les lieux Ă©cartĂ©s. De ce nombre Ă©taient les bergers et les vachĂšres qui sâen allaient, seuls avec leurs bĂȘtes, par les prĂ©s de la montagne. La plupart du temps, une seule personne disparaissait ; parfois deux ; et trois de-ci de-lĂ . On remarqua que les enlĂšvements diurnes sâexĂ©cutaient de prĂ©fĂ©rence sur les hauteurs, et que les flibustiers, de peur dâĂȘtre trahis, avaient soin de capturer les tĂ©moins de leurs actes. Dans la nuit du 14 au 15, Artemare y passa. Les Sarvants, on ne sait pourquoi, sautĂšrent un hameau, deux villages et trois chĂąteaux, dont Mirastel. Et lâon enregistra la perte de Raflin, lâancien amoureux de Fabienne dâArviĂšre. Le pauvre homme, encore malade, traversait sa cour clopin-clopant lorsquâil fut apprĂ©hendĂ©. Sa vieille mĂšre Ă©tait folle de peur et redoutait quâil ne prĂźt froid, Ă cause quâil nâavait sur lui quâune robe de chambre. Dans la nuit du 15 au 16, quittant la route et poussant une pointe au sud, le Sarvant pilla CeyzĂ©rieu, sur la cĂŽte, en face de Mirastel, par delĂ le marais. Puis il revint Ă la route, malmena Talissieu oĂč il sâempara dâun poulain nouveau-nĂ©, raccourcit de sa pointe ornementale une tourelle de ChĂąteaufroid, et chaparda quelques lapins dans un cuveau de mĂ©tairie. Le 17, le docteur Monbardeau reçut la lettre suivante, qui le mit au dĂ©sespoir et prouvait, dâautre part, que le flĂ©au sâĂ©tendait plus avant quâil ne semblait, câest-Ă -dire jusquâĂ Belley. Cette lettre Ă©tait de Front, lâamant de Suzanne Monbardeau. piĂšce 239 Monsieur Monbardeau, Bien que nos relations aient toujours Ă©tĂ© plus que tendues, je me vois dans la triste obligation de vous faire part de ce qui mâarrive. En revenant hier dâune course de quinze jours, je nâai plus retrouvĂ© votre fille chez moi. Elle sâest dĂ©filĂ©e Ă lâanglaise avec un joli cĆur quelconque puisque je sais quâelle nâest pas rendue chez vous et Ă la faveur de ces prĂ©tendues disparitions dont les suppĂŽts du pape remplissent le dĂ©partement. Car vous ne voudriez pas que jây croie ? Votre fille est une coquine. Je nâai pas pu avoir de renseignements sur sa fuite, la maison oĂč je lui ai fait lâhonneur de la recueillir Ă©tant Ă distance du bourg. VoilĂ ce que câest dâavoir un tempĂ©rament de[6]âŠ, mais jâai cru devoir vous en avertir, Ă cette fin que vous sachiez quâĂ partir de maintenant il nây a, encore moins que par le passĂ©, rien de commun entre nous. Je vous salue. OnĂ©sime Front. Lâhorreur du fait se renforçait de la trivialitĂ© du rustre qui lâannonçait. Suzanne, certes, nâavait pas fautĂ© une seconde fois ; tous lâaffirmaient. Elle Ă©tait donc aussi la proie du Sarvant !⊠Et ce qui vint le corroborer, ce fut, dans la nuit du 17 au 18, la dĂ©vastation de Saint-Champ, non loin de Belley. Suzanne enlevĂ©e ! Ce dernier coup portait au comble la dĂ©tresse des Monbardeau. Madame dĂ©raisonna pendant une semaine, puis sâĂ©leva sans relĂąche contre la rigueur paternelle qui avait exilĂ© la pĂ©cheresse repentante. Ce Ă quoi Monsieur ne savait que rĂ©pondre, et baissait la tĂȘte en pleurant. Le matin du 19, les gens dâArtemare apprirent que la nuit avait Ă©tĂ© funeste au village de Ruffieux, sis Ă quinze kilomĂštres outre-RhĂŽne, sur la route de Seyssel Ă Aix-les-Bains. La nouvelle manquait de prĂ©cision. On parlait vaguement de plusieurs personnes enlevĂ©es, â ce qui demandait confirmation. Mais, avant dâĂȘtre fixĂ©s, les Artemarois connurent un Ă©vĂ©nement plus sensationnel encore. Un reporter-photographe de Turin Ă©tait parti bien avant lâaurore pour le sommet du Colombier, afin de photographier le théùtre du rapt dans la splendeur dâun soleil levant. Ce raffinement sâexplique par le nombre incalculable de clichĂ©s que ses confrĂšres avaient dĂ©jĂ pris du mĂȘme lieu, dans des conditions diffĂ©rentes dâheure et de tempĂ©rature. Or, de mĂȘme que Marie-ThĂ©rĂšse et ses cousins nâĂ©taient pas redescendus, le reporter-photographe ne redescendit pas. Grande Ă©motion dans Artemare. Palabres et conciliabules, Ă lâissue desquels une troupe dâhommes courageux on en trouvait encore Ă ce moment-lĂ se mit Ă la recherche de lâenvoyĂ© perdu. Ils montĂšrent jusquâĂ la croix. Et lĂ ils dĂ©couvrirent lâappareil photographique plantĂ© sur ses trois pieds en compagnie dâune espĂšce de nabot hideux, goĂźtreux, haillonneux, vautrĂ© dans lâherbe, et que nul ne reconnaissait. Pas le plus petit soupçon de journaliste, â Ă moins quâil ne fĂ»t devenu, par sortilĂšge, ce nain repoussant, Ă la tĂȘte trop grosse, aux bras trop courts, qui, dâun Ćil animal, regardait venir les sauveteurs. Eux sâarrĂȘtĂšrent, cherchant de tous cĂŽtĂ©s lâancien aspect du publiciste⊠Mais rien ! Alors ils sâapprochĂšrent de son nouvel aspect, â je veux dire de la vilaine crĂ©ature impassible, â et ils sâaperçurent bientĂŽt quâils avaient affaire Ă lâun de ces malheureux crĂ©tins, sourds et muets, dont la rĂ©gion possĂšde plusieurs exemplaires. Et dans ce temps-lĂ , lâaudace leur vint de le toucher. Car jusquâici, la peur de se brĂ»ler aux mains les en avait dĂ©tournĂ©s. On voulut le faire lever, et lâon sut â disgrĂące suprĂȘme ! â quâil Ă©tait paralytique. Ils le prirent donc avec eux, ainsi que lâappareil Ă trĂ©pied, et ils commencĂšrent Ă descendre de la montagne. Mais comme ils arrivaient Ă Virieu-le-Petit, avec des mines oĂč lâĂ©bahissement persistait, voilĂ quâils firent la rencontre dâun bouvier qui sâapprĂȘtait Ă mener des troncs de sapins Ă la scierie dâArtemare. Et cet homme, avisant le nabot, sâĂ©cria â Ho ! le Gaspard ! QuĂ©to coufa iqueu ? » Ce qui signifie â Tiens ! le Gaspard ! Quâest-ce quâil fait lĂ ? » Et il leur enseigna la vĂ©ritĂ©, Ă savoir que lâidiot Ă©tait un habitant de Ruffieux ; quâil y passait des nuits et des journĂ©es accroupi au seuil de la maison de son pĂšre laquelle ouvre sur la route ; et que tous les bouviers, rouliers et messagers ne connaissaient que lui, Ă force de le voir au bord au chemin, immobile et Ă cropeton ». Lâhistoire fit tapage. CâĂ©tait une infernale substitution que celle dâun journaliste de Turin et dâun innocent de Ruffieux au plus haut du Colombier !⊠On tenta dâinterroger le Gaspard, dâobtenir au moins un geste expressif⊠HĂ©las ! folle tentative. Jamais il ne fut plus sourd, ni plus muet, ni plus imbĂ©cile, ni plus ankylosĂ©. Son pĂšre, quand il le revit, regretta de le revoir. Et ainsi le seul rescapĂ© fut-il le seul qui ne pĂ»t rien rapporter au sujet des Sarvants, et le seul dont on eĂ»t souhaitĂ© quâil y restĂąt. Cependant les autres reporters-photographes donnĂšrent de lâargent au pĂšre du Gaspard, dans le dessein quâil leur permĂźt de clicher ce hĂ©ros ; et il bĂ©nit le retour de son enfant. Contrairement aux on-dit, le Gaspard avait Ă©tĂ© lâunique objet humain dont le Sarvant eĂ»t dĂ©meublĂ© Ruffieux. Dans la nuit du 19 au 30, ce fut le tour dâAmeyzieu, presque sous les murs de Mirastel. Mais les prĂ©cautions abondantes dont les campagnards sâentouraient dĂ©jĂ limitĂšrent le dommage Ă des pertes matĂ©rielles. Les hĂŽtes de Mirastel se dirent que lâheure Ă©tait venue pour eux dâĂȘtre tourmentĂ©s ; la zone dangereuse sâĂ©tait rĂ©trĂ©cie autour du chĂąteau Ă mesure quâelle sâĂ©largissait au loin ; le hasard seul pouvait leur Ă©pargner lâattaque du Sarvant. M. Le Tellier sâen rĂ©jouit beaucoup. Depuis le commencement des dĂ©prĂ©dations, persuadĂ© comme tout le monde que leur secret ne faisait quâun avec celui de lâenlĂšvement du 4 mai, il sâĂ©tait dĂ©pensĂ© en multiples activitĂ©s. Au dĂ©but, il avait mĂȘme souri de bon cĆur, Ă lâidĂ©e de toutes les hypothĂšses que la reprise des hostilitĂ©s rĂ©duisait Ă nĂ©ant. Par lĂ le champ des conjectures se trouvait singuliĂšrement restreint, et les circonstances semblaient donner raison au duc dâAgnĂšs, qui avait prĂ©dit dâautres rapts avant la taxe des rançons. Le nombre actuel des otages retenus par le Sarvant dĂ©montrait que celui-ci nâen avait pas voulu spĂ©cialement Ă Marie-ThĂ©rĂšse et Ă ses cousins. â Lâayant compris, M. Le Tellier tĂ©lĂ©graphia tout de suite au duc dâAgnĂšs, pour quâil arrĂȘtĂąt lâami Tiburce entraĂźnĂ© sur sa fausse piste. Mais, rĂ©pondit le duc, Tiburce court aprĂšs Hatkins. Il sâest embarquĂ© le 8 Ă destination de New-York, poursuivant le milliardaire en voyage. » M. Le Tellier lamenta cette Ă©norme sottise, et revint Ă ses prĂ©occupations personnelles. Avec son fils, son beau-frĂšre et son secrĂ©taire, il parcourut les endroits saccagĂ©s. Ils observaient. Ils questionnaient. Ils Ă©prouvaient une sorte de soulagement pervers Ă constater que dâautres familles souffraient du flĂ©au qui les avait frappĂ©s. Mais ils nâobtenaient aucune indication, et recommençaient ailleurs de plus belle, stimulĂ©s par les trois femmes, qui joignaient Ă leurs encouragements des recommandations de prudence. Elles ne les laissaient pas sortir aprĂšs le coucher du soleil et leur dĂ©fendaient de se sĂ©parer quand ils allaient dans les solitudes. Un jour, nĂ©anmoins, Mme Arquedouve â qui Ă©tait la premiĂšre Ă prĂȘcher la confiance et le zĂšle, et quâon savait dâune bravoure peu commune â changea tout Ă coup de maniĂšres et se montra pusillanime Ă outrance. PressĂ©e dâavouer la cause de sa frayeur, elle finit par sây rĂ©soudre le lendemain du sac dâAmeyzieu. Cette nuit-lĂ , comme la nuit du sac de Talissieu, elle avait perçu dâĂ©tranges vibrations. Peut-ĂȘtre pas exactement des bruits, mais quelque chose du mĂȘme genre. Quelque chose de vibrant, que ses sens dâaveugle lui avaient permis dâapprĂ©cier. CâĂ©taient des perceptions analogues Ă celles que lui procurait le passage dâun aĂ©roplane, ou dâun dirigeable, ou encore dâune grosse mouche, trop Ă©loignĂ©s pour ĂȘtre entendus au sens propre du terme ; mais ce nâĂ©tait ni lâun, ni lâautre. CâĂ©tait un bourdonnement sombre Ă force dâĂȘtre sourd et grave, et qui impressionnait tous ses nerfs, tout son corps, plutĂŽt que son oreille. Cette anomalie lâavait Ă©veillĂ©e au milieu de ces deux nuits-lĂ , fort peu rassurĂ©e. La premiĂšre fois, elle aurait pu croire quâelle Ă©tait le jouet dâun de ces phantasmes auxquels les infirmes sont exposĂ©s ; mais aujourdâhui, elle ne doutait plus de lâauthenticitĂ© de ses sensations. Câest pourquoi elle se dĂ©cidait Ă parler. » Ă la suite dâune pareille rĂ©vĂ©lation, il nây eut personne Ă Mirastel qui ne mĂ©ditĂąt profondĂ©ment. Or ils nâĂ©taient plus seuls Ă mĂ©diter, ce 20 mai 1912. Ă cette Ă©poque, toute la France et toute lâEurope sâintĂ©ressaient au problĂšme bugiste. Les journaux du vieux monde rendaient compte de lâavĂšnement dâune terreur nouvelle ». La majoritĂ© estimait que câĂ©tait, Ă coup sĂ»r, par le chemin de lâair que venaient les Sarvants », et plus dâun quâils appartenaient forcĂ©ment Ă cette espĂšce volante dont le brigadier GĂ©ruzon avait surpris deux reprĂ©sentants ». â Le moyen Ăąge revivait. Les lĂ©gendes glissaient dâĂątre en Ăątre. Certaines, oubliĂ©es depuis des siĂšcles, ressuscitaient on ne sait comment. Elles sâĂ©taient infiltrĂ©es jusquâĂ Mirastel, et mĂȘlaient leurs chimĂšres aux logiques des raisonneurs. Le temps nâĂ©tait cependant plus aux rĂ©flexions, et, tout en ruminant lâhistoire de sa belle-mĂšre, M. Le Tellier se prĂ©parait Ă la vigilance, ainsi quâon va le voir. Mais les Sarvants paraissaient avoir pour tactique de sauter maintenant dâun point Ă un autre, sans ordre, au petit bonheur, â et lâon avait dĂ©duit de cette incohĂ©rence rĂ©guliĂšre en quelque sorte quâils ne sâabattraient point sur Mirastel vingt-quatre heures aprĂšs avoir fouillĂ© Ameyzieu. De toutes les fautes qui pouvaient ĂȘtre commises, celle-ci, par la suite, fut dĂ©crĂ©tĂ©e la plus lourde. xiiiLes Sarvants Ă Mirastel DĂšs la reprise des pilleries nocturnes, Maxime avait supputĂ© les avantages quâoffrirait au logis menacĂ© lâĂ©tablissement dâun phare. Excellent moyen de dĂ©fense et dâobservation, rien nâĂ©tait plus facile Ă improviser. Sur lâinstigation de son fils, M. Le Tellier fit venir de Paris deux projecteurs Ă acĂ©tylĂšne dâune puissance remarquable, que deux veilleurs manĆuvreraient constamment toutes les nuits. â Reçus le 20 Ă une heure, avec la tuyauterie et le gĂ©nĂ©rateur, on se mit sans retard Ă les installer. Ils furent logĂ©s dans le grenier de la tour sud-ouest celle du laboratoire de Maxime sous la coupole basse. Deux larges tabatiĂšres diamĂ©tralement opposĂ©es, lâune au septentrion, lâautre au midi, trouaient de leurs rectangles modernes la toiture Louis XIII ; il suffisait dây braquer les projecteurs pivotants pour pouvoir diriger leurs gerbes dans tous les sens, chacun des deux secteurs Ă©clairables Ă©tant prĂ©cisĂ©ment la moitiĂ© de lâespace. Comme on nâattendait les Sarvants que le lendemain, le travail de montage sâexĂ©cuta, croyons-nous, avec plus de minutie que de rapiditĂ©. Ă lâheure du dĂźner, un seul fanal Ă©tait en place. Il est vrai quâon avait chargĂ© le gazogĂšne. AprĂšs le repas, M. Le Tellier â toujours Ă lâintention du lendemain â rĂ©unit la maisonnĂ©e et fit aux serviteurs un cours dâobservation. Il prĂ©conisa le calme, le sang-froid, les notes prises aussitĂŽt que possible, Ă©crites nâimporte oĂč, sur un mur au besoin, avec un bout de charbon, une pierre pointue⊠Il comptait rĂ©pĂ©ter tout cela et faire rĂ©citer sa thĂ©orie le jour suivant. La nuit tomba. Mme Le Tellier, la regardant sâĂ©paissir, joignait les mains et murmurait ; Marie-ThĂ©rĂšse ! OĂč es-tu, ma petite Marie-ThĂ©rĂšse ! » Pour la dĂ©tourner de son idĂ©e fixe, Mme Arquedouve se demanda tout haut quel endroit serait victimĂ© cette fois-ci. Et lĂ -dessus, Robert proposa dâachever le montage de la seconde lanterne. Il lui fut objectĂ© quâil valait mieux le faire en plein jour, et quâon avait pour cela dix-huit heures de soleil. Ce fut alors le commencement dâune de ces veillĂ©es si pĂ©nibles Ă ceux qui ont le cĆur triste. Chacun sâingĂ©niait Ă tuer le temps. Mme Le Tellier tenta de rĂ©ussir une patience. Sa mĂšre fit du crochet, oĂč son industrie surpassait lâadresse des voyantes. Non loin dâelles, dans le billard attenant au salon, M. Le Tellier, Maxime et Robert entamĂšrent une partie de carambolage. On avait laissĂ© les fenĂȘtres grandes ouvertes, car il faisait beau et tiĂšde. Elles donnaient sur la terrasse. La lumiĂšre de lâintĂ©rieur Ă©clairait les marronniers et les premiĂšres branches du ginkgo, plats et stupĂ©fiĂ©s comme des arbres peints. Au delĂ du parapet, la campagne sâentrevoyait confusĂ©ment, obscure et bleue. Le choc des billes, le bruit des pas foulant le tapis, quelques voix du cĂŽtĂ© de lâofficeâŠ, rien dâautre sur le fond du silence. Par intervalles, toutefois, un train sillonnait dâune trainĂ©e dâescarboucles lâombre profonde, sonnait mĂ©tallique au pont de Marlieu, et quittait la scĂšne. On entendait aussi â mais en prĂȘtant lâoreille â de lĂ©gers remuements du gravier et câĂ©taient les allĂ©es et venues de Floflo, bon petit factionnaire qui montait la garde. De telles soirĂ©es, si douces, devraient toujours ĂȘtre des fĂȘtes⊠Mais quâest-ce quâil y a ? ! Quâest-ce quâil y a ?⊠Pourquoi Mme Arquedouve accourt-elle dans la salle de billard, les mains en avant, la figure bouleversĂ©e, balbutiant dâeffroi ?⊠â Quâavez-vous ? » sâĂ©crie M. Le Tellier. â Ah ! Jean⊠Jean⊠Les voilĂ ! » Et elle sâaccroche au bras de son gendre. â Les voilĂ ! Je les entends⊠Je les sens, plutĂŽt !⊠» DĂ©jĂ Robert sâest Ă©lancĂ© et se prĂ©cipite vers la tour du projecteur. â Fermez les fenĂȘtres ! » gĂ©mit Mme Le Tellier qui arrive blanche comme une morte. â Non ! » riposte Maxime. Il faut tĂącher de voir⊠dâentendre⊠Chut !⊠» â Si nous montions Ă la tour ? » fait M. Le Tellier. â Non⊠Pas le temps⊠Chut, chut !⊠» Ils Ă©coutent. Ils sont tels que des figures de cire dans un musĂ©e. Ils entendent Robert monter quatre Ă quatre lâescalier de la tour ; ils entendent rire du cĂŽtĂ© de la cuisine⊠un train siffler⊠le va-et-vient du loulou⊠Sauf Mme Arquedouve, nul nâentend quelque chose au delĂ de ces bruits. Et pourtant ils scrutent de toute leur Ăąme la nuit, que rend plus impĂ©nĂ©trable le contraste des feuillĂ©es lumineuses⊠Ils voudraient Ă©couter avec leurs yeux⊠Mais les tĂ©nĂšbres sont les mĂȘmes pour leurs prunelles et pour leurs oreilles. â Ăcoutez ! » chuchote lâaveugle. Les voilĂ tout prĂšs maintenant⊠» Ils nâentendent rien. Si un mugissement. Si un hennissement. La ferme sâest rĂ©veillĂ©e. Les canards poussent dans la nuit des can-cans effrayĂ©s, comme si le renard ou la belette sâapprochait ; et voici les poules qui font entendre un gloussement prolongĂ©, comme lorsque lâaigle plane au-dessus dâelles⊠Les brebis entonnent un chĆur de lamentations dĂ©chirantes⊠Une angoisse rĂšgne parmi les animaux. Et Floflo, qui sâest arrĂȘtĂ©, grogne tout Ă coup. Mme Arquedouve a levĂ© le doigt, et dit â Les bĂȘtes aussi comprennent. Elles entendent aussi. » Il se fait alors un silence momentané⊠Et enfin, des profondeurs de ce silence, tout le monde entend venir le bourdonnement. Câest lâarrivĂ©e dâune grosse mouche, ou mieux dâune phalĂšne. Oui, câest le bourdonnement de la phalĂšne suspendue au-dessus des fleurs oĂč plonge sa longue trompe, â un murmure Ă la fois robuste et doux, qui semble strident quoique fort bas, â qui est en effet curieusement sombre, mĂȘme au sein de lâobscurité⊠et qui vous trĂ©pide dans la poitrine, comme lâarbre de couche dâun steamer. Dâailleurs, voici les vitres qui entrent en vibration. Ils murmurent â Cela vient dâen haut ! » â Non ! » â Cela vient du marais. » â DâArtemare ! » â De Culoz ! » â Montagne ! » fait la grandâmĂšre, haletante. Mme Le Tellier, une main sur sa gorge qui bat, prononce dans un souffle â Câest encore trĂšs loin, maman, croyez-v⊠» Mais elle nâa pas fini, quâune brise lĂ©gĂšre, inexplicable, vivifie les frondaisons ; les feuilles bruissent ; et soudain rĂ©sonne un CLAC » assourdissant. On sursaute au claquement sec qui vient de retentir au dehors, on ne sait oĂč, pas loin certes et, semble-t-il, en lâair. Floflo aboie furieusement. â La foudre ? » interroge Mme Arquedouve. â Non, ma mĂšre, » lui rĂ©pond M. Le Tellier, il nây a pas eu dâĂ©clair. Nous nâavons rien vu. » â Ce nâest donc pas non plus une Ă©tincelle, un Ă©clair factice⊠» â Ăvidemment. » â Maxime, va-tâen de la fenĂȘtre ! » implore Mme Le Tellier. â Ăcoutez encore ! » commande lâastronome. Le chien donne de la voix et file vers le bout du jardin. Il poursuit les Sarvants, câest sĂ»r ; ils se dĂ©robent⊠Aussi bien, le bourdonnement a cessé⊠Mais Mme Arquedouve affirme quâelle le distingue toujours⊠Le chien se tait⊠On respire. Les traits de lâaveugle se dĂ©tendent⊠Un cri aigu ! Ce nâest rien. Câest Mme Le Tellier qui prend peur Ă la vue dâun grand jet de lumiĂšre inattendu, lancĂ© dans le ciel ainsi quâune flĂšche dâĂ©blouissement, ainsi quâun rayon de soleil perçant la nuit⊠Cette aurore dĂ©cochĂ©e, on dirait quâelle complĂšte le claquement de tout Ă lâheure, et que câest un Ă©clair qui suivrait le tonnerre, prodigieusement⊠Mais la clartĂ© persiste et dure. â Nâaie pas peur, Luce, » dit M. Le Tellier, ce nâest que le phare. » Une minute aprĂšs, il rejoignait son secrĂ©taire dans le petit grenier rond. Debout sur un escabeau, Robert disparaissait Ă mi-corps au travers dâune des lucarnes et il faisait dĂ©crire Ă la gerbe Ă©clatante â solaire par sa puissance, lunaire par sa blancheur â de vastes courbes, tantĂŽt cĂ©lestes et tantĂŽt terrestres. Il dardait sa fusĂ©e de jour sur tout le pays mĂ©ridional, quâil pouvait embrasser de lĂ . Le phare illuminait tour Ă tour villages, montagnes, bois et chĂąteaux ; il avait lâair de projeter leur image sur un Ă©cran noir, Ă la façon dâune lanterne magique. â Mais Robert avait beau se pencher et soulever le projecteur avec son lourd support, pour agrandir ainsi vers le Colombier son champ dâexploration, â il ne dĂ©couvrait absolument rien que de lĂ©gitime. Les Sarvants Ă©taient dĂ©jĂ hors de vue. â Vous les voyez ? » demanda M. Le Tellier. â Jâai perdu trop de temps », rĂ©pondit le secrĂ©taire. Il me fallait amorcer le gĂ©nĂ©rateur, allumer⊠Câest long. Ils sont partis. Mais ils nâont rien fait. » Et, de guerre lasse, il abandonna le projecteur qui bascula, balaya lâĂ©tendue, et resta pointĂ© vers le sol, irradiant sur la terrasse. â Ho ! » sâexclama Robert. Regardez, maĂźtre ! » â Quoi ? » fit lâastronome en passant la tĂȘte. â Le ginkgo ! On lâa coupĂ© ! » M. Le Tellier put voir, en effet, au clair de lâacĂ©tylĂšne, quâon avait dĂ©capitĂ© le ginkgo-biloba. De son poste dominant, il aperçut le tronc coupĂ©, dont la section faisait un disque pĂąle. Dâun seul coup, le Sarvant avait tranchĂ© ce rondin de la grosseur du col et dur comme du chĂȘne, â dâun seul coup de cisaille si bien appliquĂ©, si vite et si juste, que lâarbre nâavait pas mĂȘme tressailli ! â dâun seul coup de cette cisaille dont naguĂšre un garde forestier avait entendu le clac » dans la forĂȘt, â cette cisaille Ă quoi lâon ne pensait plus et qui Ă©laguait sans pitiĂ© toutes les plantations du Bugey ! â Ils ont bien choisi ! » remarqua M. Le Tellier. Ah ! les sacripants ! Le plus bel arbre de la rĂ©gion ! Le seul ginkgo !⊠Mais comme ils se sont esquivĂ©s ! Mme Arquedouve prĂ©tend quâils sont arrivĂ©s par la montagne ; ils seront repartis de mĂȘme, et câest justement le secteur que vous ne pouviez pas Ă©clairer !⊠Du reste, parbleu ! le chien les a suivis jusquâau bout du jardin. Ah ! il les a bien sentis ! Brave Floflo ! » â Pauvre Floflo ! » dit Robert, qui semblait extrĂȘmement soucieux. â Pourquoi pauvre » ? Est-ce quâils lâont enlevĂ© ?⊠Vous lâavez vu enlever ?⊠» â Non⊠Mais il a cessĂ© brusquement de japper⊠» â Floflo !⊠Floflo !⊠» cria M. Le Tellier. Pas de Floflo. On nâosa pas le chercher dans les tĂ©nĂšbres inquiĂ©tantes. La cuisiniĂšre lâappela toute la nuit par lâentre-bĂąillement dâun vasistas⊠Il avait Ă©tĂ© pris. Câest ainsi que Mirastel fut hantĂ© par les Sarvants, que lâon nommait encore des hommes volants » et aussi des ornianthropes ou des anthropornix. Cependant les tĂ©moins de ceci demeuraient perplexes non seulement Ă cause de la promptitude et de la dextĂ©ritĂ© des maraudeurs, mais, de plus, au souvenir du vent qui avait soufflĂ© sur les feuilles. Il avait soufflĂ© une seconde Ă peine, ce vent le temps dâun coup dâaileâŠ, comme si vraiment une aile avait Ă©ventĂ© les feuilles⊠Et quand on pensait aux bĂȘtes rĂ©veillĂ©es, alarmĂ©es, aux volailles gloussant Ă lâoiseau de proie, â lâhypothĂšse des aigles insensĂ©e ! reprenait toute sa force. En vain M. Le Tellier sâadmonesta et se rappela que les dĂ©nicheurs dâaigles, recrutĂ©s par son beau-frĂšre, Ă©taient revenus les mains vides. Il nâen frĂ©mit pas moins dâune terreur fabuleuse quand il apprit, le lendemain soir, une Ă©trangetĂ© nouvelle et suffocante. xivLâAigle et la Girouette Les Sarvants ne sâĂ©taient pas contentĂ©s de visiter Mirastel. Ils avaient aussi violentĂ© le village dâOuche, au-dessus du chĂąteau. PrĂ©venu dans la matinĂ©e, M. Le Tellier se rendit sur les lieux avec Maxime et Robert. On leur montra deux carrĂ©s de choux et un de carottes, complĂštement rĂ©coltĂ©s par les rĂŽdeurs Ă©nigmatiques, et la place oĂč, la veille encore, sâĂ©rigeait une pierre biscornue dont il ne restait plus quâun trou dans la terre. â Toujours la mĂȘme rengaine », dit Maxime. Ces Messieurs parodient les fantĂŽmes ! Ils affectent de sâadjuger les choses dâexception, mĂȘme inutiles, pour faire de lâeffet une espĂšce de menhir, une branche de ginkgo, un loulou de PomĂ©ranie⊠» Robert se croisa les bras. â Vous trouvez », dit-il, que des choux et des carottes sont dâinutiles raretĂ©s ?⊠Avez-vous remarquĂ© avec quel acharnement nos ennemis dĂ©vastent les cultures maraĂźchĂšres, depuis peu de temps ? Eux qui dâabord ne sâappropriaient pas deux objets identiques, voilĂ quâils font main basse sur toute sorte de lĂ©gumes ! » â Allons donc ! allons donc ! Tout cela, câest pour embĂȘter les citoyens ! pour quâils paient plus cher leur tranquillitĂ© ! » â Voyez-vous quelque trace dâoutils ? de pas ? » questionna M. Le Tellier. Moi, non. » â Rien ; comme toujours », rĂ©pondit Robert. Et il ajouta Dites donc, monsieur Maxime, tout de mĂȘme, rĂ©flĂ©chissez quand il sâagit dâanimaux et dâĂȘtres humains, les Sarvants ne sont pas trĂšs difficiles non plus sous le rapport de la qualitĂ©, voyons ? Ils raflent nâimporte quelle femme, un homme quelconque, le premier chat venu et des tas de lapins sans valeur, sauf des exceptions qui semblent dues au hasard⊠Avouez-le. Câest bien cela que vous pensez, en y rĂ©flĂ©chissant ? Câest bien cela ? » â Oui, câest juste », confessa lâincrĂ©dule aprĂšs un instant. â Eh bien⊠» reprit Robert dâun ton presque joyeux. Eh bien⊠» â Quoi, Ă la fin ? » â Il se pourrait que vous fussiez dans lâerreur, voilĂ tout. » Et il coupa court Ă toute insistance en quittant ses compagnons. Il pria M. Le Tellier de lâexcuser sâil ne rentrait pas Ă lâheure du dĂ©jeuner, et descendit vers Artemare. Le pĂšre et le fils reprirent le chemin de Mirastel. â Pourvu quâil ne fasse pas dâimprudences ! » murmura lâastronome. â Il est butĂ© », fit Maxime. ImpĂ©nĂ©trable et butĂ©. Mais brave ! Ce nâest pas la premiĂšre fois quâil sâen va tout seul⊠Je le sais. Il sâĂ©chappe Ă la dĂ©robĂ©e⊠» â Il donnerait son sang pour retrouver Marie-ThĂ©rĂšse⊠» â Elle vaut cela », marmonna Maxime. Elle vaut le sang dâun duc ! » â Câest Ă©gal, » reprit M. Le Tellier sans relever le propos, je souhaiterais quâil fĂ»t dĂ©jĂ rentré⊠Et puis, jâaurais voulu le consulter relativement au phare⊠» â Le phare ? Ce quâil faut en faire ? Tout simple dĂ©monter le projecteur et lâinstaller, lui avec lâautre, Ă Machuraz. ExceptĂ© au dĂ©but de leur campagne, vos loustics ne sont jamais revenus dans les mĂȘmes localitĂ©s ; ils ne reviendront pas Ă Mirastel. Mais ils nâont pas encore taquinĂ© Machuraz ; il faut demander aux chĂątelains la permission dây loger notre feu. â Allons-y tout de suite. » Ainsi fut fait. â Les deux Le Tellier ne voulurent confier Ă personne le soin de dĂ©piĂ©cer la lanterne et de remballer miroirs et lentilles. Ils apportĂšrent Ă cette manutention tant dâĂ©gards et dâinhabitude, quâils se virent obligĂ©s de terminer lâouvrage aprĂšs souper. Lâaffaire de la veille leur avait enseignĂ© Ă ne plus remettre au lendemain ce quâon peut faire le jour mĂȘme. Ils remontĂšrent donc au grenier de la tour avec une lampe, et sâattelĂšrent Ă la besogne, â muets et lâair prĂ©occupĂ©, car Robert Collin nâĂ©tait pas de retour. Ils travaillĂšrent quelque temps de la sorte, sans rien dire, Ă©coutant si quelquâun ne montait pas lâescalier en criant Me voilĂ ! » â Mais le froissement du papier dâemballage emplissait Ă lui seul tout le crĂ©puscule, et, par intermittences, au-dessus dâeux, grinçait la haute girouette⊠Enfin quelquâun monta lâescalier. â Me voilĂ ! » dit Robert. â Ah ! mon ami, vous nous avez bien inquiĂ©tĂ©s ! » sâĂ©cria le pĂšre. â DâoĂč diable venez-vous ? » sâenquit le fils. â Du sommet du Colombier. » Maxime inspecta le secrĂ©taire, et persifla â Vous ĂȘtes joliment propre pour un homme qui vient de la montagne ! Quel garçon soigneux ! Le voilĂ tirĂ© Ă quatre Ă©pingles comme ce matin, avec sa redingote brossĂ©e, ses bottines reluisantes⊠» â CâĂ©tait une grave imprudence », maugrĂ©a M. Le Tellier. Vous savez pourtant que lâendroit est dangereux ! » â Je ne crains rien », fit Robert en essuyant ses lunettes dâor dâun petit geste quiet. Je crois avoir trouvĂ© un prĂ©servatif contre les⊠Sarvants⊠Non, non ne me demandez rien. Vous confier mon procĂ©dĂ© serait vous mettre sur la voie de mes hypothĂšses⊠et je vous supplie de me faire crĂ©dit. Au surplus, jâai Ă vous entretenir dâun fait⊠dont je viens dâĂȘtre spectateur⊠Je dĂ©sirerais votre avis Ă ce propos⊠Il ne faudra pas vous fĂącher si, aujourdâhui, je me borne Ă vous rĂ©vĂ©ler ce fait, sans dire ce que jâen pense moi-mĂȘme⊠Dâailleurs, ce que je pense, câest si vague et si⊠On ne me croirait pas. On embrouillerait mes idĂ©es avec des objections⊠Et enfin, nâest-ce pas, jâai intĂ©rĂȘt⊠en quelque sorte⊠à trouver la solution tout seul, Ă cause de⊠Enfin, câest une maniĂšre de concours⊠Mlle Marie-ThĂ©rĂšse, nâest-ce pas⊠» â Allez donc ! Mais allez donc ! » rugit Maxime impatientĂ©. Quâest-ce que vous avez vu ? » Le petit homme rajusta ses lunettes sur son nez, tirailla sa vilaine barbe mousseuse, et dit â Jâai vu un aigle. » Il les regardait maintenant lâun aprĂšs lâautre, dans les yeux. M. Le Tellier venait de tressauter. â Ah ? » fit-il. Jâai beaucoup pensĂ© Ă cela aujourdâhui⊠Mais câest tellement extraordinaire !⊠» â Jâai vu un aigle extraordinaire », appuya Robert Collin. Maxime le pressa â Extraordinaire⊠sous quel rapport ?⊠Ănorme ? » â Cela, je nâen sais rien. Je manquais de comparaison pour estimer sa taille. â JâĂ©tais appuyĂ© au montant de la croix, depuis une heure peut-ĂȘtre, quand je le vis passer trĂšs loin, vers lâest, au-dessus du RhĂŽne, et trĂšs haut. Cet aigle volait du sud-est au nord-ouest. Je ne lâavais pas encore remarquĂ©, parce quâil y en avait dâautres un peu partout. Mais ceux-lĂ Ă©taient des aigles normaux⊠comme il lâavait Ă©tĂ©, lui aussi, jusquâau moment oĂč⊠Bref, ce qui fit que je le remarquai, ce furent des battements dâailes dĂ©sordonnĂ©s et tout Ă fait extravagants⊠Jâavais une jumelle ; vite, je mâen servis. Et je constatai que le rapace se livrait Ă une espĂšce dâincantation folle, tout en filant Ă une allure qui me sembla moyenne bien que lĂ aussi les points de repĂšre me fissent dĂ©faut pour dĂ©terminer le train de lâanimal. » Je le suivais facilement. » Mais tout Ă coup il disparut de ma lorgnette⊠Alors, Ă lâĆil nu, je le vis monter dans le ciel, suivant une oblique proche de la verticale et avec une rapiditĂ© considĂ©rable⊠Seulement, il paraissait amoindri⊠rapetissé⊠Jâeus le bonheur de pouvoir le rattraper avec ma jumelle et, avant quâil ne sâenfonçùt dans les nuages, de reconnaĂźtre la cause de cette diminution. Câest que lâoiseau avait repliĂ© ses ailes. » â Hein ? » se rĂ©cria Maxime. Il montait sans voler ? sans mĂȘme planer ? » â VoilĂ qui est fort ! » complĂ©ta son pĂšre. Robert confirma â Sans voler. Sans planer. Sans faire plus de mouvements quâun aigle empaillĂ© sur un perchoir ! » â Au moins, vous ĂȘtes sĂ»r dâavoir bien vu ? » â Oui, monsieur Maxime, je rĂ©ponds de moi. â Et alors, que dites-vous du phĂ©nomĂšne ? » â Voyons », dit lâastronome. De quelle nature Ă©taient les gesticulations qui ont prĂ©ludĂ© Ă cet envol fantastique ? » â Des coups dâailes brutaux, dans tous les sens, qui devaient nĂ©cessiter toute la vigueur de la bĂȘte. » â ⊠et qui la maintenaient Ă bonne allure et Ă la mĂȘme hauteur ? » â Oui. » â En somme, » proposa Maxime, câĂ©tait assimilable aux contorsions que pratiquent les discoboles avant de lancer le poids ou le palet ? » â Mon Dieu⊠oui. » â Alors, » continua M. Le Tellier, ce serait un Ă©lan que votre aigle aurait pris, avant de piquer vers le zĂ©nith ?⊠Ce serait une façon dâemmagasiner de lâĂ©nergie ?⊠» â Je vous le demande, maĂźtre⊠Mais il est certain quâun oiseau carnassier, volant avec cette diligence, peut sâĂ©clipser en un rien de temps, aprĂšs avoir commis son larcin. » â Et de quelle couleur Ă©tait-il ? » â Fauve clair ; un peu le plumage dâun nocturne. », â Ah ! tiens, tiens ! » dit M. Le Tellier sans bien se rendre compte de sa pensĂ©e. AprĂšs tout, il Ă©tait peut-ĂȘtre gigantesque, cet aigle, puisque, vous ne⊠â Ăcoutez ! ⊠Qui est-ce qui monte lâescalier ? ⊠» Ils se turent. â Les degrĂ©s de bois sonnaient sourdement. Quelquâun gravissait les spires et se cognait aux marches dans sa prĂ©cipitation⊠M. Le Tellier prit la lampe et sâapprocha de la porte â au moment oĂč Mme Arquedouve Ă©mergeait de lâombre⊠Elle avait une figure de lâautre monde, et elle jeta dâune voix grise ce cri dâalarme â Les Sarvants !⊠Encore ! Ils reviennent !⊠» Ăâavait Ă©tĂ© une clameur terrible et singuliĂšre, comme un hurlement chuchotĂ©. â Ils viennent ?⊠» rĂ©pĂ©tait M. Le Tellier. â Tonnerre de Dieu ! » jura Maxime. Nous nâavons plus de phare ! » Mais, sans perdre une seconde, Robert avait soufflĂ© la lampe, et les deux tabatiĂšres dĂ©coupaient maintenant deux rectangles de ciel qui semblaient sâĂ©claircir peu Ă peu. Maxime comprit la manĆuvre ; il sauta sur la caisse contenant le gĂ©nĂ©rateur, il introduisit son buste dans une lucarne, et releva contre la toiture le chĂąssis vitrĂ©. Robert, Ă lâautre tabatiĂšre, opĂ©rait le mĂȘme branle-bas. Ils dĂ©couvraient chacun la moitiĂ© de lâĂ©tendue ; tout se trouvait donc Ă la merci de leur pĂ©nĂ©tration. Il faisait noir, cependant. Mais, dans un rayon dâune centaine de mĂštres, un homme â ou quelque chose de volume Ă©gal â ne pouvait leur Ă©chapper. Entre eux, derriĂšre eux, dans lâobscuritĂ© du grenier, ils entendaient trembler Mme Arquedouve, et derriĂšre eux, entre eux, au pinacle de la coupole, grincer par instants la girouette de fer forgĂ©. Le bourdonnement de phalĂšne venait dâĂ©clore⊠OĂč ?⊠Partout, Ă ce quâil semblait Ă droite, Ă gauche, en lâair, au fond des poitrines⊠Comme la veille, ils regardaient la nuit de tous leurs yeux, â leurs faibles yeux dâanimaux diurnes⊠LâĂ©table, lâĂ©curie, le poulailler sâĂ©veillĂšrent. La bergerie sanglota⊠Le clair-obscur leur paraissait tour Ă tour Ă©blouissant, puis foncĂ© jusquâĂ devenir opaque⊠Dans le lointain ? le Sarvant bourdonnait. Robert sentit une brise lui caresser le front, et il redoubla de vigilance. Maxime Ă©galement sentit la brise⊠Et la girouette grinça⊠Mais, au lieu de grincer une fois pour toutes, il advint ce prodige admirable quâelle ne sâarrĂȘta plus de grincer et quâelle se mit Ă tourner sans trĂȘve, Ă lâimitation dâune crĂ©celle !⊠La brise, qui soufflait toujours, sâapaisa. Machinalement, les deux guetteurs sâĂ©taient retournĂ©s du cĂŽtĂ© de la girouette. Ils la virent alors sâimmobiliser Ă mesure que le vent tombait. Et ils reprirent la surveillance de la plaine et de la montagne. Soudain, derriĂšre eux, entre eux, au pinacle de la coupole, retentit le CLAC » assourdissant. Un recul instinctif rentra les deux tĂȘtes Ă lâabri du toit, et lâon distingua la dĂ©gringolade dâun objet dur et pesant qui raclait dans sa chute les ardoises sonores⊠Puis plus rien⊠Puis lâarrivĂ©e de lâobjet sur le gravier de la terrasse⊠Le bourdonnement sâĂ©tait Ă©vanoui. â Sapristi ! » anhĂ©la M. Le Tellier sâĂ©pongeant les tempes. â Disparus ! EnvolĂ©s ! » fit Robert ayant repris sa pose dâobservation. Nom de nom ! Pas de veine !⊠â La girouette ne grince plus du tout⊠Ha ! Elle nâest plus lĂ ! Elle est tombĂ©e !⊠Câest elle qui est tombĂ©e ! » â Ils lâont abattue », complĂ©ta Maxime Ă lâautre ouverture. Mais cette fois ils nâont rien emportĂ©. Ils ont laissĂ© choir leur prise. Elle leur a sans doute glissĂ© des mains⊠» â Et le projecteur ! » ajouta lâastronome. On peut dire que câest du guignon ! » â Je nâai rien vu ! » bougonnait Robert. DerriĂšre nos tĂȘtes ! quelle malchance !⊠Et nâavoir pu rĂ©sister au mouvement nerveux qui nous a fait rentrer, lĂąchement, bĂȘtement⊠» â Hem ! hem ! » fit Mme Arquedouve affaisĂ©e sur les derniĂšres marches du colimaçon. â Quoi donc, grandâmĂšre ?⊠Est-ce quâils reviennent Ă la charge ? » â Ils⊠Ils partent seulement⊠LĂ . Ils sont partis. » â Oui ?⊠Enfin, » dit M. Le Tellier, ils sont bien partis, Ă prĂ©sent ? On peut sortir sans danger ?⊠Il serait bon dâaller chercher la girouette. Son examen nous renseignera peut-ĂȘtre⊠Elle sâest comportĂ©e dâune façon Ă©tourdissante⊠» Ils descendirent. Mais ils ne trouvĂšrent de la girouette-crĂ©celle quâune dĂ©pression de sa grandeur et de sa forme, creusĂ©e dans le gravier, sous les fenĂȘtres du laboratoire, oĂč elle sâĂ©tait abattue. â Câest un peu raide ! » grogna Maxime. Ils sont venus la reprendre !⊠GrandâmĂšre avait raison ils nâĂ©taient pas partis !⊠Cela prouve quâon ne les entend que de tout prĂšs⊠Oh ! dire quâon les aurait vus de mon laboratoire ! quâon les aurait vus ramasser cette girouette ! et quâon saurait comment ils ont le nez fait ! » â Le nez⊠ou le bec⊠» aventura M. Le Tellier. Robert, mĂ©ditatif, songeait Ă haute voix â Cette girouette⊠tournant sur elle-mĂȘmeâŠ, elle semblait le centre dâun⊠elle semblait prise au milieu dâun tourbillon⊠dâun petit cyclone⊠alangui⊠â HĂ© ! monsieur Maxime la brise, vous lâavez sentie de gauche Ă droite, naturellement, puisque nous Ă©tions dos Ă dos et que moi je lâai sentie de droite Ă gauche ? » â Mais non, mais non ; elle soufflait de ma droite⊠» â Ah ! ah !⊠CâĂ©tait donc une brise circulaire⊠» â Diable ! » sâĂ©cria M. Le Tellier. Mais Robert lui demanda prĂ©cipitamment â Enfin, avec tout cela, quâest-ce que vous pensez de mon aigle ? » â âŠPlusieurs choses contradictoires. Que si les aigles enlĂšvent parfois de jeunes bestiaux et des enfants, ils nâont pas coutume de ravir les girouettes⊠Mais je pense aussi que la maniĂšre dont votre aigle sâagitait ressemble Ă©tonnamment Ă la façon de voler quâemployaient, dit-on, les hommes de ChĂątel ; et que, peut-ĂȘtre, une sorte de⊠dĂ©guisement⊠Vous y ĂȘtes ? Un homme costumĂ© en aigle⊠pour mystifier⊠Il y a toujours eu un cĂŽtĂ© burlesque dans tout cela⊠» Maxime railla â CostumĂ© ? Pourquoi pas mĂ©tamorphosĂ©, comme le journaliste de Turin muĂ© en nabot ?⊠Mon cher papa, je ne vous reconnais plus⊠» â Câest toi quâon ne reconnaĂźt pas. Je sais parfaitement combien mes infĂ©rences sont fragiles. Mais, faute de mieux, je suis obligĂ© de me livrer aux conjectures qui peuvent sâĂ©noncer dans la forme scientifique tout se passe comme si ». Dâailleurs, tu mâinterromps et je nâavais pas terminĂ©. â Il se peut encore que nous soyons en prĂ©sence dâune force rĂ©cente â ou rĂ©cemment dĂ©couverte â une force⊠une lĂ©gĂšretĂ© plutĂŽt, que les ĂȘtres vivants seraient Ă mĂȘme dâacquĂ©rir, â et dâacquĂ©rir sans le vouloir, Ă leur corps dĂ©fendant⊠» â Ta ta ta ! Nous avons peur, et voilĂ tout. Quâavons-nous fait jusquâici, sans compter les gaffes ? De la dialectique et des poltronneries. Avec tant de prĂ©cautions, nous ne verrons jamais les Sarvants ! Rien nâempĂȘche de voir son adversaire comme un bouclier trop vaste⊠Tenez, câest ridicule de ne plus sâĂ©loigner des villages quâen nombre. Juste ce quâil faut pour ĂȘtre aperçu de lâennemi !⊠Jâen ai assez, moi, de toutes vos couardises. Ă lâavenir, je ferai comme Robert jâirai seul oĂč bon me semblera ! » M. Le Tellier, sentant Maxime sur la pente de la colĂšre, lui souhaita le bonsoir. Quand il eut regagnĂ© le vestibule, Robert alors dit Ă Maxime â Ăcoutez. Vous ĂȘtes en passe de tĂ©mĂ©ritĂ©s. Eh bien, croyez-moi si vous sortez seul, habillez-vous comme lâune des personnes disparues. Faites-vous la copie de lâune dâelles. Au besoin, teignez-vous les cheveux et la barbe ; rasez-vous, sâil le faut. Nâoubliez ni la canne, ni les gants. Allez mĂȘme jusquâĂ reproduire la dĂ©marche. » Aujourdâhui, avant de monter au Colombier, je suis allĂ© chez le docteur Monbardeau, et lĂ , sur ses indications, jâai revĂȘtu un costume kaki appartenant Ă son fils et pareil Ă celui quâil portait le jour de son enlĂšvement. M. Monbardeau a bien voulu complĂ©ter la ressemblance ; nous avons trempĂ© dans de la chaux un feutre noir, pour le blanchir ; jâai chaussĂ© des bottines jaunes⊠Câest pour quoi vous mâavez trouvĂ© si propre, Ă mon retour. Je venais de restituer mon vestiaire dâemprunt. » Câest un bon truc. Du moins, je le crois⊠En tout cas, il paraĂźt mâavoir rĂ©ussi tantĂŽt, puisque me voilĂ . â Mais de la discrĂ©tion, nâest-ce pas ! » â Ah çà ! est-ce que vous ĂȘtes timbrĂ© ? » fit lâautre, Ă la fois rieur et dĂ©contenancĂ©. Si le stratagĂšme est efficace, pourquoi le tenir cachĂ© ? » â Pour diverses raisons, mais, avant tout, parce quâil existe prĂ©sentement un autre moyen de sâimmuniser, qui est le fruit de lâempirisme et qui vaut certes mon procĂ©dĂ©, rĂ©sultat du calcul. Ce moyen, câest justement celui que vous rejetez et qui consiste Ă se rĂ©unir en force, au large des habitations. Cela, câest connu ; tout le monde accepte cette obligation temporaire ; et ceux qui refusent de sây soumettre â imbĂ©ciles, fortes tĂȘtes ou bravaches soit dit sans vous offenser â ne voudraient pas non plus de mon systĂšme. » â Il y a du vrai lĂ -dedans⊠» â Seulement⊠seulement⊠ces deux prĂ©servatifs⊠Le premier, le populaire, est-ce quâil aura toujours de lâaction ?⊠Et le second, le mien, est-il parfait ?⊠Est-ce par hasard que les Sarvants ne mâont pas emportĂ© lors de cette premiĂšre expĂ©rience ? Serait-ce quâils ne mâont pas vu ?⊠Si paradoxal que cela puisse paraĂźtre, je le dĂ©sire de tout cĆur, savez-vous ! Car, pour peu que soit vĂ©rifiĂ© ce coin de ma thĂ©orie, toute ma thĂ©orie se trouve exacte ; et alors⊠» Il se passa la main sur le front, comme en face dâapparitions effroyables. Or sa main frissonnait et la sueur perlait Ă son front. â ⊠Et alors, mon cher, vous nâavez pas dĂźnĂ© », termina Maxime. Vous avez faim. Estomac vide cerveau creux. Lâinanition vous fait divaguer. » â Monsieur Maxime, » dit Robert, je donnerais ma vie pour me tromper. » xvAutres Faits contradictoires La pĂ©riode qui suivit fut vraiment terrible, pour la seule raison quâil y avait encore des incrĂ©dules. Les populations avoisinantes gardaient une arriĂšre-pensĂ©e de tromperie, et, parmi leurs constituants, ceux qui admettaient lâĂ©pidĂ©mie de disparitions nâestimaient pas quâelle dĂ»t sâĂ©tendre. DâaprĂšs eux, câĂ©tait une calamitĂ© locale. â Passe donc pour ces saints Thomas qui nâavaient rien vu. â Mais au cĆur du Bugey, dans le pays de Belley, en plein dĂ©sastre, plus dâun butor et plus dâun bel esprit sâobstinaient Ă goguenarder. Ils se moquaient du S. P. L. D. D. T. C. L. S. le Syndicat pour la DĂ©fense du Territoire contre les Sarvants qui venait de se fonder. Ils affectaient de contrevenir Ă ses prescriptions !⊠Et câest cela qui est incroyable ! Et câest cela qui provoqua tant et tant de malheurs ! Lâaudace de lâennemi croissait avec le nombre de ses rĂ©ussites. Son terrain dâopĂ©rations avait fini par devenir un cercle immense qui englobait Saint-Rambert, Aix-les-Bains et Nantua. Dans cette province, qui se dĂ©veloppait sans cesse davantage, le Sarvant prĂ©levait sa dĂźme incomprĂ©hensible. Et ceux qui ne croyaient pas en lui devenaient ses tristes victimes. Mais que dire de ceux qui croyaient au Sarvant ! Les malheureux vivaient dans la terreur. Voulaient-ils sortir ? une escorte sâimposait ; ils se faisaient cortĂšge rĂ©ciproquement ; et lâon voyait cheminer des cohortes de villageois qui regardaient le ciel devenu Ă©quivoque. â Ah ! le ciel ! une Ă©nigme sâajoutait Ă ses nombreux mystĂšres, et sa profondeur reculait encore aux yeux de lâhomme. â On fermait les demeures bien avant le crĂ©puscule ; et quand la nuit hostile Ă©tait descendue, on se mettait aux Ă©coutes ; car il avait Ă©tĂ© convenu que le tocsin sonnerait dans la commune oĂč les Sarvants seraient aperçus. Mais on ne lâentendit jamais quâau fond des oreilles fiĂ©vreuses oĂč le sang tintait sa cloche maladive. â Bien aprĂšs lâaube, on ouvrait un guichet, un soupirail, puis les fenĂȘtres, enfin la porte. Quelques-uns restaient sĂ©questrĂ©s. Dâautres, moins timorĂ©s, se contraignaient Ă sortir. Mais il suffisait dâun frĂ©missement pour quâils frĂ©missent ; une porte poussĂ©e par un courant dâair les faisait blĂȘmir ; â le vent surtout savait les effrayer. On avait jasĂ© de la brise agitant les marronniers de Mirastel et prĂ©cĂ©dant le clac » Ă©pouvantable ; en sorte quâun zĂ©phyr passant sur les feuillĂ©es leur semblait quelquâun de mĂ©chant qui survenait. Sa caresse les enveloppait de frissons. Ils auraient voulu connaĂźtre lâorigine du vent et ce que câest au juste, question quâils nâavaient jamais soulevĂ©e. Ce quâils redoutaient, Ă vrai dire, câĂ©tait dâĂȘtre saisis par derriĂšre, dans les mains foudroyantes quâon apercevait toujours trop tard. Câest pourquoi ils se retournaient constamment. â Taper sur lâĂ©paule dâun camarade, en lâabordant par surprise, Ă©tait un jeu mortel. Ă Belley, sur le mail, pendant une partie de boules, un citadin cardiaque tomba raide, parce que son partenaire lâavait touchĂ© de la sorte. â Un mercredi, prĂšs de Talissieu, le cadavre du garde champĂȘtre fut dĂ©couvert dans une haie de mĂ»riers. Au cours dâune ronde entre chien et loup, sa blouse sâĂ©tait accrochĂ©e aux Ă©pines ; certain dâĂȘtre harponnĂ© par les Sarvants, le pauvre diable sâĂ©tait dĂ©battu ; mais les ronces lâavaient liĂ© de toutes leurs griffes, et lâĂ©pouvante lâavait tuĂ©. Son visage montrait bien quâil Ă©tait mort de peur. Quoique tout logis fĂ»t plein dâhabitants, la plupart des bourgades semblaient Ă©vacuĂ©es. Les rues, par-ci par-lĂ , rĂ©sonnaient au passage dâun groupe. Quelquefois, dans leur silence et leur vide oppressants, un tĂ©mĂ©raire, un brave, se glissait le long des murs, avec la face dâun homme en perdition. Et comme tous, il levait les yeux vers le ciel ; non pour le supplier, mais pour lâespionner. Car du ciel on attendait moins le salut que le pĂ©ril. La campagne Ă©tait dĂ©sertique. Quelques troupeaux, gardĂ©s par un troupeau dâenfants, paissaient encore les prairies ; de loin en loin, des phalanges de cultivateurs entretenaient les champs. Un recueillement lugubre planait sur les chansons Ă©teintes et les rires vaincus. Pour comble de tristesse, un mois de juin morose, interceptant le soleil, roula dâinterminables nuĂ©es. Chaque jour, cependant, une procession dĂ©bouchait des Ă©glises ; une foule en deuil la composait ; et lâon disait des priĂšres pour demander Ă Dieu le terme dâun flĂ©au quâon ne pouvait pas mĂȘme lui dĂ©signer clairement. Ă son habitude, la terreur suscita des conversions. Une jonchĂ©e de fanatiques, Ă plat ventre, sâallongeait au pied des autels. Certain prĂȘtre, ayant recherchĂ© les vieilles formules mĂ©diĂ©vales, pratiqua des exorcismes. Ă mesure quâon sâĂ©loignait du Bugey, lâĂ©motion toutefois allait sâattĂ©nuant, comme il a Ă©tĂ© dit pour les rĂ©gions limitrophes. Le pays Ă©tait un foyer de crainte qui rayonnait sur la terre et dont lâintensitĂ© sâaffaiblissait avec la distance. LâĂ©tranger, qui ne frissonnait pas encore pour son compte personnel, Ă©tait au demeurant fort tranquille, et beaucoup dâĂtats Ă©loignĂ©s tenaient toujours les Sarvants pour des canards. Une chose inimaginable, câest que Maxime fĂ»t au rang des sceptiques et des impassibles autant que sâil eĂ»t habitĂ© les antipodes, lui lâhĂŽte de Mirastel, lui si Ă©prouvĂ© dans ses affections par le malheur public. Son ferme bon sens de marin et de soldat regimbait devant le surnaturel. Il se refusait Ă lâadmettre. Et comme le surnaturel semblait ĂȘtre la clef unique des faits, Maxime nâĂ©tait pas loin de nier les faits eux-mĂȘmes, sinon dans leur rĂ©alitĂ©, du moins dans lâapparence quâon leur prĂȘtait. Il restait persuadĂ© que tout sâexpliquerait naturellement, lorsque les bandits rĂ©clameraient de lâargent contre les captifs restituĂ©s sains et saufs. Selon lui, les seuls martyrs du Sarvant seraient les nĂ©vrosĂ©s quâune souleur suffisait Ă occire. Il avait beau sâefforcer dâenvisager sĂ©rieusement lâhistoire des hommes volants et des aigles ne volant pas, â de ce monde renversĂ©, de cette saturnale de la crĂ©ation, â il nây parvenait pas, et la traitait en lui-mĂȘme de machinerie théùtrale et de tour dâillusionniste, ou de craque. MalgrĂ© les remontrances de tous, malgrĂ© lâanxiĂ©tĂ© de sa mĂšre, il partait souvent pour la montagne, seul, et peignait des aquarelles dâaprĂšs nature. Il disait quâil avait besoin de se faire la main pour exĂ©cuter les planches en couleurs dâun traitĂ© dâichtyologie. Il affichait une confiance, une insouciance extraordinaires, et ne manquait pas une occasion de sâĂ©vader, si petite quelle fĂ»t. Quand il y avait des courses Ă faire, il sâen chargeait, et, dans la grande auto blanche quâil sâamusait Ă conduire, câest lui et le mĂ©canicien qui allaient aux provisions. En cet Ă©quipage, le second jeudi du mois de juin, Maxime se rendit Ă Belley, la rĂ©serve de carbure de calcium ayant besoin dâĂȘtre renouvelĂ©e. On sâĂ©tait dĂ©cidĂ©, en effet, Ă remonter les deux projecteurs ; et chaque nuit, Ă prĂ©sent, leur double rayon virait au faĂźte de la tour, qui ressemblait ainsi Ă quelque moulin fantasmagorique, avec des ailes de caprice et de feu. Or donc, Maxime Le Tellier revint, aux premiĂšres ombres du soir, vers Mirastel. Au sortir de CeyzĂ©rieu, â bĂąti sur la hauteur, en face du chĂąteau et de lâautre cĂŽtĂ© de la plaine marĂ©cageuse, â la beautĂ© de la vue soudaine le transporta. Une mer de brouillard submergeait les fonds. Villages, clochers mĂȘmes avaient disparu. Les vapeurs Ă©levaient leur feutre impondĂ©rable jusquâĂ la ligne des manoirs. Le couchant, roi des ors et des ombres, dĂ©coupait superbement le Colombier, faisait saillir ses arĂȘtes et creusait lâentaille de ses sillons. La nuit montante avait dĂ©jĂ conquis le bas de la croupe, mais les hautes roches flamboyaient encore. Un lourd nuage empanachait la cime, pareille alors au cratĂšre dâun volcan. Il y avait dans ce paysage quelque chose dâantĂ©diluvien. Maxime croyait vivre cent mille ans plus tĂŽt, lorsque les ondes couvraient toute la plaine et que les monts jetaient des flammes⊠La lune, Ă sa droite, sortit du haut de la Chautagne, Ă©norme et dâun rouge foncĂ©, telle quâun tiĂšde soleil prĂ©historique. Et Maxime songeait aux hommes primitifs, en butte Ă lâangoisse multiple dâun monde quâils ignoraient, pauvres jouets dâĂ©lĂ©ments inexpliquĂ©s dont chaque manifestation devait leur paraĂźtre surnaturelle, et qui devaient mourir persuadĂ©s dâavoir vĂ©cu parmi les prodiges. La lune Ă©parpillait des touches carminĂ©es Ă la surface du brouillard. Lâautomobile descendit la cĂŽte, et plongea dans la nue stagnante. Cette brume Ă©tait assez dense Maxime voyait la route se perdre Ă dix mĂštres du capot. Il embraya la seconde vitesse, franchit un ponceau, fit Ă gauche un tournant et longea la prairie de CeyzĂ©rieu, invisible. AprĂšs le pont de la TuiliĂšre, force lui fut de ralentir encore le chemin, sinueux, devenait plein dâembĂ»ches. Dans la pĂ©nombre blanchĂątre, les boqueteaux dressaient une succession de masses incertaines que lâĂ©loignement estompait Ă mesure. Les petites clairiĂšres paludĂ©ennes fumaient doucement. Tout Ă coup, Maxime freina, sec, et saisit dâune Ă©treinte crispĂ©e le poignet du mĂ©canicien. â Regardez ! Quâest-ce qui passe lĂ -bas ?⊠» Devant eux, au fond du brouillard, tout prĂšs du sol, une forme allongĂ©e, monumentale, â une espĂšce de grand fuseau, une silhouette de ballon dirigeable enfin, se faufilait, vive et rapide, entre les bouquets dâarbres⊠Elle sâenfonça dans la brume, que son passage avait bousculĂ©e et qui sâagita derriĂšre elle en remous nonchalants. Ce fut seulement une apparition. â Avez-vous vu ? » demanda Maxime, au comble de la surprise. â Oui, monsieur Maxime. Câest un rude ballon ! Ce quâil marche ! Du quatre-vingt-dix, au moins ! » â Pour sĂ»r⊠Ah ! nous tenons la vĂ©ritĂ© ! » sâĂ©cria le jeune homme, en repartant. Je savais bien, moi ! » â Ah ! monsieur Maxime, câest peut-ĂȘtre pas ceux-lĂ qui ont enlevĂ© Mademoiselle⊠» â Comment ! Vous nâavez donc pas vu ?⊠Vous nâavez rien remarquĂ© de spĂ©cial ? » â Non, monsieur Maxime. » â La nacelle, voyons⊠la nacelle ?⊠Eh bien ! il nây en a pas, de nacelle ! » â Monsieur Maxime croit ?⊠» â Si je crois ! » â Pas vu. Ăa filait trop vite⊠» â Vous nâavez rien entendu⊠Moi non plus. Du reste, le moteur de la voiture faisait un vacarme et trĂ©pidait ! » â LĂ ! monsieur Maxime lâa laissĂ© emballer quand il a dĂ©brayĂ© si tellement rapido⊠â Enfin, vâlĂ quâon sort de la ouate ; câest pas dommage⊠» En effet, lâautomobile gravissait la rampe de Mirastel ; et bientĂŽt, remontĂ© dans la lumiĂšre du soir, Maxime put observer les choses Ă loisir. La mer de brouillard se tenait parfaitement immobile. Aucun sillage ne la tourmentait. La lune, Ă©levĂ©e, rĂ©duite et pĂąlie, la touchait Ă prĂ©sent de lamelles nacrĂ©es. Lâair immense nâĂ©tait hantĂ© que de chauves-souris. Aussi loin que portait le regard, aucun ballon ne fuyait. LâaĂ©ronat furtif, qui semblait gouverner sans Ă©quipage, ainsi quâun dirigeable-fantĂŽme, continuait sans doute Ă se couler sous la nappe vaporeuse ; et celle-ci se prolongeait Ă perte de vue. Maxime aborda Mirastel et sâarrĂȘta dans la cour des communs. Il fut assez Ă©tonnĂ© dây voir ses parents et tous les domestiques rĂ©unis autour dâun cabriolet Ă quatre roues, nanti dâune caisse volumineuse, dont le propriĂ©taire discourait avec animation. Maxime reconnut Philibert, le concessionnaire de la pĂȘche au lac du Bourget. Tous les jeudis, cet homme allait de castel en castel, apportant le poisson du vendredi et câest lui qui fournissait Ă lâocĂ©anographe-ichtyologue les sujets de ses expĂ©riences et les modĂšles de ses planches. Philibert pĂ©rorait donc. Et Maxime remarqua lâair sĂ©rieux et attentif de Robert Collin et de M. Le Tellier qui lâĂ©coutaient. â Personne, au surplus, ne sâintĂ©ressait au retour de lâautomobile. Ayant conseillĂ© au mĂ©canicien de garder le silence Ă propos du dirigeable, le fils de la maison, sâapprochant du pĂȘcheur, lui fit recommencer son histoire. Elle nâĂ©tait pas ordinaire, et datait du jour mĂȘme. La maison de Philibert est situĂ©e prĂšs de Coniux, au bord du lac. Il en Ă©tait sorti le matin, vers cinq heures, pour aller garnir » sa jument ; et le lac, un instant, lâavait fait sâarrĂȘter. Car il aimait Ă contempler sa pĂȘcherie. Lâeau, Ă©tincelante dâaurore, Ă©tait lisse et transparente. Les poissons nageaient contre la surface⊠Mais soudain, la platitude miroitante se trouva rompue. Ă quelque distance du rivage, Philibert vit se former dans lâeau quelque chose comme un creux instantanĂ©, fugitifâŠ, et du fond de ce trou, sâĂ©lança le plus magnifique brochet que lâon pĂ»t se figurer. Le poisson jaillit, dâun bond formidable, hors de son Ă©lĂ©ment, et nây retomba plus ; mais, tandis que le nombril du lac se refermait sur une vague, il commença de surprenantes contorsions. Durant trois ou quatre secondes, il fouetta lâair de sa queue et de ses nageoires, puis sâen alla, voletant au-dessus du Bourget, comme font les martins-pĂȘcheurs. Il doubla le promontoire oĂč se dresse le chĂąteau de ChĂątillon, et sâĂ©clipsa derriĂšre lui. Telle est lâhistoire que Philibert conta beaucoup moins nettement. Les domestiques lâentendaient pour la deuxiĂšme fois, et cependant ils sâexclamĂšrent de nouveau. â Vous pensez », reprit le pĂȘcheur, ce que je me frottais les yeux !⊠Et il avait lâair tout folĂątre, le bougre de poisson ! » â Pourtant, » dit M. Le Tellier, il faisait des contorsions trĂšs violentes, nâest-il pas vrai ? » â Ah ! oui, alors ! Il avait lâair de se donner un mal de chien ! Dame ! » M. Le Tellier fit un signe Ă Robert â VoilĂ qui ressemblait curieusement aux hommes de ChĂątel et Ă lâaigle du Colombier⊠Maxime intervint â Allons donc, Philibert ! Vous avez la berlue⊠Vous avez vu ça ?⊠La main sur la conscience ?⊠» â Je le jure ! » Mais lâocĂ©anographe songeait Il aura vu un muge volant, un exocet, ou quelque dactyloptĂšre, quelque trigle ; enfin, ce doit ĂȘtre un poisson de mer, quâun plaisant a jetĂ© dans le lac, pour Ă©tonner les belles dames dâAix-les-Bains. » Il le dit Ă Philibert, lui rappela quâil connaissait mieux que personne les espĂšces ichtyques, et lâassura que nul poisson dâeau douce nâĂ©tait capable de voler. â Ben, mâsieur Maxime, y a-t-il un de ces poissons de mer, volants, qui soit fait tout comme un brochet ? » â Ăa, non. Et leur longueur ne dĂ©passe jamais trente ou quarante centimĂštres. » â Eh ben, puisque je vous dis que câest un brochet ! Et je mây connais aussi, peut-ĂȘtre ! â Un bĂ©quet de premier choix, lĂ ! Un vieux carreau, vert et ben glorieux, dâau moins quarante livres de poids ! » â Seigneur JĂ©sus ! » sâĂ©cria la cuisiniĂšre. â Enfin », repartit Maxime, de quelle façon prĂ©tendez vous quâil volait ? â Les poissons volants ne restent en lâair quâune trentaine de mĂštres ; ils reprennent lâeau, puis recommencent. » â Non, non le mien voletait. Il faisait de petits sauts en sâĂ©loignant ; il traçait des zigzags trĂšs courts, Ă droite et Ă gauche, et il se dĂ©menait aussi en hauteur⊠Sâil a replongĂ©, câest derriĂšre ChĂątillon ; parce que je certifie quâil a tout le temps demeurĂ© Ă quatre, cinq mĂštres de lâeau. » Maxime eut un rire sarcastique. â Et, aprĂšs cela, ĂȘtes-vous restĂ© longtemps sur la berge ? » â Ma fi, non. Je suis allĂ© tout de suite atteler, et lever les nasses dans le vivier⊠â Seulement, messieurs et dames, » annonça Philibert sur un autre ton, jâai rĂ©galĂ© tout le monde avec mon aventure, tout le long du chemin⊠Ăa mâa fichu en retard ; la nuit est venue ; et, si câĂ©tait un effet de votre bontĂ©, je coucherais ben ici, parce que⊠Ce nâest pas que jâaie peur, mais⊠» â Câest entendu », fit Mme Arquedouve. â Mâsieur Maxime, je vous ai apportĂ© des lavarets. » â Merci. Vous les mettrez dans la cuve de gauche, sâil vous plaĂźt. » Maxime, ayant pris Ă part son pĂšre et Robert Collin, leur rapporta la vision quâil avait eue dans le brouillard. Il soutint que le dirigeable Ă©tait celui des forbans, Ă cause de la disposition originale qui ne permettait pas de voir la nacelle, et Ă cause de lâhabiletĂ© quâil fallait pour mener aussi vite, Ă travers la brume et les obstacles. â Si vite que cela ? » dit M. Le Tellier. â Si vite, » lui rĂ©pondit son fils, si vite que le ballon nâa pas eu le temps, pour ainsi dire, de masquer les arbres devant lesquels il glissait. Ce fut comme un train lancĂ©, vous savez, les express on aperçoit les choses derriĂšre eux, â on ne cesse pas de les apercevoir, malgrĂ© toute lâopacitĂ© qui sâinterpose entre elles et vous, le laps dâun clin dâĆil⊠Eh bien, câĂ©tait ainsi. » â En effet, quelle rapiditĂ© !⊠Mais alors, tu nâas distinguĂ© aucun dĂ©tail, surtout dans le brouillard⊠» â Un voile de mousseline Ă©paisse mâeĂ»t environnĂ© que câeĂ»t Ă©tĂ© la mĂȘme chose. On ne voyait absolument que des silhouettes, Ă la distance oĂč passa lâauto-ballon. Jâai remarqué⊠Jâai cru remarquer lâabsence de nacelle⊠CâĂ©tait un cigare colossal, qui brassait de la brume autour de lui. » â Plus grand quâun dirigeable ordinaire ? » â Oh⊠non, je ne crois pas. En somme, câest tout bonnement un aĂ©ronat perfectionnĂ©, qui se sauve Ă toute hĂ©lice une fois le rapt ou le vol exĂ©cutĂ©s⊠Il se fiait au brouillard pour passer inaperçu⊠Il sâen servait comme il se sert de la nuit. Le fait de lây avoir vu mâest un sĂ»r garant que câest lui le corsaire. â Vous voilĂ fixĂ©s, jâimagine ! » â Et le poisson ? » fit M. Le Tellier. â Et les hommes volants ? » renchĂ©rit le secrĂ©taire avec un sourire caustique. â Le poisson et les hommes volants ? Ălucubrations de paysans naĂŻfs ! Le brigadier GĂ©ruzon et le pĂȘcheur Philibert sont des superstitieux, des visionnaires. Remarquez, au surplus, que Philibert a cru voir son brochet frĂ©tiller comme se tortillaient, Ă ce quâon dit, les hommes de ChĂątel⊠Suggestion ! Suggestion pure ! » â Et lâaigle ! » objecta Robert. Je lâai vu, moi, ce qui sâappelle vu !⊠» â Dâaccord. Vous lâavez vu, mĂȘme, Ă travers des besicles, et mĂȘme des besicles dâor⊠Vous avez lâimagination et la vue trop riches ! » â Ne badine pas, Maxime », reprit son pĂšre. Certes, rien nâest sĂ»r. Ce que je vais dire nâest sans doute quâune façon de traduire ma pensĂ©e, et pas autre chose⊠Aussi bien, câest en essayant des formes diverses Ă la mĂȘme idĂ©e quâon parvient le mieux Ă la prĂ©ciser, donc Ă la juger⊠Mais enfin tout se passe comme si des ĂȘtres de tout genre se trouvaient douĂ©s, de but en blanc, de la vertu de sâenvoler, â sous lâinfluence dâune force quelconque, mais probablement naturelle. » Je dis naturelle, parce que cette force, ayant agi sur un oiseau qui nâen avait guĂšre besoin, puisquâil volait dĂ©jĂ auparavant ne saurait ĂȘtre quâune force aveugle de la nature. » DĂšs lors, quoi dâĂ©tonnant Ă ce que des hommes, animĂ©s de mauvais instincts et poursuivant je ne sais quel but, aient profitĂ© de cette facultĂ© subitement acquise ? Quoi dâĂ©tonnant Ă ce quâelle ait fait germer les pires desseins dans lâĂąme dâhonnĂȘtes gens promus tout Ă coup seigneurs de lâatmosphĂšre ?⊠» â Avec votre thĂ©orie, » rĂ©pliqua Maxime en ricanant, vous expliqueriez la triple disparition du Colombier par lâessor de Marie-ThĂ©rĂšse et de nos cousins, sans avoir recours Ă lâhypothĂšse de ravisseurs⊠» â Mais non ! » rĂ©pondit patiemment M. Le Tellier. Dans ce cas, ils seraient revenus. Dâailleurs, les pas sur la neige rĂ©vĂ©laient un drame, un enlĂšvement. Non, ce serait absurde ; mais je te rĂ©ponds quand mĂȘme, parce quâil est scientifique dâexaminer tous les arguments qui se prĂ©sentent. » â Alors, que faites-vous de mon dirigeable ? » â Câest un ballon comme les autres. Tu ne connais pas tous les modĂšles⊠Et puis, tu ne pouvais pas le voir suffisamment, Ă cause du brouillard et de la vitesse. Pour moi, il Ă©tait pilotĂ© par un de ces risque-tout, de ces chauffards, qui croient que la route de lâair leur appartient. Et voilĂ . â Quâen dites-vous, Robert ? Vous avez la mine perplexe⊠» â MaĂźtre⊠Maintenant, vous croyez donc que mon aigle Ă©tait un aigle vĂ©ritable ? » â ⊠Oui ; parce que le brochet de Philibert est un vrai brochet. De loin, dans le ciel, un aigle gĂ©ant ou quelquâun travesti en aigle, cela peut se soutenir, Ă la rigueur. Mais quelquâun dans un brochet !⊠Tenez, on arriverait Ă lĂącher des Ă©normitĂ©s⊠» Mais voici la nuit. Viens-tu, Maxime ? Câest nous qui sommes de faction aux projecteurs. As-tu le carbure ? » Cette nuit-lĂ , les deux gardiens du phare de la tour, attristĂ©s de ne rien connaĂźtre, mĂ©ditĂšrent longuement sur la science et sur lâignorance⊠Et la pleine lune, au faĂźte de son arc, leur sembla lâorifice ensoleillĂ© dâun puits de Babel, au fond de quoi les hommes sâagitent confusĂ©ment. xviEncore le Dirigeable Entrez !⊠Ah ! câest vous, Robert. Salut ! » â Bonjour, monsieur Maxime. » â Votre Seigneurie dans mon laboratoire ! câest un Ă©vĂ©nement !⊠Quâest-ce qui vous amĂšne, ce matin ? » Robert, visiblement distrait, se rĂ©cria sans vigueur â Oh ! un Ă©vĂ©nement !⊠» Et il sâexclama Quelle tempĂ©rature, hein !⊠Une chaleur pour la saison⊠» â Il va faire de lâorage. » Et Maxime, attablĂ© devant un croquis de mĂ©canique, se remit Ă le griffonner, en se demandant ce qui lui valait la visite du secrĂ©taire. Les trois fenĂȘtres de la rotonde Ă©taient ouvertes Ă deux battants, mais il faisait si chaud quâelles nâarrivaient pas Ă crĂ©er le moindre courant dâair. Un chaos de nuages plombĂ©s encombrait le ciel tumultueux comme un ciel de bataille, immobile comme un ciel de tableau. Sous lui, les choses de la terre prenaient des reflets de cendre. La plaine, toute hĂ©rissĂ©e de peupliers, semblait, au port dâarmes, attendre quelque chose de mĂ©morable ou quelquâun de suprĂȘme. â CâĂ©tait un beau dĂ©cor pour une tragĂ©die. Ă lâintĂ©rieur du laboratoire, un soleil malade blĂȘmissait la luisance des aquariums et des vitrines. Les poissons â trĂšs Ă©clairĂ©s, afin que le peintre Maxime fĂ»t Ă lâaise pour en saisir les mille nuances â gardaient la pose et somnolaient dans le sommeil de lâeau. Robert sâapprocha des boĂźtes vitrĂ©es oĂč le mimĂ©tisme dĂ©ployait ses bizarreries. De loin, certaines de ces boĂźtes paraissaient pleines de branches, dâherbes et de rameaux ; et de prĂšs, on sâapercevait que telle brindille Ă©tait une malicieuse chenille, telle tache dâĂ©corce une phalĂšne retorse, et telle feuille exotique un ingĂ©nieux moustique. Mais il nây avait pas que des bĂȘtes dĂ©guisĂ©es en vĂ©gĂ©taux ; il y avait aussi des bĂȘtes costumĂ©es en bĂȘtes. Dâautres vitrines, en effet, logeaient des papillons Ă©pinglĂ©s deux Ă deux ; dans chaque paire chacun se ressemblait Ă sây mĂ©prendre, et pourtant celui-ci constituait une nourriture empoisonnĂ©e pour les petits oiseaux, et lâautre, inoffensif, ne devait dâexister encore de nos jours quâĂ sa ressemblance avec son sosie vĂ©nĂ©fique. â Malheureusement, il faut le dire, depuis que lâenfant Maxime, occupĂ© dâautres jeux, sâĂ©tait dĂ©sintĂ©ressĂ© de celui-ci, le temps avait modifiĂ© beaucoup de ses prĂ©parations, fanĂ© toutes les verdures, moisi bien des corselets. Et maintenant pas mal de similitudes commençaient Ă diffĂ©rer. Robert en fit la remarque au jeune homme, et poursuivit â Câest tout de mĂȘme drĂŽle, ces identitĂ©s⊠cette espĂšce de mascarade zoologique !⊠le camĂ©lĂ©on, qui, Ă volontĂ©, pour ĂȘtre inaperçu, se fait rouge ou vert, selon quâil est sur un fond rouge ou sur un fond vert !⊠» â Eh oui. Câest lâhistoire du lion, fauve sur le sable fauve du dĂ©sert ; câest lâhistoire de lâours, blanc sur la neige blanche des PĂŽles. Tout cela des mimĂ©tismes⊠Mais, comment ! vous, le spectateur des constellations, ces machines-lĂ vous intĂ©ressent !⊠â Pourquoi pas ?⊠â Sans doute y a-t-il aussi des poissons qui se livrent au mimĂ©tisme ? » â La nature en est pleine. Lâhomme lui-mĂȘme⊠Les manteaux couleur de muraille⊠â Tiens ! mais dites donc Robert, » Maxime riait, je vous vois si attentif⊠Accuseriez-vous par hasard le Sarvant de revĂȘtir un maillot bleu de nuit, pour⊠» â Quelle bĂȘtise ! » interrompit le secrĂ©taire. â ⊠Ce petit musĂ©e mâa bien diverti jadis⊠Il a dĂ©terminĂ© ma vocation de biologiste⊠Aujourdâhui jâai dâautres chats Ă fouetter⊠» â Ăa marche, vos planches Ă lâaquarelle ? » â Pas mal », dit Maxime, en sortant dâun carton plusieurs de ses Ćuvres. Oh ! ce nâest pas du van Ostade, ni du Jan Steen⊠Cela suffit, voilĂ tout. â Mais, pour lâinstant, jâai cessĂ© de portraiturer les poissons. » â Ah ! ah ! la dissection ! » â La dissection, un peu, oui, mais accessoirement et Ă propos dâune autre Ă©tude trĂšs captivante⊠â Mais je vous ennuie, Robert ? » â Pas du tout ! » â Vous allez comprendre. Câest pour le MusĂ©um dâOcĂ©anographie de Monaco. Je voudrais machiner un aquarium oĂč les poissons des grandes profondeurs vivraient normalement. Nos chaluts vont bien les saisir Ă plus de neuf mille mĂštres de fond ; mais la dĂ©compression et surtout le brusque changement de tempĂ©rature les dĂ©tĂ©riorent et les font crever. Je cherche Ă construire un vivier clos, oĂč la pression et la tempĂ©rature se maintiendraient. Vous voyez je suis en train de gribouiller un dispositif de pompes⊠Mais ça nâest pas commode⊠Lâinvention serait grosse de consĂ©quences. Pensez donc ! Reconstituer le milieu vital de ces ĂȘtres si lointains ! Pouvoir observer leurs habitudes vĂ©ritables ! Dans lâombre oĂč la cuve resterait plongĂ©e, les voir sâilluminer de phosphorescences multicolores, comme dans la nuit Ă©ternelle des rĂ©gions sous-marines ! » â Ah ! câest cela que vous cherchez ! » dit Robert. Mais Maxime se mĂ©prit sur le ton vif de cette interjection. Il sâimagina que Robert lui reprochait de ne pas sâemployer Ă dâautres besognes, plus urgentes⊠â Oui, câest cela », rĂ©pondit-il en rougissant. Et il sâexcusa ⊠Jâai cherchĂ© aussi Ă pĂ©nĂ©trer le mystĂšre des disparitions⊠Seulement, vous savez, lĂ -dessus jâai mon idĂ©e. Nous serons fixĂ©s sous peu par les ravisseurs eux-mĂȘmes les gens de lâauto-ballon. » â Vraiment ? Vraiment ? » faisait Robert, complĂštement absorbĂ© dans une rĂȘverie. â Ah çà , Robert, soyez franc ! Vous ĂȘtes lĂ qui tergiversez, qui parlez de tout et de rien⊠Quâavez-vous Ă me dire ? » â Pardon⊠Ah ! oui⊠Vous disiez ?⊠Parfaitement, parfaitement⊠Je⊠je suis chargĂ© dâune mission, figurez-vous. » Et il sourit. Une mission de madame votre mĂšre. Elle sâeffraie de votre tĂ©mĂ©ritĂ©. Depuis quelque temps vous vous hasardez tous les aprĂšs-midi dans la montagne, avec votre fourniment dâartiste-peintre⊠Et, nây pouvant rien, elle mâa dĂ©lĂ©guĂ© auprĂšs de vous⊠» Maxime posa ses mains sur les Ă©paules de Robert. â Vous ĂȘtes bien aimable, mon vieux », lui dit-il. Mais maintenant je suis certain quâil sâagit dâun dirigeable ; et jâestime quâau grand jour, un homme averti serait aussi serin de se laisser prendre, quâil serait pleutre, froussard et mĂ©prisable de rester chez lui, comme un liĂšvre au gĂźte. » Un silence suivit, que Robert fit cesser â Alors, au moins⊠suivez mon conseil habillez-vous de façon Ă reproduire lâaspect dâun des disparus⊠» Maxime Ă©clata de rire. â Mais câest encore du mimĂ©tisme, cela ! DĂ©cidĂ©ment, Robert⊠» â Je vous assure quâil faut prendre garde. » â Ouais ! Vous perdez votre peine, mon bon. Le rapin que je suis a trop besoin de faire Ă©tude sur Ă©tude, â et la montagne est trop belle ! Fastueuse et changeante, Ă chaque heure du jour, Ă chaque jour du mois on la croirait la toile dâun maĂźtre diffĂ©rent⊠Jâai lĂ -haut un petit modĂšle exquis, une bergĂšre de douze ans, qui me pose une scĂšne Ă©patante dans un endroit pharamineux. Ah ! elle nâa pas froid aux yeux, celle-lĂ ! Les Sarvants, ce quâelle sâen fiche !⊠Dâailleurs, son frĂšre CĂ©sar, un jeune pĂątre plutĂŽt dĂ©gagĂ©, fait le guet pendant la sĂ©ance⊠Regardez-moi ça, mon vieux Robert ! Je vous prĂ©sente Mademoiselle CĂ©sarine Jeantaz. Ăa ne manque pas de jus, hein ? » Il brandissait dans la lumiĂšre pĂąle une aquarelle Ă demi faite et vraiment tapĂ©e », comme il disait volontiers. Au milieu dâun troupeau de vaches et de chĂšvres Ă©parses, une fillette, assise sur un rocher, jouait de lâaccordĂ©on. Sa mignonne bouche, large ouverte, indiquait une chanson lancĂ©e Ă pleine voix. â Câest trĂšs joli », apprĂ©cia Robert. Mais madame votre mĂšre se tracasse Ă©normĂ©ment⊠» â Dites-lui⊠â Ah ! lĂ ! lĂ ! quelle malĂ©diction que toutes ces poules mouillĂ©es ! â Eh bien ! dites-lui que demain jâaurai fini cette pastorale, et quâaprĂšs-demain je serai sage ! » â Pourquoi pas aujourdâhui ? Je ne suis cependant pas une poule mouillĂ©e, moi, et je suis loin de plaisanter. Vous savez bien que jâai mon idĂ©e⊠» â DĂ©ballez-la, votre idĂ©e, mon cher, dĂ©ballez-la ! » â HĂ©las ! vous y croiriez encore moins quâaux hommes volatiles, quâau poisson voltigeur et quâĂ lâaigle volant sans ailes ! » â Vous nâavez pas de preuves, alors ? » â Je nâai que de bonnes raisons. Cela ne vous suffirait pas. » â Enfin, Robert, pourtant ! si vous saviez oĂč se trouve ma sĆur⊠et les autres⊠il serait criminel de garder le silence⊠Il faudrait y aller⊠OĂč peuvent-ils ĂȘtre ? Ăvidemment, pour ma part, je ne mâen doute pas le moins du monde⊠OĂč est le repaire des bandits ?⊠Si encore on avait la facultĂ© de les voir sâenfuir dans telle ou telle direction ! Mais ils se cachent au milieu des nuits, des brouillards, des nuages⊠ConsidĂ©rez cette voĂ»te impĂ©nĂ©trable de nuĂ©es ; au-dessus dâelle, les Sarvants sont libres dâĂ©voluer Ă notre insu⊠» Mille dieux ! Robert, quâest-ce que je vous disais ! » DressĂ©, lâĆil brillant, le bras tendu vers le ciel, Maxime dĂ©signait un point des nuages. Robert, vivement, regarda. Dans les volutes dâun gros cumulus gris ardoise engourdi de torpeur, une ombre oblongue, diaphane et fantĂŽmale, se profilait. â Le dirigeable ! murmurait Maxime tout bas, comme sâil eĂ»t craint dâeffaroucher la vision. Robert abrita ses yeux du jour livide â Câest bien celui que vous avez rencontrĂ© ? » â Câest bien lui la nacelle ne se voit pas. Et si ce nâĂ©tait lui, que ferait-il, lĂ , sans bouger, Ă lâaffĂ»t derriĂšre son nuage ?⊠â Hum ! » fit Robert, puissamment intĂ©ressĂ©. â ⊠Car il est derriĂšre le nuage », continua Maxime. Câest son ombre portĂ©e que nous apercevons. Ce nâest que son ombre sur une volute. Ils se croient invisibles. Ils ne se doutent pas que leur ombre les trahit⊠Allons ! reconnaissez que jâavais raison ! » â Oui, oui⊠en effet », dit Robert avec plus de politesse que de sincĂ©ritĂ©. â Ah ! voici lâombre qui pĂąlit parce que le vent sâĂ©lĂšve et que la volute se dĂ©sagrĂšge⊠Ce nâest plus rien. » Une rafale tempĂ©tueuse sâengouffra dans la rotonde. Les papiers, tourbillonnant, sâĂ©parpillĂšrent. Le frisselis des bois fut pareil au bruissement dâune mer inattendue. Les arbres, tout blancs de feuilles rebroussĂ©es, se courbaient au souffle de lâEst. Des volets battirent avec fracas. Des trombes de poussiĂšre couraient le long des routes. Un Ă©clair direct fĂȘla le ciel Ă©pais, et les nuages se mirent en branle. Maxime, les cheveux au vent, Ă©piait si la fuite du cumulus nâallait pas dĂ©couvrir lâaĂ©ronat, ou si les corsaires ne jetaient pas de lest pour monter plus haut que la tourmente⊠Mais le dirigeable Ă©tait parti sans employer ce moyen-lĂ . Et voici que le dĂ©cor devenait lui-mĂȘme tragĂ©die. La magnificence des Ă©lĂ©ments dĂ©chaĂźnĂ©s se magnifiait encore de tous les mystĂšres quâon y sentait. Le tonnerre roula ses grondements, qui parurent le vacarme des nuĂ©es roulant pĂȘle-mĂȘle vers un but inconnu. Et, le tableau se trouvant achevĂ©, un second Ă©clair traça, dâun zigzag, le paraphe de lâouragan. xviiAssomption Bien que le ciel fĂ»t toujours menaçant et quâil semblĂąt rĂ©server pour lâaprĂšs-midi quelque orage nouveau, Maxime â autant par bravade que par goĂ»t â prit son attirail de paysagiste et, malgrĂ© lâunanime rĂ©probation, se dirigea vers la montĂ©e. Une heure aprĂšs, las de chaleur et de diligence, il aperçut de loin le troupeau de ruminants et ses petits gardeurs. Le site du pacage Ă©tait Ă la fois grandiose et riant. La prairie, vallonnĂ©e, formait une combe et se creusait gracieusement selon la courbe des hamacs et des guirlandes. Lâun de ses bords se redressait en muraille rocheuse, sâĂ©lançait pour continuer la montagne, et des crĂ©neaux cyclopĂ©ens, mĂȘlĂ©s de broussailles, dĂ©coupaient son couronnement. Lâautre bord, beaucoup moins relevĂ©, finissait Ă la lisiĂšre dâun bois qui, tout de suite, sâinclinait dans lâautre sens et penchait jusquâĂ Mirastel son plan de rocs, de chĂȘnes-verts et de buis gĂ©ants. Dâinnombrables narcisses embaumaient le prĂ© luxuriant. ĂĂ et lĂ , des blocs grisĂątres le parsemaient ; et sur lâun dâeux, oĂč son frĂšre CĂ©sar venait de la jucher, CĂ©sarine Jeantaz avait dĂ©jĂ pris la pose, et maniait son accordĂ©on, et psalmodiait une valse ; â car tout ce que chantent les paysans devient ou demeure une psalmodie, que ce soit Viens poupoule, la Marseillaise ou le Dies irae. Elle intercala son bonjour, monsieur ! » entre deux notes, et CĂ©sar salua le Moncheu ». BientĂŽt Maxime fut installĂ© devant son chevalet, sous les premiers arbres du bois, le gamin prĂšs de lui. â Veille bien ! » dit-il par acquit de conscience. â Nâa pas paou », rĂ©pondit CĂ©sar endoctrinĂ©. On lo vara beĂźng veni ! » La bambine, ravissante, laissait pendre ses petons dans leurs gros brodequins Ă semelle de tilleul. Un vieux chapeau de paille ombrageait lâĂ©bouriffement blond de ses cheveux. Entre ses menottes rouges lâaccordĂ©on sâallongeait, puis se ramassait, et scandait du mĂȘme rythme sautillant la ribambelle infatigable des chansons monotones. Autour dâelle, les vaches et les chĂšvres dispersĂ©es faisaient sonnailler leurs cloches. Et les clochettes des narcisses carillonnaient leurs parfums. â Veille bien ! » rĂ©pĂ©ta Maxime, Ă©tonnĂ© lui-mĂȘme de sa mĂ©fiance. CĂ©sar ne quittait pas des yeux le ciel chargĂ© qui semblait glisser dâune seule piĂšce, sous la poussĂ©e dâun vent de fournaise. Parfois, les crĂ©neaux de la muraille dĂ©mĂȘlaient un nuage plus bas que les autres. Au son dâune clarine violemment secouĂ©e, Maxime dĂ©tourna son regard de la chanteuse. â HĂ© ! » dit le berger, vica la Rodzetta quĂ© sâĂ©fra ! » La Rodzetta » câĂ©tait une chĂšvre rousse qui, sâĂ©tant Ă©cartĂ©e, revenait au galop, avec des bonds et des bĂȘlements. â Est-ce que⊠Est-ce quâelle nâavait pas lâair de fuir ?⊠dâĂȘtre poursuivie ?⊠Maxime leva les yeux, et fut rassurĂ©. Le ciel Ă©tait dĂ©sert ; il sâĂ©coulait toujours uniformĂ©ment, tel un fleuve renversĂ© de plomb fondu, bas et chaud, â mais dĂ©sert. CĂ©sarine chantait Ă lâenvi⊠Mais tout Ă coup sa mĂ©lopĂ©e sâaiguisa en un cri perçant. LâaccordĂ©on se tut et tomba⊠Debout sur le roc et bouleversĂ©e de gestes fous, convulsionnĂ©e dans une attaque dâĂ©pilepsie ou dansant une sinistre danse de Saint-Guy, la petite frappait lâair en tous sens et poussait dâaffreux hurlements. Ses cris et la panique tintinnabulante des bestiaux empĂȘchĂšrent Maxime dâentendre bourdonner les Sarvants, mais il sentait leur proximitĂ© Ă lâĂ©branlement vibratoire de son thorax⊠Et le ciel, et la combe, et la muraille, Ă©taient dĂ©serts ! Il allait se jeter au secours de lâenfant, Ă lâassaut du rocher, quand un spectacle inopinĂ© le mĂ©dusa, bĂ©ant de terreur et de surprise. Un dĂ©lire sibyllin possĂ©dait toujours la fillette. Horriblement pĂąle, frĂȘle pythonisse malmenĂ©e de transports, se dĂ©battant contre le mal soudain qui la brutalisait, elle Ă©tait maintenant soulevĂ©e Ă quelques centimĂštres du monolithe, sans que rien existĂąt qui pĂ»t la maintenir !⊠Puis, subitement, elle cessa de crier, sans doute par un effet de la fatigue ; sa voix nâavait plus de timbre ; elle essayait encore de se faire entendre, elle semblait hurler, mais rien ne sortait de sa bouche ! Et comme le troupeau sâĂ©tait enfui, le bourdonnement mystĂ©rieux, doux et sombre â le bourdonnement de velours et de nuit ronronnait Ă loisir. Maxime fit un effort de tous ses muscles et de toute son Ă©nergie pour mater lâeffroi qui le paralysait⊠HĂ©las ! hĂ©las ! merveille lamentable avant quâil eĂ»t bougĂ©, CĂ©sarine Jeantaz, projetĂ©e avec une force inouĂŻe, monta dans le ciel comme une balle â et disparut. Lâopaque nuĂ©e qui coulait indĂ©finiment sâĂ©mut de son passage. Un tumulte sây produisit, se pacifia ; et ce fut tout. Le malheur sâĂ©tait dĂ©roulĂ© avec une telle promptitude que lâaccordĂ©on, lĂąchĂ© par CĂ©sarine, achevait seulement de sâaffaisser dans les narcisses. Alors Maxime revint de sa stupeur. Mais lâĂ©pouvante lui tenait les entrailles. Et devant ce prodigieux attentat, lui lâofficier de marine, lui le hĂ©ros de mainte escarmouche avec les Touareg, lui qui avait luttĂ©, le sourire aux lĂšvres, contre lâeau meurtriĂšre et le feu assassin, â il se sauva, les mains devant les yeux, laissant lĂ son chevalet, sa toile, sa palette et le petit CĂ©sar Ă©vanoui sur lâherbe. Il sâenfuit Ă travers le bois en pente, directement ; car le meilleur sentier faisait trop de dĂ©tours, Ă son avis. Le misĂ©rable dĂ©gringolait le versant escarpĂ©, â culbutant, rebondissant, se raccrochant aux arbres, glissant sur les roches plates et provoquant des chutes de pierres qui le prĂ©cĂ©daient, lâaccompagnaient et le suivaient, â si bien que sa dĂ©route fut un Ă©boulement. Cependant, sous lui, les toits de Mirastel grandissaient Ă vue dâĆil. Il arriva trempĂ© de sueur, livide et frĂ©missant, avec des Ă©corchures qui saignaient, nu-tĂȘte et vĂȘtu de haillons. Il pĂ©nĂ©tra dans un boudoir oĂč les siens et Robert se trouvaient rĂ©unis autour dâun samovar ; et, tandis que chacun se prĂ©cipitait Ă sa rencontre, Maxime sâeffondra et se prit Ă sangloter, triste jusquâĂ la mort dâavoir Ă©tĂ© si fat et dâĂȘtre devenu si lĂąche. On le fit asseoir dans un fauteuil. Mme Le Tellier lâentourait de ses bras maternels. Mais il ne distinguait personne, faisait des mouvements dâimpuissance et de pitiĂ©, et rĂ©pĂ©tait, au milieu de ses larmes, des paroles imprĂ©vues â Marie-ThĂ©rĂšse !⊠Oh ! mon Dieu !⊠Que lui a-t-on fait ?⊠OĂč est-elle ?⊠OĂč est-elle ?⊠Oh ! câest effrayant !⊠» Son pĂšre lui fit boire une tasse de thĂ© largement coupĂ© de rhum. â Allons, mon petiot, quâest-il arrivĂ© ? Raconte nous ça. » Maxime raconta. Il finit par lâaveu de sa couardise ; et alors le dĂ©sespoir le reprit comme avant. Il se cognait le front dâun poing fĂ©brile, disant quâil voulait repartir, voler au secours du petit Jeantaz⊠M. Le Tellier le lui dĂ©fendit, et rĂ©quisitionna cinq paysans et quatre serviteurs, Ă lâeffet dâaccomplir ce devoir. â Nous Ă©tions cachĂ©s⊠cachĂ©s par les feuilles », hoquetait le piteux Maxime. Câest pour cela que nous nâavons pas Ă©tĂ© attaquĂ©s ! » Puis, sous lâinfluence combinĂ©e du rhum et de la tristesse, il larmoyait Elle est partie, mon Dieu, comme un bouchon qui saute !⊠Un pauvre petit bouchon, mon Dieu !⊠Et sa pauvre petite voix qui sâĂ©tranglait⊠et puis tout Ă coup qui sâest brisĂ©e, si brusquement !⊠Et moi qui nâai rien fait ! Ho ! rien !⊠» Ses parents Ă©changeaient, par-dessus sa tĂȘte, des regards dâinquiĂ©tude. Enfin M. Le Tellier prit une rĂ©solution. â Il ne sâagit pas de pleurer », dit-il sĂ©vĂšrement. Il sâagit de comprendre, et de causer. Cette disparition est identique Ă celle de ta sĆur et de tes cousins ; travaillons-la. â Dâabord, tu parais certain que câest un enlĂšvement ? » â Oh ! oui ! Elle se dĂ©battait. Elle rĂ©sistait. Et si çâavait Ă©tĂ© une force aveugle, moi aussi, CĂ©sar aussi, nous lâaurions Ă©prouvĂ©e⊠» â Bien. Mais, tout Ă lâheure, tu parlais dâun bouchon⊠A-t-elle donc Ă©tĂ© lancĂ©e par une impulsion venue de la terre, cette enfant ? » â Non, non, ça nâen avait pas lâair. » â En effet sur le Colombier, la neige ne dĂ©celait rien de pareil⊠» â Elle sâest enlevĂ©e, » dit le jeune homme, attendri dâalcool et de compassion, elles est enlevĂ©e comme une pauvre petite sainte Vierge affolĂ©eâŠ, comme un pauvre petit pantin quâon retire du guignol avec une ficelle⊠» â Oui, mais tu nâas pas vu de ficelleâŠ, de cĂąble ?⊠» â Il nây avait rien. Il nây avait pas un fil. » â Eh bien !⊠hum ! Ă la rigueur, tout peut sâexpliquer⊠Le ballon des Sarvants devait ĂȘtre dissimulĂ© dans les nuages, oĂč nous savons quâil se plaĂźt Ă vaguer sans ĂȘtre aperçu. Il nâest pas difficile de sâimaginer quâils possĂšdent un moyen de voir au travers, ne fĂ»t-ce quâĂ lâaide dâun tube, un simple tube perçant le matelas de nuages au-dessous dâeux, et qui serait dâun diamĂštre trop minime pour ĂȘtre vu dâen bas. » Quant au rapt Ă distance⊠» â Dites, papa sâils aspiraient leurs victimes ?⊠Jâai remarquĂ©, dans la nuĂ©e, un grand tumulte qui pourrait bien avoir Ă©tĂ© causĂ© par un souffle vĂ©hĂ©ment⊠un courant dâair allant de bas en haut⊠» â Lâas-tu senti ? » â Non ; vous avez raison. Je nâai mĂȘme pas senti la brise cette fois-ci⊠Je nây suis plus⊠Ah ! quand on a vu ça !⊠» Lâattendrissement revenait. M. Le Tellier se dĂ©pĂȘcha dâoccuper son fils avec dâautres considĂ©rations, plus ou moins fantaisistes â LâarrivĂ©e dâun projectile aussi gros quâun corps humain suffit Ă motiver le tumulte auquel tu fais allusion. Ce nâest pas cela. Il vaut mieux supposer, non pas que les Sarvants pompent leurs victimes, mais quâils les attirent au moyen dâune sorte dâaimant particulier, Ă la maniĂšre dont lâaimant vĂ©ritable attire le fer. Le magnĂ©tisme animal, cela veut dire quelque chose, cela !⊠Du reste, il y a, dans la vertu dâattraction des aimants, un je ne sais quoi dâocculte et de volontaire, de tyrannique et de vivant, qui trouble toujours la pensĂ©e. » Vois-tu, ils emploieraient ce procĂ©dĂ© pour amener jusquâĂ eux les gens, les animaux et tout ce qui ne tient pas au sol. Pour le reste, ils se servent de la cisaille, et ils opĂšrent leur descente la nuit. » Mme Arquedouve rappela â Nây a-t-il pas un garde qui soutient avoir entendu la cisaille en plein midi ? » â Oui, ma mĂšre, mais câĂ©tait dans un lieu solitaire et de lâautre cĂŽtĂ© dâun rideau de sapins. » Et Mme Le Tellier â En tout cas, voici bien des mystĂšres dissipĂ©s, ou du moins rĂ©duits Ă un seul â tous les enlĂšvements. Y compris celui des hommes volants, qui Ă©taient des tourmentĂ©s, les malheureux, et non des tourmenteurs !⊠Y compris lâaigle et le poisson ! » â Parfaitement », reprit M. Le Tellier. Il faut que GĂ©ruzon et Philibert aient mal observĂ©, lâun ses PiĂ©montais, lâautre son brochet. Sans quoi, ils les auraient vus monter plus roide vers le ciel obnubilé⊠Nos adversaires possĂšdent un Ă©lectro-aimant spĂ©cial, et ils le manĆuvrent au-dessus des nuages ; voilĂ lâaffaire. Mais, bigre ! ce ne sont pas des imbĂ©ciles⊠Avoir trouvĂ© lâaimant animal !⊠» â Maudits nuages ! » sâĂ©cria Mme Le Tellier. Sans eux⊠» â Sans eux, » rĂ©pliqua lâastronome, on verrait encore moins de choses quâon nâen voit, puisque les Sarvants nâagiraient que la nuit. » Robert se promenait de long en large et gardait un silence farouche. En vain M. Le Tellier cherchait-il une approbation sur la physionomie de son secrĂ©taire, â il nây trouvait que le souci. â Mais pourquoi ? pourquoi ces enlĂšvements ? » faisait Mme Le Tellier en se prenant la tĂȘte. â Et quel est le sort des prisonniers ? » â CâĂ©tait Maxime, aujourdâhui, qui gĂ©missait cela ! â Et oĂč sont-ils ? » ajouta Mme Arquedouve. Son gendre hasarda, sans perdre de vue les traits de Robert â Oh ! ils ne doivent pas ĂȘtre fort loin sans doute dans quelque retraite des Alpes ou du Jura. LâexiguĂŻtĂ© relative de la zone hantĂ©e paraĂźt dĂ©montrer que les Sarvants ne sâĂ©loignent pas du Bugey. » â Il faudrait y aller ! » dit lâaveugle. â Mais comment les dĂ©pister ? Ils sont insaisissables, fugaces ; on ne les entend presque pas⊠» â Ăcoutez ! Ăcoutez ! » sâĂ©cria Maxime, hagard. Le bourdonnement ! » Un mĂȘme frisson courut le long de tous les dos. â Mon pauvre enfant ! » dit la grandâmĂšre. Câest un frelon que tu entends par la fenĂȘtre ouverte. » Mme Le Tellier, de son mouchoir, Ă©pongeait le front de Maxime. â Je vous en conjure, » implora celui-ci, parlons un peu dâautre chose. Il est impossible de rester les nerfs tendus⊠» â Il faudrait y aller ! » rĂ©pĂ©tait le secrĂ©taire comme dans un songe et marchant avec furie. Mme Le Tellier le rĂ©veilla et lâarrĂȘta net, en dĂ©clarant â Nul doute quâavec ses aĂ©roplanes, M. dâAgnĂšs ne puisse surprendre et poursuivre ces bandits jusquâĂ lâentrĂ©e de leur caverne ou de leur forteresse ! Nous venons de recevoir une lettre de lui, et⊠» â Câest vrai ! » fit lâastronome avec une feinte jovialitĂ©. Il y a mĂȘme dans sa lettre une dĂ©pĂȘche inĂ©narrable de ce M. Tiburce⊠» Tiens, lis ça, mon garçon. Ăa te changera les idĂ©es. Ma parole ! ce M. Tiburce est le Nigaudinos le plus nigaud de toute la nigauderie ! » Maxime lut xviiiUne Lettre â Un CĂąblogramme Lettre du duc dâAgnĂšs Ă M. Le Tellier. piĂšce 397 9 juin 1912. 40, Avenue Montaigne. Cher Monsieur, Il y a aujourdâhui un mois, jour pour jour, que jâai quittĂ© Mirastel, vous laissant tous si dĂ©solĂ©s. Jâai beaucoup travaillĂ© depuis lors ; mais ce nâest que dâhier que jâĂ©prouve assez dâespĂ©rance pour avoir enfin le courage de vous le confier. AssurĂ©ment, je ne suis pas sans inquiĂ©tude au sujet de ce dirigeable lĂ©gendaire que Maxime a vu dans le brouillard, me dites-vous, et qui semble se passer dâaĂ©ronautes. Votre description mâa fait penser tout de suite aux torpilles tĂ©lĂ©mĂ©caniques, ces petits vĂ©hicules de catastrophes quâon est parvenu Ă diriger de loin, sans fil. Pourquoi, en effet, nây aurait-il pas des ballons analogues, dont les diffĂ©rents mĂ©canismes seraient commandĂ©s Ă distance, par un capitaine insoupçonnable ?⊠VoilĂ qui compliquerait notre tĂąche ! Car, en admettant que nous puissions nous emparer de ce ballon dĂ©sert, quelles indications rĂ©sulteraient pour nous dâune telle prise quant au domicile et Ă la personnalitĂ© des Sarvants ? Heureusement, rien nâest sĂ»r. Et dâailleurs, lâengin que nous allons fabriquer â notre aĂ©roplane de chasse â sera, jâespĂšre, des plus remarquables. HĂ©las ! ce nâest encore quâune espĂ©rance ! Cependant, voici Hier, mon chef de construction, le pilote BachmĂšs, sâest abouchĂ© avec un ingĂ©nieur qui prĂ©tend avoir dĂ©couvert un moteur fonctionnant par lâĂ©lectricitĂ© atmosphĂ©rique⊠Capter le potentiel de la nature, puiser la toute-puissance des volts Ă mĂȘme sa grande source, câest la chimĂšre depuis longtemps poursuivie, vous le savez ; câest la dĂ©pense abaissĂ©e Ă presque zĂ©ro ; câest la machinerie rĂ©duite Ă un poids nĂ©gligeable ; câest surtout la vitesse miraculeuse. Si lâinvention nâest pas une flibusterie, si vraiment il suffit, pour faire tourner une hĂ©lice, de caler sur son axe un transformateur de courant, â nous achetons le brevet. Et nous construisons sur-le-champ. Ce sera vite fait, je pense⊠Mais vite » ! Quâest-ce qui est vite lorsquâon est anxieux !⊠Que deviennent les disparus ?⊠Trente-quatre Jours !⊠OĂč est Mademoiselle Marie-ThĂ©rĂšse ?⊠Ah ! cher Monsieur, comme je voudrais ĂȘtre Ă mon poste de vedette aĂ©rienne, et savoir oĂč, comment, qui et pourquoi ! Lâattente quelle chose terrible ! Je passe mes journĂ©es aux ateliers de Bois-Colombes⊠En ai-je fait dâinutiles expĂ©riences !⊠Et rester lĂ ! piĂ©tiner, avec la conscience du temps perdu !⊠Le croirez-vous ? jâenvie parfois le sort de Tiburce ! Lui, au moins, possĂšde un but prĂ©cis, pour vain que soit ce but, et sâemploie sans cesse Ă lâatteindre. Il a le soulagement de lâaction⊠Mais la cruelle dĂ©convenue quâil se prĂ©pare, lâentĂȘtĂ© ! â Je vous adresse ci-inclus un cĂąblogramme de lui, que je viens de recevoir. Ce nâest pas les premiĂšres nouvelles quâil mâenvoie. Il mâa dĂ©jĂ expĂ©diĂ© un marconigramme, en plein OcĂ©an, le lendemain de son dĂ©part et simplement pour me lâannoncer. Depuis, je nâavais rien reçu. Tant de niaiseries en si peu de mots, peut-ĂȘtre cela vous plongera-t-il dans un Ă©tonnement qui vous fera oublier, une seconde, la prĂ©caritĂ© de notre situation. Câest, par malheur, le seul avantage que nous puissions retirer de la dĂ©pĂȘche ci-jointe. Je vous prie, cher Monsieur, de vouloir bien faire agrĂ©er Ă Madame Le Tellier et à ⊠Etc. François dâAgnĂšs. â Une effervescence considĂ©rable rĂšgne dans tous les chantiers de constructions aĂ©riennes. Dans ceux de lâĂtat notamment. On y cherche lâappareil appropriĂ© Ă cette nouvelle destination la poursuite dâaviateurs insaisissables par leur rapiditĂ©. Cependant, on prĂȘte Ă certains le projet insensĂ© de partir en reconnaissance au-dessus du Bugey avec les appareils actuels, tout Ă fait insuffisants. On cite Santos-Dumont en dirigeable, de la Vaulx en sphĂ©rique, Farman sur son biplan, Latham sur Antoinette et Beaumont sur BlĂ©riot. On en cite bien dâautres encore⊠Nous ferons mieux que tout cela. Patience et bon courage. F. A. CĂąblogramme de Tiburce au duc dâAgnĂšs. piĂšce 398 San-Francisco â 6 juin 1912. Tout bien. â Pas encore rattrapĂ© H[atkins]. Mais suis certain M[arie] T[hĂ©rĂšse] avec lui. Car ai appris H. accompagnĂ© seulement par hommes. Travestissement. StratagĂšme grossier, prĂ©vu. â Dâailleurs, calculs indiscutables prouvent avec H. ainsi que les H[enri] M[onbardeau]. â Fait nouveau Ă©videmment ils le suivent de bon grĂ©. Pourquoi ? MystĂšre. LâĂ©claircirai bientĂŽt. â Sont partis pour Nagasaki. Mâembarque ce soir pour Japon. â Leur prĂ©cipitation suspecte. â Vos stupides histoires Sarvants venues jusquâici. Font sourire San-Francisco. â Respectueux hommages sĆur. â Tiburce. xixLa Charmille tragique Cela se dĂ©couvrit aux environs de trois heures aprĂšs dĂźnĂ©e. CâĂ©tait le 19 juin. Mme Arquedouve et M. Le Tellier sâĂ©taient rendus en automobile chez le docteur Monbardeau ; Robert Collin se trouvait Ă Lyon, pour des achats quâil disait urgents ; â et Mme Le Tellier gardait Mirastel avec son fils. LâĂ©tat nerveux de Maxime exigeait encore beaucoup de soins ; du reste, il refusait avec une obstination maladive de quitter lâenceinte du parc. Au dĂ©but, mĂȘme, il nâavait plus voulu sortir du chĂąteau, et maintenant ce nâĂ©tait que sur les instances et les prescriptions de son oncle quâil consentait Ă prendre lâair et Ă faire de lâexercice. Deux fois le jour, Ă dix heures et Ă deux heures, il marchait au bras de sa mĂšre et faisait les cent pas sous la charmille. Comme cela, disait-il, on est Ă lâabri du soleil. » Mais la vĂ©ritĂ©, câest quâon Ă©tait Ă lâabri du Sarvant, la voĂ»te des feuilles cachant les promeneurs Ă tout regard venu du ciel. â Tant de prĂ©cautions pouvaient sembler enfantines, puisquâil nây avait plus de nuages, puisque aussi les promenades sâeffectuaient Ă la grande clartĂ© mĂ©ridienne et dans un lieu surpeuplé⊠Mais ceux qui raillaient Maxime nâavaient pas vu lâAssomption de la petite Jeantaz. Et voici donc que Mme Arquedouve et M. Le Tellier revenaient dâArtemare, ayant, par mesure de prudence, baissĂ© la capote, et traversant ainsi la campagne inanimĂ©e. On arrivait. Lâautomobile vira, franchit le portail, sâengouffra sous la galerie de verdure, ombreuse et tiquetĂ©e de soleil, â et stoppa tout Ă coup, brutale, dans le cri des freins et le frottement des roues bloquĂ©es. â HĂ© ! quoi ? » fit Mme Arquedouve, cramponnĂ©e Ă la carrosserie. DĂ©cochĂ© en avant par la brusquerie de lâarrĂȘt, M. Le Tellier vit, au milieu de lâavenue, Ă deux mĂštres du capot, affalĂ©e par terre, Mme Le Tellier, qui fixait sur lui des yeux dâinsensĂ©e⊠Elle avait lâair dâune pauvresse et dâune innocente. DĂ©coiffĂ©e, son corsage arrachĂ© sous les bras, elle nâavait pas bougĂ© devant lâautomobile, et devant son mari ne bougeait pas davantage⊠Une fois relevĂ©e, soutenue par lui et le chauffeur, elle resta courbĂ©e, branlante⊠M. Le Tellier la porta dans la voiture. â Ma mĂšre, câest Luce », dit-il. Elle Ă©tait lĂ . Elle nâa rien, je crois, mais elle est trĂšs Ă©mue⊠» Au son de sa voix, quâil tĂąchait pourtant de composer, Mme Arquedouve saisit toute la gravitĂ© de lâaccident. Dâailleurs â Qui ĂȘtes-vous ? » balbutiait Mme Le Tellier. Vous savez Maxime⊠Il nâest plus lĂ . Je nâai plus dâenfants, plus, plus, plus⊠» Jusquâau perron de Mirastel, on nâeut pas la force de parler. On Ă©tait retournĂ© par ce nouveau dĂ©sastre et par son contre-coup sur lâesprit de la malheureuse maman. Lâastronome envoya chercher le Dr et Mme Monbardeau, puis on coucha la malade. BientĂŽt, de prostrĂ©e quâelle Ă©tait, Mme Le Tellier devint pĂ©niblement surexcitĂ©e. Elle prononça des paroles sans suite, elle fit des gestes incomprĂ©hensibles, et parla tout le temps de son fils et dâun veau inexplicable. Ă chaque instant, elle portait ses mains aux cĂŽtĂ©s de sa poitrine ou les jetait devant soi, comme pour Ă©carter une Ă©treinte ou se prĂ©server dâune attaque. â Le veau ! Le veau qui glisse⊠» murmurait-elle. Ha ! ne me serrez pas ! ne me serrez pas ! Qui me serre ? Mais qui donc me serre ? LĂąchez-moi !⊠Maxime, vatâen⊠Ah ! aaaaaah ! Ă reculons ! VoilĂ quâil sâen va Ă reculons ! Et vite !âŠâŠ Ici nous sommes Ă couvert, oui, mon petit, bien Ă couvert sous la charmilleâŠâŠ Comme Marie-ThĂ©rĂšse !⊠Il est avec elle, au ciel. Câest un veau qui lâa enlevĂ©. Ce nâest pas un ange, câest un veau. » M. Le Tellier, ahuri dâune telle divagation et redoutant le trouble quâelle devait fomenter dans le cerveau mĂȘme qui lâenfantait, essaya de lui donner au moins un semblant de suite rationnelle. Il posa des questions. Mais on aurait dit que Mme Le Tellier ne les entendait pas. Dieu sait pourtant que lâastronome eĂ»t voulu connaĂźtre quelque chose ! Car cet enlĂšvement sous une charmille, au grand jour, par un ciel sans nuages, dans un parc des plus frĂ©quentĂ©s, puis encore le salut de Mme Le Tellier â cette grĂące accordĂ©e ou bien ce coup manquĂ©, si contraires aux habitudes des Sarvants â, câĂ©taient lĂ de vĂ©ritables phĂ©nomĂšnes. â Voyons, ma Luce, de quel veau parles-tu ? » â Il est parti⊠Il est parti⊠» gĂ©missait la dĂ©traquĂ©e. â Tu dis quâil glissait, ce veau⊠comment ? » â LĂąchez-moi ! » â Oui tu as Ă©tĂ© saisie rudement⊠Ta blouse est dĂ©chirĂ©e comme par des crocs, Ă droite et Ă gauche⊠Mais il nây a plus personne. Calme-toi⊠Ne fais pas ce geste toujours, ma petite Luce ; il nây a plus de Sarvants. » â Maxime ! Maxime ! » â Eh bien comment est-il parti, Maxime ?⊠à travers les feuilles du berceau, nâest-ce pas ? comme attirĂ© vers le ciel ?⊠Le feuillage empĂȘchait de voir le ballon dirigeable ?⊠Comment est-il parti, Maxime ? » â Câest un veau ! » M. Le Tellier recula, effrayĂ© par le problĂšme de la folie dressĂ© contre lui pour la premiĂšre fois. HĂ©las ! il nây avait sur le lit de sa femme quâun pauvre corps sans Ăąme, une misĂ©rable moitiĂ© dâĂȘtre humain⊠Et le savant regardait cela du fond de sa pensĂ©e. Et il se disait La science ne sait pas plus oĂč va lâesprit des fous quâelle ne sait oĂč vont les prisonniers du Sarvant. Ce sont dâatroces disparitions. Et pourtant, depuis que les hommes ont une Ăąme, ils acceptent, sans Ă©pouvante ni blasphĂšme, que par-ci par-lĂ quelquâune de ces Ăąmes soit dĂ©robĂ©e par un voleur immatĂ©riel, comme paraĂźt lâĂȘtre celui de mes enfants. De mĂȘme que chaque jour apporte en Bugey de nouveaux rapts, chaque jour amĂšne par le monde lâenlĂšvement de PsychĂ©s nouvelles. OĂč sont-elles toutes ?⊠Il en est qui reviennent⊠OĂč est celle de Lucie ?⊠OĂč sont Marie-ThĂ©rĂšse, Maxime, tous les autres ?⊠Et reviendront-ils ?⊠» Le docteur, qui survint, apaisa sa belle-sĆur grĂące Ă quelque drogue, et Mme Monbardeau sâinstalla prĂšs dâelle. Avant de la remplacer pour la nuit au chevet de la dĂ©mente, M. Le Tellier put confĂ©rer de lâĂ©vĂ©nement avec Robert Collin, qui venait de rentrer, rapportant de Lyon plusieurs paquets bien ficelĂ©s, sur lesquels on ne songea guĂšre Ă le pressentir. Tout dĂ©fait par cette double abomination, le secrĂ©taire opina â Il serait prĂ©cieux de tirer de Mme Le Tellier quelques mots significatifs. Au risque de la fatiguer un peuâŠ, dans lâintĂ©rĂȘt de tous⊠il le faudrait. La supposition dâune sorte dâaimant, que vous Ă©mettiez lâautre jour, nâĂ©tait pas mauvaise ; mais la place occupĂ©e par M. Maxime et sa mĂšre, sous la charmille, viendrait la rĂ©voquer. Ils Ă©taient invisibles pour des gens situĂ©s au-dessusâŠ, des gens de nâimporte quelle nature, il me sembleâŠ, Ă moins que⊠» â Soyons nets, Robert. Vos allures, en tout ceci, restent dissimulĂ©es⊠Je ne doute pas un instant de lâexcellence, de la puretĂ© de vos spĂ©culations⊠Mais enfin, est-ce que vous ne savez pas, vous ? Est-ce que vous nâavez pas devinĂ© ?⊠Alors, par pitiĂ©, dites-le-moi est-ce que lâeffroyable Ă©pisode dâaujourdâhui confirme ou non vos hypothĂšses ?⊠» â Je ne puis dĂ©clarer quâil les infirme. Il ne touche en rien Ă lâessence de la question, câest-Ă -dire Ă lâidentification des Sarvants, â que jâentrevois bien vaguement, allez ! â Mais, Ă©tant donnĂ© que mes connaissances sont encore plus vagues touchant le procĂ©dĂ© dâenlĂšvement, je ne serais pas fĂąchĂ© dâacquĂ©rir lĂ -dessus des indications supplĂ©mentaires⊠» Quant Ă lâensemble de mes conjectures⊠câest tellement nĂ©buleux que je manque de termes assez flottants pour lâexposer. Câest tellement redoutable, aussi, que je ne dirai rien quâavec certitude⊠Et, pour ĂȘtre certain, il faudrait aller voir. Encore suis-je assurĂ© quâune telle expĂ©rience mĂ©nagerait bien des surprises au plus malin. » Dans tous les cas, maĂźtre, fĂ»t-ce au dĂ©triment de sa santĂ©, tĂąchez dâobtenir de Mme Le Tellier quelque phrase prĂ©cise. » â Vous y tenez tant⊠Je demanderai Ă Monbardeau si cela nâest pas une cruautĂ© superflue. Elle repose, maintenant. » â Va pour demain », concĂ©da Robert. Mais avant lâaurore il savait Ă quoi sâen tenir. M. Le Tellier veille sa femme. Aux lueurs attĂ©nuĂ©es dâun lumignon, lâastronome observe le mauvais sommeil qui secoue la malade Ă coups de dĂ©charges nerveuses. Deux heures sonnent. Elle se retourne, elle vagit, elle pousse des sons inarticulĂ©s, bĂ©gaie ces larves de paroles si lugubres qui sont les soliloques du cauchemar⊠Ses paupiĂšres viennent de sâouvrir sur des prunelles endormies⊠Elle veut se lever, et la voici, hagarde et tremblotante, qui se redresse, et qui dort cependant. M. Le Tellier sâempresse. Il veut la recoucher, lui faire boire une cuillerĂ©e de potion. Elle le regarde et lâinterpelle â Maxime ! » â Mon amie, voyons⊠Câest moi, Jean ! » â Maxime, viens-tu te promener sous la charmille ? » â Couche-toi, dors, Lucette chĂ©rie. Câest lâheure ; il fait nuit⊠» â Câest lâheure de ta promenade, oui, Maxime deux heures sonnaient Ă la minute. Nous serons bien, Ă lâombre. Donne-moi ton bras et promenons-nous dans le bois pendant que le loup⊠â Ah ! ah ! le loup, non ! pendant que ta grandâmĂšre et ton pĂšre sont Ă Artemare. » Elle a saisi le bras de son mari. Elle veut encore se lever⊠MalgrĂ© la toute-souffrance quâil Ă©prouve, M. Le Tellier profitera de lâaubaine odieuse qui sâoffre Ă lui, pour savoir. â Mais il nâentend pas que la somnambule en pĂątisse le moins du monde. Elle veut toujours se lever⊠Alors, une inspiration fait dire au malheureux, dont ]a voix sâĂ©touffe â ⊠Maman⊠Câest moi Maxime. Et nous sommes sous la charmille⊠» Ă prĂ©sent, il nây a plus quâĂ bien Ă©couter. â Câest agrĂ©able de marcher », fait la dormeuse en mouvant ses jambes sous les draps. Nous voilĂ au bout de lâallĂ©e, prĂšs de la grille. Rebroussons chemin. Demi-tour⊠Vois, Maxime, que câest joli, cette nef toute verte, si fraĂźche et vaste, avec, au bout, cette Ă©blouissante trouĂ©e, ce porche fou de clartĂ© »⊠Oui, câest vrai, tu as raison, tunnel » est plus juste que nef ». La charmille a les dimensions et lâombre dâun tunnel⊠Ah ! quâest-ce qui vient, Ă lâextrĂ©mitĂ©, dans le soleil, vers nous ?⊠Un veau ? Tu dis que câest un veau ? HĂ© ! comme il va vite ! Mais, Maxime, ses pattes ne bougent pas⊠En effet il ne pose pas sur la terre⊠Il glisse en lâair⊠Ho ! mais il arrive sur nous Ă fond de train, ce veau !⊠Il ne faut pas avoir peur ? Tu dis ça et tu es blanc comme un linge⊠Le voilĂ ! il nous charge ! sans remuer ! Câest effrayant ! Haaaaaaaaah ! lĂąchez-moi ! Maxime ! on me tient⊠par derriĂšreâŠ, on me serre⊠Ah ! on mâa lĂąchĂ©e⊠Quâest-ce qui te prend ? Quâest-ce que tu as ?⊠Câest ce veau, ce veau immobile !⊠Ooooh ! ne crie pas ! Pourquoi ces mouvements dĂ©rĂ©glĂ©s ? Non, non, ne crie pas, mon petit, mon petit !⊠Enfin, tu ne cries plus. Enfin. Merci⊠Pourquoi tâaccroches-tu Ă cette bĂȘte ?⊠Aaaahhh ! il lâenlĂšve !⊠Le veau⊠sâenfuit⊠à reculons⊠sous la charmille⊠ArrĂȘtez !⊠ArrĂȘtez-le !⊠Maxime, mais crie donc ! Crie ! Appelle !⊠Rien⊠Ah ! dans le soleil, lĂ bas, il se retourne⊠Appelle ! appelle !⊠Disparu⊠Comme Marie-ThĂ©rĂšseâŠâŠ Â» âŠâŠ Qui ĂȘtes-vous ? Vous savez Maxime⊠Il nâest plus lĂ . Je nâai plus dâenfants, plus, plus, plus⊠»âŠâŠ Le veau ! Le veau qui glisse⊠» Mme Le Tellier sâagite dĂ©sespĂ©rĂ©ment. Au bruit quâelle fait, sa sĆur et le mĂ©decin, quâon a retenus Ă Mirastel, se dĂ©pĂȘchent dâaccourir. M. Le Tellier leur abandonne la garde de cette lamentable crĂ©ature dĂ©lirante qui ne sait plus que repousser des fantĂŽmes, qui maintenant revit par bribes dĂ©cousues la scĂšne effroyable, â et, sans perdre une seconde, il va chez Robert. Pour nâĂȘtre pas surpris de le trouver debout encore Ă pareille heure, tandis que lâaube filtrait aux ouvertures, il fallait vraiment que M. Le Tellier fĂ»t abĂźmĂ© dans les derniĂšres profondeurs de son gĂ©nie. Sur le moment, câest Ă peine sâil remarqua que son secrĂ©taire fermait prĂ©cipitamment lâarmoire Ă glace, que cette armoire Ă©tait pleine dâobjets qui lui donnaient lâapparence dâune devanture dâopticien, et que le tapis de la chambre disparaissait sous une profusion de papiers rĂ©cemment dĂ©ficelĂ©s. Robert se retourna vers lui dâun air embarrassĂ©. Par contenance, il caressait un gros cahier rouge Ă fermoirs de cuivre, tout neuf. Mais dĂ©jĂ M. Le Tellier racontait comment sa femme venait de jouer lâenlĂšvement. Le petit homme chĂ©tif lâĂ©couta jusquâau bout, sans mot dire, puis se recueillit durant quelques minutes. â Que de choses incomprĂ©hensibles ! » dit-il enfin. Toujours est-il que les Sarvants ne se gĂȘnent plus ! Ă deux heures aprĂšs midi ! câest du toupet !⊠â Les domestiques ont dĂ» entendre⊠» â Ils disent que non. Mais jâai la conviction, moi, quâils en ont menti. La peur les aura pĂ©trifiĂ©s, quand leur devoir Ă©tait dâaller au secours de ma femme qui criait. Câest cela quâils refusent dâavouer, et câest pour cela quâils nient avoir entendu quoi que ce soit. Nous ne saurons jamais rien de ce cĂŽtĂ©-lĂ . » Robert Collin rĂ©flĂ©chit encore, et demanda â Il nây avait personne, dans les champs, qui puisse nous documenter sur lâĂ©tat du ciel Ă ce moment prĂ©cis ? » â Personne. En revenant dâArtemare, jâai notĂ© le spectacle extraordinaire de la route dĂ©serte et des cultures vacantes. Nous Ă©tions seuls au dehors. Mais Mme Arquedouve nâa plus ses yeux, et la capote, tendue comme un dais, bouchait complĂštement la vue du ciel, pour le chauffeur aussi bien que pour moi. » â Bon ; câest regrettable. â Ah ! quelle robe portait Mme Le Tellier ? » â Une robe noire, toute simple, unie », rĂ©pondit lâastronome un peu dĂ©montĂ©. â Pas de chapeau ? » â Non. » Le secrĂ©taire tira son calepin, le consulta, et dit â Mon maĂźtre, tout sâĂ©claire en ce qui concerne lâanormale libĂ©ration de Mme Le Tellier. Elle a des cheveux au hennĂ©, elle Ă©tait vĂȘtue dâun costume de deuil ; son signalement est donc le mĂȘme que celui de la demoiselle Charras, enlevĂ©e le 11 juin Ă Champagne, laquelle demoiselle est dâun blond rougeoyant et venait de perdre sa mĂšre. » â Que voulez-vous dire avec votre signalement ?⊠Pour lâamour de Dieu, apprenez-moi ce que vous savez ! Tous ces embrouillages !⊠Ce veau qui enlĂšve mon fils !⊠Jây laisserai le sens, moi aussi ! » â Eh bien, » commença Robert, compatissant, je suppose que⊠â Et puis non, tenez ; vraiment, je ne peux pas ! Mettez-vous Ă ma place je ne fais que supposer, et supposer du vague⊠Je vous lâai dĂ©jĂ dit, maĂźtre je ne parlerai quâĂ lâheure oĂč jâaurai toutes les certitudes⊠Mais alors â câest plus que probable â dâautres considĂ©rations survenues mâempĂȘcheront de parlerâŠ, ne serait-ce que la peur de semer la peur⊠» La peur de semer la peur ?!⊠» se disait M. Le Tellier. Le signalement de Lucie conforme Ă la dĂ©signation de Mlle⊠Chose ?!⊠Ah çà ! fichtre, voilĂ un discours superlativement incohĂ©rent !⊠Est-ce que dâaventure⊠Tiens ! tiens ! tiens !⊠Et tout cet arsenal que jâai aperçu dans lâarmoire !?⊠Et ces rangements Ă trois heures du matin !?⊠Diable ! diable ! Est-ce quâil dĂ©mĂ©nage, Ă son tour ?⊠» Il quitta les lieux sur cette rĂ©flexion dĂ©sagrĂ©able. Et nous devons reconnaĂźtre que les actes de Robert devaient Ă juste titre, chaque jour un peu plus, lâancrer dans son idĂ©e quâil perdait la raison. xxDĂ©mences Le surlendemain, le docteur Monbardeau â dont la valeur mĂ©dicale est justement rĂ©putĂ©e â certifia que la guĂ©rison de sa belle-sĆur Ă©tait une question de temps et de patience. Mme Monbardeau vint une fois de plus habiter Mirastel, en qualitĂ© de garde-malade ; et, bien que Mme Le Tellier se montrĂąt sensitive Ă lâexcĂšs ; bien que la moindre surprise lâĂ©lectrisĂąt ; bien que cinq minutes ne pussent sâĂ©couler sans quâelle fĂźt le geste-tic de repousser quelquâun, ou sans quâelle parlĂąt du veau inexplicable, â une amĂ©lioration faible mais Ă©vidente justifia le pronostic du mĂ©decin. CâĂ©tait une chance inouĂŻe ; la commotion cĂ©rĂ©brale avait Ă©tĂ© de la derniĂšre violence. On en possĂ©da la preuve supplĂ©mentaire quand, les cheveux de la malade ayant poussĂ© quelque peu, on sâaperçut quâils poussaient blancs. La chevelure tout entiĂšre devait avoir blanchi, mais jusquâĂ prĂ©sent la teinture avait empĂȘchĂ© quâon le remarquĂąt. Pour accĂ©lĂ©rer la convalescence de lâaffligĂ©e, il aurait fallu quâelle prĂźt lâair, aussi. Mais, en admettant quâelle sây fĂ»t prĂȘtĂ©e, nul ne lâaurait permis durant ces jours dĂ©testables. Car depuis lâenlĂšvement de Maxime, perpĂ©trĂ© avec une audace, un cynisme et une prestesse non encore dĂ©ployĂ©s, les Bugistes ne sâaventuraient plus Ă ciel ouvert quâavec dâinfinies prĂ©cautions. M. Le Tellier lui-mĂȘme sâopposait Ă la sortie des siens. Il subissait alors une seconde dĂ©pression morale et sâabandonnait Ă dâinterminables penseries, moins occupĂ© de percer le mystĂšre que de considĂ©rer sa dĂ©tresse. Une fois que Mme Arquedouve lui demandait sâil avait trouvĂ© quelque chose, il rĂ©pondit â Jâai trouvĂ© quâon devrait toujours aimer ses proches comme sâils Ă©taient destinĂ©s Ă mourir tout Ă lâheure. » Les extravagances de Robert allaient finir de lâaccabler. Celui-ci donnait des signes incontestables dâaliĂ©nation mentale. Ă cette Ă©poque dĂ©jĂ , la frayeur avait dĂ©rangĂ© beaucoup de cerveaux. Une terreur contenue et dissimulĂ©e venait-elle de gĂąter cette splendide intelligence ?⊠â On lâaurait dit. Sa dĂ©mence avait dĂ©butĂ© par une explosion de joie, un air de gaietĂ© constante et singuliĂšrement dĂ©placĂ©e. On le vit, aprĂšs cela, sâensevelir en de sombres recueillements. Sous lâaction dâune idĂ©e fixe, il accomplit une autre fugue, non plus Ă Lyon mais Ă GenĂšve, et revint de Suisse, par une des plus ardentes journĂ©es de 1912, portant sur le bras une lourde pelisse de fourrure. Ă dater de lĂ , rien ne put lâempĂȘcher de sâenfuir tous les matins pour de longues promenades alarmantes qui lâexposaient dehors jusquâĂ la nuit. Il rentrait Ă sept heures prĂ©cises ; mais, aussitĂŽt le dĂźner, le monomane disparaissait Ă nouveau ; puis, le lendemain, repartait⊠Et dans quelle tenue ! Burlesque Ă lâĂ©gal de Tiburce lui-mĂȘme ! â HabillĂ© dâun complet de touriste en cheviote, extrĂȘmement chaud, guĂȘtrĂ© jusquâaux genoux dâun cuir Ă©pais, il servait de support Ă toutes sortes dâarticles de voyage rayon des explorateurs. Un petit couteau de chasse lui battait le flanc. Un Ă©tui-revolver lui mettait un ceinturon et un baudrier de vache vernie. Sur sa poitrine, les courroies dâune gourde et dâune sacoche croisaient en sautoir celles dâun kodak et dâune imposante jumelle prismatique. Sur son dos, il y avait un sac de marcheur, en toile verte, gonflĂ© dâobjets mystĂ©rieux, et, pendu Ă ce sac, un petit traversin de caoutchouc des plus intriguants. Une toque de loutre le coiffait de son Ă©tuve poilue ; et la pelisse de fourrure ne quittait son bras droit que pour aller chauffer son bras gauche. Ainsi harnachĂ©, le gringalet apitoyant quittait Mirastel, et, vĂȘtu comme pour une expĂ©dition polaire, il arpentait les routes pulvĂ©rulentes, sous un soleil Ă pomper lâocĂ©an. Ces routes nâavaient plus de cantonniers. Robert foulait sans trĂȘve leur terrain cabossĂ©, nây rencontrant que de rares voitures soigneusement closes et quelques automobiles pressĂ©es dâĂȘtre ailleurs. Parfois, il lui fallait enjamber des ruisseaux de fourmis, qui traversaient le macadam de la RĂ©publique ; et parfois, il avait Ă contourner des pierres dâĂ©boulis, tombĂ©es de la montagne et quâon laissait au milieu du chemin. Il lui arrivait aussi et fort souvent de gravir le Colombier et dây errer comme une Ăąme en peine, comme un poĂšte flĂąneur, amant des forĂȘts et des cimes. Il paraissait uniquement soucieux dâadmirer les points de vue ; ses regards allaient de lâun Ă lâautre avec une cĂ©lĂ©ritĂ© remarquable ; aucune des beautĂ©s de lâheure et du lieu ne lui Ă©chappait. Le Colombier avait Ă©tĂ© le mont de la neige puis des narcisses ; bientĂŽt il serait le mont des framboises ; il Ă©tait pour lors celui des sauterelles, et les pas de Robert dĂ©clenchaient leurs sauts stridents, comme autant dâarceaux fugitifs, de-ci de-lĂ , rouge celui-ci, mauve celui-lĂ . Mais le singulier badaud nâaimait pas cette stridulation bourdonnante qui recouvre les prĂ©s dâun tapis de musique ; et il profĂ©rait Ă chaque instant â Eh ! mon Dieu ! ce nâest que les sauterelles ! â La peste soit des sauterelles ! â Maudites sauterelles ! » Ou quelque autre monologue dans ce goĂ»t-lĂ . ImpĂ©nĂ©trable et serein, ponctuel et souriant, il entrait au second coup de cloche dans la salle Ă manger du chĂąteau. Ă table, il ne rĂ©pondait rien aux remontrances et semblait tout heureux de ses frasques et de ses lubies. On ne le voyait plus quâau repas du soir. M. Le Tellier sâaperçut quâil dĂ©campait aussi pendant la nuit. Alors, il voulut le cloĂźtrer. Mais lâautre lâavertit respectueusement quâĂ la premiĂšre rĂ©cidive, il se sauverait pour ne plus revenir. M. Le Tellier cĂ©da. Le pauvre homme en arrivait Ă douter de son propre jugement ; il ne savait plus, de lui et de Robert, lequel Ă©tait raisonnable, et si le devoir ne commandait point de patrouiller sans cesse Ă la recherche du Sarvant, fĂ»t-ce au hasard et follement, avec mille excentricitĂ©s ridicules, affligeantes et théùtrales, â en un mot tiburcĂ©ennes. Lâastronome dut se borner Ă frĂ©mir pendant les absences de son secrĂ©taire. â Et ce quâil eĂ»t frĂ©mi davantage, sâil avait connu que Robert possĂ©dait le moyen de tromper les Sarvants par une certaine similitude de toilette, et que pourtant son costume dâopĂ©ra-comique ne prĂ©sentait aucune analogie avec lâun de ceux quâil eĂ»t Ă©tĂ© rusĂ© de contrefaire ! Ă chaque fois que Robert sâĂ©loignait, M. Le Tellier se demandait si câĂ©tait ce soir-lĂ quâil ne reviendrait pas⊠Et les soirs tardaient bien Ă revenir. Mais ils revenaient tout de mĂȘme⊠â et revenait aussi Robert. Cependant, le mercredi 3 juillet, Ă sept heures, on entama sans lui le potage. Sa place faisait un vide dramatique entre lâaveugle et la folle. M. Le Tellier, le docteur et sa femme sâentre-regardaient, taciturnes, lorsque le maĂźtre dâhĂŽtel remit Ă lâastronome une lettre qui nâavait pas de timbre. M. Le Tellier fronça les sourcils et devint trĂšs pĂąle. â LâĂ©criture de Robert ! Tiens !⊠» dit-il dâune voix Ă©tranglĂ©e. Voyons Mon cher maĂźtre, ne mâattendez pas pour dĂźner. Je suis allĂ© chez les Sarvants. Ă tout prix je vous donnerai des nouvelles de votre fille. Comptez sur moi. â Robert Collin[7]. » » Le malheureux ! Il sâest fait enlever ! » Et, sâadressant au maĂźtre dâhĂŽtel â Qui vous a donnĂ© cette lettre ? » â Câest M. Collin, Monsieur ; il y a huit jours. Il mâa dit comme ça que la premiĂšre fois quâil serait en retard pour dĂźner, quand ça ne serait que dâune seconde, quâil fallait remettre ça Ă Monsieur. » La lettre palpitait dans les doigts de M. Le Tellier â Il sâest fait enlever !⊠Volontairement ! » Dâun signe, Mme Monbardeau lui recommanda le silence Mme Le Tellier commençait Ă sâexalter. â Il nâĂ©tait pas fou ! » reprit-il sans faire attention. â Alors, » sâenquit M. Monbardeau, cette pelisse ? ces fourrures ? » â Il croit peut-ĂȘtre que les Sarvants ont leur refuge dans les glaciers⊠» avança Mme Arquedouve. â Sans doute », fit M. Le Tellier, songeur. Les Sarvants⊠» La visionnaire sâĂ©tait levĂ©e dâun jet. â Les Sarvants ! » sâĂ©cria-t-elle. Hoooooh ! Qui me serre ?⊠Maxime !⊠» Elle Ă©cartait avec horreur la souvenance des mains qui lâavaient empoignĂ©e, sous la charmille. Elle crispait les siennes aux endroits que lâĂ©treinte avait meurtris Ă travers lâĂ©toffe dĂ©chiquetĂ©e⊠â LĂ ! quâest-ce que je disais ! » reprocha Mme Monbardeau. Taisez-vous donc, Jean ! » Mais M. Le Tellier, Ă la vue de sa femme qui reproduisait infatigablement la bagarre du 19 juin, se rĂ©pĂ©tait en frissonnant que Robert avait couru, de lui-mĂȘme, au danger sans Ă©gal⊠Ah ! le vaillant ! le hĂ©ros ! il sâĂ©tait jetĂ©, de gaietĂ© de cĆur, au-devant du formidable mystĂšre crochu ; et des jours, et des nuits, il avait eu le courage surhumain de persister dans son hĂ©roĂŻsme et dâattendre patiemment lâattaque infernale ! â Il nâa pas de famille, nâest-ce pas ? » sâinforma le docteur. â Non, » dit M. Le Tellier, la larme Ă lâĆil, il nâavait que la nĂŽtre. Ou plutĂŽt, il nâavait quâun rĂȘve⊠HĂ©las ! voilĂ que jâen parle dĂ©jĂ au passĂ© !⊠» â Deux jours aprĂšs, les facteurs bugistes faisant grĂšve depuis lâavĂšnement des Ogres, les deux beaux-frĂšres Ă©taient allĂ©s en automobile chercher le courrier Ă la poste dâArtemare. M. Le Tellier dĂ©ploya Le Nouvelliste de Lyon, adressĂ© Ă Mme Arquedouve, et lut ce qui suit piĂšce 417 â ⊠Des membres du Club-Alpin, qui se livraient hier Ă lâascension du Mont Blanc, ont relevĂ©, sur le flanc dâun mur de neige, une longue trainĂ©e qui semble due au frottement dâun corps cylindrique Ă©norme et rĂ©sistant. On dirait, disent-ils, quâun aĂ©rostat-automobile Ă armature mĂ©tallique, du type Zeppelin, est passĂ© Ă cet endroit en frĂŽlant le mur dont il est question. Serait-ce la trace des fameux Sarvants ?⊠Serait-ce lâempreinte du dirigeable mystĂ©rieux deux fois observĂ© par lâinfortunĂ© Maxime Le Tellier ?⊠Il est permis de le supposer. » â Ăa y est il habitent par lĂ , Jean », dit le docteur. â Mais, Calixte, comment diable Robert lâa-t-il devinĂ© ? » â JâespĂšre quâon va mobiliser les troupes alpines et fouiller les crevasses !⊠On ne fait rien pour nous !⊠Quel sale ministĂšre ! » xxiLe PĂ©ril Bleu Mobiliser les troupes alpines, câĂ©tait depuis longtemps un fait accompli. Sous prĂ©texte de manĆuvres â afin, paraĂźt-il, dâĂ©viter une recrudescence de lâaffolement public â le pouvoir avait ordonnĂ© des battues militaires, et chaque garnison prenait les armes tour Ă tour. On explorait le Bugey de fond en comble, sans Ă©veiller de soupçons. Les reconnaissances dâofficiers sây accordaient avec les inquisitions de la SĂ»retĂ© ; lâarmĂ©e et la police agissaient parallĂšlement ; lâinspecteur Garan, revenu de ses erreurs, avait coopĂ©rĂ© maintes fois aux stratĂ©gies les plus astucieuses. Mais, ni dans les Alpes, ni dans le Bugey, le Sarvant ne se laissait mĂȘme entrevoir. Les bouges des faubourgs, les caves et les Ă©gouts des villes, les souterrains des vieux donjons, les carriĂšres, les gouffres, les grottes, les forĂȘts, les cryptes des ruines et les catacombes des abbayes furent explorĂ©s sans rĂ©sultat. Lâantre des flibustiers demeurait une Ă©nigme. Les dirigeables et les aĂ©roplanes prĂȘts Ă sâĂ©lancer derriĂšre le ballon-fantĂŽme restaient inactifs, et ceux qui croisaient dans lâatmosphĂšre, au-dessus des mornes solitudes, revenaient bredouille de la chasse aux Croquemitaines. Ă lâheure oĂč M. Monbardeau rĂ©clamait la mobilisation des Alpins et fulminait contre le ministĂšre, il y avait donc bel Ăąge que lâĆuvre de lâĂtat sâĂ©tait donnĂ© carriĂšre en Bugey comme aux alentours, avec une discrĂ©tion que motivaient non seulement le trouble des citoyens il nous semble, au contraire, que lâaspect des troupes les eĂ»t rassurĂ©s mais aussi la peur dâune gigantesque plaisanterie plus ou moins clĂ©ricale. Les Camelots du Roy, par exemple, Ă©taient capables de toutes les impertinences, du moment quâil sâagissait de ridiculiser le rĂ©gime. Ă la vĂ©ritĂ©, cette Ćuvre de lâĂtat, on avait dĂ©cidĂ© de la continuer jusquâĂ la victoire. Mais il se produisit plusieurs disparitions impressionnantes de sentinelles avancĂ©es, dâagents solitaires⊠Et lâon dut couper court Ă cette traque phĂ©nomĂ©nale, pour Ă©viter les refus dâobĂ©issance et les dĂ©fections. Lâexistence des Sarvants nâĂ©tant pas officiellement reconnue, on cachait avec plus de soin encore que les recherches se poursuivaient dans toute la France et mĂȘme fort au delĂ . Car, â sans comprendre pourquoi leur champ dâaction se rĂ©duisait aux parages bugistes et sâĂ©tendait si lentement, â on soupçonnait les brigands dâaller trĂšs loin dĂ©poser leurs prises. LâĂ©chec des perquisitions rĂ©gionales semblait en faire foi. Impuissant Ă dĂ©couvrir quoi que ce fĂ»t et craignant lâextension dâun mal dont la gravitĂ© lui apparaissait de jour en jour, le gouvernement jeta le masque et sâefforça dâorganiser un systĂšme protecteur, dans le but de circonscrire le flĂ©au. Il Ă©dicta des mesures prĂ©ventives â des dispositions de prophylaxie, pour ainsi dire â applicables sur tout le territoire. Et alors les populations qui nâavaient pas subi la tyrannie du Sarvant se prirent Ă la redouter. Celui-ci nâaugmentait son empire quâinsensiblement, câest entendu. Mais lĂ , câĂ©tait lâabomination de la dĂ©solation. Les services administratifs, la vie sociale, nây fonctionnaient plus. Le pays se vidait peu Ă peu de ses habitants. Depuis le rapt de Mlle Le Tellier et de ses cousins, chaque enlĂšvement avait provoquĂ© de nouveaux dĂ©parts. Il Ă©tait arrivĂ© Ă Lyon, Ă ChambĂ©ry, des trains bourrĂ©s de paysans, et la frontiĂšre suisse avait vu lâexode des rĂ©fugiĂ©s français. La panique les saisissait tout dâun coup ; pour subsister ailleurs, ils vendaient leurs bestiaux Ă vil prix ; quelques-uns cĂ©daient leurs champs et leur ferme ; et ils sâenfuyaient, bienheureux dâavoir trouvĂ© marchand. CâĂ©taient les riches. â Dâautres nâavaient pas de quoi sâen aller. Quinze mille peut-ĂȘtre. Ceux-lĂ vivaient de rien dans leurs masures barricadĂ©es, comme au fond de taniĂšres. Nul ne correspondait avec son voisin ; â pourtant, les nouvelles arrivaient jusquâĂ eux, mais dĂ©naturĂ©es, grossies, et redoublaient leurs transes. Lâaigle de Robert fut la chauve-souris gĂ©ante que lâon appelle vampire », et le poisson de Philibert prit forme de requin volant, de dragon, de tarasque des temps gothiques⊠Autour des villages condamnĂ©s jaunissaient les moissons que personne ne rĂ©colterait. Les prairies poussaient haut et dru ; les vignes sâemmĂȘlaient de longs rejets flexibles, et lâherbe verdissait le sol des routes blanches. Un silence de mort planait. Parfois, un vagabond se risquait Ă la maraude. Il vint aussi des bandes de voleurs, dans lâespoir de piller les biens Ă lâabandon⊠Mais subitement des cris horribles sâĂ©levaient Ă lâintĂ©rieur des maisons ou dans la campagne lointaine batailles dâhommes contre des chiens enragĂ©s, contre des chats oubliĂ©s, contre des rivaux, contre la peur, ou bien contre⊠on ne savait quoi. Les pillards, au bout de quelque temps, ne vinrent plus. Ă partir de ce jour, les seuls ĂȘtres humains que lâon vit errer par les champs et les bois furent de misĂ©rables insensĂ©s, dont le nombre augmentait dâheure en heure. Ils sortaient de leurs geĂŽles volontaires sous la domination dâidĂ©es puĂ©riles, produits de lâĂ©pouvante et de la claustration. Demi-nus, dĂ©sĆuvrĂ©s, les malheureux allaient au hasard, se nourrissant de grains et de racines. Le Sarvant, dâaprĂšs lâhistoire, en choisit quelques-uns ; la majoritĂ© se suicida. Il nâĂ©tait pas rare, en effet, quâaux arbres, aux poteaux des chemins, aux croix des carrefours, se balançassent des pendus qui avaient fui la peur dans la mort. Ă travers la vallĂ©e, une succession de pylĂŽnes soutenait les cĂąbles Ă©lectriques de Bellegarde Ă Lyon ; presque tous avaient servi dâĂ©chelles Ă dâĂ©tranges dĂ©sespĂ©rĂ©s, qui touchaient les cĂąbles et sâĂ©lectrocutaient. Des momies carbonisĂ©es tordaient leurs postures simiesques au sommet de ces miradores, et semblaient bouffonner entre elles. Les riviĂšres charriaient des cadavres, messagers de lâeffroi qui sĂ©vissait. La voie du chemin de fer Ă©tait un rendez-vous dâĂ©crasĂ©s. â Il rĂ©gna de grandes puanteurs. Mais grĂące aux nuĂ©es de corbeaux qui sâabattirent sur le pays, le charnier quâil Ă©tait fut vite un ossuaire. La postĂ©ritĂ© sâĂ©tonnera dâune telle dĂ©bĂącle. Câest quâelle oubliera comment les Bugistes comprenaient la calamitĂ©. Ce nâĂ©tait plus une brimade, ce nâĂ©tait plus un stratagĂšme de forbans. CâĂ©tait la fin du monde. Et ils croyaient que JĂ©hovah commençait par le Bugey Ă dĂ©peupler la terre. Pour eux, le Sarvant devenait lâange exterminateur. Blottis dans lâombre des cahutes, nâosant pas ouvrir les fenĂȘtres, ils tendaient lâoreille. Le roulement des trains, grondant parmi le calme, leur paraissait le tonnerre de Dieu. Ils Ă©voquaient avec angoisse les bĂȘtes dâApocalypse qui avaient Ă©tĂ© vues dans le ciel un veau, un aigle, un brochet. Les plus mystiques pensaient au bĆuf ailĂ© de saint Luc, Ă lâaigle de saint Jean lâĂvangĂ©liste, Ă lâichthys, poisson-symbole des premiers chrĂ©tiens. Câest pourquoi, si quelque automobile traversant la rĂ©gion sâavisait de corner, ils entendaient la trompette du Jugement, et sâĂ©tant signĂ©s, ils se prosternaient, la face contre terre. Dix siĂšcles auparavant, les mĂȘmes alarmes sâĂ©taient rĂ©pandues. Les terreurs de lâan mil neuf cent douze Ă©galaient celles de lâan mille. Et si elles devaient moins se gĂ©nĂ©raliser, câest quâelles avaient une raison dâĂȘtre, tandis que les autres Ă©taient filles de lâinĂ©puisable fantaisie[8]. MalgrĂ© cette exaltation des sentiments religieux, on nâarrangeait plus de processions. Il eĂ»t fallu sortir. Et quand mĂȘme on fĂ»t sorti, chaque paroisse aurait-elle rĂ©uni assez de pĂ©nitents ?⊠La statistique nâa pas citĂ© de famille oĂč le Sarvant nâait fait plusieurs victimes. Loin dâĂȘtre une exception, le quintuple malheur de Mme Arquedouve Ă©tait celui de nombreuses grandâmĂšres. Il semblait quâune Ă©pidĂ©mie infestĂąt ce coin de lâhumanitĂ©. De fait, les persĂ©cuteurs vous enlevaient Ă lâimproviste, sans que rien y fĂźt, comme souvent procĂšde le cholĂ©ra. Comme en temps de cholĂ©ra, les survivants gardaient une figure dâesclave poursuivi, oĂč la peur sâĂ©tait imprimĂ©e Ă jamais dans une grimace indigne de lâhomme. Ils ne sâinquiĂ©taient mĂȘme pas de savoir oĂč les disparus sâen Ă©taient allĂ©s. Aucun ne doutait de leur massacre. Les femmes pleuraient un peu quand elles y songeaient ; cela faisait en elles une heureuse dĂ©tente, â et le moment des larmes se trouva lâinstant du bonheur. Le rire nâĂ©tait plus, au trĂ©fonds des mĂ©moires, quâun vague souvenir de paradis perdu. Tous les cĆurs se serraient ; â la nuit surtout. La nuit, on la passait aux Ă©coutes, Ă guetter le trop cĂ©lĂšbre ronflement. On sâimaginait le percevoir. On le percevait par auto-suggestion. Et quand lâaube poignait dans sa splendeur caniculaire qui rĂŽtissait dehors les charognes sans nombre, alors, par une fente de la porte, par une lĂ©zarde de la muraille, entre deux tuiles disjointes, les pauvres gens fixaient le ciel imperturbable, limpide et bleu, sillonnĂ© dâhirondelles, â le ciel fourbe, avec son masque de sĂ©rĂ©nitĂ©. Tout le jour, ils contemplaient cet azur aveuglant. Leurs yeux Ă©blouis voyaient apparaĂźtre des façons de petits vers ondulĂ©s, incolores, qui se dĂ©plaçaient lorsquâon voulait les regarder ; ils sâen effrayaient ; câĂ©taient les vaisseaux mĂȘmes de leurs yeux. Le murmure de la saison se dĂ©guisait en un bourdonnement redoutĂ©. Soixante fois par minute, ils se figuraient distinguer nâimporte quoi. Beaucoup prĂ©tendirent avoir surpris de la sorte lâascension de crĂ©atures et dâobjets divers, montant seuls et tout droit dans lâatmosphĂšre. Mais ils nâen auraient pas jurĂ©, sentant bien quâils Ă©taient de mĂ©chantes vigies. Mirastel fut le dernier chĂąteau quâon habitĂąt. Mme Arquedouve et sa fille Lucie nâĂ©taient guĂšre transportables et M. Le Tellier se cramponnait Ă lâidĂ©e quâil retrouverait ses enfants lĂ oĂč le Sarvant les avait captivĂ©s. Les reprĂ©sentants du dĂ©partement profitĂšrent de la circonstance et lui demandĂšrent un rapport dĂ©taillĂ© sur la situation. Ă la suite de ce rapport, on voulut appliquer une nouvelle tactique dĂ©fensive. Mais les fonctionnaires dĂ©lĂ©guĂ©s en Bugey nây restaient pas une semaine. Cet enfer avait raison des meilleures volontĂ©s, des pires ambitions, des bravoures les plus Ă©prouvĂ©es. Toute la terre alors surveilla le Bugey. CâĂ©tait un point gangrenĂ© dont elle suivait avec effroi lâhorrible Ă©panouissement. Tel un incurable qui, la sueur aux tempes, couve des yeux son chancre envahissant, le monde entier contrĂŽla sans rĂ©pit les progrĂšs du cancer français. La presse internationale tournait au bulletin sanitaire. â San-Francisco ne souriait plus. Toute la terre surveillait le Bugey, et tout le Bugey surveillait le ciel. Dâun bout Ă lâautre du pays, cela seul importait. On se moquait de tout, exceptĂ© de cela. Lâengraissement des porcs, la vendange Ă venir, les foins Ă faner, les seigles florissants, la tempĂ©rature propice ou dĂ©favorable, les querelles municipales, â chacun sâen dĂ©sintĂ©ressait. La fortune et la misĂšre ne comptaient plus ; la politique avait perdu son importance ; une guerre pouvait survenir ; une invasion menacer la patrie ; le PĂ©ril Jaune pouvait fondre sur lâEurope ; â quâest-ce que cela faisait ? Un souci mĂ©ritait seulement lâinquiĂ©tude. Un seul danger valait dâĂȘtre Ă©cartĂ© â Le PĂ©ril Bleu. DEUXIĂME PARTIE OĂč. Comment. Qui. Pourquoi. iLa Tache carrĂ©e Le PĂ©ril Bleu » ! die Blaue Gefahr ! the Blue Peril ! el Peril Azul ! il Perile Azzuro ! â ce terme journalistique eut la fortune de son cousin le vocable Sarvant ». Son emploi devint universel. Et mĂȘme, il exerça sur la pensĂ©e du monde une influence des plus curieuse. Le pouvoir des mots ne connaĂźt pas de limites. On avait dĂ©signĂ© la nouvelle plaie du nom de PĂ©ril Bleu parce que les agresseurs empruntaient le chemin du ciel mais, pour lâheure, Ă force de vĂ©rifier lâinanitĂ© des perquisitions mondiales, Ă force de lire, de dire et dâentendre PĂ©ril Bleu », on inclinait Ă croire que lâennemi câĂ©tait le ciel lui-mĂȘme, et non plus que les larrons sâallaient rembucher dans un fort terrestre, aprĂšs lâavoir utilisĂ© comme une route de saphir. Il fallait un raisonnement pour remettre les choses au point. Alors on apercevait lâimmense difficultĂ© des recherches. On se reprĂ©sentait les myriades dâexplorateurs en train de parcourir les steppes, les brousses, les jungles, les maquis, afin de dĂ©couvrir le gĂźte des Sarvants ; et lâon saisissait combien de lieux pouvaient Ă©chapper, sur le vaste globe, Ă leur perspicacitĂ©. On pensait aux forĂȘts vierges, aux montagnes inabordables, aux cavernes dont lâouverture est une faille imperceptible ; on pensait Ă des bastilles souterraines et jusquâĂ des constructions sous-marines. Mais lâidĂ©e de lâeau ramenait lâidĂ©e de lâair, et de nouveau les plus pondĂ©rĂ©s se surprenaient Ă lâexamen du ciel, ainsi que lâon guette un repaire de brigands. MĂ©prise singuliĂšre et singuliĂšrement rĂ©pandue, puisque les astronomes sây laissaient aller. Mais oui, câest Ă peine croyable eux, les familiers de lâĂ©ther, les confidents dâĂlohim, ils nâenvisageaient pas toujours lâobjet de leur Ă©tude comme ils lâavaient fait jusquâici et comme il eĂ»t Ă©tĂ© raisonnable de le faire encore. Câest en vain que rien nâĂ©tait changĂ© dans la mĂ©canique cĂ©leste ; plus dâun Laplace confessa lâĂ©motion quâil avait ressentie Ă considĂ©rer le firmament, et les calculs dâobservatoire regorgent dâerreurs en lâannĂ©e 1912. M. Le Tellier suivit lâexemple de ses confrĂšres. Ce nâest pas que le ciel eĂ»t gardĂ© pour lui son charme dâautrefois, ni que lâastronome se crĂ»t obligĂ© de travailler pour le moment aux ouvrages de sa profession ; le malheur avait rabattu son attention sur les affaires dâici-bas, et depuis son dĂ©part de Paris, M. Le Tellier nâavait pas dirigĂ© la moindre lunette vers la moindre planĂšte. Mais parfois, au cours dâune veille enfiĂ©vrĂ©e, il sâaccoudait devant la nuit, dans la fraĂźcheur, et lĂ , mĂ©ditait, non pas en physicien rĂ©flĂ©chi, mais en rĂȘveur dĂ©sespĂ©rĂ©. Il ne voyait plus les astres avec des yeux de savant, tels des univers dont il savait tout ce que lâhomme dâaujourdâhui peut en savoir ; il les voyait comme des points brillants qui sont dâun aspect fĂ©erique. Les lunes, les soleils, les Mars et les VĂ©nus, Saturne, AldĂ©baran, CassiopĂ©e, Hercule, nâĂ©taient plus pour lui des sujets dâanalyse et des raisons de chiffres, dĂ©signĂ©s par les lettres de lâalphabet grec ; câĂ©taient des grains dâaurore Ă©parpillĂ©s dans lâombre. Et maintenant il regardait surtout le noir entre les Ă©toiles. Lâimage de son fils et de sa fille ne quittait plus sa rĂ©tine. Leur souvenir emplissait son Ăąme. Il se les figurait au cĆur de lâAfrique, dans une citadelle entourĂ©e de lianes infranchissables, â puis au sein du Mont Blanc ou de lâHimalaya, prisonniers dâoubliettes plus creusĂ©es que des mines, â puis reclus sous la mer, en de bizarres cellules dâacier⊠Enfin, succombant Ă la contagion, il interrogeait le ciel dâun regard de terreur, et prononçait tout bas â Le PĂ©ril Bleu ! » Mais, dâun effort, il secouait lâabsurde obsession, se gourmandait dây avoir cĂ©dĂ©, et pour la chasser, pour assainir ses idĂ©es, il se forçait Ă choisir un astre dans une constellation, Ă repasser lâhistoire de sa connaissance et Ă rĂ©citer ses nombres dâespace et de temps. On le devine Ă ces heures scientifiques, lâastre qui sollicitait davantage ses regards Ă©tait VĂ©ga, ou alpha de la Lyre, â cette VĂ©ga dont il avait cessĂ© lâobservation pour venir Ă Mirastel, laissant lĂ des travaux quâil comptait reprendre quinze jours plus tard et quâaprĂšs deux mois il nâavait pas repris. â M. Le Tellier se plaisait donc au spectacle de la belle Ă©toile blanche vers quoi le Soleil nous entraĂźne. Elle semblait lâattendre, et longtemps il admirait lâĂ©clatante pĂąleur que son hydrogĂšne lui procure. Le 6 juillet, vers une heure du matin, fuyant une alcĂŽve hantĂ©e de cauchemars, il se mit au balcon et chercha lâĂ©toile VĂ©ga. Elle atteignait le point culminant de son orbe ; elle allait passer au plus prĂšs du zĂ©nith, Ă quelques degrĂ©s vers le sud. Pour la voir, il fallait lever la tĂȘte et regarder presque au centre des cieux. Elle glissait, candide et sereine, de gauche Ă droite⊠Mais, en coupant le mĂ©ridien du lieu, câest-Ă -dire parvenue au sommet de sa course, â tout Ă coup elle sâĂ©teignit. M. Le Tellier fit un haut-le-corps. Il nâĂ©tait pas revenu de sa stupeur, que lâĂ©toile brillait de plus belle et continuait sa ronde autour de la Terre, sâabaissant du cĂŽtĂ© de lâouest. Lâastronome ne la quittait plus des yeux. Ivre dâĂ©nergie et de curiositĂ©, il la suivit passionnĂ©ment jusquâau matin qui lâeffaça. â Il avait Ă©piĂ© sans dĂ©faillance le retour dâun phĂ©nomĂšne que son Ćil expert nâeut pas lâoccasion de rĂ©observer. Il mit alors sur le compte de la fatigue et de lâĂ©nervement ce quâil traita dâaberration dâoptique, et sâen fut dormir. Cependant, au rĂ©veil, il se consulta. Hum ! une hallucination ? Peut-ĂȘtre. Mais il doutait. En tout cas, cette apparence dâextinction nâavait pas Ă©tĂ© produite par un scintillement plus long que les autres ; il en Ă©tait sĂ»r ; la disparition de lâĂ©toile avait durĂ© pour cela trop de temps, â un temps que sa vieille expĂ©rience Ă©valuait Ă cinq secondes. â Et puis non, non il avait bien rĂ©ellement assistĂ© Ă la disparition momentanĂ©e de VĂ©ga, et rien de connu, rien de prĂ©vu ne pouvait lâexpliquer⊠Le plus raisonnable Ă©tait de supposer quâun astĂ©roĂŻde avait passĂ© devant lâĂ©toile et provoquĂ© son occultation⊠Mais alors un bolide obscur ?⊠Hum ! hum !⊠Or, il importe de le spĂ©cifier, M. Le Tellier possĂ©dait lâassurance absolue que nul oiseau, nul aĂ©rostat nâĂ©tait venu sâinterposer entre VĂ©ga et son Ćil. Pour masquer pendant cinq secondes une Ă©toile de premiĂšre grandeur, il eĂ»t fallu lâintervention dâun oiseau ou dâun aĂ©rostat si rapprochĂ©s du spectateur, que celui-ci les eĂ»t fatalement remarquĂ©s dans la nuit lumineuse. Ce petit incident stellaire, constatĂ© par un tel homme, prenait une importance capitale, Ce dĂ©tail quâun autre nâaurait pas mĂȘme aperçu, M. Le Tellier le rumina toute la journĂ©e. Et le rĂ©sultat de ses dĂ©libĂ©rations fut quâil se rendit, Ă la brune, dans lâobservatoire de la tour, lâinventoria soigneusement, essaya le mouvement dâhorlogerie de la lunette Ă©quatoriale, nettoya les lentilles, ouvrit dans le dĂŽme une fente qui le partagea tout entier dâune arcade de vide, puis â ayant ainsi dĂ©gagĂ© la bande dâinfini oĂč VĂ©ga dĂ©crirait sa courbe â il mit sa montre Ă lâheure sidĂ©rale, et visa dans la lunette un point de lâhorizon. Cela fait, il attendit sans patience le lever de lâĂ©toile, lâaube de ce soleil Ă©perdument lointain, mĂȘlĂ© ex abrupto Ă ses plus graves prĂ©occupations et fixant son intĂ©rĂȘt Ă des milliers de kilomĂštres, au moment prĂ©cis oĂč il sâĂ©tait demandĂ© OĂč sont les victimes du Sarvant ? » Cette pensĂ©e lui brĂ»lait le cerveau. Et quand parut VĂ©ga, quand il vit lâatome aveuglant au milieu du disque nocturne dĂ©coupĂ© par lâobjectif, â il dut se raidir contre lui-mĂȘme. â Allons donc ! femmelette ! » Dâun coup de pouce, il dĂ©clencha le mouvement dâhorlogerie, et la lunette obĂ©issante accompagna lâĂ©toile dans sa marche. CâĂ©tait une bonne lunette astronomique dâamateur. Elle mesurait un mĂštre de long et grossissait modestement cinquante fois. Mais le grossissement avait peu dâimportance Ă lâĂ©gard de VĂ©ga elle-mĂȘme, si Ă©blouissante quâelle fĂ»t, les meilleurs tĂ©lescopes ne pouvant rapprocher les Ă©toiles â parce quâelles sont trop loin â et ne servant quâĂ les rendre plus nettes. Aussi bien M. Le Tellier commençait-il Ă pressentir que VĂ©ga ne jouait en ceci quâun rĂŽle de comparse ; car le temps sâĂ©coulait sans quâil remarquĂąt la moindre anomalie dans la conduite de lâastre. Minuit sonna. M. Le Tellier ne quittait pas lâoculaire. Tout autre quâun astronome sây fĂ»t lassĂ© ; mais il gardait la vue limpide et lâesprit en Ă©veil. LâĂ©toile et lui sâexaminaient. Les rouages, rĂ©glĂ©s sur la fuite du ciel, ronronnaient discrĂštement, et le petit tĂ©lescope se cabrait dâun geste uniforme, insensible, neutralisant la rotation de la Terre et contraignant lâobservateur Ă se dĂ©placer continuellement. BientĂŽt le tube se trouva presque droit, braquĂ© Ă sept degrĂ©s au sud du zĂ©nith ; VĂ©ga repassait Ă sa culmination ; et M. Le Tellier, couchĂ© la tĂȘte renversĂ©e, eut un frĂ©missement â elle avait encore disparu. â Au mĂȘme instant, il lui sembla que le rond bleu sâobscurcissait⊠Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. VĂ©ga reparaĂźt, et le champ sâĂ©claircit. â Câest une Ă©clipse ! » En un rien de temps, lâhorlogerie est arrĂȘtĂ©e. Lâastronome saisit le chronomĂštre dont il a poussĂ© le dĂ©clic Ă la disparition de lâĂ©toile lâoccultation a durĂ© quatre secondes neuf dixiĂšmes. Il prend lâheure, consulte la Connaissance des Temps lâĂ©clipse sâest produite Ă la mĂȘme minute, au mĂȘme endroit que la veille. LâĂ©cran qui sâest interposĂ© entre la Terre et VĂ©ga est donc un objet se mouvant avec notre planĂšte, un corps solidaire de notre globe, qui reste immobile au-dessus du Bugey et qui est situĂ© Ă sept degrĂ©s au sud du zĂ©nith de Mirastel. Mais Ă quelle hauteur ? Lâastronome va lâestimer. En effet, depuis quâelle est enrayĂ©e, la lunette se soumet au virement de la Terre, elle est rentrĂ©e dans lâordre gĂ©nĂ©ral, et il suffit de la ramener trĂšs peu en arriĂšre pour quâelle ajuste inĂ©branlablement le point mystĂ©rieux. Une manivelle quâon tourne la fait rĂ©trograder dâun millimĂštre, et dans le champ tĂ©lescopique traversĂ© pourtant par dâautres Ă©toiles, le ciel se rĂ©assombrit, et les astres, qui cheminent, sâĂ©teignent un par un. â Ăa, » se dit M. Le Tellier, cette vapeur obscure, câest une chose qui nâest pas mise au point, tout simplement. » Deux tours de vissage au bouton molettĂ© le tube de lâoculaire sâenfonce dans le tube de lâobjectif, et voilĂ que la buĂ©e diffuse se ramasse, se condense, se solidifie et devient une tache carrĂ©e, noire, insolite. â Quâest-ce que câest que ça ? » Ă lâĆil nu, tout lĂ -haut, on ne voit absolument rien ; cette chose est beaucoup trop Ă©loignĂ©e. Mais dans la lunette, elle est aussi franche et fixe que VĂ©ga lâĂ©tait tout Ă lâheure. Et cette fixitĂ© intrigue M. Le Tellier. â Sans aucun doute, » pense-t-il, voici dĂ©couverte lâĂźle aĂ©rienne oĂč mes enfants sont retenus par des coquins. Mais comment diable ce ballon titanesque est-il amarrĂ© ? Il se tient ferme dans lâatmosphĂšre comme un rocher battu des flots !⊠Sa nature, en tout cas, ne fait pas question. Câest un aĂ©rostat, forcĂ©mentâŠ, ou quelque chose de similaire⊠Câest une invention des hommes, qui nâintĂ©resse en rien la mĂ©tĂ©orologie⊠Mais il faut que cela soit diantrement Ă©levĂ©, pour ĂȘtre invisible au grand jour, sans tĂ©lescope !⊠Ah ! nous disions quelle est sa hauteur ? â ProblĂšme facile. » Ayant allumĂ© une petite lampe-briquet, il contrĂŽla de quelle quantitĂ© il avait dĂ» raccourcir la lunette pour mettre au point. Il fit ensuite un calcul, et son visage, brusquement stupĂ©fait, se rembrunit. â Cinquante mille mĂštres ! » murmura-t-il. Comment ! cette machine-lĂ est Ă cinquante kilomĂštres !⊠Il y a donc encore de lâair respirable Ă cette altitude ? On peut donc vivre Ă plus de douze lieues du sol ?⊠Je dĂ©lire !⊠Câest contraire Ă toutes les thĂ©ories admises !⊠» Un morne abattement succĂ©dait Ă la fiertĂ© de sa trouvaille, Ă lâentrain quasi joyeux quâil venait dâĂ©prouver. DĂ©jĂ il avait rĂȘvĂ© dâune escadre dâaĂ©ronats faisant le blocus de cette bouĂ©e maudite. Mais mĂštres !⊠Aucun ballon ne pourrait monter jusque lĂ . Les Sarvants Ă©taient hors de portĂ©e ! Et cette tache, alors, quâĂ©tait-ce donc ? Il se remit Ă lâoculaire. La tache ne changeait ni de forme, ni de couleur. â Elle nâest pas trĂšs grande », songea M. Le Tellier. Il mesura ses dimensions â fit encore des calculs, oĂč entraient les coefficients de grossissement et de hauteur â et dĂ©duisit quâen rĂ©alitĂ© ce carrĂ© noir avait soixante mĂštres de cĂŽtĂ©. Quand il aurait chiffrĂ© et lorgnĂ© tout le reste de la nuit, son savoir ne sâen serait pas augmentĂ© dâun iota. Il comprit quâil Ă©tait raisonnable dâattendre le jour et dâĂ©tudier la tache une fois Ă©clairĂ©e⊠Bonne rĂ©solution, impossible Ă tenir. Il acheva la nuit au bout de sa lunette, remuant des conjectures prodigieuses et se parlant de la sorte Ă lui-mĂȘme â Une bouĂ©e, parbleu ! Jây reviendrai toujours, en dĂ©pit de tout. Ce ne peut ĂȘtre quâune bouĂ©e dont je nâaperçois que le fondâŠ, une espĂšce de ballon ultra-perfectionnĂ©, qui se maintient dans un air rarĂ©fié⊠Que cela ne soit pas en rapport Ă©troit avec les rapts, voilĂ qui est inacceptable. Tout concorde⊠Et pourtant, je ne puis comprendre⊠Quel intĂ©rĂȘt ont-ils, ces chenapans, Ă jucher si haut leurs victimes ? La moitiĂ© dâune telle distance suffisait amplement Ă les protĂ©ger de toute incursion⊠Pourquoi cet appareil de terrorisation aussi ces minĂ©raux, ces vĂ©gĂ©taux cambriolĂ©s ?⊠Pourquoi nous faire attendre si longtemps leur lettre de chantage ?⊠De quel engin subreptice et nouveau font-ils usage pour enlever leur proie jusquâĂ cette bouĂ©e-ballon ?⊠Et cette science merveilleuse, oĂč lâont-ils puisĂ©e ?⊠Enfin, quâest-ce donc que ces gens qui font des miracles dâaudace, de gĂ©nie et de mĂ©chancetĂ© ?⊠» M. Le Tellier nâavait pas Ă©numĂ©rĂ© le quart de toutes les questions qui se pressaient Ă ses lĂšvres ; â un coq chanta. Le soleil levant frappait la tache par-dessous. On voyait distinctement que câĂ©tait une chose vague, un solide plat, composĂ© de piĂšces brunes, rectangulaires, avec entre elles des lignes incolores trĂšs fines. Sans trop de rĂ©flexion, pour voir ce que ça donnerait », lâastronome intercala une lentille entre lâobjectif et lâoculaire, afin de redresser normalement lâimage, que les lunettes astronomiques forment Ă lâenvers. Cette mĂ©tamorphose du tĂ©lescope en longue-vue terrestre demeura sans effet notable, le dessous dâun corps nâayant pas de sens. Lâastronome sâĂ©nervait. Parfois, il sâefforçait sans y rĂ©ussir dâapercevoir la tache directement. Le ciel turquoise Ă©tait dâune puretĂ© sainte-virginale, exempte du plus faible soupçon de brun, de la plus infime molĂ©cule de blond ou seulement de bleu plus foncĂ©. Trop loin ! trop loin ! La tache, ainsi, ne pouvait ĂȘtre perçue, mĂȘme si lâon nĂ©gligeait de compter avec lâĂ©paisseur de lâair, jamais totalement lucide malgrĂ© son apparence et toujours teintĂ© dâazur assombrissant. Et M. Le Tellier, revenu Ă lâoculaire de la lunette, nây dĂ©couvrait rien de nouveau. Il espionna sans se lasser le fond de cette chose Ă©nigmatique. Il surveillait davantage les bords du carrĂ©, et surtout celui du nord, qui devait mieux sâoffrir aux investigations, Ă©tant donnĂ©e la position lĂ©gĂšrement mĂ©ridionale de lâobjet par rapport Ă Mirastel. Il voulait quâil y eĂ»t le long de ces bords, tout autour de la tache, une balustrade, un garde-fou, un bastingage, une barre dâappui plus ou moins baroques ; et il escomptait lâapparition de quelque tĂȘte infinitĂ©simale et adorĂ©e qui se pencherait au-dessus de lâabĂźme, grosse comme une tĂȘte dâĂ©pingle⊠à la fin, il sâarracha de lâĂ©puisante contemplation. Trois heures de patience ne lui avaient appris rien de nouveau. Le plafonnement gĂȘnait. Il fallait observer la chose de profil et non par-dessous. Donc il fallait lâobserver de plus loin. â Oui, mais, dans ce cas, une lunette dâamateur ne suffirait plus. Les grands tĂ©lescopes devenaient indispensables⊠Et tout Ă coup, ce trait de lumiĂšre dans son raisonnement lâĂ©quatorial de Hatkins ! Le rĂȘve ! Un grossissement de six mille diamĂštres ! Six mille au lieu de cinquante ! â Fort bien encore. Mais, de Paris, Ă plus de cinq cents kilomĂštres de Mirastel, est-ce quâon pourrait voir la chose ? Est-ce que la rotonditĂ© de la Terre nâempĂȘcherait pas quâon la vĂźt ? Est-ce que la chose ne serait pas, pour le rayon visuel, au-dessous de lâhorizon parisien ? Vite, un crayon, du papier, une table des logarithmes⊠Tout va bien cela sera visible, Ă vingt kilomĂštres au dessus de lâhorizon ! Le soir mĂȘme, Ă Culoz, M. Le Tellier prenait lâexpress de Paris. iiSuite de la Tache carrĂ©e Chauffeur ! Ă lâObservatoire ! » M. Le Tellier quitte la gare du P. L. M. Il a bien mauvaise mine ce matin. Toute la nuit, dans le wagon â sa deuxiĂšme nuit sans sommeil â il sâest acharnĂ© Ă comprendre, il a rempli son carnet de figures gĂ©omĂ©triques, dâĂ©quations algĂ©briques, dâopĂ©rations mathĂ©matiques⊠Et il comprend de moins en moins. Jamais le mystĂšre ne lui a semblĂ© plus mystĂ©rieux que depuis quâil commence Ă sâĂ©claircir. Et puis, un doute lui est venu concernant lâĂ©quatorial de Hatkins. Puissant, Ă coup sĂ»r, mais dans une situation dĂ©plorable ! La tache est visible en thĂ©orie ; mais en pratique ? Le tĂ©lescope la fera-t-il apparaĂźtre Ă travers cette masse atmosphĂ©rique de plus de cinq cents kilomĂštres, bourrĂ©e de nuages et de brumes, oĂč les diverses tempĂ©ratures provoquent dâinnombrables rĂ©fractions ? Rien que les poussiĂšres et les fumĂ©es de Paris constituent un rempart sĂ©rieux ! Pour obtenir quelque chose de net, on sera bien obligĂ© de diminuer le grossissement⊠Mais, au bout de son avenue, voici lâObservatoire avec ses coupoles. Voici la Sainte-Sophie de la Science, avec sa terrasse qui paraĂźt en Ă©bullition. Voici la Sainte-GeneviĂšve de lâAstronomie, avec ce gros bouillon prĂ©pondĂ©rant qui est le dĂŽme du grand Ă©quatorial. Voici le SacrĂ©-CĆur de Montparnasse. â Ah ! Monsieur le Directeur ! » Le portier, respectueux et surpris, donne un trousseau de clefs. Dans la cour, M. le Directeur Ă©lude quelques astronomes qui viennent dâachever leur nuit de travail et qui rentrent chez eux. M. le Directeur monte au dernier Ă©tage par le bel escalier de pierre. Il pĂ©nĂštre au logis du grand Ă©quatorial, â et malgrĂ© lui, sâarrĂȘte, en admiration. LĂ©viathan ! Goliath ! PolyphĂšme ! Les dimensions de la lunette sont tellement colossales que M. Le Tellier ne sâen souvenait pas. On se croirait ici dans une tourelle de forteresse ou de cuirassĂ© monstrueux. LâĂ©norme concavitĂ© de la voĂ»te de zinc prend un air de calotte blindĂ©e, et lâĂ©quatorial est un canon prodigieux, inclinĂ© suivant lâaxe du monde et qui menace le ciel. Son affĂ»t, donjon de maçonnerie au centre de la rotonde, sâenveloppe de lĂ©gĂšres structures mĂ©talliques, â paliers, Ă©chelles, caracols, â et lâon y voit une infinitĂ© de mĂ©canismes de prĂ©cision, les uns graciles et les autres herculĂ©ens, comme il sied quâon en trouve autour dâun instrument qui tient Ă la fois de la montre pour dame et de la grue pour fort levage. LâĂ©quatorial repose sur des tourillons dâobusier. Colonne en dĂŽme qui serait une bombarde, bombarde qui serait un tĂ©lescope, cylindre mastodonte, Ă©lĂ©phantesque tour penchĂ©e dâacier chromĂ©, gris et mat, â il sâallonge ; la perspective effile son extrĂ©mitĂ© ; câest Ă peine sâil reluit. Son oculaire, compliquĂ© dâun tas de petites machineries, a vraiment lâaspect dâune culasse⊠Est-ce quâelle est chargĂ©e, cette piĂšce dâartillerie ? Un profane pourrait le craindre, et redouter sa dĂ©tonation assourdissante, et se demander quel projectile fantasmagorique elle va lancer contre la lune⊠Il fait chaud sous cette cloche. Le silence mĂ©ditatif est presque celui dâune basilique. La rumeur de Paris, distante et maritime, murmure sans fin. De seconde en seconde, le tic-tac de lâhorloge sidĂ©rale se rĂ©percute aux cintres de la coupole et, de toute la gravitĂ© du temps qui passe, il aggrave le recueillement. Ă lâouvrage ! M. Le Tellier manĆuvre un cabestan. Le dĂŽme, pivotant, roule sur ses galets avec un grondement de tonnerre et dâairain. Des cordes sont tirĂ©es. Une large embrasure se dĂ©couvre au sud-sud-est la direction de Mirastel. Lâartilleur optique pointe son long-Tom qui sâabaisse lentement vers lâhorizon. Au moyen de la petite lunette secondaire dite chercheur, accolĂ©e au tĂ©lescope, il sâefforce dâapercevoir la tache carrĂ©e⊠Dieu, quâil est petit sous lâĂ©quatorial ! On dirait Gulliver sous le microscope dâun GĂ©ant !⊠Mais la tache ? la tache ? Attendez ! Il tĂątonne, il tourne des volants, pointe plus bas, plus Ă gauche⊠Il refait des calculs⊠change des lentilles pour diminuer le grossissement et accroĂźtre la netteté⊠Ah ! enfin, la voici, cette tache de malheur ! La voici en Ă©lĂ©vation au lieu dâĂȘtre vue par-dessous. Mais on ne peut la discerner que grossie douze cents fois, pas davantage, et trouble, trouble Ă cause de lâatmosphĂšre, et vibrante, vibrante Ă cause de la grande ville qui fait trembler lâObservatoire⊠Elle nâa pas bougĂ© ; câest la seule conclusion de toute la sĂ©ance. Quant Ă dire ce quâelle est au juste, câest aussi impossible quâĂ Mirastel, pour des raisons diffĂ©rentes. â On Ă©touffe lĂ dedans ! » ExaspĂ©rĂ©, Jean Le Tellier sâen va sur la terrasse. Il lâarpente rageusement, contourne les dĂŽmes qui bombent lĂ leurs hĂ©misphĂšres de ballons Ă moitiĂ© gonflĂ©s, comme en un parc aĂ©rostatique. Il bute contre les appareils enregistreurs, dĂ©fonce dâun coup de poing le pluviomĂštre qui sâoppose Ă son passage⊠â Est-ce assez idiot, tous ces engins qui ne servent quâĂ des stupiditĂ©s !⊠La Science ! la Science ! ah ! elle est fraĂźche, la Science !⊠» Paris sâĂ©tend aux pieds de lâastronome rĂ©voltĂ©. La fourmiliĂšre humaine incurve devant lui sa vallĂ©e de larmes entre toutes les vallĂ©es de misĂšre, construite Ă perte de vue. Elle descend de Montparnasse pour se relever Ă Montmartre ; et lĂ -bas, au nord, en face de lâObservatoire, ainsi que son propre reflet dĂ©formĂ©, se dresse un autre foisonnement de coupoles. Par une Ă©trange symĂ©trie, le SacrĂ©-CĆur et le Cerveau-SacrĂ© dominent Paris, chacun de son cĂŽtĂ©. Ce sont deux temples pareils et dissemblables, tous deux bĂątis Ă lâintention du ciel, et qui, jaloux, semblent se dĂ©fier au-dessus de tout un peuple. â Qui lâemportera ? Qui doit lâemporter, de ces deux temples sur les deux collines ?⊠Lâastronome balance un moment. PlutĂŽt que dâĂȘtre ici, ne ferait-il pas mieux dâĂȘtre lĂ -bas, dans lâobservatoire extatique du ciel ? dâun ciel si constellĂ© quâil nâa plus de tĂ©nĂšbres ?⊠â Ah çà , mordienne, courage donc ! Il nâest pas encore temps de se rĂ©signer ! Rien nâest perdu ! Volte-face ! Et front Ă lâennemi le Sarvant ! » Dâun pas dĂ©terminĂ©, M. Le Tellier traverse la plate-forme, et se grandit, farouche, contre les balustres. En bas, dans le jardin, les logements des lunettes mĂ©ridiennes et photographiques arrondissent leurs toits de mosquĂ©es. Plus loin, vers le sud, vers Mirastel, vers la tache enfin, lâobservatoire de Montsouris. Et plus loin encore, Ă©chelonnĂ©s sur la terre inapercevable, encore dâautres observatoires, mieux placĂ©s que Paris sous certains rapports⊠Saint-Genis-Laval, prĂšs de Lyon⊠VoilĂ , voilĂ ! â Câest Ă Saint-Genis-Laval quâil faut aller maintenant ! Patience et persĂ©vĂ©rance ! Avant la nuit je serai fixĂ©. Partons. » M. Le Tellier nâa jamais su comment les journalistes eurent vent de sa prĂ©sence Ă Paris. Toujours est-il quâun groupe de messieurs Ă stylographes et Ă dĂ©tectives lâattendait devant la grille de lâObservatoire. M. le Directeur ne crut pas devoir leur cacher sa dĂ©couverte de la tache, non plus que sa rĂ©cente dĂ©sillusion. Sensationnelles confidences ! AussitĂŽt, les reporters ne se sentirent plus de joie ; ils se dispersĂšrent avec une promptitude inconcevable ; et, pendant que chacun gagnait Ă toute vitesse le bureau de sa rĂ©daction, M. Le Tellier, â disposant dâune couple dâheures avant le dĂ©part du train, â se fit conduire avenue Montaigne, chez le duc dâAgnĂšs. Le jeune sportsman revenait de Bois-Colombes. Il rayonnait. LâaĂ©roplane en construction lui donnait les plus beaux espoirs ; lâappareil capteur dâĂ©lectricitĂ© atmosphĂ©rique Ă©tait une merveille. â De Tiburce il nâavait aucune nouvelle, non. â Mais comment se faisait-il que M. Le Tellier fĂ»t Parisien ? â Une tache ? Ă cinquante kilomĂštres ? inaccessible Ă tout aĂ©roplane ? trop haute ?⊠Ah diable ! Ăa, câĂ©tait dĂ©frisant⊠Mais cette tache, câĂ©tait lâabri des Sarvants, nâest-ce pas ? Restait par consĂ©quent le dirigeable-fantĂŽme, que lâon pouvait poursuivre, capturer⊠LâĂpervier ainsi se nommerait lâaĂ©roplane de chasse, lâĂpervier servirait donc Ă quelque chose. Ah ! saprelotte il avait eu peur un instant ! Mais tout allait bien, trĂšs bien ! â Mlle Marie-ThĂ©rĂšse, ah ! pardieu, il jurait de la sauver⊠et de lâĂ©pouser, palsambleu ! â Ah ! oui, oui, ce Robert Collin, chic, trĂšs chic, sapristi ! M. le duc dâAgnĂšs avait besoin de beaucoup parler et de blasphĂ©mer quelque peu lorsquâil Ă©tait trĂšs content. Il jabotait toujours et il sacrait encore en arrivant avec son futur beau-pĂšre sur le quai de la gare. On y vendait lâĂ©dition spĂ©ciale des journaux que lâastronome avait renseignĂ©s. Celui-ci acheta quelques gazettes, et, seul dans le wagon qui le remmenait, il put Ă loisir Ă©tudier les diverses interprĂ©tations de ses paroles. â Mais quâimportaient les fioritures ? Si la lettre variait, lâesprit de lâinformation demeurait fidĂšle et vĂ©ridique. Ă cette minute, des millions dâintelligences Ă©taient au courant⊠Demain, lâunivers connaĂźtrait lâexistence de la tache Ă©nigmatique⊠Et alors â oh ! la stimulante pensĂ©e ! â il allait se produire un tel effort de toute lâhumanitĂ©, que cette tache, coĂ»te que coĂ»te, on la descendrait, mes amis ! Ah ! ah ! On la descendrait ! On la dĂ©crocherait ! On la flanquerait par terre !⊠Mais, Ă Saint-Genis-Laval, cette tache sarvante lui apparut trĂšs en dessous. Elle semblait constituĂ©e par une agglomĂ©ration de choses indistinctes. Elle formait une façon de dallage sans trop de rĂ©gularitĂ©, brun, avec des raies de lumiĂšre entre chaque rectangle. Comme les gros tĂ©lescopes ne sauraient se muer en lunettes terrestres, on employa toutes sortes dâexpĂ©dients pour redresser lâimage de ce logogriphe carrĂ©. On la projeta sur un Ă©cran⊠Des intermittences dâombre et de clartĂ© furent observĂ©es dans les raies intermĂ©diaires, par place⊠â Nouveaux points dâinterrogation. Quinze astronomes entouraient M. Le Tellier. Ils se succĂ©daient Ă lâoculaire du tĂ©lescope ou devant la projection. Ils braquaient infructueusement toutes les lunettes de Saint-Genis sur la mĂȘme cible visuelle⊠Et pourra-t-on jamais dĂ©nombrer combien de gens les imitaient ? Des mille et des cent !⊠Depuis les jumelles-faces-Ă -main jusquâaux Ă©quatoriaux Ă miroir, que de tubes en lâair ! que de tuyaux de tout calibre !⊠Il y eut des personnes qui regardaient dâun lieu dâoĂč il Ă©tait impossible de voir la tache, Ă travers des kilomĂštres dâarc terrestre. Se fiant aux indications des journaux, il y en eut qui ne parvenaient pas Ă localiser le point de mire. La plupart ne voyaient rien⊠Et pourtant, une simple lorgnette de théùtre suffisait Ă faire surgir dans le visage du temps cette petite tache de rousseur. Des yeux et des yeux et encore des yeux cherchaient lâĂ©toile sombre au firmament dâazur. Et tous ces regards assiĂ©geant le ciel, ce nâĂ©tait quâun prĂ©lude au mouvement superbe qui allait ruer lâhomme Ă lâassaut des nuages. iiiĂ lâAssaut du Ciel Et lâannonce de la dĂ©couverte Le Tellier courut au long des fils tĂ©lĂ©graphiques, et traversa les ocĂ©ans sur lâonde hertzienne ou dans le cĂąble Ă©lectrisĂ©. AussitĂŽt, la masse des explorateurs, partout dissĂ©minĂ©s en quĂȘte du Sarvant, sâarrĂȘta de chercher. Caravanes dans le dĂ©sert, missions dans les sylves pernicieuses, rĂ©giments chez les Barbares, chaĂźnes dâascensionnistes au flanc des aiguilles de glace, Charcots prĂšs des PĂŽles, Baratiers en Afrique, tous procĂ©dĂšrent au retour. Les chevaux tournĂšrent le nez du cĂŽtĂ© de lâĂ©curie, les bateaux mirent le cap sur le port. â La parole Ă©tait aux seuls aĂ©ronautes. Depuis longtemps dĂ©jĂ , â depuis quâon avait reconnu la possibilitĂ© dâune poursuite aĂ©rienne, â les chantiers dâaĂ©rostation travaillaient avec zĂšle. Mais quand il fut avĂ©rĂ© que les bandits avaient Ă©lu domicile in excelsis, leur activitĂ© redoubla et les ateliers pullulĂšrent. Câest que le problĂšme se corsait. Ă lâorigine, il consistait seulement Ă Ă©tablir des engins de vitesse, dâobĂ©issance et de stabilitĂ©, propres Ă donner la chasse aux pirates. Et voilĂ quâimpromptu la question dâaltitude venait tout modifier. Et quelle altitude ! Cinquante kilomĂštres !⊠Ils Ă©taient admirables, ces Ă©cumeurs qui faisaient tenir leur bouge Ă cinquante kilomĂštres en lâair, dans un milieu rĂ©putĂ© Ă peine portant », dans une atmosphĂšre si pauvre que la science y reconnaĂźt le vide presque absolu, tel quâon lâobtient par la machine pneumatique ! Admirables, en vĂ©ritĂ© !⊠Mais qui saurait les Ă©galer ? Qui serait admirable aussi ? Qui retrouverait leur trouvaille et permettrait aux honnĂȘtes gens de monter lĂ oĂč quelques gredins de gĂ©nie avaient perchĂ© leur asile ?⊠En attendant la solution du problĂšme, il Ă©tait judicieux dâemployer ballons et aĂ©roplanes Ă lâobservation rapprochĂ©e de la tache, et de leur appliquer tous les perfectionnements de la derniĂšre heure. ArmĂ©s de la sorte, ils pourraient au moins Ă©viter le dirigeable-fantĂŽme, ou â selon quelques-uns â lâattaquer. Par malheur, on manqua de prudence. Le lecteur se souvient que de hardis professionnels, montant des aĂ©rostats ou des biplans ou des monoplans rudimentaires, avaient dĂ©jĂ commis lâĂ©tourderie gĂ©nĂ©reuse dâĂ©voluer au-dessus des rĂ©gions suspectes. Ă partir du 9 juillet, leur nombre sâaccrĂ»t de jour en jour. Jamais lâatmosphĂšre nâavait Ă©tĂ© si dangereuse et jamais on ne vit tant dâappareils affronter la Grande Sournoise. Des hangars de planches entouraient le Bugey dâune ceinture de baraquements. Ă chaque minute, un nouvel Ă©claireur sâenlevait. Il y eut des lĂąchers de ballons qui firent dans le ciel comme des bulles de gaz dans une flĂ»te de champagne. Les aĂ©ronautes et les aviateurs emportaient des lunettes de prix. Leurs noms parfois Ă©taient cĂ©lĂšbres. Des Ă©trangers notoires quittaient leur pays et faisaient forfait aux concours les plus attrayants, pour venir explorer lâair au zĂ©nith de Mirastel. Les vainqueurs des Semaines triomphales, voulant honorer leur propre gloire, prenaient sans cesse lâatmosphĂšre, avec un acharnement sublime. Jour et nuit, les belles unitĂ©s de lâĂtat, â ses aĂ©ronefs militaires, jaunes comme des cocons pointus de vers Ă soie, â passaient et repassaient, faisant la police des hauteurs et perquisitionnant chez Uranus. Ă tout prendre, ce nâĂ©tait quâun match dâaltitude que les circonstances dramatisaient. CâĂ©tait Ă qui sâapprocherait davantage de la tache carrĂ©e, pour la distinguer plus prĂ©cisĂ©ment. Et ils montaient, montaient⊠montaient⊠jusquâaux parages effrayants oĂč lâon doit inhaler lâoxygĂšne de la provision et vivre dâune vie postiche, avec le secours de lâartificieuse chimie. GrĂące Ă dâĂ©tranges casques respiratoires, on dĂ©passa les suprĂ©maties oĂč dâillustres martyrs avaient trouvĂ© la mort. On surmonta mĂštres. Ce fut le record. Le plus habile Ă©tait donc restĂ© Ă plus de trente-neuf kilomĂštres de la tache ; et il nâavait dĂ©terminĂ© quâun vague carrĂ© sombre, quadrillĂ©, formĂ© de rectangles opaques et de lignes transparentes qui Ă©taient tout bonnement des solutions de continuitĂ© entre les parallĂ©logrammes. Par instant, ces lignes se bouchaient partiellement dâun point obscur⊠Tout cela, on le savait dĂ©jĂ . On savait bien aussi que monter plus haut ne se pouvait pas. Mais telle est lâardeur des sportsmen, quâils essayaient tout de mĂȘme de rĂ©aliser lâimpossible performance. Il fallut la catastrophe du Sylphe pour les refroidir. Le Sylphe, gros sphĂ©rique de lâAĂ©ronautique-Club, parti du camp de la Valbonne, fut poussĂ© vers le Bugey par une brise assez fraĂźche. Il gagna tout de suite une altitude considĂ©rable ; nĂ©anmoins, on le suivit quelque temps. Ă la lorgnette, il Ă©tait loisible dâapercevoir les quatre voyageurs â deux astronomes et deux aĂ©ronautes â occupĂ©s de leurs observations. La nuit vint. Le ballon disparut⊠On ne devait pas le revoir. â Il nâatterrit nulle part. Des automobiles fougueuses parcoururent la zone Ă©pouvantĂ©e, oĂč peut-ĂȘtre il Ă©tait tombĂ©. Elles ne trouvĂšrent pas le Sylphe. Les Bugistes reclus, interrogĂ©s Ă travers les portes closes, rĂ©pondirent quâils nâavaient rien notĂ© de terrible depuis des jours. Comme ils ne sortaient plus, le Sarvant, faute de gibier, semblait renoncer Ă la chasse. Ici, les automobilistes auraient pu sâĂ©tonner de ce que les Sarvants nâĂ©tendissent pas leur cercle de ravage au delĂ dâun territoire dĂ©peuplé⊠Mais ils ne sâinquiĂ©taient que du Sylphe. Le lendemain de leur rentrĂ©e, plusieurs ascensions furent dĂ©commandĂ©es. Une stupeur consternĂ©e pesait sur les hangars. On placarda lâordonnance des comitĂ©s prohibant lâusage du ballon libre et prescrivant de ne prendre lâair quâavec des aĂ©roplanes, des hĂ©licoptĂšres ou des aĂ©ronats ayant fait leurs preuves de souplesse, dâendurance et de promptitude. MalgrĂ© lâautorisation visant les machines dirigeables, quatre ou cinq casse-cou seulement sâaventurĂšrent. â On se rappellera toujours lâAntoinette 73, qui, dans un crĂ©puscule, descendit tout Ă coup du ciel, comme un javelot, et vint flotter sur la SaĂŽne, les ailes tendues. Son cavalier nâavait pas bronchĂ©. CâĂ©tait un des rois de lâespace. Immobile dans son baquet, bouclĂ© de courroies, la cigarette lĂ©gendaire collĂ©e Ă ses lĂšvres exsangues, â il Ă©tait mort, avec un grand trou dans le crĂąne et deux griffes sauvages, lâune Ă la gorge, lâautre Ă la nuque. Mais, au milieu de lâabattement, coup sur coup ces nouvelles-ci Ă©clatĂšrent comme des bombes dâenthousiasme Le duc dâAgnĂšs et le pilote BachmĂšs, son chef dâatelier, venaient de sortir » un merveilleux monoplan, un aĂ©roplane-Ă©clair, nanti dâun capteur dâĂ©lectricitĂ© atmosphĂ©rique et dâun stabilisateur ingĂ©nieux au possible ; et, simultanĂ©ment, lâescadre aĂ©rienne de lâĂtat sâĂ©tait enrichie dâun nouveau croiseur increvable, Ă©tonnant de pĂ©tulance et de soumission. Le public français sera toujours le mĂȘme. Un revirement le tourna vers ces deux actualitĂ©s. Il les enveloppa dâune seule admiration, dâun seul orgueil ; mais, pour lui, câĂ©taient des rivaux cependant. Rivaux, parce que plus lourd et moins lourd que lâair. Rivaux, parce que chose publique et chose privĂ©e. Rivaux, parce que câĂ©taient deux conquĂ©rants du mĂȘme Ă©lĂ©ment, deux candidats Ă la mĂȘme victoire par un mĂȘme moyen, la vitesse. â Dans son idĂ©e, il Ă©tait indispensable que lâun fĂ»t vainqueur de lâautre. Une rencontre sâimposait. Le gouvernement saisit lâoccasion de canaliser vers le sport la nervositĂ© populaire, et ainsi de faire diversion Ă lâangoisse du PĂ©ril Bleu. Il institua un prix de francs, Ă courir entre un aĂ©roplane et un dirigeable, au mois de septembre, en vitesse et sur une longueur Ă dĂ©terminer. CâĂ©tait dĂ©signer Ă lâavance les deux champions de qui tout le monde sâentretenait. Il pria les journaux de stimuler jusquâau jour de la course lâemballement des esprits⊠â Sous le manteau, toutefois, il donnait lâordre Ă ses ingĂ©nieurs et le conseil aux entreprises particuliĂšres dâĂ©tudier comment on pourrait monter chez les Sarvants. Il promit secrĂštement de fabuleuses primes dâaltitude, et sollicita par lettres personnelles les compĂ©tences de toute nation et de toute race. Ces lettres parvenaient aux destinataires les plus contrastants, sous des toits blancs de neige ou brĂ»lants de soleil ; Ă la mĂȘme seconde, celui-ci recevait la sienne Ă lâautomne et celui-lĂ au printemps. AprĂšs lâavoir lue, chacun se mettait Ă la besogne. De petits hommes jaunes se courbaient sur des papiers soyeux et peignaient de dĂ©licates gĂ©omĂ©tries ; de grands hommes blonds, la craie Ă la main, sâapprochaient dâun tableau noir. Et tous, ils dessinaient une mĂȘme figure, â cette coupe une circonfĂ©rence reprĂ©sentant le tour de la Terre, puis une autre circonfĂ©rence plus vaste et concentrique Ă la premiĂšre, qui dĂ©limitait la couche atmosphĂ©rique au-dessus de laquelle on ne trouve plus que le vide presque absolu. Sur cette deuxiĂšme ligne, le pinceau ou la craie posait un point la tache, â puis tirait une droite du point jusquâĂ la Terre, dans la direction du centre la distance Ă franchir. 50 kilomĂštres ! » songeaient les savants. Et alors, se rappelant la teneur de la lettre et ce quâon leur demandait dâinventer, ils secouaient la tĂȘte. Et celui-ci disait un mot bref et rauque, celui-lĂ doux et long, tel autre mĂ©lodieux, et tel autre encore guttural. Mais tant de paroles diverses avaient un sens unique, et il nâĂ©tait si mĂ©diocre jargon qui ne possĂ©dĂąt le terme opportun ; car dans toutes les langues, en dĂ©pit des proverbes, lâadjectif impossible a son Ă©quivalent. ivUn Message de Tiburce[9] piĂšce 502 Duc François dâAgnĂšs, Avenue Montaigne, 40, Paris, France, Europe. Nagasaki, le 20 juillet 1912. Ante-scriptum. â Avant tout, sois rassurĂ© ; je conserve le plus grand espoir de rattraper les fugitifs. Ceci Ă©tant bien Ă©tabli, je vais te rendre compte de mon travail. Succinctement ; car je prends tout Ă lâheure le paquebot de Singapour, via Canton. Mon cher ami, Je sors de prison. Jây ai passĂ© huit jours. Depuis mon dernier cĂąblogramme, jâai traversĂ© lâAmĂ©rique, de New-York Ă San-Francisco, Ă la poursuite de quatre personnes qui avaient sur moi plusieurs jours dâavance. Dans ces quatre personnes â quatre hommes, disaient les renseignements â jâavais facilement reconnu Hatkins et Henri Monbardeau, Mme Fabienne Monbardeau et Mlle Marie-ThĂ©rĂšse Le Tellier voyageant sous des dĂ©guisements et des travestis. Ă San-Francisco, jâapprends que le paquebot de Nagasaki a levĂ© lâancre la veille de mon arrivĂ©e⊠Je flaire quelque chose, je gagne Ă prix dâor un employĂ© de la compagnie, et, tant bien que mal â car, hĂ©las, je ne sais que le français â je dĂ©mĂȘle quâune sociĂ©tĂ© de six passagers sâest embarquĂ©e sur ledit paquebot. Aucun de leurs noms ne correspond Ă lâun de ceux du quatuor que je recherche mais, de ces six personnes, quatre ont un signalement diamĂ©tralement opposĂ© Ă celui de mes fuyards⊠Y es-tu ? CâĂ©tait donc eux, trop bien dissimulĂ©s ! CâĂ©tait eux, avec une paire de complices additionnels. Il nây avait pas Ă hĂ©siter ; je mâembarque Ă mon tour. Jâarrive. Nagasaki. Je passe en revue tous les hĂŽtels, un Ă un, et, aprĂšs mille difficultĂ©s occasionnĂ©es par mon ignorance du japonais et de lâanglais, je parviens cependant, par une accumulation de confidences chĂšrement payĂ©es, Ă conquĂ©rir la preuve quâun couple français ressemblant aux Monbardeau loge dans un hĂŽtel, et quâun autre couple, qui doit ĂȘtre Hatkins et Mlle Le Tellier, est descendu dans un hĂŽtel voisin. â Le flair continue Ă me guider. Je prends gĂźte Ă lâhĂŽtel oĂč je soupçonne Hatkins et Mlle Marie-ThĂ©rĂšse de se cacher sous les dehors du rĂ©vĂ©rend James Hodgson et de sa fille. Je retiens une table prĂšs de celle quâils doivent occuper au dĂźner, â dans le but dâacquĂ©rir la certitude de leur identitĂ©, â puis je vais moi-mĂȘme me dĂ©guiser. Au premier coup de gong, Tiburce nâĂ©tait plus quâun vieux prĂȘtre italien tu nâignores pas que câest le dĂ©guisement favori de mon maĂźtre Sherlock Holmes. Jâavais emportĂ© douze complets-transformations, mais cette soutane me parut de circonstance. Ah ! sans me flatter, je puis dire que ma figure ridĂ©e, mon nez aquilin, ma perruque blanche faisaient illusion. Le beau grime !⊠Pourtant, comme je descendais lâescalier menant au restaurant, une dame respectable, qui le montait, me regarda dâun air estomaqué⊠Dâautres gens font de mĂȘme, et, sur le seuil de la salle Ă manger, le directeur de lâhĂŽtel, averti par lâun de ces imbĂ©ciles, me pria de passer dans son bureau. Ma ruse est Ă©ventĂ©e. Je nây comprends rien ! â Jâessaie, malgrĂ© tout, de contrefaire le parler italien ; mais je ne sais pas lâitalien⊠Alors on monte dans ma chambre. On fouille mes bagages. Ă cause de ma garde-robe hĂ©tĂ©roclite, on me prend dâabord pour FrĂ©goli en train de faire une farce⊠Mais, au fond de ma cinquiĂšme malle, voilĂ quâon dĂ©couvre la trousse de cambrioleur dont tout dĂ©tective sĂ©rieux ne doit pas se sĂ©parer. Bon ! Je ne suis plus quâun escroc. On instrumente. On mâenferme. GrĂące au consul de France, ma dĂ©tention ne dure que huit jours ; tout sâĂ©claire. Mais jâai toutes les peines du monde Ă Ă©viter quâon me rapatrie sous bonne garde. Sur ces entrefaites, je suis informĂ© que, le lendemain de mon Ă©crou, le pseudo-rĂ©vĂ©rend Hodgson et sa soi-disant fille sont partis Ă destination de Singapour, via Canton. Subito â comme disait le vieux prĂȘtre italien â je mâarrange pour pouvoir les suivre dĂšs ce soir, laissant par malheur, entre les mains des autoritĂ©s de Nagasaki, ma trousse, mes costumes, mes fards, â toute ma prĂ©cieuse sherlockaillerie ! Je me demande si les Monbardeau accompagnent les faux Hodgson. Ă Singapour je le verrai bien. De toute façon, cette sĂ©rie de dĂ©parts prĂ©cipitĂ©s indique la fuite ; et puisquâils se sauvent, câest que câest eux. Adieu, mon ami. Ne mâoublie pas auprĂšs de Mademoiselle dâAgnĂšs. Confiance. Tiburce. Post-scriptum. â AffairĂ©, ne cessant de combiner des tactiques, je ne puis tâĂ©crire souvent. Pardonne. Je le ferai toutes les fois quâil me sera possible. Surtout, rappelle-moi au souvenir de ta sĆur. vIl pleut⊠Il grĂȘle⊠Revenons Ă Mirastel. M. Le Tellier, rentrĂ© de son voyage Ă Paris et Ă Saint-Genis-Laval, nâavait trouvĂ© parmi les siens dâautre changement quâune amĂ©lioration soutenue dans lâĂ©tat de sa femme. Et, du 8 juillet au 3 aoĂ»t, câest-Ă -dire du quantiĂšme de son retour Ă la date oĂč nous sommes arrivĂ©s, lâexistence au chĂąteau fut dĂ©sespĂ©rĂ©ment uniforme. Lâobservation de la tache immuable, impassible, Ă©tait lâaffaire principale, â besogne stĂ©rile et source dâĂ©nervement. Certains jours, il est vrai, le spectacle des Lebaudy et des ClĂ©ment-Bayard, des libellules et des demoiselles rivalisant de hauteur, amusa les regards en dĂ©pit des consciences. Mais, Ă la suite des accidents du Sylphe et de lâAntoinette 73, lâarĂšne atmosphĂ©rique parut dĂ©saffectĂ©e. Lâaccablement retomba. M. Le Tellier sentit pour lui-mĂȘme lâurgence dâune dĂ©rivation. Pendant que Mme Arquedouve et sa fille aĂźnĂ©e vaquaient aux charges domestiques et prenaient soin de Mme Le Tellier, le docteur Monbardeau, crĂąnement, allait porter secours aux malheureux souffrants et sĂ©questrĂ©s. M. Le Tellier rĂ©solut de lâaccompagner. Ils furent les premiers Bugistes qui recommencĂšrent Ă circuler rĂ©guliĂšrement en automobile. On a prĂ©tendu que cela nâavait rien de si courageux, Ă©tant donnĂ© que jamais automobile ne fut assaillie et que les Sarvants ne faisaient plus de prisonniers depuis quelque temps ». Dâaccord ; mais, sâil vous plaĂźt, avant le Sylphe, aucun ballon non plus nâavait Ă©tĂ© assailli ; avant lâAntoinette 73, aucun aĂ©roplane ; et vous noterez que si le Sarvant ne prenait plus de terriens, câĂ©tait uniquement faute dâen trouver Ă sa portĂ©e, hors des maisons et Ă lâintĂ©rieur de lâincomprĂ©hensible cercle cabalistique dont il semblait ne pas vouloir franchir le tracĂ©. Il y avait donc beaucoup de chances, au contraire, pour quâil se jetĂąt sur la grande automobile blanche qui sortait chaque jour de Mirastel, sâarrĂȘtait devant toutes les portes, et ainsi sâoffrait aux coups dâun agresseur que lâimpatience devait enhardir. Sous la capote de toile traversĂ©e de soleil, un jour â le troisiĂšme du mois dâaoĂ»t â le docteur et lâastronome devisaient. La voiture, venant du chĂąteau, allait entrer dans Talissieu. Le mĂ©decin se plaignait de la chaleur et de la sĂ©cheresse qui ne dĂ©sarmaient pas, de la pestilence quâon respirait sans trĂȘve ; il exprimait ses craintes au sujet dâune Ă©pidĂ©mie probable, quand il cessa de converser pour sâĂ©bahir â Tiens ! il pleut ! Câest raide ! » De larges gouttes tombaient sur la capote ; on les voyait par transparence. M. Monbardeau tendit sa main grande ouverte Ă lâextĂ©rieur, et, faisant un cri, la retira mouillĂ©e dâun liquide rouge⊠â ArrĂȘtez ! » commanda son beau-frĂšre. Tu es blessĂ©, Calixte ?⊠» â Non ça vient de tomber ! » â Quoi ! Pas possible ! » On mit pied Ă terre devant les premiĂšres maisons du village, en face de la croix et non loin du ruisseau. Plusieurs gouttes ensanglantaient la capote et le marchepied-trottoir. Dâautres rougissaient la poussiĂšre en amont, oĂč lâautomobile avait passĂ© dans lâaverse de pourpre. Le mĂ©canicien Ă©carquilla des prunelles arrondies. â Câest-il pas des oiseaux qui se battent en lâair ? » dit-il. Ăa sâest dĂ©jĂ vu. » â Non, non, voyez ! » rĂ©pondit son maĂźtre. Tous trois on aurait dit trois damnĂ©s Ă©chappĂ©s de lâEnfer ! tous trois, instinctivement, avaient levĂ© la tĂȘte. On ne voyait rien, â rien que du bleu, â le bleu du PĂ©ril. Rien, sinon quelques oiselets â des passereaux, des martinets â dont tout le sang nâaurait fait quâune seule de ces gouttes. Le docteur â Est-ce lĂ le phĂ©nomĂšne connu sous le nom de pluie de sang » et que produiraient des particules contenues dans lâeau ?⊠» Pauvre docteur ! pourquoi faisait-il de lâĂ©rudition tandis que ses lĂšvres balbutiaient ? Pour se rassurer lui-mĂȘme, ou bien pour rassurer M. Le Tellier ?⊠Et pour quoi le pauvre astronome se crut-il obligĂ© de rĂ©pondre, entre ses dents qui claquaient â Non, non ; il nây a pas de nuage ; il nây a pas de pluie. Dâailleurs, une ondĂ©e ne se serait pas limitĂ©e Ă si peu de chose⊠» Ă travers son lorgnon repliĂ©, servant de loupe, M. Monbardeau examinait la souillure garance qui sĂ©chait au dos de sa main. â Câest bien du sang, » dit-il au bout dâune minute, du vrai sang, â qui ne se coagule pas trĂšs normalement, je lâavoue, â mais du sang tout de mĂȘme ! Rentrons, je ferai lâanalyse et⊠et je te dirai si câest⊠du sang dâhomme ou dâanimal⊠» â Je mâen doute un peu que câest du sang ! » murmura M. Le Tellier. Mais avant de rentrer et de faire lâanalyse, qui est intĂ©ressante, je voudrais consigner quelques remarques, ici, avec votre tĂ©moignage Ă tous deux. » Regardez les gouttes de la capote elles sont allongĂ©es en forme de points dâexclamation. Cela se justifie par le mouvement de lâautomobile pendant quâelle recevait cette douche. â Maintenant, venez par ici⊠Regardez les gouttes sur le sol ce sont des Ă©toiles dentelĂ©es comme des molettes dâĂ©perons. â Si vous songez quâil ne fait pas le moindre vent, il vous sera facile de conclure que le sang est tombĂ© perpendiculairement Ă la terre et dâun point immobile situĂ© au zĂ©nith du lieu dâarrivĂ©e. » â De la tache carrĂ©e ! » assura M. Monbardeau. â Non, ce nâest pas de la tache carrĂ©e ; parce quâelle nâest pas rigoureusement au-dessus de lâendroit oĂč nous sommes. Elle est, mathĂ©matiquement, au zĂ©nith de CeyzĂ©rieu, puisquâelle est Ă sept degrĂ©s au sud du zĂ©nith de Mirastel. Au-dessus de nous il nây a rien. Entends-tu, Calixte rien !⊠Et puis, penses-y, Ă cette hauteur de cinquante kilomĂštres il nây a plus de liquides possibles, attendu que lĂ câest le vide presque parfait, Ă moins dâune erreur scientifique⊠» Autre chose encore. Comment expliquer que le sang ne sâest pas dessĂ©chĂ©, sâil a parcouru cinquante kilomĂštres en chute libre ? Il faudrait alors que ces gouttes fussent un rĂ©sidu⊠Tout le sang dâun homme, rĂ©duit Ă quelques larmes⊠Dâun homme⊠ou dâune femme⊠ou dâune bĂȘte⊠» â Rentrons, je te dis. Dans une demi-heure nous serons au fait de la vĂ©ritĂ© quant Ă lâespĂšce qui a saignĂ©. Rentrons ; cette Ă©claboussure me soulĂšve le cĆur, jâai hĂąte de lâanalyser, de pouvoir lâessuyer. » La main sanglante se contractait dâhorreur⊠Et pourtant, câĂ©tait peut-ĂȘtre bien le propre sang de M. Monbardeau celui de sa fille ou de son fils⊠Ils remontĂšrent en voiture⊠Un sifflement balistique, de plus en plus violent et suraigu, se fit entendre au dessus de la capote et sâacheva dans le plouf » dâun objet qui tombe Ă lâeau⊠Ils passĂšrent la tĂȘte⊠Un second sifflement raya le ciel bleu dâun sillon terne et finit par des branches cassĂ©es⊠â HĂ© ! des aĂ©rolithes ? » fit M. Monbardeau. DerriĂšre les murs de Talissieu, on percevait des bruits de fortifications⊠Et puis ce silence des silences qui est celui dâune foule quâon ne voit pas et qui se tait⊠Les automobilistes se rendirent au bord du ruisseau qui coule dans un bois et le longĂšrent dans le sens du courant. Lâeau claire se troublait tout Ă coup et charriait un nuage de limon qui venait dâĂȘtre soulevĂ© par le choc de lâobjet prĂ©cipitĂ©. Ils attendirent le dĂ©pĂŽt de la fange, â et alors voilĂ ils distinguĂšrent au fond du ruisselet, encastrĂ©e dans la vase pierreuse, une tĂȘte humaine qui, dâun Ćil sans paupiĂšres et dâune orbite sans Ćil, regardait se pencher leurs trois angoisses⊠et vit reculer leurs trois Ă©pouvantes. Le mĂ©canicien, dans lâĂ©nergie de sa reculade, sâĂ©tait assis au milieu dâun buisson. Il en ressortit dâun bond, comme sâil eĂ»t touchĂ© le Buisson Ardent, et montra quelque chose qui sây trouvait logĂ©, â le deuxiĂšme aĂ©rolithe, â une jambe dâhomme, Ă©corchĂ©e, rougeĂątre et sanguinolente. â Mais, mais, » bĂ©gaya le docteur, cela, cela a Ă©tĂ© fait par⊠par quelquâun de la partie⊠un familier du scalpel⊠Câest une prĂ©paration⊠â HouĂŻe ! quâest-ce que câest encore ? » Il se baissa vers une petite babiole qui, Ă lâinstant mĂȘme, avait heurtĂ© son chapeau, et ramassa â Seigneur ! â un doigt auriculaire mĂ©ticuleusement dĂ©pecĂ©. â Gare Ă vous ! vâlĂ que ça recommence ! » hurla le mĂ©canicien. Des sifflements⊠Un faisceau de sifflements⊠Autour dâeux, malades de rĂ©pugnance, sâabattait une grĂȘle infĂąme de viscĂšres, de pieds, de bras et de cuisses, tout un cadavre dĂ©bitĂ©, dont chaque fragment Ă©tait une prĂ©paration anatomique hideuse et cependant remarquable, tout un corps travaillĂ© par des carabins virtuoses, et provenant de ce coin de ciel oĂč rien nâexistait. â Tu rĂ©ponds de ce que tu avances ? » bredouilla M. Le Tellier. Câest de la dissection ? » Le docteur expertisait les dĂ©bris. On dĂ©bourba lâhorrible tĂȘte⊠Les deux pĂšres ressemblaient Ă ces pauvres Jacques du temps des alchimistes et des Gilles de Retz, qui, ayant Ă©garĂ© leurs enfants, tremblaient quâils ne fussent Ă©gorgĂ©s sur un billot philosophal. â Oui, » soutint M. Monbardeau, ce sont des membres et des organes dissĂ©quĂ©s⊠sinon mĂȘme vivisĂ©quĂ©s !⊠Eh ! eh ! cet avant-bras, on pourrait bien lâavoir accommodĂ© tout vif⊠» â Oh ! » se rĂ©cria M. Le Tellier sur le point de dĂ©faillir. Une apprĂ©hension terrible leur comprimait le cĆur â Qui Ă©tait ce mort ? â La tĂȘte est mĂ©connaissable », disait le docteur, Celle dâun homme, parbleu ! mais comment reconnaĂźtre⊠Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! » geignait-il, affolĂ©. On dirait⊠Non, je me trompe, nâest-ce pas ?⊠Non ! regarde les dents ce nâest personne. Je veux dire ce nâest pas un des nĂŽtres⊠» Lâastronome sondait lâespace dâun regard effrayant. â Alors, » prononça-t-il lentement, il y aurait donc lĂ -haut de criminels expĂ©rimentateurs, rĂ©fugiĂ©s au delĂ des atteintes communes, dans un canton inexpugnable oĂč se poursuit quelque dĂ©couverte dâignominie ?⊠» â Pas sĂ»r. En dĂ©finitive, voici de simples prĂ©parations, trĂšs habilement exĂ©cutĂ©es, mais sans quâon se soit conformĂ© aux rĂšgles classiques des amphithéùtres⊠» â Dis ce nâest peut-ĂȘtre pas les premiers dĂ©chets qui tombent par ici⊠Nous pourrions battre les environs⊠» Les dĂ©bris enterrĂ©s, on se mit Ă quĂȘter, chacun pour soi. Et chacun fit une trouvaille. M. Le Tellier trouva des branches de frĂȘne curieusement fendues, bizarrement dĂ©cortiquĂ©es, botaniquement dĂ©coupĂ©es en rondelles et en lamelles. M. Monbardeau, lui, trouva les ossements dâun veau, â ou dâune gĂ©nisse. Ces ossements Ă©taient dispersĂ©s, mais dâune certaine maniĂšre ici la colonne vertĂ©brale, lĂ une Ă©paule, ailleurs le bassin. Il les compta la jambe postĂ©rieure gauche manquait au squelette. Le docteur appela M. Le Tellier, et lui dit que cet animal avait Ă©tĂ© jetĂ© du ciel en dĂ©tail, comme le dĂ©funt quâils venaient dâinhumer. Les insectes et les bĂȘtes carnassiĂšres sâĂ©taient chargĂ©s de nettoyer les os, ce qui Ă©tait cause quâon ne repĂ©rait pas, sous les abatis, les meurtrissures dont ils avaient contusionnĂ© la mousse en tombant de si haut. La mousse, au demeurant, est un coussin amortisseur qui se redresse promptement. » Mais lâastronome prĂ©tendit que ces restes pouvaient dater de longtemps, que le pays Ă©tait couvert de semblables carcasses, et quâil ne fallait pas voir partout des Sarvants sous prĂ©texte que⊠La voix du mĂ©canicien le surprit. Ayant achevĂ© sa tournĂ©e, quâil jugeait suffisante, ce garçon revenait, et, tout en allant, il sâingĂ©niait Ă regarder de son mieux le faĂźte du sycomore au pied duquel les beaux-frĂšres discutaient. â Quâest-ce que câest donc de ça qui remue comme ça ? » demanda-t-il. Si ces Messieurs veulent bien sâĂ©carter, bon Dieu de sort, jâvas tirer lĂ dedans !⊠» Il sortit de sa poche un revolver, et fit feu. Lâarbre perdit quelques feuilles, et des corbeaux sâenvolĂšrent, laissant voir une jambe de gĂ©nisse blanche ou de veau blanc â prise dans la fourche extrĂȘme du sycomore. Telle fut la trouvaille du mĂ©canicien. CâĂ©tait probant. Le veau â ou la gĂ©nisse â avait dĂ©gringole du ciel tout rĂ©cemment, et lâune de ses fractions Ă©tait restĂ©e Ă cette place Ă©levĂ©e, oĂč les bestiaux nâont point coutume dâaller pĂ©rir en totalitĂ© ou par lots. M. Monbardeau formula son jugement de la façon suivante â Vois-tu, Jean, nâessayons pas de nous leurrer. Au-dessus de nous, dans son belvĂ©dĂšre imprenable, un biologiste sans foi ni loi se livre Ă de fĂ©roces expĂ©riences dâanatomie comparĂ©e. » Et, aprĂšs un mutisme oĂč ce quâil avait osĂ© dire lâeffraya lui-mĂȘme, il reprit Par exemple, si le Sarvant est le biologiste que je suppose, la matiĂšre humaine doit plutĂŽt lui manquer depuis quelque temps ; Ă©coute ce dĂ©sert ! » Leurs recherches les avaient Ă©loignĂ©s du village et rapprochĂ©s de la voie ferrĂ©e. Ă perte de bruit, on ne saisissait que froufrous de feuillages, sons de moustiques, gazouillis, et surtout croassements, craillements et glapissements de tous les croque-morts Ă plumes et Ă poils qui tenaient la province. Ă lâoreille, on pouvait croire que les fils dâAdam ne rĂ©gnaient plus. Comme pour protester, une locomotive et des wagons dĂ©filĂšrent avec un tintamarre spĂ©cialement ostentatoire. Cette hydre de fer soufflante et sifflante avait au moins quatre cents tĂȘtes des deux sexes, â quatre cents figures voyageuses garnissant les portiĂšres, oĂč se lisait la peur de traverser le Bugey Ă la remorque dâune chaudiĂšre susceptible de pannes. Les Mirastellois sâen retournaient. â Ce qui est drĂŽle, » dit M. Monbardeau, câest quâils ne dĂ©passent pas ce cercle⊠» â Ce qui est drĂŽle, » dit M. Le Tellier, câest que les choses quâils jettent ne soient pas jetĂ©es de la tache, puisquâelle nâest pas au-dessus⊠» â Bah ! la tache, câest un dock flottant, qui se meut Ă volontĂ© ! » â Je ne puis lâadmettre. » En effet, la tache brune nâavait pas bougĂ©. Elle se carrait toujours au centre du rond bleu, dans le tĂ©lescope de la tour. Au zĂ©nith, rien. M. Le Tellier descendit au laboratoire de Maxime pour en faire part Ă M. Monbardeau qui, de son cĂŽtĂ©, se trouvait aux prises avec la tache rouge. Mais lâastronome, qui pensait surprendre le docteur, fut par lui mĂ©dusĂ© Lâanalyse du sang dĂ©gageait la prĂ©sence de globules animaux mĂȘlĂ©s Ă des globules humains. Ce sang pouvait ĂȘtre le sang dâune crĂ©ature hybride pareille aux centaures, aux satyres, aux sirĂšnes de lâantiquitĂ© fabuleuse !⊠Et le Sarvant, alors, sâappelait-il donc le docteur Lerne ou le docteur Moreau ?⊠La semaine dâaprĂšs, maintes fois, la nuit, sifflĂšrent des choses qui chutaient⊠Elles faisaient des trous dans la terre. CâĂ©taient des cailloux trĂšs proprement sciĂ©s ou portant les vestiges dâune attaque chimique, des branches tailladĂ©es par le couteau dâun naturaliste exercĂ©. CâĂ©taient aussi des chairs dâoiseaux, de poissons, de mammifĂšres, toutes fort savamment ouvragĂ©es. Beaucoup dâhumanitĂ© en petits morceaux⊠Beaucoup de trĂ©passĂ©s quâon avait bien de la peine Ă reconnaĂźtre⊠viLâAmorce Ătravers un sommeil agitĂ©, M. Le Tellier crut sentir une main qui le touchait. Il sâĂ©veilla, dâun Ă -coup. Mme Arquedouve se tenait prĂšs du lit, dans la clartĂ© de lâaube. Le chĂąteau dormait. La pendule, cette veilleuse du silence, faisait seule un peu de bruit. â Quatre heures du matin. â Jean ! Ils sont lĂ ! » Ils » prononcĂ© dâune voix pareille, ils » câĂ©taient les Sarvants. M. Le Tellier sauta de sa couchette, et passant une robe de chambre Ă la hĂąte, il demandait Ă lâaveugle â Vous les entendez ? » â Le bourdonnement, oui. Je lâentends depuis un quart dâheure. Je doutais⊠je craignais de me tromper⊠Câest eux. » â Un quart dâheure ! Quâest-ce quâils fabriquent donc ? OĂč sont-ils ? » â Je crois quâils ont dâabord tournĂ© autour du chĂąteau. Maintenant on dirait quâils ne bougent plus⊠Nâouvrez pas votre fenĂȘtre, non, câest inutile ; je crois quâils sont de lâautre cĂŽtĂ© du chĂąteau, derriĂšre. » â Câest surprenant, je nâentends rien du tout. Et par ici, vous avez raison, devant Mirastel on ne dĂ©couvre absolument rien. » â Venez dans la galerie », conseilla Mme Arquedouve. De lĂ vous pourrez voir. Mais faites bien attention en passant prĂšs de la porte de Lucie ; rappelez-vous que la moindre alerte pourrait amener une rechute ! » Ils se rendirent, sur la pointe des pieds, Ă la galerie. On appelait ainsi un large corridor qui longe lâarriĂšre-façade, au premier Ă©tage. â Le bourdonnement se rapproche », murmura lâaveugle. Ou plutĂŽt, câest nous qui nous en rapprochons. Jean, vous ne sentez pas ? Il fait si calme pourtant. » â Si je commence », chuchota M. Le Tellier. Câest comme une petite mouche quâon aurait dans le cĆur, emprisonnĂ©e⊠ArrĂȘtons-nous. » Ils allaient arriver Ă la premiĂšre fenĂȘtre de la galerie. â Ne vous montrez pas, ma mĂšre ; je vais mâavancer en tapinois⊠» Les carreaux frĂ©missaient imperceptiblement. M. Le Tellier avançait la tĂȘte avec prĂ©caution. Il Ă©voquait le paysage qui allait lui apparaĂźtre la pelouse montante, ceinturĂ©e de bois, sur lâescarpement du Colombier dominateur ; et il sâĂ©mouvait grandement Ă supputer quels personnages, quelle machine habitaient ce dĂ©cor⊠DerriĂšre lui, Mme Arquedouve, se retenant de haleter, attendait quâil parlĂąt. Il vit venir, dans le cadre de la fenĂȘtre, les arbres de la mĂ©tairie, â la pente de la montagne, â le bois, â le commencement de la pelouse-clairiĂšre, â le quart de celle-ci, â le tiers, â la moitié⊠â Quâest-ce quâil y a, Jean ? Vous avez tressailli⊠Mais dites-moi donc ⊠» â Ah ! câest la joie, ma mĂšre ! » sâĂ©cria M. Le Tellier dans lâallĂ©gresse. Maxime⊠Maxime est lĂ !⊠Il a pu sâĂ©chapper. Ah !⊠Maxime, mon enfant ! jâaccours ! » â Mais, Jean, Maxime est lĂ tout seul ? » â Oui, seul au milieu de la pelouse. Il est assis au milieu de la pelouse⊠Laissez-moi descendre, courir⊠Je crois quâil a besoin quâon le soigne⊠» â Allez ! allez vite !⊠â Maxime est revenu ! » rĂ©pĂ©tait joyeusement la grandâmĂšre. Et elle sâen fut par tout le chĂąteau, rĂ©veillant ses filles, le docteur, les domestiques, et leur apprenant la nouvelle enchanteresse. â Maxime est revenu ! Il sâest Ă©chappĂ© de lĂ -haut ! Venez ! Venez ! » Cependant lâastronome dĂ©bouchait sur le perron et criait Ă son fils â Pourquoi nâentres-tu pas, mon petit ? As-tu mal ? Tu aurais dĂ» nous appeler⊠» Mais, Ă la vue de son pĂšre, Maxime se dressa, et, de loin, avec une voix et des gestes de catastrophe â Nâapprochez pas ! » ordonna-t-il. Au nom de Dieu, restez dans la maison ! » M. Le Tellier sâarrĂȘta. â Ce nâĂ©tait pas les Sarvants qui lui faisaient peur, mais son fils. Il le voyait beaucoup mieux que de la fenĂȘtre, Ă©tant plus prĂšs de lui. Maxime se tenait debout. Il avait lâair si triste, si triste⊠Il Ă©tait hĂąve, malpropre ; sa veste dĂ©cousue pendait en loques ; pas de chapeau ; et puis, par-dessus tout, ce faciĂšs Ă©garĂ© que les yeux agrandis dâhorreur semblaient envahir⊠Et tout cela baignĂ© de soleil levant et dans lâaurore dâun retour ! Maxime est fou ! » pensa M. Le Tellier. Cette aventure a terminĂ© lâĆuvre de folie que lâhistoire de la petite Jeantaz avait commencĂ©e. LâhĂ©rĂ©ditĂ© aussi⊠La maman nâa pas le moral bien solide⊠Maxime est fou ! » Sans faire une enjambĂ©e de plus, pour ne pas le contrarier, il lui adressa des paroles calmantes â Câest entendu ; je ne bougerai pas. Mais alors, viens, viens ! Nous tâattendons. Il ne faut pas rester là ⊠» Le jeune homme fit un signe dĂ©sespĂ©rĂ©. De grosses larmes coulaient sur ses joues Ă©maciĂ©es. â Papa ! Je ne peux pas venir ! Je ne peux pas⊠» â Voyons, voyons, mon cher petit, remets-toi⊠As-tu vu ta sĆur, là ⊠oĂč tu Ă©tais ?⊠Et Suzanne ?⊠Et Henri ?⊠Fabienne ?⊠As-tu vu Robert ? » â Je nâai vu que Robert. Et encore ! » LĂ -dessus, il se fit dans le chĂąteau quelque agitation. Tous ceux que Mme Arquedouve avait prĂ©venus sortaient au-devant de Maxime, Ă peine vĂȘtus, la mine en fĂȘte sa grandâmĂšre, sa mĂšre, son oncle et sa tante, les vieux serviteurs⊠Et lui, convulsif, impĂ©rieux, dĂ©solĂ©, hurlait â Nâavancez pas, personne ! Allez-vous-en ! Rentrez ! Ils vont vous prendre aussi. Ils vous guettent. Vous nâentendez donc pas le bourdonnement ? » Halte ! Le bourdonnement ! câest vrai ! Chacun lâentendit alors⊠Mais quâest-ce qui le produisait ?⊠Les regards faisaient le tour du bois environnant ; câĂ©tait la seule cachette oĂč lâon pĂ»t soupçonner lâembuscade du Sarvant. â Mais on ne voit rien ! » dit M. Le Tellier. Sont-ils dans le bois, Maxime ? » â Vous ne pouvez pas comprendre ; mais obĂ©issez-moi. Nous nâavons pas de temps Ă perdre en commentaires⊠ObĂ©issez, nâapprochez pas⊠On ne peut rien voir, mais ils me tiennent quand mĂȘme. Je suis lĂ comme un appĂąt⊠une amorce pour attirer les gensâŠ, parce que depuis quelque temps ils ne peuvent plus en capturer⊠Vous comprenez ? Alors, nâavancez pas. Si vous mâaimez, faites quâils me remportent seul ! » Un cri sourd accueillit cette priĂšre, et Mme Le Tellier regagna follement le chĂąteau. Plusieurs servantes, fort Ă©motionnĂ©es, la suivirent. On distingua leurs colloques effarĂ©s et les exclamations de la malheureuse maman qui fuyait. Ils vont le remporter ! ils vont le remporter ! Oh ! ils vont le remporter ! Oh ! Oooooh !⊠» M. Monbardeau raisonna â Ăcoute Jean pour moi, ton fils exagĂšre. RĂ©flĂ©chis ! On ne voit rien, que diable ! et il nây a pas de nuages !⊠Maxime doit ĂȘtre pris dans un fluide Ă©lectro-magnĂ©tique, dont la production cause le bourdonnement, â un fluide gouvernĂ© du haut de la tache. Rappelle-toi, câest une hypothĂšse de ton cru, lâaimant animal. Seulement, suis-moi bien les Sarvants nâont jamais enlevĂ© plus de trois personnes Ă la fois. Je suis sĂ»r quâen nous mettant Ă cinq, avec ensembleâŠ, en nous prĂ©cipitant sur Maxime, â toi, moi, le jardinier, ton chauffeur et le cocher⊠Oui ? Ăa va, Jean ? Ăa va, CĂ©lestin ? ClĂ©ment ? Gauthier ?⊠Attention, alors ; je vais compter trois. Ă trois, nous chargeons sur M. Maxime, et nous le portons au chĂąteau. Un⊠Deux⊠Trois ! » Le docteur avait pensĂ© juste le Sarvant nâĂ©tait pas en mesure de prendre dâun coup cinq personnes. LâĂ©quipe de sauvetage parvenait Ă moitiĂ© chemin du prisonnier sans prison, lorsquâune force Ă©nigmatique, soulevant Maxime, alla le dĂ©poser vingt mĂštres plus loin, contre la lisiĂšre du bois. Le bourdonnement, plus aigu ce pendant, reprit alors sa pĂ©dale tĂ©nĂ©breuse. Les coureurs sâĂ©taient arrĂȘtĂ©s. Quelle scĂšne ! Il faudrait savoir manier le crayon du sardonique M. Jean Veber, pour dessiner ce chĂąteau derriĂšre cette pelouse â aux fenĂȘtres, des faces rĂ©volutionnĂ©es de bonnes sans bonnet, en camisole de nuit, devant le perron, quelques domestiques mĂąles autour de Mme Monbardeau raidie dâeffroi sous le peignoir, â Mme Arquedouve avec ses yeux dâaveugle Ă©largis par le dĂ©sir de voir, â sur la pelouse, le bloc des cinq hommes serrant lâun contre lâautre le pyjama du docteur, le tablier du jardinier, la robe de chambre de lâastronome, le gilet rayĂ© du cocher, la cotte bleue du mĂ©canicien, et faisant la grimace des calamitĂ©s, â puis, seul, en face de tous ces regards, le lamentable objet de tant dâĂ©motions, affalĂ© dans lâherbe et pleurant, comme un JĂ©sus tombĂ© pour la troisiĂšme fois. â Ceci dans une atmosphĂšre contradictoirement lĂ©gendaire et quotidienne, donc burlesque. â Mais que faire ? que faire donc ? » chevrotait M. Le Tellier. Dis, Maxime, quâest-ce quâil faut faire ? » â HĂ©las ! hĂ©las ! Quâils prennent lâun de vous, et ils me remporteront ! Quâils ne prennent personne, et ils me remporteront Ă©galement !⊠TĂąchons de faire durer⊠Câest si terrible lĂ -haut ! Il y a des supplices !⊠» Mais tout Ă coup M. Le Tellier jeta cette alarme â Qui va lĂ ? qui va lĂ ?⊠Jâai vu quelquâun se glisser sous bois⊠Qui va lĂ ?⊠Une ombre, vous dis-je, qui se⊠Ha ! » Un Ă©clair fulgura parmi les branches ; une dĂ©tonation retentit dans le bois, tout prĂšs de Maxime ; de la fumĂ©e blanchĂątre apparut ; le jeune homme sâabattit lourdement⊠Sa mĂšre, un fusil au poing, sortait de la fumĂ©e. Une femme de neige eĂ»t Ă©tĂ© moins blafarde. Elle vocifĂ©rait â Comme ça, ils ne le feront plus souffrir ! Il ne souffrira plus ! Jâaime mieux ça, jâaime mieux ça ! » â Malheureuse ! ne sors pas ! » vocifĂ©rait aussi M. Le Tellier. Cache-toi ! Mais cache-toi donc ! » La dĂ©mente recula dans les broussailles, jusquâĂ disparaĂźtre. Ă ce moment prĂ©cis, le corps de Maxime fut cahotĂ© dâun grand soubresaut, et retomba. La stupeur des assistants se prolongeait. Pareil au regard du serpent, fascinateur des yeux, â le bourdonnement du Sarvant magnĂ©tisait leurs oreilles. Puis cette sonoritĂ© obscure et grave sembla tout Ă coup sâaffaiblir, sâĂ©loigner au fond des poitrines, et lâon nâentendit plus que la nature et le matin. M. Le Tellier interpella Mme Arquedouve. Il Ă©tait si bouleversĂ©, que lâaveugle ne savait pas qui venait de parler. â Ma mĂšre, je vous demande si vous croyez quâils sont partis⊠ou du moins si⊠la force nâest plus là ⊠si le fluide est remonté⊠si lâaimantation a cessĂ© dâagir⊠» â Il nây a plus rien, Ă ma connaissance. » â Comment ! » dit M. Monbardeau. Ils auraient abandonnĂ© Maxime ?⊠Oh ! alors, câest quâil est mort ! Vite, allons voir !⊠Câest quâil est mort ! Ils nâont que faire dâun cadavre, ces vivisecteurs ! VoilĂ pourquoi ils lâont laissĂ© ! » Tous ensemble ils marchaient vers la forme Ă©tendue. â Ah ! saperlotte, saperlotte ! » fit tout bas le mĂ©decin. En pleine tĂȘte ! En plein rocher ! Ah ! saperlotte !⊠â Non ! » sâexclama-t-il. Pas mort ! Il respire !⊠Vivant ! mais il a bien lâair dâun mort. Ah ! les canailles ! Ils nâont pas vu ça de lĂ -haut, avec leurs tĂ©lescopes ! Ăa ne mâĂ©tonne pas, dâailleurs, Ă cinquante kilomĂštres ! » â Vivant ? » Mme Le Tellier sortait du bois. Vivant ? Maxime ?⊠Il nous reste et je ne lâai pas tuĂ© ?⊠» Elle riait aux Ă©clats, la chĂšre bienheureuse dame ; elle embrassait le visage inanimĂ© de son garçon. Et sa chevelure dĂ©nouĂ©e, mi-partie rousse et blanche, sâĂ©pandait bizarrement. Or dĂ©jĂ , sans distinction de sexe, les vieux serviteurs et les jeunes domestiques buvaient lâalcool qui suit les passes Ă©mouvantes. Et ce fut ce jour-lĂ , onziĂšme du mois dâaoĂ»t, que le vent de sud-est commença de souffler. viiDu 11 AoĂ»t au 4 Septembre Pour tirer sur son enfant, elle sâĂ©tait servie dâun vieux fusil de chasse ayant appartenu Ă feu son pĂšre, M. Arquedouve. Dans la carnassiĂšre moisie elle nâavait trouvĂ© quâune seule cartouche Ă balle, â Ă balle ronde. Si le coup avait bien voulu partir, câĂ©tait donc par un de ces hasards nuisibles quâon nâoserait pas mettre dans un roman et qui est bien la seule invraisemblance de cette histoire vĂ©cue. LâantiquitĂ© de lâarme et la vĂ©tustĂ© de la poudre firent quâau lieu de transpercer la tĂȘte de Maxime, la boule de plomb se logea dans lâĂ©paisseur osseuse du rocher, derriĂšre lâoreille. Le soir mĂȘme, on sut que le blessĂ© sâen tirerait. Mais la guĂ©rison serait longue ; et, Ă cette heure, il nâavait pas repris connaissance. On ne devait pas compter sur lui pour dĂ©voiler le mystĂšre de la tache carrĂ©e. Le docteur, mĂȘme, anticipant sur le rĂ©veil du jeune homme, interdit toute conversation surexcitante. Mme Le Tellier promit de se taire comme les autres. Câest elle qui soignait Maxime. Et il faut savoir quâelle sâen acquittait admirablement. La raison lui Ă©tait revenue. Ce quâune frayeur avait causĂ©, une autre frayeur lâavait supprimĂ©. Toutefois, il paraissait que la folie sâen fĂ»t allĂ©e avant le coup de fusil, et que Mme Le Tellier eĂ»t accompli cet acte en toute sagesse. Elle parlait sans remords de ce quâelle avait fait, se disant prĂȘte Ă recommencer si lâoccasion venait Ă sâoffrir pour Marie-ThĂ©rĂšse, et dĂ©clarant la mort prĂ©fĂ©rable Ă des traitements si honteux ». CâĂ©tait une thĂ©orie que lâon pouvait dĂ©fendre, et Mme Le Tellier ne se fĂ»t pas privĂ©e de la soutenir avec plus de chaleur encore si elle avait connu dans toute leur atrocitĂ© la pluie et la grĂȘle du 3 aoĂ»t. Mais son mari et son beau-frĂšre avaient gardĂ© le secret Ă ce propos, et ils espĂ©raient le garder longtemps, quoiquâune pareille dissimulation fĂ»t chaque jour plus malaisĂ©e. Plus malaisĂ©e ?⊠Pourquoi ? Parce que souvent, au milieu de la nuit, dans les tĂ©nĂšbres chauffĂ©es par le vent du sud-est, grandissaient des sifflements sinistres que le docteur et lâastronome connaissaient bien⊠â Mme Arquedouve sâen inquiĂ©ta violemment. On lui dit que câĂ©tait des chutes dâaĂ©rolithes. La Saint-Laurent, Ă©poque des Ă©toiles filantes, appuya ce mensonge. Mme Arquedouve accepta lâexplication. DĂšs lâaube, M. Monbardeau et M. Le Tellier partaient, le cĆur serrĂ©, vers les choses tombĂ©es jamais plus il nâen tomba le jour et ils ne quittaient pas les entours de Talissieu sans avoir dĂ©couvert au moins autant dâobjets quâil y avait eu de sifflements. Ils trouvaient force dĂ©tritus minutieusement ouvrĂ©s, appartenant aux trois rĂšgnes de la nature. Les bĂȘtes et les gens portaient quelquefois de singuliers stigmates, rĂ©vĂ©lateurs dâasphyxie totale ou non, de compression et de dĂ©compression, ou des tortures les plus raffinĂ©es⊠AprĂšs avoir identifiĂ© les cadavres nĂ©gativement â câest-Ă -dire aprĂšs avoir acquis lâassurance quâils nâĂ©taient pas ceux de Marie-ThĂ©rese, dâHenri Monbardeau, de sa femme, de Suzanne ou de Robert â ils leur donnaient la sĂ©pulture. Quand, aux aspects dâun suppliciĂ©, ils avaient reconnu quelquâun du pays, la prĂ©voyance leur conseillait de nâen rien dire. Mais, le bruit de la trĂȘve sâĂ©tant rĂ©pandu, dâautres Bugistes secourables sâavisaient comme eux dâaller de bourg en bourg, dans des ambulances automobiles, faire les infirmiers et les pourvoyeurs. Ceux-lĂ aussi sâaperçurent quâil grĂȘlait des morts Ă Talissieu. Ils en semĂšrent la nouvelle. Et bientĂŽt, dans cette contrĂ©e de lĂ©thargie, oĂč peu Ă peu sâĂ©tait instaurĂ©e chez les campagnards une vie vĂ©gĂ©tative presque tranquille, â la terreur redoubla. Pendant leurs investigations matinales, M. Monbardeau et M. Le Tellier rencontrĂšrent des hommes et des femmes qui se livraient Ă la mĂȘme besogne funĂ©raire. CâĂ©taient les parents ou les amis des disparus. On ne sait quelle insupportable angoisse les avait chassĂ©s de leurs taudis fortifiĂ©s, au risque dâĂȘtre enlevĂ©s Ă leur tour. Plusieurs venaient de trĂšs loin. La rĂ©clusion les avait jaunis ; le grand jour faisait cligner leurs yeux constamment. Ils vagabondaient sans mĂ©thode et parfois sans projet. Un soleil formidable frappait leurs tĂȘtes ivoirines, Ă lâombre depuis si longtemps. Lâinsolation les tuait ou les faisait se tuer. Lâardente brise du sud-est balança dâautres pendus. Ă cause de cela et des chiens enragĂ©s, des renards, des loups de quelques ours, a-t-on dit, Ă cause des maladies de toutes sortes, on mourut encore beaucoup dans le Bugey, du 11 aoĂ»t au 4 septembre. Mais il est prouvĂ© que le Sarvant nây contribua dâaucune façon, bien que le contraire ait Ă©tĂ© soutenu par une foule dâobsĂ©dĂ©s. M. Le Tellier sâopposa de tout son pouvoir Ă ces sorties meurtriĂšres, qui prirent fin dâelles-mĂȘmes. LâĂ©poque de leur cessation coĂŻncidant avec un mieux sensible dans la torpeur de son fils, lâastronome rĂ©solut de se rendre Ă lâinvitation pressante que le duc dâAgnĂšs lui avait faite au cours dâune lettre en date du 22 aoĂ»t piĂšce 618 et dâaller passer Ă Paris quelques heures de dĂ©tente, â ce qui, entre parenthĂšses, lui permettrait de tĂ©moigner au duc un peu de sympathie et de gratitude. Cette lettre, nous ne la reproduirons pas. Elle est fort longue. M. dâAgnĂšs y mande Ă M. Le Tellier quâon a fixĂ© au 6 septembre le duel de vitesse entre son aĂ©roplane et le dirigeable de lâĂtat. Il rappelle le nom de sa machine lâĂpervier ; donne celui de lâaĂ©ronef le ProlĂ©taire ; fournit des renseignements techniques sur la course, et souhaite vivement que M. Le Tellier assiste Ă la lutte et juge par lui-mĂȘme de lâhippogriffe moderne sur lequel on va poursuive les ravisseurs de sa fille. Il dit que son monoplan fait plus de 180 Ă lâheure, mais que sa rapiditĂ© nâest rien comparĂ©e Ă sa stabilitĂ©. Ce nâest pas encore lâĂ©quilibrage automatique, mais câest dĂ©jĂ quelque chose de rudement bien. â Partant de ce principe que, si lâaviateur voyait les vagues du vent comme le navigateur aperçoit les lames de lâeau, il lui serait aisĂ© de gouverner contre elles, â BachmĂšs a imaginĂ© un appareil stabilisateur dont le but est de rendre perceptible au pilote le flot aĂ©rien. Des antennes lĂ©gĂšres rayonnent autour de lâaĂ©roplane. Par sensibilitĂ© Ă©lectrique, elles sâĂ©meuvent au moindre remous jusquâĂ trente mĂštres de leur pointe, et communiquent leurs indications au cadran qui se trouve placĂ© sous les yeux de lâintĂ©ressĂ©. » Le dĂ©part serait donnĂ© en plein Paris, au-dessus de lâesplanade des Invalides, oĂč lâarrivĂ©e sâaccomplirait Ă©galement. Cette mesure avait pour objet dâĂ©viter les dĂ©placements dâune multitude nerveuse. Les deux concurrents iraient doubler la cathĂ©drale de Meaux et reviendraient sur eux-mĂȘmes, couvrant quatre-vingt cinq kilomĂštres. M. Le Tellier partit le 4 septembre Ă 10 heures 29 du soir, comme la derniĂšre fois. viiiLe Cahier rouge Vint le jour de la course. Il faisait beau. M. Le Tellier sâen aperçut quand la concierge vint pousser les volets et lui servir son chocolat. Le digne savant dĂ©teste les hĂŽtels autant que ce quâil nomme faire des embarras », aussi Ă©tait-il descendu chez lui et sans valet de chambre. Il faisait beau. Le soleil illuminait lâappartement dĂ©pouillĂ© de ses rideaux et de ses tapis, aux lustres emmaillotĂ©s, aux meubles recouverts de housses, et rempli dâune odeur de camphre, de vĂ©tiver et de poivre. Les carreaux Ă©taient badigeonnĂ©s de blanc dâEspagne, et dans le salon, des enveloppes cachaient les aquarelles renommĂ©es les Harpignies, les Filliards, les Le Mains. Il faisait beau. La course serait belle. En sâhabillant, M. Le Tellier repassa ce dont ils avaient convenu, lui et le duc dâAgnĂšs. Le coup de canon du dĂ©part tonnerait Ă dix heures ; Ă neuf heures et demie, une automobile appartenant au duc se tiendrait Ă la porte de M. Le Tellier, le conduirait aux Invalides pour assister au premier acte de lâĂ©preuve, puis aussitĂŽt sâen irait se poster Ă lâentrĂ©e de Paris, afin quâil pĂ»t voir les pĂ©ripĂ©ties des derniers kilomĂštres. Un insigne spĂ©cial servirait de coupe-file Ă la voiture. Il faisait beau. Un brouhaha de peuple en marche montait du boulevard Saint-Germain, noir de monde qui passait dans le mĂȘme sens, de gauche Ă droite. Pour lâheure, tout le grouillement de la capitale devait se diriger vers la ligne du parcours, dont les journaux donnaient le relevĂ©. Eh ! le moment sâapproche ! » pensa M. Le Tellier. Il prit sa montre exacte, pour la mettre au gousset. Juste neuf heures et demie. » PrĂ©cisĂ©ment alors, un coup de timbre rĂ©sonna dans lâantichambre, comme pour sonner cette demie, Ă dĂ©faut des pendules arrĂȘtĂ©es. Souriant de la coĂŻncidence, M. Le Tellier fut ouvrir lui-mĂȘme⊠Et le sourire quitta ses lĂšvres soudainement dĂ©colorĂ©es. M. Monbardeau se tenait lĂ , en costume de voyage, et le regardait avec tristesse. â Quây a-t-il encore ?⊠Câest grave ?⊠» â Rassure-toi. Tous ceux que tu as laissĂ©s Ă Mirastel se portent bien. Mais, en effet⊠» â Marie-ThĂ©rĂšse⊠» â Non, non !⊠â Robert est mort, mon pauvre vieux ! » â Ah ! !⊠Mais comment le sais-tu ?⊠Et pourquoi laisser seuls Maxime, qui est si malade encore, et les femmes ?⊠Ne pouvais-tu mâĂ©crire ou me tĂ©lĂ©graphier ? » â Jâavais mes raisons, tu peux le croire⊠Ăcoute-moi » Lâavant-derniĂšre nuit â celle de ton dĂ©part â jâai Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© par un sifflement de chute ; et, comme dâhabitude, je suis allĂ© dĂšs le matin, hier, dans la direction voulue. Mme Arquedouve mâavait dit Un aĂ©rolithe est tombĂ© cette nuit entre Aignoz et Talissieu.» LĂ , câest le marais. » Au bout de trois heures, aidĂ© de quelques hommes tĂ©mĂ©raires et surtout cupides, Ă qui jâavais promis une bonne Ă©trenne, il me fut permis de retrouver⊠» CâĂ©tait dans un endroit limoneux Ă lâextrĂȘme ; nous avancions sur des planches quâil fallait sans cesse enlever derriĂšre nous et rejeter en avant⊠â Au fond dâune espĂšce de flache creusĂ©e par la violence du choc, une masse informe sâenlizait lentement. Nous lâavons dĂ©gagĂ©e au prix dâefforts incroyables⊠Quelque chose me disait que nous ne devions pas cĂ©der⊠» Jâai vu tout de suite quâil nâĂ©tait pas mort de sa chute, mais bien avant. La commotion nâavait broyĂ© quâun cadavre⊠Il est mort asphyxié⊠asphyxiĂ© surtout. Il avait la face enflĂ©e, les lĂšvres Ă©paisses et noires comme toute la figure, les yeux extraordinairement ternes, la bouche pleine de sang coagulĂ©. Jâai cru mâapercevoir aussi quâil avait subi des pressions variĂ©es⊠Quand nous mettons des animaux dans le vide, par expĂ©rience, ils deviennent ce quâĂ©tait Robert⊠Une brĂšve autopsie mâa dĂ©montrĂ© que son corps avait gonflĂ©, quâil sâĂ©tait boursouflĂ©, que le sang avait jailli de lâĂ©piderme ainsi quâune sueur giclante⊠quâil avait, en quelque sorte, explosé⊠Certains dĂ©bris anatomiques portaient dĂ©jĂ des marques analogues, mais beaucoup moins accentuĂ©es⊠Il nâa pas Ă©tĂ© vivisĂ©quĂ©, non, non, il ne lâa pas Ă©tĂ©, lui ! » â Quelle abomination !⊠Mais cela ne me dit pas pourquoi tu es venu ? » â Je suis venu pour accomplir ses derniĂšres volontĂ©s. » M. Monbardeau tira de sa poche un cahier rouge Ă fermoirs de cuivre, que lâastronome se souvint dâavoir vu quelque part. â Je suis venu pour te remettre ce manuscrit. Robert le portait sous ses vĂȘtements, liĂ© par une ceinture Ă mĂȘme la peau. Lis ce qui est Ă©crit sur lâĂ©tiquette. » â Pour remettre le plus tĂŽt possible Ă M. Le Tellier, directeur de lâObservatoire. Sâil est mort au docteur Monbardeau, dâArtemare. Sâil est mort au duc dâAgnĂšs. Sâil est mort au chef de lâĂtat. » En voyant lâĂ©criture de Robert Collin, M. Le Tellier ne put retenir ses larmes. Il ouvrait les fermoirs dâune main maladroite Ă force dâimpatience, et disait â ChĂšre, chĂšre victime de son dĂ©vouement ! Pauvre petit !⊠HĂ©las ! il y a deux mois quâil sâest fait enlever ! CâĂ©tait avant toutes ces histoires de tache carrĂ©e ?⊠Deux mois de captivitĂ© pour lâamour de Marie-ThĂ©rĂšse !⊠HĂ©las ! le beau rĂȘve quâil avait fait ! Et penser que ce rĂȘve-lĂ ne se serait pas rĂ©alisĂ© ! que Robert, sans doute, nâaurait pas Ă©tĂ© ce quâil est rĂ©servĂ© au duc de devenir⊠si ma fille nous est jamais rendue !⊠Pour lui, ne vaut-il pas mieux ĂȘtre mort ?⊠» Voyons ce quâil me dit⊠â HĂ© ? qui est lĂ ? » â Excusez, monsieur, » fit la concierge, qui venait dâentrer, il y a en bas des monsieurs qui disent quâils vous attendent. » â Ah ! lâauto ! Câest vrai !⊠â Vois-tu, Calixte, je suis absolument forcĂ© dâaller Ă cette course⊠Et me voilĂ en retard dĂ©jà ⊠Tiens tu vas venir avec moi. Je tâemmĂšne. Nous lirons le cahier en route. Viens comme tu es ; viens⊠â Mon bon petit Robert ! Quelle perte ! Quelle perte !⊠» Parmi la foule dĂ©ambulante, une centaine de badauds faisaient cercle autour de lâautomobile. Cette quatre-baquets fastueuse les intriguait dâĂȘtre si longue et si basse, peinte en gris souris comme un torpilleur, dâĂȘtre montĂ©e par deux chauffeurs Ă la livrĂ©e kaki, brassardĂ©s dâun ruban tricolore, et dâavoir en guise de lanternes deux flammes aux couleurs de lâAĂ©ro-Club, organisateur sportif de la journĂ©e. Les chauffeurs ĂŽtĂšrent la casquette. Lâun dâeux remit Ă M. Le Tellier le brassard blanc des commissaires officiels. â DĂ©pĂȘchons-nous, Monsieur, » lui dit-il dâun ton respectueux, on va manquer le dĂ©part, il nây a pas dâerreur. » Mais M. Le Tellier estimait Ă prĂ©sent que la course Ă©tait secondaire, et, pendant que la voiture dĂ©marrait avec un brio de 90-HP conduite par un mercenaire impitoyable aux pneus, il commença de lire Ă M. Monbardeau ce que Robert avait tracĂ© pour lui, dâun crayon net et rĂ©gulier, du moins aux premiĂšres pages. Il en Ă©tait Ă la cinquiĂšme ligne, quand lâun des hommes kaki se retourna â Je crois que ce nâest pas la peine dâaller jusquâĂ lâesplanade⊠Il nây a pas dâerreur un monde fou⊠Jamais nous nâarriverions⊠Si Monsieur veut, on pourrait prendre par la Concorde et la rue Royale, et puis enfiler les grands boulevards. Comme ça, on les verra passer, et ça sera toujours ça de gagnĂ© pour arriver plus tĂŽt Ă la sortie de Paris⊠Il nây a pas dâerreur. » â Faites comme vous voudrez », dit lâastronome. Et il reprit sa lecture interrompue. ixLe Journal de Robert Collin Tel on va lire le journal de Robert Collin, tel M. Le Tellier le lut Ă M. Monbardeau, dans lâautomobile de M. dâAgnĂšs, au milieu du peuple de Paris[10]. Donc, lâastronome recommença 4 juillet, 3 heures de lâaprĂšs-midi. Vingt-quatre heures Ă©coulĂ©es depuis mon enlĂšvement. Jusquâici, jâai eu trop de choses Ă observer pour pouvoir Ă©crire. Je compte faire un journal avec ce que je verrai, et le faire parvenir Ă qui pourra se servir de mes renseignements pour dĂ©livrer les prisonniers. Le faire parvenir ! Comment ? Je ne sais⊠Câest donc hier Ă trois heures hier mercredi 3 juillet que je suis devenu la proie des Sarvants. Volontairement. Il y avait dĂ©jĂ du temps que je mâexposais seul. Ils semblaient ne pas vouloir de moi. Enfin hier, comme je traversais le Forestel un prĂ© Ă mi-chemin du Grand Colombier et de Virieu-le-Petit, jâentendis le bourdonnement proverbial sâapprocher, descendre vers moi. Le grĂ©sillement des sauterelles Ă©tait aussi fort que lui. Il avait lâair loin. Je regardai en lâair, mais ne vis rien. Mon cĆur faisait plus de bruit que les Sarvants et les sauterelles. Le moment si attendu mâeffrayait. Jâavais bien lâidĂ©e de certaines choses, mais vague. Je savais que jâallais ĂȘtre emportĂ© en lâair, trĂšs haut jâĂ©tais vĂȘtu en consĂ©quence de vĂȘtements tout ce quâil y a de plus chaud. Jâattendais lâimpression du pompage ou de lâattraction qui allait mâenlever vers un ballon ou un autre engin cachĂ© dans la distance, lorsque je me sentis happĂ© brutalement par derriĂšre, au torse, et soulevĂ© comme par une poigne gigantesque, dure, violente. Gestes fous. Tentative pour me retourner vers lâagresseur. Peine perdue. Je me dĂ©battis. Pendant ce temps, ce qui me tenait me tira en arriĂšre, Ă soi, et me lĂącha. Seulement, je ne tombai pas. Il y avait entre mes pieds et le sol un espace de quelques centimĂštres. Un claquement inexplicable retentit. Le bourdonnement prit de lâimportance et fut compliquĂ© dâautres sons, mais câest tout ce que jâentendais ; plus de sauterelles ni rien autre. â Alors jâessayai de me sauver, maudissant ma tĂ©mĂ©ritĂ©, fou de peur. Mais incontinent je me heurtai Ă une rĂ©sistance, Ă une rigiditĂ© sans aspect. Je bondis dans le sens opposĂ© mĂȘme rempart. Comme si un hypnotiseur mâavait ordonnĂ© de croire quâil y avait toujours devant moi un obstacle ; comme si lâair sâĂ©tait solidifiĂ© autour de moi tout en restant aussi transparent. Je crus vraiment Ă de la suggestion, surtout Ă cause du soulĂšvement, qui me rappelait des expĂ©riences de spiritisme taxĂ©es de fraudes jusquâalors. Tout ceci une seconde. Puis, soudaine, une force incalculable venue dâen bas â montĂ©e inexorablement dĂ©chaĂźnĂ©e de je ne sais quelle poussĂ©e que je sentis agir sous mes semelles tout Ă coup â me lança en lâair. On aurait dit que la terre me jetait au ciel. JâĂ©tais une sorte de boulet de canon projeté⊠Et jâĂ©tais seul au milieu de lâespace, Ă monter tout droit, vite, vite⊠En dessous, le prĂ© du Forestel nâĂ©tait dĂ©jĂ plus que le centre mesquin dâun cercle immense sâagrandissant sans cesse, et le Colombier paraissait sâaplatir au niveau du reste. Ă cause de mon ascension rapide, le cercle â la Terre â semblait un entonnoir mouvant dont tous les points se seraient prĂ©cipitĂ©s vers le milieu, aspirĂ©s par une ventouse centrale. Sensation de nausĂ©e au-dessus de cette cuvette vertigineuse, atrocement Ă©cĆurante. Le vertige me paralysait. Dâabord jâavais gesticulĂ© comme les hommes de ChĂątel, pour mâĂ©chapper. Maintenant lâeffroi du gouffre me pĂ©trifiait, â la peur dây retomber, si la force mystĂ©rieuse venait Ă manquer. Je mâaperçus que jâĂ©tais dans la posture dâun accroupi. Accroupi ? Sur quoi ? Sur une immatĂ©rielle et pourtant solide plate-forme, â immatĂ©rielle et pourtant rĂ©elle, irrĂ©elle et cependant matĂ©rielle, â un plateau qui nâexistait pas et pourtant qui, oui, qui vibrait ! â Impossible de bouger pour contrĂŽler. Le vertige armure sans jointures. Je voulus consulter les instruments dont je mâĂ©tais nanti, le baromĂštre entre autres ; impossible. NĂ©anmoins, je parvins Ă raisonner dans mon immobilitĂ©. Je rĂ©ussis Ă Ă©couter. Le bourdonnement persĂ©vĂ©rait alentour. Il y avait aussi le bruit, le vent de mon ascension sssssssssss⊠Mais je ne sentais aucun souffle. Alors je pensai ĂȘtre dans un courant dâair ascensionnel, au sein dâune colonne verticale de vent artificiel qui me soulevait aussi vite quâelle-mĂȘme fusait vers le zĂ©nith⊠Mais cela nâexpliquait pas le contact solide de mon point dâappui. Ă ce moment-lĂ , jâavais encore la conviction que cette ascension nâĂ©tait que la premiĂšre phase du voyage, â que jâallais bientĂŽt parvenir Ă lâengin oĂč se trouvait la pompe ou lâaimant, â et que cet engin mâemmĂšnerait Ă travers lâĂ©ther, sans doute dans un astre. Car mon arriĂšre-pensĂ©e avait toujours Ă©tĂ© que les Sarvants Ă©taient les habitants dâune planĂšte quelconque, leurs agissements mâayant toujours paru extra-terrestres, â merveilleux, comme on dit. Aussi je surveillais en haut lâapparition de cet engin, qui ne se montrait pas. Et je mâĂ©levais toujours. Le disque de la Terre comprenait une Ă©tendue immense de pays, dĂ©jĂ beaucoup moins riche en couleurs, et flou. Le Mont Blanc faisait un ressaut Ă©blouissant qui se nivelait de plus en plus. Jâavais de beaucoup dĂ©passĂ© sa hauteur. Comment ! » pensai-je, me voici Ă plus de mĂštres et je nâai pas froid ! » JâĂ©value Ă mĂštres lâaltitude oĂč je me trouvais. La tempĂ©rature baissant de 1° par 215 mĂštres environ, jâaurais dĂ» ĂȘtre couvert de glaçons ; ma respiration aurait dĂ» faire une vapeur Ă©paisse ; jâaurais dĂ» grelotter ; jâaurais dĂ» subir le mal des montagnes, contre lequel jâavais emportĂ© un ballon dâoxygĂšne⊠Probablement, tout cela allait se produire⊠Jâobservai mon souffle, qui devait devenir gĂȘnĂ©, accĂ©lĂ©rĂ©, laborieux, â mon cĆur, qui devait prĂ©cipiter ses coups. Je guettai la sensation de plĂ©nitude des vaisseaux, le battement de la carotide. Je mâattendais Ă saigner du nez dâun moment Ă lâautre. Ma tĂȘte allait me faire mal, certainement. Je luttais dâavance contre lâhĂ©bĂ©tude des sens, la somnolence, la prostration morale. Il me semblait dĂ©jĂ sentir la soif caractĂ©ristique, le dĂ©sir des boissons froides, â nausĂ©es, langue sĂšche, Ă©ructations, douleurs aux genoux, aux jambes, comme aprĂšs une longue marche, Ă©puisement⊠â Mais, sauf lâĂ©cĆurement dĂ» au vertige, rien de tout cela. Aucun des symptĂŽmes que jâavais soigneusement Ă©tudiĂ©s dans les livres. Et pourtant je montais encore, et jâavais La certitude que si jâavais pu prendre le thermomĂštre et le regarder, jâaurais vu quâil marquait dans les 16 ou 18° au-dessus de 0. Il faisait trĂšs bon, en somme. Et pourtant jâĂ©tais au moins Ă mĂštres ! plus haut que le Gaurisankar ! lĂ oĂč le thermomĂštre aurait dĂ» marquer 35° au-dessous de 0 !⊠Je me rappelai avec stupeur que, sans lâaide de lâoxygĂšne, aucun homme nâavait atteint ces rĂ©gions sans sâĂ©vanouir. Berson et SĂŒring sont arrivĂ©s Ă mĂštres, mais avec des respirols Ă oxygĂšne. â Et dâailleurs nâĂ©tais-je pas plus haut, maintenant ? CâĂ©tait un rĂȘve ! Il fallait contrĂŽler⊠Je fis un effort, qui rĂ©ussit, le vertige diminuant avec lâĂ©loignement de la Terre ; et je pus saisir derriĂšre mon dos le ballon dâoxygĂšne, dont je tins lâembouchure prĂšs de mes lĂšvres, en cas dâalerte. Ensuite le thermomĂštre + 18° centigrade ! Et le baromĂštre 160 millimĂštres ! exactement la mĂȘme pression quâĂ la surface du sol ! la pression moyenne de la terre ferme !⊠Est-ce que vraiment jâĂ©tais encore Ă terre ?⊠Je me crus idiot. â Mon Ă©tat dâesprit diffĂ©rait quelque peu de celui, hĂ©roĂŻque, que je mâĂ©tais prĂ©dit ! Naturellement, une page de ce cahier reprĂ©sente une minute. JâĂ©coutai mieux. Il me sembla percevoirâŠ, et je perçus assez nettement, un doux petit clapement double qui faisait, veloutĂ© clip clap, clip clap, clip clap » et ainsi de suite. Ătant seul â et quelle solitude ! â jâattribuai ce bruit Ă moi-mĂȘme. NâĂ©tait-ce pas un effet de lâaltitude sur ma physiologie ?⊠Au moyen de ma montre, et pensant que je mâĂ©levais toujours avec la mĂȘme vitesse, je fis des approximations de hauteur. BientĂŽt je fus assurĂ© dâavoir atteint mĂštres â le record des ballons-sondes non montĂ©s ! Mais lĂ jâĂ©prouvai lâillusion dâĂȘtre immobile, parce que lâĂ©loignement continu de la Terre trop lointaine nâĂ©tait plus sensible dâun seul regard. En levant les yeux, par exemple, je vis le ciel se dĂ©bleuir, sâassombrir ; et puis, soudainement, au-dessus de moi, jâaperçus Ă ma droite â câest-Ă -dire un peu au sud du point vers lequel je montais â une noirceur qui grossissait Ă vue dâĆil. Il me sembla quâelle tombait, mais câest moi qui montais vers sa fixitĂ©. Jâallais la regarder dans ma jumelle ; mais un malaise, Ă lâimproviste, mâen empĂȘcha. Un bourdonnement dâoreilles battit une roulade de tambours incessants. Il me sembla que le clip clap » venait de sâarrĂȘter brusquement. Je fus saisi par un grand froid ; mes bras et les muscles de mon cou sâankylosĂšrent Ă©lectivement et progressivement ; jâĂ©prouvai une difficultĂ© incroyable Ă respirer ; mes yeux se voilĂšrent, et câest Ă peine si je pus constater que le thermomĂštre avait baissĂ©, dâun plongeon terrible, vers â 22°, et quâil continuait Ă baisser⊠Il me fut interdit dâaller chercher le baromĂštre dans lâune de mes poches⊠Toutefois, mes yeux dĂ©faillants crurent discerner une forme qui sâaffirmait partout, de tous cĂŽtĂ©s Ă la fois. Il me parut que lâair sâobscurcissait⊠Mais nâĂ©tait-ce pas une rĂ©sultante de ce dĂ©but dâĂ©vanouissement ? Lâinstinct de la conservation me fit trouver lâembouchure de la vessie pleine dâoxygĂšne ; et alors, immĂ©diatement, je repris mes sens. Toute faiblesse fut dissipĂ©e. JâĂ©tais enfermĂ© dans un haut et vaste cylindre de glace, â une espĂšce de tourelle close. JâĂ©tais accroupi sur le fond dâun bocal de glace dont lâĂ©paisseur augmentait continuellement et qui attĂ©nuait le jour de plus en plus. Et il neigeait dans ce cylindre. Mes vĂȘtements Ă©taient couverts de givre ; ma barbe avait des stalactites gelĂ©es ; mon haleine se rĂ©solvait en grĂ©sil. Jâavais lâair dâĂȘtre emprisonnĂ© dans un cruchon de verre frappé⊠Tout dâun coup, le doux clip clap » reprit, avec un entrain â dirai-je alerte ou mĂȘme allĂšgre ? â comme pour rattraper le temps perdu. Je crois que câĂ©tait derriĂšre mon dos. Ce bruit enchantĂ© sâaccompagnait dâun espĂšce de courant de chaleur et de sĂ©cheresse. La tempĂ©rature remonta ; la lumiĂšre revint ; le flacon rĂ©frigĂ©rant fondait. BientĂŽt il nâen resta plus quâune mince feuille de gel cylindrique, et cette feuille â ce tube â disparut Ă son tour, comme essuyĂ©e. Avec elle, partit le dernier soupçon de malaise, comme essuyĂ© aussi⊠Je me retrouvai seul au milieu de lâimmensitĂ©, montant toujours. Le mirage avait durĂ© quelques secondes. Cependant le ciel Ă©tait sensiblement moins bleu quâavant, et le point noir, trĂšs grossi, Ă©tait devenu une macule carrĂ©e. Câest alors que je voulus reprendre ma jumelle pour observer cette macule. Mais je me rappelai quâaux premiers instants de ma pĂąmoison elle sâĂ©tait Ă©chappĂ©e de mes mains. Jâen ressentais une vive contrariĂ©tĂ©, quand, Ă ma profonde stupeur⊠» Ici, M. Le Tellier cessa de lire le cahier rouge. Une clameur incalculable avait dĂ©tournĂ© son attention. Lâautomobile dĂ©bouchait place de lâOpĂ©ra. Le coup de canon venait dâannoncer le dĂ©part de la course et roulait sur Paris en Ă©chos dâenthousiasme et de gloire. xLe fameux Vendredi 6 Septembre Pour la premiĂšre fois, le vieux ciel de LutĂšce allait servir de lice Ă des rĂ©gates aĂ©riennes. Il Ă©tait dâun bleu de gala. Toute la ville fourmillait. La moitiĂ© du peuple envahissait les toits. Depuis le matin, les Ă©difices se couronnaient du grouillement des hommes. Des lucarnes sâĂ©taient louĂ©es comme des avant-scĂšnes de premiĂšre. SurchargĂ©s de spectateurs, plusieurs balcons avaient dĂ©jĂ croulĂ©. Certaines maisons semblaient animĂ©es, tant leurs façades et leurs terrasses sâenduisaient dâhumanitĂ© remuante. Lâonde Ă©paisse de la foule mouvait ses lents tourbillons aux fleuves des rues, aux Ă©tangs des places, et surtout dans les quartiers coupĂ©s par lâitinĂ©raire du match. Cette droite idĂ©ale, tirĂ©e des Invalides Ă la cathĂ©drale de Meaux, traversait le carrefour de la rue Louis-le-Grand, de la rue de la ChaussĂ©e-dâAntin, du boulevard des Italiens et du boulevard des Capucines ; et lĂ mieux quâautre part, les immeubles disparaissaient Ă demi sous une carapace vivante. La citĂ© prodigieuse tenait lieu dâestrade Ă tout un monde. Une infinie rumeur de ColisĂ©e-titan la remplissait. Une odeur de mĂ©nagerie et dâarrosage, montant du sol, alourdissait la chaleur du beau Jour estival. On ne parlait pas du PĂ©ril ; on ne parlait que de la course. Les deux appareils compĂ©titeurs dĂ©frayaient dâintenses causeries. Personne encore ne les avait aperçus, et cependant chacun tenait pour son favori, les uns prĂ©fĂ©rant le moins lourd que lâair au plus lourd, les autres pariant contre lâĂtat ou contre le Capital, et beaucoup dâautres basant leur opinion sur la sympathie plus ou moins irrĂ©sistible quâils Ă©prouvaient Ă lâĂ©gard des pilotes. Les pilotes â les dieux du moment â câĂ©taient le duc dâAgnĂšs, jockey de lâĂpervier, et le capitaine Santus, cornac du ProlĂ©taire. Des camelots vendaient leur biographie et leur portrait. Ils les tendaient au bout dâune perche aux curieux des balcons, et sâaccrochaient aux voitures qui sâefforçaient de gagner la banlieue du cĂŽtĂ© de Meaux. Ă mesure que lâheure avançait, le public, tassĂ©, devenait trĂ©pidant. La circulation des chaussĂ©es augmentait comme dans les artĂšres dâun fiĂ©vreux. Au carrefour Louis-le-Grand, lâeffervescence atteignit son maximum vers neuf heures quarante-cinq. DĂšs cet instant, ceux dâen bas, ne pouvant rien entrevoir, criaient Ă ceux dâen haut, derriĂšre les lettres-monstres des affiches, parmi les inscriptions-rĂ©clames et les tuyaux de cheminĂ©e â Les voyez-vous ? â Sont-ils en lâair ? » De la plate-forme du Pavillon de Hanovre, des combles du Vaudeville, du sommet de tous les dessus, on leur rĂ©pondait â Non ! » Des lazzi sâensuivaient. Cela produisait une jolie confusion dâapostrophes. Et ceux dâen bas continuaient Ă regarder ceux dâen haut, qui regardaient tous, au loin, Ă droite du dĂŽme des Invalides plus dorĂ© de soleil encore que de peinture, deux granules brillants, deux ballonnets captifs maintenus Ă lâintervalle de cent mĂštres et dĂ©terminant la ligne de dĂ©part, â qui Ă©tait aussi la ligne dâarrivĂ©e. LĂ -bas, sous les petits ballons, il devait y avoir un dĂ©ploiement considĂ©rable de tribunes, de musiques et de fleurs. Le faste national y drapait son velours incarnat aux crĂ©pines dâor. La Marseillaise sans doute⊠Mais, Ă neuf heures cinquante, lâassistance des toitures sâagita, pareille au champ que la brise rĂ©veille ; il y eut comme un soupir dâallĂ©gresse, profond, frĂ©missant, gigantesque ; et puis cette phrase cent mille et cent mille fois redite â VoilĂ le ProlĂ©taire qui sâenlĂšve ! » Ils le voyaient. CâĂ©tait un long cigare effilĂ©, jaune, vermeil. Il montait, satinĂ© de reflets matinaux. Dans les lorgnettes, on distinguait lâhĂ©lice qui tournait avec des lueurs dâĂ©clair⊠â Voici dâAgnĂšs ! Voici lâĂpervier maintenant ! » â HĂ© ? si petit ? cette petite chose qui plane, qui va et vient ?⊠» â Câest lui ; mais vous voyez bien quâil dĂ©crit des spirales autour du dirigeable⊠» â Ah ! ils sont de niveau !⊠» â De niveau avec les ballonnets⊠» â Au delĂ des ballonnets !⊠» On suivait passionnĂ©ment les Ă©volutions de lâaĂ©roplane et de lâaĂ©ronef. Le ProlĂ©taire, majestueux, vira de bord et mit le cap sur Meaux. On ne lâavait plus de profil, mais de face. Il ressemblait ainsi Ă quelque sphĂ©rique de faible dimension. LâĂpervier, prĂšs de lui, Ă©tendait ses ailes rigides. Câest de la sorte quâils devaient passer la ligne de dĂ©part ; on le comprenait. Alors tonna le coup de canon signal, tirĂ© par une coulevrine des Invalides antĂ©rieure aux montgolfiĂšres et maintenant deux fois historique. Alors tonna le coup de canon pathĂ©tique, somptueux, solennel, Ă qui rĂ©pondit une incalculable clameur populaire, et qui roula sur Paris en Ă©chos dâenthousiasme et de gloire. Santus et dâAgnĂšs Ă©taient partis. Une joie Ă©norme trĂ©pigna le plomb des terrasses. Ils venaient droit sur le carrefour. Les ombrelles se fermĂšrent et, plus haut que tout, les cinĂ©matographes dĂ©coupĂšrent leur silhouette prĂ©vue. Les lorgnettes affublaient les gens de deux longs yeux de langouste noire. Elles leur montraient le ProlĂ©taire et lâĂpervier cĂŽte Ă cĂŽte, de plus en plus gros, le ProlĂ©taire jaune et lâĂpervier⊠ah ! bleu ! Bleu, lâĂpervier !⊠La nouvelle courut Ă travers la foule ainsi quâun feu follet retentissant. Bleu ! le monoplan Ă©tait bleu ! On ne sây attendait pas, mais on Ă©tait content que cet oiseau fĂ»t bleu, couleur du temps et du PĂ©ril, comme un peu de ciel matĂ©rialisĂ© en Ă©lĂ©gance. Bleu, lâoiseau ! Dâune taille des Mille et une Nuits et de la nuance des contes de fĂ©es ! â Vole Ă moi promptement ! » disait la multitude avec des rires sans nombre⊠Les cinĂ©matographes commencĂšrent Ă fonctionner, les photo-jumelles Ă©taient en joue⊠Ils volaient Ă cent pieds de haut. Dans lâair calme ils approchaient en trombe, silencieusement. LâaĂ©roplane, muni de son capteur Ă©lectrique, ne faisait pas le bacchanal ordinaire. On voyait les deux hĂ©lices tournoyer, semblables Ă deux soleils nĂ©buleux⊠et lâon Ă©couta leur double vrombissement de sirĂšnes suraiguĂ«s, donnant une espĂšce dâaccord irritant qui Ă©mouvait les nerfs comme des chanterelles. On discerna les antennes stabilisatrices de lâĂpervier, fines, fines, ainsi que des poils de moustache de chat tout autour de lâappareili ou plutĂŽt ainsi que de maigres, maigres pattes de grand cousin⊠Une traĂźnĂ©e dâovations les suivait. Quand ils arrivĂšrent au carrefour, il en jaillit vers eux une explosion de vivats si effrĂ©nĂ©s, que câĂ©tait comparable au bouquet dâun feu dâartifice. Ce fut un hymne de vocifĂ©rations, oĂč chacun sâĂ©poumonait, criant le nom du prĂ©fĂ©rĂ©, comme ceci â Bravo, Santus ! Bravo ! â Hardi, dâAgnĂšs ! Hardi donc ! » Parce quâalors le ProlĂ©taire, Ă droite et au-dessus de lâĂpervier, avait une lĂ©gĂšre avance. Les cĆurs palpitaient dâun lyrisme chauvin. La foule papillotait de mouchoirs et de chapeaux frĂ©nĂ©tiques. Le capitaine Santus enleva son kĂ©pi, ses aides saluĂšrent militairement ; le duc dâAgnĂšs fit un signe de la main. Vous auriez cru voir un obus de cuivre poursuivi par un aigle dâacier. Les deux tempĂȘtes quâils Ă©taient secouĂšrent les oriflammes au faĂźte des mĂąts. Un vent dâorgueil et dâivresse balaya des figures pĂąles, et sur le toit du Vaudeville une actrice connue, sâadressant Ă lâunivers, proclamait de sa belle voix â Câest chic tout de mĂȘme dâĂȘtre Français ! » Mais soudain le chĆur grandiose sâĂ©pouvanta. LâocĂ©an des hommes houla dâinquiĂ©tude. Au moment oĂč les rivaux franchissaient le Pavillon de Hanovre, le ProlĂ©taire avait plongĂ© de la poupe ; son empennage cruciforme baissa dâune saccade, baissa encore, et son enveloppe increvable se creusa tout Ă coup, comme si, Ă lâintĂ©rieur mĂȘme du ballon, quelquâun lâeĂ»t tirĂ©e avec obstination⊠Ralenti, le dirigeable piquait de lâarriĂšre dĂ©sespĂ©rĂ©ment⊠Mais la poche se regonfla de mĂȘme quâelle sâĂ©tait formĂ©e, Ă lâimproviste ; lâaĂ©ronef tangua, fit un bond, repartit⊠et⊠Et ce fut le tour de lâĂpervier, qui, sans cause apparente, se mit Ă pencher dâune maniĂšre effroyable, lâaile gauche levĂ©e⊠On aperçut le duc dâAgnĂšs qui maniait ses commandes Ă toute volĂ©e, virait malgrĂ© lui et ne pouvait se redresser. Le monoplan donnait de la bande⊠il allait sâabĂźmer dans le gouffre tapissĂ© de crĂ©atures⊠Le gouffre eut un rĂąle dâarmĂ©e agonisante⊠puis un rugissement de victoire ! LâĂpervier bourlinguait, un roulis du diable balançait son envergure bleue, â mais il ne penchait plus. Un second virage lui rendit lâaplomb et le relança dans la joute, au pourchas du ProlĂ©taire. Lâacclamation quâils semaient en passant diminua. On sâĂ©tait retournĂ© pour les suivre Ă perte de vue. Des femmes cependant respiraient leur flacon de sels. Dieu, quâelles avaient eu le trac, ma chĂšre ! » â Les automobiles ronflaient, cornaient, sirĂ©naient, sifflotaient, impatientes dâarriver au delĂ de Pantin. Quâest-ce qui sâĂ©tait passĂ© ? â Les remous des hĂ©lices sâĂ©taient-ils contrariĂ©s mutuellement ? â Un courant dâair atmosphĂ©rique ?⊠Les commentaires allaient leur train, quand un bruit sinistre Ă©clata sourd des gĂ©missements, des chocs, un hourvari dâhorreur⊠Tous les regards se dirigeaient vers la terrasse du Pavillon de Hanovre. Une bousculade y jetait les uns contre les autres. Ces affolĂ©s levaient les yeux ; des fils tĂ©lĂ©graphiques sâĂ©taient rompus spontanĂ©ment, leur chute avait provoquĂ© le dĂ©sordre. La balustrade de pierre contenait une cohue, et les groupes sculptĂ©s qui la dĂ©corent soutenaient des grappes de fuyards en quĂȘte dâun abri. La sculpture de gauche sâeffondra tout dâun coup avec son Ă©quipage hurlant. Le bloc tomba sur les badauds du trottoir, dans le sang, lâeffroi, lâĂ©bahisement⊠â Il y avait trop de monde sur les statues, pardi ! Les autres allaient aussi dĂ©gringoler⊠Mais non. Ce qui dĂ©gringola, ce furent des moellons, des gravats, qui nâarrĂȘtaient plus de se dĂ©tacher de la muraille, au mĂȘme endroit, et criblaient de nouveaux coups les blessĂ©s pantelants. Issue de la brĂšche dans la galerie, une infernale source de ruine et de dĂ©molition descendait le long du vieux mur gris ; une foudre lente labourait la maçonnerie, lâentamait dâun sillon blanc, profond, cruel⊠Et la foule des foules qui garnissait le lieu, saisie dâangoisse, regardait sâallonger lâĂ©raflure effrayante⊠Elle continuait Ă descendre, Ă©corchant la rotonde, ravinant sa devanture, crevant les fenĂȘtres, brisant les ferronneries, lapidant les morts et les moribonds⊠â Comme elle arrivait Ă la hauteur du marronnier voisin, lâarbre tressaillit, craquaâŠ, cette foudre sans flamme, sans tapage, cette foudre paresseuse lui froissa les feuilles, lui cassa les branches, de haut en bas⊠â Et puis se passa lâĂ©vĂ©nement indescriptible On entendit brusquement, au plein milieu du carrefour, le terrible patatras de deux trains qui sâabordent, et lâon vit une catastrophe sans Ă©gale dans les siĂšcles de lâhistoire un tohu-bohu fantastique de voitures tĂ©lescopĂ©es, de chevaux abattus, de cochers livides, de chauffeurs dĂ©ments et dâĂȘtres ensanglantĂ©s qui se dĂ©menaient et fuyaient de toutes parts en beuglant â Le PĂ©ril Bleu ! » Vue des toits, cependant, la mĂȘlĂ©e sâordonnait quelque peu. Depuis la rue de la ChaussĂ©e-dâAntin jusquâau Pavillon de Hanovre, il y avait comme une allĂ©e de choses immobilisĂ©es, aplaties, dâoĂč venait un concert de plaintes singuliĂšrement lointaines et bizarrement souterraines, et, de chaque cĂŽtĂ© de cette avenue de calamitĂ© qui barrait toute la largeur du carrefour, deux bourrelets de vĂ©hicules fracassĂ©s, pleins de formes, dâĂ©garements, de spasmes. ĂchelonnĂ©e aux gradins des Ă©tages, la foule environnante avait tressautĂ© tout dâune piĂšce. ĂĂ et lĂ , des Ă©nergumĂšnes gesticulaient ; mais les autres, haletants, restaient figĂ©s de peur et de stupĂ©faction. Nul ne disait ses transes, et tout de mĂȘme il sortait de la multitude un grondement de simoun dans une forĂȘt de baobabs. De loin en loin sâexhalaient de pauvres lamentations fĂ©minines. Que pensait-on ? Rien sur lâheure. AprĂšs quelques secondes de panique, nombre de tĂ©moins eurent lâidĂ©e falote dâun durcissement de lâair », ou dâune barricade magnĂ©tique », ou encore dâun mur Ă©pais de cristal â dâun cristal pur au superlatif â abaissĂ© lentement Ă la traverse du boulevard, ainsi quâun rideau de théùtre, et contre quoi, de part et dâautre, la circulation serait venue se cogner, tandis que cette Ă©trange herse plaquait au pavĂ© de bois les malchanceux qui sâĂ©taient trouvĂ©s lĂ . Quoi quâon pĂ»t sâimaginer, la certitude câest quâune vanne diabolique endiguait la voie. MalgrĂ© la dĂ©bĂącle de cataclysme qui se fit alors au nom du PĂ©ril Bleu, des sauveteurs se prĂ©cipitĂšrent⊠Mais lâobstacle hypocrite arrĂȘta leur Ă©lan. Ils venaient sây buter avec la derniĂšre violence. Ils butaient dans le vide, contre rien du tout. Ils rencontraient une absence infranchissable. Lâair, offensif, leur dĂ©fonçait le crĂąne. La police, Ă grandâpeine, reprit la direction de lâexistence. Un officier de paix intervint, fit dĂ©blayer les deux rangs de voitures, et disposa le cordon de ses agents tout autour de la rĂ©gion perfide, dont lâisolement sâimposait. Câest ainsi que fut dĂ©limitĂ© un espace en longueur, qui partait du Pavillon de Hanovre et sâengageait dâune dizaine de mĂštres dans la ChaussĂ©e-dâAntin. La vue des uniformes engendra la confiance et dĂ©lia les langues. Une assemblĂ©e rĂ©volutionnaire eĂ»t Ă©tĂ© plus silencieuse. On ne parlait plus de la course ; on ne parlait que du PĂ©ril. Durant ces bavardages impĂ©tueux, les ambulances et les brancards fendaient la nuĂ©e de quidams affluant de partout, et lâon tĂąchait sans rĂ©sultat de parvenir aux malheureux que lâatmosphĂšre inaccessible maintenait Ă©crasĂ©s sur le sol. Le prĂ©fet de police, qui venait dâarriver, commençait Ă perdre de son assurance, â lorsquâun monsieur dĂ©corĂ©, se frayant passage au milieu dâun vĂ©ritable gĂąteau de ses congĂ©nĂšres, se fit conduire Ă lui par un agent. Ce monsieur avait grande allure. Il portait le brassard blanc des commissaires officiels et tenait contre sa poitrine un cahier rouge. Il Ă©tait suivi dâun autre monsieur en costume de voyage. Quelquâun le reconnut. Son nom voltigea de bouche en bouche, pendant que le prĂ©fet de police, chapeau bas, se mettait aux ordres de M. Le Tellier. Lâastronome exerçait une maniĂšre de dictature. Les masses craintives, en mal de faiblesse, avaient flairĂ© sa compĂ©tence, et lâadoptaient comme protecteur. Il feuilleta posĂ©ment le cahier rouge, puis le serra dans sa poche. Ensuite, escortĂ© dâun Ă©tat-major de personnages divers, il entreprit dâaccomplir le tour de lâespace impraticable en le frappant du plat de la main⊠Lâair, Ă chaque gifle, rendait un son mat. Un agent lâimita ; ses camarades, rassurĂ©s, se mirent Ă©galement Ă claquer lâatmosphĂšre impĂ©nĂ©trable ; si bien que tout le cordon tapait, et quâils semblaient procĂ©der Ă un exercice de passage Ă tabac simulĂ©. Cette boxe dans le vide faisait cependant un bruit de lavoir. M. Le Tellier sâempressa dây mettre fin. Mais il avait suffi de cette brĂšve dĂ©monstration dâensemble pour rĂ©vĂ©ler visuellement la prĂ©sence dâun grand corps invisible et le dessin quâil affectait Ă la hauteur des agents. Le public des Ă©tages supĂ©rieurs lâavait saisi dâun coup dâĆil, et, comme on nâoubliait pas la lĂ©zarde inexplicable du Pavillon, les esprits voltĂšrent et lâĂ©vĂ©nement changea de formule Une grande chose oblongue, invisible, venait de tomber du ciel, aprĂšs avoir failli terrasser le ProlĂ©taire et chavirer lâoiseau bleu ». M. Le Tellier, continuant sa ronde, palpait toujours ; mais, aux deux bouts de la chose, il lui fallut un escabeau pour lâatteindre les extrĂ©mitĂ©s sâen relevaient ; lâune dâelles, dâailleurs, correspondait Ă la terminaison de lâĂ©raflure dans la rotonde de Hanovre, et cette Ă©raflure finissait Ă deux mĂštres du trottoir. Lâautre extrĂ©mitĂ©, dans la rue de la ChaussĂ©e-dâAntin, fut lâobjet dâune attention soutenue de la part de lâastronome. Un escabeau plus Ă©levĂ© vogua par-dessus les tĂȘtes, de mains en mains, jusquâĂ lui. M. Le Tellier donna quelques instructions aussitĂŽt transmises. Des courriers cyclistes sâĂ©loignĂšrent. Et lâexamen de la chose se poursuivit. DâaprĂšs les gestes et le manĂšge du toucheur, il semblait quâelle fĂ»t terminĂ©e par deux pointes, Ă lâexemple dâune torpille⊠On devine ce quâun tel mot pouvait dĂ©chaĂźner dâapprĂ©hensions ! Il nây manqua point. MĂ©tĂ©ore », Ă©toile filante », on lâavait dĂ©jĂ dit ; ce nâĂ©tait rien. Mais torpille» ! Engin fabriquĂ© ! Machine explosive ! Bombe enfin, et dĂ©mesurĂ©e !⊠Est-ce que les Sarvants Ă©taient des anarchistes ? des nihilistes ayant rĂ©solu la perte de Paris ?⊠Les brigades centrales et un bataillon de la garde rĂ©publicaine, demandĂ©s par M. Le Tellier, arrivĂšrent Ă point nommĂ© pour contenir une dĂ©route aussi dangereuse quâune Ă©meute. La troupe rĂ©gularisa lâĂ©coulement des citoyens, les refoula sans rudesse et dĂ©blaya le carrefour. Il Ă©tait libre Ă lâapparition de trois automobiles Ă©carlates, pleines de pompiers aux casques reluisants, qui tournĂšrent le coin de la rue de la MichodiĂšre au lugubre tocsin de leur trompe Ă deux notes. Peu de temps aprĂšs, nouveaux arrivages de pompiers. Ceux-ci apportaient des cordes et des crics. M. Le Tellier leur demanda de former le cercle, et prononça cette courte harangue, dâune voix que ses familiers nâauraient pas reconnue â Messieurs, M. le prĂ©fet de police vous a fait venir ici pour mener Ă bien une tĂąche peu banale. Tout Ă lâheure un objet volumineux est tombĂ© sur Paris ; â Ă vous dâen dĂ©barrasser la voie publique. » Cet objet, vous ne pouvez pas le voir. Il est lĂ , dans le cordon fermĂ© des agents qui le cernent. Il est lĂ , sur cette couche de misĂ©rables gisants ; câest lui qui les comprime. » Je vous dis quâil est invisible ; ne vous en effrayez pas ; pour les savants, câest une chose assez naturelle. Dites-vous simplement que cet objet bĂ©nĂ©ficie dâune transparence absolue, cela vous aidera Ă comprendre. » Quâest-ce au juste ? Nous nâen savons rien. Et il est trĂšs important que nous le sachions. Aussi ai-je rĂ©solu, dâaccord avec les autoritĂ©s, de faire transporter lâobjet au Grand-Palais, oĂč nous pourrons lâĂ©tudier Ă loisir. » Câest grand. Mais jâai tout lieu de supposer que ce nâest pas si lourd quâon pourrait le croire. Câest fait comme une navette de tisserand qui atteindrait la taille dâun ballon dirigeable⊠sans nacelle. Câest un fuseau dont le milieu seul est carrĂ© et dont les bouts sont deux cĂŽnes effilĂ©s, pointus, â tout Ă fait comme un havane de luxe⊠» Je vous recommande la partie qui se trouve dans la ChaussĂ©e-dâAntin. Elle est⊠agrĂ©mentĂ©e dâun⊠systĂšme⊠dont il faut prendre soin. » Je crois pouvoir vous assurer quâil nây a aucun danger. Cependant, quoique lâobjet soit dâune substance trĂšs ferme au toucher, je vous prie dâagir avec beaucoup de prudence, comme si votre charge Ă©tait aussi fragile quâune verrerie, et comme si la mort en devait sortir par la moindre fĂȘlure⊠» Approchons-nous. » Il est Ă©chouĂ© en travers⊠Il obstrue le carrefour, voyez-vous⊠Tenez je suis de lâautre cĂŽtĂ© et maintenant il faut que je crie pour me faire entendre de vousâŠ, il arrĂȘte les ondes sonores, mais pas les rayons visuels⊠» Allons, au travail ! » Les officiers distribuĂšrent cent hommes Ă droite et Ă gauche de lâinvisibilitĂ©. Cinquante cordes furent glissĂ©es dessous, parmi le fatras de lâĂ©crasement. Chaque sapeur tenait le bout dâun grelin. Un capitaine commanda â HÎ⊠Hisse ! » Les cordes se raidirent, soulevant leur faix mystĂ©rieux. Mais chacune Ă©pousait le profil de son point dâapplication, et ainsi les cinquante cordes trahissaient la platitude naviculaire qui pesait sur elles. Rien nâĂ©tait plus singulier que ces Ă©lingues tendues mais non rectilignes. Ces pompiers firent une conversion que gĂȘna lâinextricable enchevĂȘtrement convulsif, puis, entremĂȘlĂ©es de sergents de ville soutenant lâinvisible fardeau et jouant les cariatides au rancart, dont lâeffort sâĂ©ternise Ă supporter le nĂ©ant, â leurs deux files parallĂšles se mirent en marche vers lâOpĂ©ra. Un escadron de gardes municipaux encadrait le convoi funambulesque. Lâinfanterie de la garnison faisait la haie sur sa route, contenant avec peine les flots de gavroches et de midinettes, de bourgeois et dâapaches qui sâaccumulaient pĂȘle-mĂȘle. Une lĂ©gende se propageait Ă travers les groupes, nĂ©e de lâallocution mal interprĂ©tĂ©e de M. Le Tellier autant que de son titre dâastronome ; on disait quâun ballon dirigeable en cristal de roche Ă©tait arrivĂ© de la lune, montĂ© par des SĂ©lĂ©nites, et quâon ne pouvait pas le connaĂźtre avec les yeux. PrĂ©sentĂ©e dans ces termes, lâaventure provoqua des risĂ©es ; la peur dâĂȘtre dupe enfanta le soupçon dâune duperie, Ă laquelle certains croiront jusquâĂ la fin de leurs jours. Rue de la Paix, de la corniche aux entresols, une floraison dâessayeuses et de mannequins, un babil de couturiĂšres et de modistes se penchait aux fenĂȘtres pour voir passer⊠ce qui passerait. Lâahurissement les fit taire. Ben quoi, câĂ©tait tout ça ? Des ficelles quâon portait comme si quây aurait quĂ©que chose dessus ? Et puis les flics qui faisaient des chichis de mains en lâair ? Ah ! mince dâenterrement ! OĂčâs quâest le catafalque !⊠» â La notion de lâinvisible surpassait leurs moyens. Rue de Rivoli, un marmiton lança une bille au-dessus des cordes pour voir des fois si câĂ©tait pas quâon se payait le blair du fils Ă son dab ». La bille ricocha sur un casque. On arrĂȘta le gamin, pour lâĂ©dification des plĂšbes. Le cortĂšge avançait. Place de la Concorde, six gĂ©nĂ©rations de Parisiens, de provinciaux, dâĂ©trangers, Ă©taient Ă lâentour comme un sable mouvant qui sâamassait en dunes derriĂšre les ribambelles de soldats, lâarme au pied. La foule donnait lâimpression de lâhumanitĂ©. M. Le Tellier, avec le prĂ©fet de police, marchait Ă lâavant-garde. Chemin faisant, il consultait le cahier rouge. On lâentendit, devant lâobĂ©lisque, envoyer des gardes Ă cheval au ministĂšre de la Marine, tout proche, au Bassin dâessai des carĂšnes Ă Grenelle et Ă lâĂcole supĂ©rieure dâAĂ©ronautique, avec mission de convoquer au Grand-Palais le plus grand nombre dâofficiers de mer dĂ©tachĂ©s Ă Paris. Les questions pleuvaient sur les porteurs de cordes ; mais la consigne les rendait sourds. Ils Ă©prouvaient la sensation de transporter une vastitude relativement lĂ©gĂšre, mais offrant beaucoup de rĂ©sistance et dâinertie, â ce quâils attribuaient dâeux-mĂȘmes au cubage. Entre les chevaux de Marly, la colonne hĂątive oscilla. Sous les visiĂšres de mĂ©tal ou de cuir, des faces pĂ©tries dâalarme sâĂ©taient retournĂ©es. Un murmure grandissant accourait du lointain⊠Mais ce nâĂ©tait pas la venue dâun second dĂ©sastre. La course ! La course revenait ! â On lâavait oubliĂ©e⊠Deux atomes germaient au fond du ciel, deux dragons chimĂ©riques et vrais, fils de lâHomme et de la Science, luttant de grĂące et de rafale, qui arrivaient dans un sillage de hourrahs plus beau que nulle symphonie. LâĂpervier distançait le ProlĂ©taire ! Il fondait au but, flĂšche pour la vitesse, arbalĂšte pour lâapparence⊠Le canon, gravement, consacra le triomphe de lâoiseau bleu. Par un chassĂ©-croisĂ© de leurs destins, le capitaine Santus rentrait dans lâombre et M. Le Tellier le remplaçait au pavois du renom, prĂšs de M. dâAgnĂšs. Mais Paris ne savait pas que ses idoles, si contraires pourtant, nâavaient toutes les deux quâune pensĂ©e dans lâĂąme et quâun amour au cĆur et quâun nom sur les lĂšvres â Marie-ThĂ©rĂšse. xiSuite du Journal AffairĂ© par la conduite de son appareil, le pilote de lâĂpervier nâavait rien remarquĂ© de lâĂ©motion gĂ©nĂ©rale. Il apprit lâĂ©vĂ©nement miraculeux Ă sa descente dâaĂ©roplane, au milieu dâune assistance clairsemĂ©e. LâagglomĂ©ration sâĂ©tait portĂ©e vers le Grand-Palais, oĂč maintenant convergeait lâĂ©toile centripĂšte du mouvement parisien. Le pont Alexandre Ă©tirait la presse des Ă©migrants ; le duc dâAgnĂšs sây engagea. Nâentrait pas qui voulait dans lâĂ©difice sĂ©vĂšrement consignĂ©. Le 131e de ligne en gardait les portails contre une dĂ©mocratie sans vergogne et, de plus, incommensurable. Lâaviateur se prĂ©senta au colonel-portier en mĂȘme temps que trois officiers de marine. Ayant fait valoir leurs titres, ils passĂšrent. La tranquillitĂ© du hall plusieurs fois cathĂ©dralesque, si dĂ©sert, Ă peine Ă©gayĂ© de moineaux pĂ©piards, contrastait bizarrement avec le meeting forcenĂ© de lâextĂ©rieur. Ă cette date de lâannĂ©e, le temple des Salons et du Concours Hippique se trouvait en vacance. Au centre de son aire immense qui vous donnait un vertige horizontal, sous sa voĂ»te vitrĂ©e dont la hauteur dâabĂźme vous donnait un vertige Ă lâenvers, se groupait une rĂ©union de messieurs â infiniment petits. Ă lâĂ©cart, des agents-pygmĂ©es et des pompiers-cirons, assis par terre, semblaient se reposer. Le duc dâAgnĂšs savait bien quâil sâagissait dâune chose invisible, â il nâen fut pas moins surpris de ne rien voir. Il reconnut dans le groupe le docteur Monbardeau et M. Le Tellier qui causait avec le prĂ©fet de police. â Enfin, » disait ce dernier, si vous y tenez absolument, lisez-le. » â Câest indispensable », repartait M. Le Tellier. Je demande instamment que personne ne touche Ă lâobjet avant que nous ayons pris connaissance de tout le journal. Cela nous Ă©vitera sĂ»rement des anicroches et peut-ĂȘtre des accidents. » â Soit », accorda le prĂ©fet de police. Et sâadressant aux officiers Messieurs, faites dĂ©jeuner vos hommes », dit-il. Les voix, aigrelettes dâabord, sâamplifiaient de rĂ©sonances caverneuses et tonitruantes qui Ă©clataient aux angles de lâarchitecture. â Ha ! monsieur ! » fit lâastronome en apercevant le duc. Venez ! quâon vous fĂ©licite ! et quâon vous raconte une histoire ! » Le jeune vainqueur sourit des fĂ©licitations, et manqua pleurer au rĂ©cit de lâhistoire, qui lui apprenait la mort de Robert Collin. Mais ce qui lâintriguait en premier, câĂ©tait la chose invisible, cette chose qui lâavait ballottĂ© si rudement au-dessus du Pavillon de Hanovre. â OĂč est-elle ? oĂč est-elle ? » disait-il. â Tenez, » indiqua M. Le Tellier, marchez droit devant vous, sur ce pilier de fonte ; vous la rencontrerez. » Puis, sur le ton du secret, il ajouta dans un murmure Vous savez, il y a une espĂšce dâhĂ©lice, Ă lâarriĂšre ! » M. dâAgnĂšs marcha les bras en avant, comme celui qui est dans le noir ou qui est aveugle, et sâen alla donner contre la chose dure, lisse, froide et qui, pour son regard, nâexistait pas. Alors M. Le Tellier lui montra dans la poussiĂšre une empreinte aplatie, de forme naviculaire, semblable au cachet ogival des prĂ©lats ; il lui dit que cela Ă©tait causĂ© par le fond, la base, lâappui de cette Ă©trangetĂ© ; et il lui montra, tout autour, de pauvres petits pierrots qui, en volant, Ă©taient venus se briser la tĂȘte contre ce rempart insoupçonnable. â Remarquez, » acheva-t-il, ce vent coulis que nous sentions, nous ne le sentons plus ! La chose lâintercepte. Nous serons Ă merveille, pour lire le journal de Robert, Ă lâabri de ce paravent singulier⊠» Il ouvrit le cahier rouge. Ses auditeurs se rassemblĂšrent. M. Le Tellier sâadossa paisiblement au vide et reprit sa lecture da capo. Il revit la formation du cylindre de glace autour de Robert Ă©perdu montant vers le zĂ©nith, puis la disparition du bocal inattendu ; enfin il rĂ©pĂ©ta cette phrase du mĂ©moire oĂč lâavait arrĂȘtĂ© la clameur populaire â ⊠Câest alors que je voulus reprendre ma jumelle pour observer cette macule. Mais je me rappelai quâaux premiers instants de ma pĂąmoison elle sâĂ©tait Ă©chappĂ©e de mes mains. Jâen ressentais une forte contrariĂ©tĂ©, quand, Ă ma profonde stupeur, je lâaperçus prĂšs de moi, baignant dans une mare dâeau circulaire oĂč jâĂ©tais moi-mĂȘme affaissĂ©, â un grand palet liquide, imprĂ©vu, de 4 mĂštres de diamĂštre environ, absolument comme lâeau visible dâun tub invisible. Cette flaque ronde mâemportait comme le tapis de la fable persane. Jây prenais un bain de siĂšge forcĂ©, mais je bĂ©nissais lâillusion de support permettant Ă mes yeux de se reposer sur quelque chose et me dĂ©livrant ainsi du vertige. â Au travers car elle Ă©tait claire et paisible la Terre indĂ©finie pĂąlissait. Je compris que cette eau provenait de la fonte du cylindre. Et puisquâelle Ă©tait lĂ , ronde et plane autant quâune meule, câest quâil y avait sous elle un invisible plancher qui nous supportait, elle, moi et ma lorgnette. La glace â pardieu ! â sâĂ©tait formĂ©e Ă lâintĂ©rieur dâun cylindre matĂ©riel, permanent, mais invisible, une tourelle-ascenseur Ă lâaide de quoi les habitants de cette macule carrĂ©e enlevaient leurs prisonniers jusquâĂ eux ! Je nâĂ©tais ni dans une colonne dâatmosphĂšre aspirĂ©e, ni dans un fluide magnĂ©tique, mais dans un monte-charge invisible, mĂ» par une force ignorĂ©e, un vase clos oĂč la pression et la tempĂ©rature Ă©taient maintenues Ă©gales Ă celles dâen bas, oĂč par consĂ©quent le baromĂštre et le thermomĂštre indiquaient toujours les mĂȘmes chiffres⊠Et tout Ă lâheure, quand la glace avait fait son apparition, quand jâavais dĂ©failli, â la cause ? Une panne ! Une simple panne de cette organisation !⊠Jâen demeurai quelque temps assommé⊠Toutefois, nous autres astronomes, nous ne saurions nous Ă©merveiller longtemps Ă propos dâune invisibilitĂ© quelconque[11], et, si admiratif que je fusse dâun pavillon, dâune logette, qui, aprĂšs tout, nâĂ©tait pour mes yeux que ce quâun vĂ©ritable ascenseur a toujours Ă©tĂ© pour mon nez, câest-Ă -dire imperceptible ; qui nâĂ©tait pour mes yeux que ce que lâoxygĂšne, par exemple, a toujours Ă©tĂ© pour eux, câest-Ă -dire invisible mais qui pour mes mains Ă©tait bel et bien dur, poli, tournant et froid, et qui, heurtĂ© du doigt, sonnait Ă mes oreilles ; â cela ne mâempĂ©cha pas de sĂ©cher ma jumelle avec mon mouchoir, afin de regarder la macule carrĂ©e oĂč lâingĂ©nieuse benne allait sans aucun doute me dĂ©poser. AssurĂ©ment, la benne, on la hissait de lĂ -haut car, Ă de telles altitudes, il ne pouvait ĂȘtre question dâaĂ©rostats, mĂȘme gonflĂ©s dâhydrogĂšne pur, et encore moins de plus lourds que lâair. Drisses invisibles ? Courant hertziens ? Attraction aimantĂ©e ? Lâun ou lâautre. â CâĂ©tait de la macule quâon mâexpĂ©dierait dans une planĂšte⊠Je raisonnais comme cela, et je me trompais. Plus jâavais montĂ©, plus sâĂ©tait accentuĂ© vers le sud lâĂ©cart de cette macule, qui se prĂ©senta sous lâaspect dâun carrĂ© brun, quadrillĂ© de lignes sans couleur. Je piquais donc vers autre part. Et ceci me donna de lâennui. Lâhorizon terrestre sâĂ©tait Ă©levĂ© au cours de mon ascension. Au sud, Ă lâouest, au nord, il se teintait dâun bleu-vert caractĂ©ristique⊠Les mers ! Il fallait que je fusse prodigieusement haut ! Ayant fait des approximations numĂ©riques, je trouvai que nous devions ĂȘtre Ă 40 kilomĂštres du sol⊠Encore 10 et jâatteindrais une zone⊠Ah ! bigre ! » pensai-je. Câest bien par lĂ que la science situe⊠Voyons donc, que dit-elle de lâatmosphĂšre, la science, au point de vue qui mâintĂ©resse ? » LâatmosphĂšre couche gazeuse qui enveloppe la Terre et la suit dans tous ses mouvements. Son Ă©paisseur nâest pas connue avec certitude. On sait quâelle ne se perd pas dans le vide ; câest tout. Sa limite thĂ©orique serait Ă lieues ; les apprĂ©ciations varient de 70 kilomĂštres Ă ! » Ce quâon sait de source Ă©vidente, câest quâil y a dans lâatmosphĂšre deux couches distinctes » Lâune, la plus basse, en contact avec le sol, mesure Ă peu prĂšs 50 kilomĂštres de profondeur. Elle est riche, instable, parcourue de nuĂ©es, tourmentĂ©e de vents. Elle est le milieu propre Ă la vie terrestre, et câest dâelle que parlent les gens quand ils parlent de lâatmosphĂšre ». Cette couche se rarĂ©fie Ă mesure quâelle sâĂ©loigne du sol et, vers 50 kilomĂštres, elle devient le vide, â non pas le vide absolu, non pas lâĂ©ther, mais le vide relatif, quâon peut obtenir par la machine pneumatique. » Câest ce vide relatif qui constitue la deuxiĂšme couche dâatmosphĂšre, dont lâĂ©paisseur est problĂ©matique. Celle-ci est une atmosphĂšre Ă©thĂ©rĂ©e, selon le mot de QuĂ©telet ; câest un vide Ă peine nuancĂ© dâair, un vide lĂ©gĂšrement aĂ©rĂ©, oĂč lâhomme ne pourrait pas plus vivre que dans le vide absolu. Zone stable et sereine, elle se superpose Ă la premiĂšre â insensiblement, disent les mĂ©tĂ©orologistes, mais certainement vers 50 kilomĂštres â et peu Ă peu devient le vide absolu. » Ainsi donc, pour peu que mon ascension se poursuivĂźt, jâallais pĂ©nĂ©trer dans cette couche aussi terrible pour moi que le fond de lâeau !⊠Et le milieu que je traversais devait ĂȘtre dĂ©jĂ si rarĂ©fiĂ© !⊠Mais alors, la macule ? La macule, je lâobservai. Sur le ciel extraordinairement foncĂ©, elle Ă©tait presque de niveau avec moi. Je la voyais donc Ă lâaise. Comme de raison, elle avait changĂ© de forme. â Mais mes yeux sont mĂ©diocres, et jây portai la jumelle. En mĂȘme temps, je dĂ©bouclai la courroie de mon appareil photographique pour mâen servir⊠Paf ! Une secousse violente me renversa tout de mon long dans la flaque soudain clapotante, et â malheur ! â mes besicles tombĂšrent et ma jumelle mâĂ©chappa ! SimultanĂ©ment, il me sembla que la nuit tombait tout Ă coup en dessus de moi. Jâentendis au-dessus de moi des glissements mĂ©talliques, des chocs secs⊠Lâhorrible Ă©treinte rigide qui mâavait enlevĂ© du Colombier me ressaisit, et, juste Ă lâinstant oĂč je tirais de ma poche des besicles de rechange, je me sentis soulevĂ© verticalement, puis arrĂȘtĂ©. Jâentendis sous moi un glissement mĂ©tallique ; lâĂ©treinte me baissa dâun pouce, me lĂącha, et je me trouvai debout sur un nouveau support invisible qui devait ĂȘtre Ă la hauteur du plafond du cylindre, â si je me rappelais correctement lâapparition glacĂ©e. Ă quelque 5 mĂštres plus bas, la flaque ronde se calmait. Pour comble de malchance, mon appareil photographique sâĂ©tait dĂ©tachĂ© aussi je le voyais nageant, hors dâatteinte, prĂšs de ma jumelle et de mes lunettes. CâĂ©tait un grand dĂ©sastre pour moi. Mais⊠[Ici quelques mots biffĂ©s.] Or, le ciel, tout dâun coup, Ă©tait devenu noir comme de lâencre, et cependant il faisait jour. Du haut de la nouvelle cabine oĂč je comprenais bien quâon mâavait transvasĂ© aprĂšs lâavoir superposĂ©e Ă la premiĂšre, voici ce que je dĂ©couvrais Une surface horizontale sâĂ©talait au loin, de tous cĂŽtĂ©s, absolument nue et calme. Elle dĂ©crivait autour de moi, Ă lâhorizon, lâimmense circonfĂ©rence de la pleine mer, et au-dessus dâelle le firmament Ă©tait une coupole noire oĂč les astres brillaient Ă outrance, tous, et tous fixes. Et dans ce ciel ultra-nocturne, pareil Ă celui quâon verrait de la lune ou de quelque astre sans atmosphĂšre, le soleil, sans rayons, dĂ©clinait, large disque prĂ©cis. La surface neigeuse de cette mer luisait argentine vers lâhorizon ; mais plus elle Ă©tait prĂšs de moi, moins elle luisait et plus elle devenait diaphane, idĂ©ale, fantomatique ; elle finissait par disparaĂźtre ; sous moi, je nâavais que lâabĂźme de mĂštres, sans que rien sâinterposĂąt entre lui et mes yeux, et cet abĂźme Ă©tait plein de lumiĂšre. Je me trouvais Ă la surface dâun ocĂ©an de clartĂ©, ou plutĂŽt dâatmosphĂšre, â un ocĂ©an dont on voyait le fond la Terre, avec les algues de ses forĂȘts, les bancs de ses montagnes. Je venais dâĂ©merger dans un milieu mortel, Ă la surface dâune mer atmosphĂ©rique ; et cette mer nâĂ©tait autre que la premiĂšre couche, la fameuse premiĂšre couche, qui ne sâachevait pas graduellement, par une progression rarĂ©fiĂ©e, comme la science lâavait supposĂ© Ă bon droit, â mais qui sâachevait tout dâun coup, net, comme une mer vĂ©ritable. Si contraire que cela fĂ»t aux propriĂ©tĂ©s expansives des gaz, les deux atmosphĂšres se superposaient comme deux liquides de densitĂ© diffĂ©rente ; et Ă prĂ©sent le vide horrifique mâenvironnait. Dans mon nouveau rĂ©cipient, mĂȘme tempĂ©rature et mĂȘme pression que tout Ă lâheure ; mĂȘme bruit de clapets. Je mâaventurai Ă palper lâinvisible case, et je la trouvai cubique et exiguĂ« ; je pouvais toucher le plafond. Comme je me livrais Ă cette occupation, un grincement innombrable se fit entendre aux parois de ma cellule et sur le toit ?. Raclement de ferrailles, cliquetis de crochets. Tout cela ne devait faire aucun bruit Ă lâextĂ©rieur, dans le vide, mauvais mĂ©dium ; mais moi, dans mon cube dâair conducteur de sonoritĂ©s comme de lumiĂšre, jâentendais tout ce qui touchait les cloisons. Soudainement, je me sentis puissamment enlevĂ©, moi et ma loge, et grĂące Ă mes trois objets perdus qui semblĂšrent tout Ă coup sâabaisser et dĂ©crire un arc plongeant, je devinai quâon venait de me faire dĂ©crire une courbe montante assez compliquĂ©e, analogue Ă celle des marchandises au bout dâune grue Ă vapeur, quand on les dĂ©charge⊠Lâeau de la flaque, lĂ -bas, avait disparu ; sans doute le dĂ©part de ma cabine lâavait mise en contact avec le vide â et lâon sait que dans le vide il nây a pas de liquide possible. Immobile Ă prĂ©sent, plus haut quâavant, je regardais, stupide, ma jumelle et mon dĂ©tective perdus⊠Le vertige me reprenait⊠Et puis voilĂ que les grincements recommencĂšrent et que la cabine sâĂ©branla. Des cahots la faisaient rĂ©sonner ; un roulement de roues me parvint, rĂ©percutĂ© Ă travers la substance invisible, et je vis sâĂ©loigner jumelle et dĂ©tective. Je me retournai brusquement dans le sens de la marche, hors de moi Ă la pensĂ©e quâun accident pouvait me mettre en contact avec le vide, et voulant savoir oĂč jâallais⊠La macule venait Ă moi. Elle me parut situĂ©e Ă 4 oĂč 5 kilomĂštres vers le sud les Ă©toiles me renseignĂšrent mieux que la boussole, qui fonctionnait mal. Autant que mes besicles me permettaient de lâestimer, câĂ©tait une espĂšce de maison Ă claire-voie. La seule caractĂ©ristique dont je pus mâassurer â et facilement â câest quâelle nâĂ©tait pas posĂ©e comme un ponton, Ă mĂȘme le plateau rĂȘveur et fantĂŽmal, mais quâelle semblait se tenir toute seule dans le vide, passablement haut â Ă 12 fois sa hauteur au-dessus de la mer atmosphĂ©rique. Je crois que jâĂ©cris trĂšs mal. Mais si on savait dans quelle situation je me trouve ! Et mon vĂ©hicule invisible, lui non plus, ne cheminait pas au niveau de la mer aĂ©rienne. Il suivait une ligne onduleuse, Ă des hauteurs variables, traçant des sinuositĂ©s de bas en haut, de droite Ă gauche, montant et descendant des pentes, tournant des coudes, ralentissant aux montĂ©es, accĂ©lĂ©rant aux descentes, mais se rapprochant continĂ»ment de la maison Ă claire-voie. On aurait dit quâil roulait sur une route invisible, sur un sol invisible posĂ© Ă mĂȘme la surface de lâair ainsi quâune Ăźle flottante. On aurait dit que, parvenu Ă certain havre cĂ©leste, aprĂšs une traversĂ©e gazeuse, un palan mâavait dĂ©posĂ© sur un quai, sur un camion qui attendait lĂ , et que ce camion me transportait par une route flexueuse, Ă travers un paysage inaperçu, Ă destination de cette bĂątisse grillagĂ©e, visible celle-lĂ , mais construite sur une colline indiscernable⊠Jâallais enfin connaĂźtre mes ravisseurs et revoir la personne pour qui jâĂ©tais venu. Le vertige pourtant se fit sentir Ă nouveau, plus fort que jamais, aggravĂ© par lâallure montagnes russes » de mon wagon. Wagon ? Je dus Ă©tendre ma pelisse sur le plancher ? pour le solidifier Ă mes yeux et leur cacher la vue de la Terre-fond-dâabĂźme. Quelle situation⊠énorme ! Je mâappliquai Ă me faire croire Ă moi-mĂȘme que cet Ă©trange sol inĂ©branlable et invisible, soutenu par lâatmosphĂšre Ă sa pĂ©riphĂ©rie, pouvait fort bien ĂȘtre de crĂ©ation artificielle, â pouvait ĂȘtre une fabrication dâingĂ©nieurs. Jâaurais voulu le croire, pour me rassurer de lâĂ©pouvante que me causait lâidĂ©e dâune pareille chose naturelle et inconnue, ce grenier insoupçonnĂ© de la Terre⊠ce grenier de DamoclĂšs⊠JâĂ©tais suprĂȘmement surexcité⊠Cette idĂ©e tournoyait sous mon crĂąne comme un papillon affolĂ© dans une boĂźte, â cette idĂ©e, sous cette forme puĂ©rile et morbide que certains savants, sâĂ©tant donnĂ© de lâair, Ă©taient devenus les Sarvants !!! â Mais jâavais beau faire je sentais bien que jâĂ©tais dans un monde naturel. Le mieux, le plus agrĂ©able, Ă©tait de supposer que ses habitants Ă©taient les hommes mĂȘmes qui lâavaient dĂ©couvert⊠peut-ĂȘtre des hommes invisibilisĂ©s⊠peut-ĂȘtre visibles autant que moi-mĂȘme, â et que jâallais les voir, enfin, dans leur chĂąteau de palissades. Des palissades. Il me semblait toujours que câĂ©taient des palissades. Il arrivait, ce chĂąteau ; je gravissais la cĂŽte vers lui. Je gravissais lâinvisible montagne, au milieu du vide. Jâascensionnais au-dessus de lâAir maintenant, vers la construction. Je ressentais le besoin de tĂ©moigner la joie qui mâenvahissait Ă cause de la personne que je venais rejoindre ici⊠et dont cette bastille contenait probablement⊠[Encore des mots biffĂ©s.] Ah ! cette bastille ! elle me mĂ©nageait le plus atroce crĂšve-cĆur⊠» En lisant ces derniers mots, M. Le Tellier ne put se dĂ©fendre dâune grande Ă©motion. Le cahier rouge trembla dans ses mains comme sâil eĂ»t Ă©tĂ© vivant et sur le point de mourir. La lecture sâacheva sur un couac dâautant plus impressionnant quâil Ă©tait un peu risible⊠Ce que voyant, le duc dâAgnĂšs, â qui Ă©coutait, les sourcils froncĂ©s, â sâempara du journal et continua de cette façon xiiSuite du Journal La masse visible vers laquelle on me charriait sur une rampe serpentante dont la roideur inclinait mon plancher et faisait gĂ©mir les roues sous lâeffort dâune Ă©nergie plus active, â la masse, la macule, la bastille, nâĂ©tait pas une maison Ă claire-voie. Ce nâĂ©tait pas une bonne, solide et visible maison comme il y en a sur terre. BientĂŽt mes yeux, si dĂ©fectueux, virent que cette masse sâĂ©parpillait en une quantitĂ© de petites masses distinctes qui, Ă la clartĂ© crue du ciel noir, me parurent violemment blanches et noires. Ces petites masses se disposaient en Ă©chelons par bandes horizontales, comme des choses posĂ©es sur une Ă©tagĂšre invisible, â comme des choses et des ĂȘtres posĂ©s sur les Ă©tages dâune maison invisible⊠Et, forcĂ©ment, câĂ©tait cela. BĂȘte que je suis de ne lâavoir pas devinĂ© dĂšs le dĂ©but ! CâĂ©tait le dĂ©pĂŽt invisible de tout ce que les Sarvants avaient remontĂ© de la Terre ! Mon fourgon inapercevable longea le rez-de-chaussĂ©e du monument pressenti. Ce rez-de-chaussĂ©e est occupĂ© par un vĂ©ritable bois, trĂšs bas, plantĂ© dans des carrĂ©s de terre quâon a, pour sĂ»r, amenĂ©e dâen bas, chargement par chargement. De la terre brune, disposĂ©e en carrĂ©s inĂ©gaux, Ă©pais. Des carrĂ©s qui sont sĂ©parĂ©s par des bandes vides, autrement dit par les murailles quâon ne voit pas. Cela fait une pĂ©piniĂšre dans une galette dâhumus qui ressemble Ă un grand damier. Et au-dessous, le sol invisible sâĂ©paissit jusquâĂ la mer atmosphĂ©rique sur laquelle il repose. Et au-dessus de ce maigre bois, oĂč je reconnus les diverses essences des arbres bugistes, jâaperçus un Ă©talement suspendu de branches sĂšches, de pierres et de rochers. Il Ă©tait facile de voir quâils Ă©taient posĂ©s au premier Ă©tage, dans des chambres correspondant aux rectangles de terre ; mais ils tenaient une moins grande superficie. Au-dessus de ces minĂ©raux, sur lâinvisible parquet du deuxiĂšme Ă©tage, je vis toutes sortes dâanimaux rĂ©partis sur un espace Ă©gal Ă celui des pierres. Tout en longeant cette façade fantastique, jâentrevis des poissons nageant au sein de parallĂ©lĂ©pipĂšdes dâeau dont on ne pouvait pas distinguer le rĂ©cipient. Arche de NoĂ©, en quelque maniĂšre. Enfin, plus haut encore, sous un dernier Ă©tage rĂ©servĂ© aux oiseaux des hommes et des femmes. â Nos tourmenteurs peut-ĂȘtre aussi ? â Jâallais savoir. Mlle L. T⊠Je la cherchais de toute ma vue⊠Les hommes et les femmes, en lâair, semblaient trĂšs occupĂ©s de mon arrivĂ©e. Jâai trĂšs bien vu ceux qui Ă©taient dissĂ©minĂ©s le long de la façade sâappuyer contre la muraille nulle-aux-yeux pour me regarder plus commodĂ©ment. La lumiĂšre du vide les rendait blafards comme des Pierrots, avec des ombres noires dans la figure. Les autres, ceux qui ne se trouvaient pas Ă la façade, restaient espacĂ©s sur toute la superficie de lâĂ©tage, comme des soldats mal rangĂ©s pour les exercices dâassouplissement⊠Ils me regardaient Ă travers la couche Ă©parse des bĂȘtes au-dessous dâeux⊠En les voyant ainsi isolĂ©s lâun de lâautre, â comme aussi des pions rangĂ©s sans soin sur les cases dâun Ă©chiquier, â en les voyant rester lĂ au lieu dâaccourir vers la façade, je compris que chacun avait une petite chambre sĂ©parĂ©e. On mâarrĂȘta presque au milieu. Quelque chose quâon accrochait fit retentir le dessus de ma cabine ; des grincements crissĂšrent tout autour ; et de nouveau je mâenlevai, rasant les plantes, puis les rocs, puis les bĂȘtes. Ă lâĂ©tage des hommes, arrĂȘt brusque. On glissa ma cellule sur le plancher de lâĂ©tage, et je devinai que maintenant elle Ă©tait incorporĂ©e Ă la masse du bĂątiment et quâelle nâĂ©tait plus quâun cube rempli dâair, juxtaposĂ© Ă dâautres cubes semblables, chacun contenant son homme ou sa femme. Tout prĂšs de moi, dans le compartiment voisin, un jeune garçon me contemplait, et tous mes frĂšres terriens Ă©taient tournĂ©s vers moi, apparitions que rien ne soutenait, semblait-il, campĂ©s paradoxalement dans du nĂ©ant, pĂąles et sombres Ă la fois, sales, repoussants, avec des figures dâasile, dâhĂŽpital ou de prison. Je cherchais Mlle L. T. dans leur foule dispersĂ©e⊠Je ne reconnus personne Ă ces physionomies de cauchemar⊠Il nây avait lĂ que des victimes, assurĂ©ment. â Les Sarvants nâĂ©taient pas visibles, eux non plus !⊠Câest lĂ que je suis encore. Mon voisin est manifestement un jeune Anglais, imberbe, hagard, vĂȘtu comme pour le golf. Cueilli en voyage ? en excursion ?⊠Lui et moi nous sommes sur lâalignement de prisonniers qui suit la façade, â qui a lâair de constituer la façade. Une autre ligne, parallĂšle. Puis une autre. Et dâautres encore. Il doit y avoir des couloirs entre les lignes de cellules invisibles. Le rang de la façade sâarrĂȘtait Ă lâAnglais quand je suis arrivĂ© ; je lâai allongĂ© dâun cube, moi dernier venu. Les premiers arrivĂ©s, on les a alignĂ©s tout lĂ -bas, sur lâautre façade⊠Ceci mâenlĂšve des chances dâapercevoir Mlle L. T. Lâhumus brun de la pĂ©piniĂšre forme, en dessous, une grille bizarre dont ce serait les barreaux qui seraient Ă jour. Ă travers ces bandes, des bandes de France apparaissent au fond du gouffre. Et puis je vois la couche Ă©parpillĂ©e des pierres, et puis le dos des animaux. ImmĂ©diatement sous mes pieds, un porc sommeille, rose et gris, au sein de lâair. ImmĂ©diatement sur ma tĂȘte, un aigle fauve, au plumage nocturne, piĂ©tine dans le vide ; ses serres jaunes sâaplatissent et se crispent sur lâinvisible fond de sa cage, souillĂ© de ses dĂ©jections. Ă chaque instant, on croit recevoir quelque chose qui tombe⊠et qui sâarrĂȘte, sans cause apparente, au milieu de sa chute. Et toujours pas de geĂŽliers ! Invisibles donc, â ou invisibilisĂ©s. Nâest-ce pas leur prĂ©sence qui produit ce grincement odieux, intermittent, dont le bruit, avec celui des clapets, est le seul bruit quâon entende ici ?⊠Comment ces hommes ont-ils rĂ©ussi Ă vivre dans le vide ? Est-ce une accoutumance ancestrale qui leur permet dâexister hors de lâatmosphĂšre ? â lâatmosphĂšre aussi indispensable Ă lâhomme que lâeau lâest aux poissons, â lâatmosphĂšre avec sa chaleur, sa pression et son oxygĂšne⊠Est-ce une race dâhommes complĂštement modifiĂ©e par un temps millĂ©naire ?⊠Câest peu probable. Nos ravisseurs, plutĂŽt, sont pourvus de scaphandres rĂ©sistants et invisibles comme eux⊠à moins que ce soit ces scaphandres qui les rendent invisibles⊠Le scaphandre de GygĂšs !⊠à moins encore que ce ne soient pas des hommes⊠Mais cette conclusion rĂ©pugne⊠Quoique⊠Quoiquâil y ait la question de classification Tous ces Ă©chantillons de la faune et de la flore terrestres sont rangĂ©s en ordre, mais pas dans lâordre des naturalistes⊠Un fait indubitable, câest que je fais partie intĂ©grante dâune collection de types, dâun musĂ©um, dâune mĂ©nagerie, â ou plutĂŽt dâun aquarium, puisque, au lieu dâĂȘtre vĂ©ritablement comme des bĂȘtes en cage, nous sommes plongĂ©s dans notre Ă©lĂ©ment vital, sicut poissons dans aquarium. Ou plutĂŽt, puisque cet Ă©lĂ©ment câest lâair, nous sommes dans un aĂ©rarium⊠Eh oui ! un aĂ©rarium aussi bien compris que lâaquarium rĂȘvĂ© par Maxime Le Tellier pour reproduire lâambiance des bas-fonds sous-marins⊠Et tous ces grincements qui me donnent la chair de poule, nâest-ce pas une multitude mystĂ©rieuse admise Ă nous contempler, moyennant peut-ĂȘtre lâacquittement dâun droit dâentrĂ©e ?⊠Cette hypothĂšse me vint dĂšs la premiĂšre minute ; son horreur obsĂ©dante me lâimpose toujours. Elle me vint en regardant toutes ces faces affreuses orientĂ©es vers la mienne⊠Ils vocifĂ©raient ! ils mâinterpellaient⊠Je nâentendais rien je les voyais crier. Le soleil trĂšs bas nous Ă©clairait par-dessous ; cela mettait sur les choses une lumiĂšre de rampe de théùtre, brutale et livide. Nos ombres ne pouvaient se projeter que sur nous-mĂȘmes. Tous, tous, des Pierre Schlemihl ! Tous, des hommes sans ombre !⊠Le soleil Ă©tait descendu sous la mer aĂ©rienne. La surface de lâAir se devinait Ă peine et seulement Ă lâhorizon, sous lâaspect dâun anneau plat, diaphane, visionnaire. La Terre immense, creuse et diffuse, blondissait dans le soir. Il y avait un ruban bleu entre lâhorizon terrestre et lâhorizon de la mer aĂ©rienne, â un ruban circulaire, â et, en faisant des yeux le tour du bas de ce ruban, jâai distinguĂ© quand on mâa rendu ma jumelle, ce que je raconterai tout Ă lâheure, jâai distinguĂ© les pays. Dâici on voit les BalĂ©ares, la moitiĂ© de la Sardaigne et jusquâĂ Leipzig, Amsterdam, jusquâĂ Londres et Rome ; dâici on dĂ©couvre un cercle europĂ©en de kilomĂštres de diamĂštre, un tapis gĂ©ographique Ă©talĂ© en creux, en forme de coupe, et qui dĂ©borde largement lâĂ©cran quadrillĂ© que fait la pĂ©piniĂšre du rez-de-chaussĂ©e. Les mers semblent des plaines sombres. Beaucoup de brume, aux lointains surtout. Le soleil se coucha tout dâun coup, mais le jour avait durĂ© plus longtemps que sur terre, et jâavais vu la nuit entĂ©nĂ©brer lâAllemagne quand lâocĂ©an Atlantique Ă©tait encore ensoleillĂ©. Au ciel, dâun noir effrayant, les Ă©toiles brillaient dâun Ă©clat incomparable. La mer atmosphĂ©rique luisait sereinement. De-ci de-lĂ , par la Terre obscure, des taches vaporeuses, phosphorescentes, dĂ©celaient la place des grandes villes. Les clapets clapotaient dans un silence de sĂ©pulcre. Mon courage faiblit. Jâeus peur de ces gens inconnus et formidables qui mâavaient capturĂ©, â peur du lieu dâĂ©pouvante. Jâavais honte de nâĂȘtre plus quâun numĂ©ro de collection, un article sans doute Ă©tiqueté⊠Les belles Ă©toiles ne mâapparaissaient plus comme des oasis de clartĂ© au dĂ©sert de la tĂ©nĂšbre⊠Une fatigue sans nom me terrassa, et je mâendormis dans le monde invisible, aprĂšs avoir Ă©prouvĂ© un soulagement singulier Ă fermer les yeux, câest-Ă -dire Ă ne plus voir enfin quâon ne pouvait rien voir. Je me suis cru fou quand je me suis Ă©veillĂ©, ce matin 4 juillet. Ah ! mes pauvres compagnons de misĂšre, aux rayons de cette aube si basse, dans cette lumiĂšre dâoutre-mort !⊠La Terre Ă©tait une Ă©tendue verdĂątre, toute remuĂ©e et pommelĂ©e de nuages ; de temps en temps, les Alpes jetaient un feu blanc. Mais lâaĂ©rarium ! avec ses dĂ©tenus dans toutes les postures de la misĂšre, du dĂ©sespoir et de la maladie ! soutenus en lâair comme par des fils invisibles !⊠Pendant la nuit, on mâavait rendu ma jumelle et mon appareil photographique, â certainement pour voir ce que jâen ferais. â Lâappareil est cassĂ© ; jâen pleurerais !⊠Avec la jumelle, je commençai Ă passer la revue des hommes. Mais beaucoup me tournaient le dos. Je nâai reconnu personne. PrĂšs de chaque pensionnaire de lâaĂ©rarium â mĂȘme prĂšs de chaque animal â on avait glissĂ© nuitamment des feuilles de salade, des carottes et de lâeau trĂšs belle qui affectait la forme intĂ©rieure de son vase invisible un Ćuf aplati par le haut et le bas. Câest un drĂŽle de spectacle. â Mon voisin dĂ©vorait sa salade⊠En dessous de lui, un chien de berger lapait son eau ovoĂŻdale⊠Dans le but de correspondre avec mon voisin, jâĂ©crivis sur un carnet Parlez-vous français ? » et lui prĂ©sentai la page. Il secoua la tĂȘte et se remit Ă dĂ©vorer sa salade⊠Mais alors un autre jeune homme, trĂšs maigre, occupant la cellule dâaprĂšs, attira mon attention par des mimiques. Aux questions de mon carnet il rĂ©pondit par gestes, nâayant ni papier ni crayon. Jâai cru comprendre quâil Ă©tait reporter et quâil avait Ă©tĂ© enlevĂ© dans les environs de Culoz. Il semble avoir peur dâune chose que je nâarrive pas Ă saisir. Un incident troubla cet entretien. Vers le nord, je vis sâĂ©lever de la Terre un point noir. Ă la jumelle, câĂ©tait un homme. Il semblait lancĂ© par une baliste. Il sâarrĂȘta Ă 3 kilomĂštres de nous en horizontale, Ă lâendroit oĂč je suis arrivĂ© hier au dĂ©barcadĂšre. Nous le vĂźmes soulevĂ© par la grue, puis vĂ©hiculĂ© au flanc de notre colline, â peut-ĂȘtre Ă travers des rues et des boulevards invisibles ? â Mes codĂ©tenus le regardaient attentivement. Ils paraissaient heureux de ne pas le reconnaĂźtre⊠Il fut hissĂ© Ă mon niveau. Mais on nâen fit pas mon voisin immĂ©diat ; on laissa entre lui et moi, le long de la façade, lâespace de deux cellules environ. Cette solution de continuitĂ© se rĂ©pĂšte Ă tous les Ă©tages et marque le milieu de lâaĂ©rarium, cĂŽtĂ© façade. CâĂ©tait un paysan violĂątre, ahuri, en chemise. â Je me rendis compte, Ă ce moment, que le nombre des oiseaux sâĂ©tait accru pendant la nuit, â une chouette, un chat-huant, un grand-duc. Lâinfernal piĂšge bourdonnant a bien travaillĂ© depuis hier. § Jâai encore sondĂ© lâĂ©paisseur de la foule. Cette fois jâai repĂ©rĂ© quelquâun Raflin ! le prĂ©tendant rabrouĂ© de Fabienne dâArviĂšre, â Raflin dans sa robe de chambre, avec un bonnet de coton. Par-dessus les tĂȘtes, tout lĂ -bas, du cĂŽtĂ© des premiers arrivĂ©s, une tĂȘte plus grande, â une tĂȘte de statue, de jardinier Watteau⊠et aussi un chapeau haut de forme coiffant un chef de mannequin⊠Ah ! la statue dâAnglefort et lâĂ©pouvantail !⊠Comment ! Avec les hommes !âŠâŠ Â§ Par intervalles, lâune ou lâautre de nos cellules se tapisse de givre, faisant apparaĂźtre un cube resplendissant. Le prisonnier dĂ©faille. On le voit revenir Ă lui aprĂšs la fonte. Ce ne peut ĂȘtre quâun ratĂ© momentanĂ© dans le fonctionnement des clapets. â Le froid et la sĂ©cheresse du vide qui nous entoure sont, Ă coup sĂ»r, effroyables. § GrĂące Ă une large fente que pratique dans lâhumus quadrillĂ© un invisible mur de soutĂšnement, presque sous moi, jâai pu profiter dâun entre-deux de nuages pour faire le point. Ce nâest pas facile. LâaĂ©rarium doit ĂȘtre un peu au sud du zĂ©nith de Mirastel. Avec le tĂ©lescope de M. Le Tellier, on lâapercevrait⊠Mais quel hasard conduirait sa curiositĂ© vers un lieu oĂč rien nâattire les astronomes ?⊠On croit si peu que les disparus sont en lâair ! § Vers 10 heures et demie, le soleil a Ă©mergĂ© de lâocĂ©an atmosphĂ©rique qui sâest pris Ă miroiter. Il a dĂ©crit sa courbe dans le ciel noir, comme une grosse orange Ă peine duvetĂ©e dâun halo flamboyant. Lâombre de lâaĂ©rarium sâest portĂ©e sur la couche des nuages. Puis, Ă 1 heure et demie, le soleil est rentrĂ© sous lâhorizon gazeux. Un peu plus tard, voilĂ que la statue de jardinier Watteau et le mannequin-Ă©pouvantail ont dĂ©filĂ© devant moi ! Ils se sont rendus, lâun derriĂšre lâautre, en glissant, au premier Ă©tage, â quartier des choses inanimĂ©es. En glissant sur des plans inclinĂ©s. LĂ , ils se sont rangĂ©s parmi des instruments agricoles, des aiguilles dâhorloge, un drapeau tricolore, une grosse boule jaune, â le tout proprement alignĂ©. Et quelques instants aprĂšs, un coq dâor est descendu, en se dandinant, de lâĂ©tage des oiseaux, et il est allĂ© rejoindre les deux simulacres dans le bric-Ă -brac du premier Ă©tage. Il est bien Ă©vident quâon rĂ©parait lĂ des erreurs de classification, mais ceci donne Ă©trangement Ă penser. 6 heures. â Il est arrivĂ© un singe ; un grand singe de la famille des orangs. ĂchappĂ© dâune mĂ©nagerie, selon toute probabilitĂ©, et surpris dans la forĂȘt par les Sarvants. â Ils lâont mis prĂšs du paysan violĂątre, avec les hommes⊠Dans quelques jours ils le redescendront, comme la statue, le mannequin et le coq. Mais quels peuvent ĂȘtre ces individus qui se trompent Ă un tel point ? ces hommes si ignorants de lâhumanitĂ© ? si diffĂ©rents de nous, si Ă©voluĂ©s probablement, qui herborisent des peupliers, collectionnent des cailloux et font lâĂ©levage de leurs frĂšres dâen bas ? 5 juillet. Hier je nâai pas pu continuer Ă Ă©crire mes clapets se sont arrĂȘtĂ©s. Jâai dĂ» Ă©puiser ma rĂ©serve dâoxygĂšne ; mais je me suis Ă©vanoui quand mĂȘme, transi de froid, dans un glaçon cubique. Je nâai repris connaissance quâĂ la nuit, pendant laquelle jâai rĂ©flĂ©chi. VoilĂ mes conclusions Ce nâest pas une Ăźle, ce sol invisible qui nous supporte. Ce nâest pas une Ăźle de la mer atmosphĂ©rique. Car alors ce serait une Ăźle flottante, une sorte de bouĂ©e errante. Or, cela est fixe. Donc, il faut que nous soyons sur un continent invisible, qui enveloppe toute la Terre, en laissant passer la lumiĂšre et la chaleur du soleil, â un continent dâune seule piĂšce, comme une mince sphĂšre creuse englobant la Terre et son atmosphĂšre contre laquelle il repose, â un continent dâune seule piĂšce, mais dĂ©chiquetĂ© sans doute, percĂ© dâouvertures oĂč, malgrĂ© les lois de la science humaine, la mer atmosphĂ©rique de 50 kilomĂštres de profondeur se trouve en contact libre et direct avec le vide aĂ©rĂ©, avec lâĂ©ther imparfait de la deuxiĂšme atmosphĂšre. Oui, ce ne peut ĂȘtre quâun monde concentrique Ă la Terre, une espĂšce de continent-radeau sphĂ©rique, une mince pellicule Ă la surface de lâAir, comme lâĂ©corce terrestre nâest, selon certains, quâune mince pellicule Ă la surface du feu intĂ©rieur. Câest un globe lĂ©ger, qui entoure la planĂšte ; la pesanteur, agissant sur tous ses points Ă la fois, le maintient Ă Ă©gale distance de la Terre, et la force centrifuge dĂ©gagĂ©e par la rotation terrestre vient doubler cet effet par une action en sens contraire. Chaque molĂ©cule du continent invisible est sollicitĂ©e par deux forces opposĂ©es qui tendent chacune Ă lâimmobiliser par rapport au centre de la Terre. Ainsi le monde invisible est comme rivĂ© au monde visible. Monde invisible ! ainsi que les planĂštes que la science a pressenties ! et, comme elles, habitĂ© par un peuple invisible ! Monde trĂšs lĂ©ger, sĂ»rement, et dâautant plus lĂ©ger quâil est loin de la Terre⊠Ici, les choses doivent se trouver avec lâair dans le mĂȘme rapport que les choses dâen bas sont avec lâeau. Cette rĂ©gion est une Terre Ă qui le vide sert dâatmosphĂšre, pour ainsi dire, et oĂč lâair joue le rĂŽle de lâeau⊠La mer aĂ©rienne vient baigner ses cĂŽtes⊠Peut-ĂȘtre nây a-t-il quâune seule mer, quâun seul trou percĂ© dans le globe Mais oui ! Mais oui ! câest cela ! Câest pourquoi les ĂȘtres superaĂ©riens, dits Sarvants, nâosent pas sâaventurer avec leur engin ailleurs quâen Bugey, â le Bugey qui se trouve Ă©videmment sous cette mer unique, â le Bugey qui est le fond de leur lac !Ils auraient peur de se perdre et de remonter sous leur continent, et dâĂ©touffer faute de vide, eux pour qui le vide est aussi indispensable que lâair aux hommes et lâeau aux poissons !⊠Car ces gens-lĂ ont inventĂ© une façon de cloche Ă plongeur, ou plutĂŽt une espĂšce de sous-marin. Eh ! voici le mot un sous-aĂ©rien ! qui leur permet de faire la prospection du fond de leur mer et dâen visiter les plaines inconnues. Ils font de lâocĂ©anographie Ă leur maniĂšre. Un invisible prince Albert les gouverne peut-ĂȘtre, et câest peut-ĂȘtre lui qui se monte un joli petit musĂ©um dâocĂ©anographie avec les bĂȘtes des grands fonds, Ă lâinstar de Monaco !⊠Le cylindre que jâai vu blanc de givre, en montant, câest le vivier dâair oĂč lâon entrepose les bĂȘtes pĂȘchĂ©es ; ce nâest quâune piĂšce de ce sous-aĂ©rien qui, lui, a la forme dâun cigare, comme nos propres submersibles, comme aussi nos dirigeables ! Câest lui que Maxime a vu dans le brouillard, ou du moins, câest lâespace que lâĂ©trange bateau-ballon remplissait dans le brouillard et qui apparaissait si confusĂ©ment quâon voyait les choses Ă travers, â ce que Maxime mettait sur le compte de la vitesse !⊠Câest encore lui â le sous-aĂ©rien â que nous avons vu dans le nuage et pour les mĂȘmes raisons le jour oĂč nous avons cru voir son ombre immobile !⊠Jây suis ! jây suis ! Il est plein de vide » ce bateau, si lâon peut sâexprimer ainsi. VoilĂ pourquoi il flotte si bien dans lâair, tel dans lâeau un bateau plein dâair ! Il est muni dâ airballasts » au lieu de waterballasts », pour descendre ou remonter !⊠Le vide ! câest Ă -dire ce quâil y a de plus lĂ©ger au monde, â le zĂ©ro du poids, quand lâair pĂšse 1,3 gr. et lâhydrogĂšne 0,01 !⊠Le vide, que tous les aĂ©ronautes emploieraient au lieu dâhydrogĂšne, sâils pouvaient avoir des enveloppes assez solides et assez impondĂ©rables Ă la fois pour rĂ©sister Ă lâĂ©norme poussĂ©e de lâair ambiant, sans annuler par leur poids lâavantage ascensionnel du vide ! Mais vraiment, tout ceci est dâune simplicitĂ© criante ! Lâeau et lâair ! mais ce sont deux Ă©lĂ©ments jumeaux, que gouvernent les mĂȘmes principes essentiels ! Lâhydrostatique est la sĆur bessonne de la pneumatique ! La mer aquatique et la mer atmosphĂ©rique ! mais que de fois on les a comparĂ©es lâune Ă lâautre !⊠Au fait, ni lâune ni lâautre ne se terminent brusquement par une surface prĂ©cise⊠Lâeau de la mer se continue dans lâair par des vapeurs salĂ©es que nous ne voyons pas ; de mĂȘme, la mer atmosphĂ©rique se continue dans le vide aĂ©rĂ© par des effluves dĂ©gradĂ©s que je ne saurais percevoir !⊠Elles ont leurs marĂ©es lunaires, toutes les deux, et lâocĂ©an gazeux a mĂȘme des marĂ©es solaires⊠Elles ont leurs remous !⊠â Ici, pourtant, les oiseaux tiennent lieu de poissons supĂ©rieurs, et nous, les hommes, crĂ©atures des bas-fonds oĂč notre lourdeur nous attache, nous sommes de pauvres crustacĂ©s qui se traĂźnent misĂ©rablement !⊠LâatmosphĂšre ! qui pĂšse sur la Terre du poids que pĂšserait une couche de 10 mĂštres dâeau lâenveloppant de toutes parts !⊠La mer atmosphĂ©rique, oĂč les montagnes sont les hauts-fonds ! des hauts-fonds plus accessibles aux Sarvants parce que plus prĂšs de la surface, â parce que, pour les atteindre, ils ont moins dâair Ă laisser pĂ©nĂ©trer dans leurs airballasts, â ce qui explique pourquoi ils y pĂȘchent si volontiers ! Car nous sommes pĂȘchĂ©s ! â PĂȘchĂ©s ! â Puis on nous parque dans ces rĂ©cipients, dans ces cuves qui doivent ĂȘtre transparentes mĂȘme pour les Sarvants, sous les yeux dâun public indiscret, en ce palais, en ce musĂ©e monumental, au milieu sans doute dâune grande ville au bord de la mer ! Et nous nâavons jamais rien devinĂ© ! TrompĂ©s par lâinvisibilitĂ© de cet univers qui ne gĂȘnait en rien la vision tĂ©lescopique, que les bolides tombant sur la Terre traversaient comme une balle Lebel traverse une Ă©corce de liĂšge, et que les Ă©toiles filantes laissaient loin sous elles, â nous nâavons pas devinĂ© quâau-dessus de nous siĂ©geait un monde plus vaste que le nĂŽtre, ayant un rayon plus grand de 50 kilomĂštres, et tournant sur le mĂȘme axe que le bloc terrestre, mais plus vite encore, puisquâil est plus distant du moyeu de rotation. Et jamais nous nâaurions supposĂ© que lĂ travaillait une population active et, selon toute vraisemblance, innombrable, â quâelle pensait, inventait, fabriquait, â quâelle jetait sur sa mer atmosphĂ©rique des bateaux de plus en plus perfectionnĂ©s des bateaux dont les dĂ©bris naufragĂ©s sont restĂ©s entre deux airs au lieu de descendre jusquâĂ nous, â quâelle faisait Ă lâaveuglette, je crois des sondages maritimes, â et quâenfin elle arrivait Ă cette prouesse naturellement fĂȘtĂ©e, glorifiĂ©e, acclamĂ©e la construction dâun sous-aĂ©rien. Il est plus que probable que le premier lancĂ© a subi de gros dĂ©gĂąts. Mal dirigĂ© par des apprentis, emportĂ© au loin par le vent comme par un tourbillon sous-marin, câest, je crois, cet aĂ©roscaphe qui a causĂ© la cĂ©lĂšbre collision du mois de mars. Il a dĂ» heurter dâabord le paquebot français, puis, une seconde plus tard, le destroyer anglais, ou vice versa. Ce jour-lĂ , les matelots invisibles lâont Ă©chappĂ© belle, entraĂźnĂ©s si loin, et le sous-aĂ©rien a dĂ» Ă©prouver de sĂ©rieuses avaries dont la rĂ©paration justifie tout le temps Ă©coulĂ© depuis cet accident jusquâaux dĂ©prĂ©dations de Seyssel. La prudence et lâexpĂ©rience leur sont venues⊠Peut-ĂȘtre nous guettent-ils depuis des siĂšcles Ă travers le ciel ; peut-ĂȘtre attendaient-ils avec impatience et cupiditĂ© lâinstant de leur progrĂšs oĂč ils pourraient descendre jusquâaux hommes et les Ă©tudier ; peut-ĂȘtre le sous-aĂ©rien nâest-il quâune copie de nos dirigeables, lorgnĂ©s dans les longues-vues des Sarvants⊠Mais cela, je ne le crois pas. Leurs erreurs de classification me prouveraient plutĂŽt quâils nâont pas encore observĂ© le sol oĂč nous vivons. Je parierais que lâair, sous une forte Ă©paisseur, est pour eux une substance non transparente, comme est pour nous la mer ; que leur sol, invisible Ă nos yeux, est, Ă leurs yeux, opaque ; et quâils ne peuvent distinguer, au travers, au-dessous de lui, ni lâocĂ©an dâair qui le supporte, ni le fond terrestre de cet ocĂ©an. Je parierais mĂȘme quâils nâont pas dâyeux. â Ă quoi des yeux serviraient-ils dans un monde invisible ? â Non pas dâyeux, et alors tout ce que je viens de dire sâapplique au sens qui chez eux remplace la vue. Non pas dâyeux ! et le jour et la nuit nâinfluent pas plus sur leur perception du monde extĂ©rieur que nâinfluent sur la nĂŽtre la prĂ©sence ou lâabsence dâodeur. En effet, dâune part, ils ne possĂšdent pas de lumiĂšre artificielle pour sâĂ©clairer la nuit une telle chose les aurait depuis longtemps fait connaĂźtre Ă lâhumanitĂ©, et je nâai pas vu, cette nuit, la moindre lueur, et, dâautre part, ils se dirigent admirablement au fond de leur mer, dans nos tĂ©nĂšbres les plus noires ; ce qui prouve que notre obscuritĂ© nâest pas la leur, â nâen est pas une pour eux. Et si lâon considĂšre que leurs mĂ©faits sâaccomplissent plus frĂ©quemment la nuit, il est mĂȘme possible de prĂ©tendre que câest la nuit quâils perçoivent le mieux ; que câest la nuit quâils ont toute la puissance de leurs moyens, et que lâobscuritĂ© est aussi favorable Ă leur sens de direction que la lumiĂšre et favorable Ă notre vue. Fous que nous sommes, pauvres ĂȘtres submergĂ©s par lâocĂ©an de gaz, nous qui nous croyons les maĂźtres de la Terre ! Nous ne nous doutons pas quâune autre humanitĂ©, plus considĂ©rable que la nĂŽtre, existe au dessus dâelle, nous ignorant, nous supposant Ă peine et nous prĂȘtant lâesprit que nous prĂȘtons aux crabes ! Une autre humanitĂ© qui se croit Ă©videmment la seule reine de la planĂšte ! Un autre peuple, sur un monde extĂ©rieur au nĂŽtre et que les astronomes de Mars ou de VĂ©nus prennent peut-ĂȘtre pour la vĂ©ritable Terre, si notre atmosphĂšre nâest pas transparente Ă ce qui leur sert de prunelles et sâils voient, au contraire, ce que nos prunelles sont impuissantes Ă distinguer. Nous, les astronomes terriens, nâest-ce pas ainsi que nous avons pris longtemps la photosphĂšre â lâatmosphĂšre Ă©blouissante du Soleil â pour la surface mĂȘme de lâastre ? § Un adolescent vient dâarriver parmi nous. Il est Ă cĂŽtĂ© du singe. Nous lâavons vu sâacheminer sans un mouvement, de cette extraordinaire progression suspendue dans lâimmensitĂ©. Une femme dâun certain Ăąge sâest mise Ă pleurer, lui a tendu les bras⊠§ Maxime Le Tellier mâa reconnu. Il me fait des signes, de loin. § Mon hypothĂšse du continent-radeau explique pourquoi les bolides qui nâarrivent pas suivant la direction du rayon terrestre ricochent toujours sur quelque chose quâon croyait ĂȘtre, jusquâici, le matelas atmosphĂ©rique, puis vont se perdre dans lâinfini⊠» Ă la vĂ©ritĂ©, il paraĂźt que cette derniĂšre phrase, relative aux bolides, ne fut jamais lue par le duc dâAgnĂšs. Car, au moment quâil lâentamait, un instinct sans rĂ©plique le fit bondir en avant ainsi que M. Le Tellier, et les Ă©carta de la masse invisible contre laquelle tous deux sâappuyaient. Cette masse, silencieuse jusquâalors, venait de produire un grincement dĂ©sagrĂ©able juste dans le dos de M. dâAgnĂšs. â Continuez ! continuez le journal ! » dit M. Le Tellier. Cela presse, cela presse ! » Mais il fallait compter avec dâautres retards. Pendant la lecture du cahier rouge, lâassistance sâĂ©tait grossie de pompiers, de gardes municipaux, de savants, dâautoritĂ©s et surtout, malheureusement, dâouvriers mĂ©tallurgistes qui travaillaient Ă cette Ă©poque dans lâarriĂšre-Grand-Palais avenue dâAntin. Ceux-lĂ Ă©taient venus en curieux et nâavaient rien compris au journal, dont ils ignoraient la premiĂšre partie. Les braves ferronniers sâimaginĂšrent â on ne sait comment ni pourquoi â quâil y avait, dans la masse invisible, des prisonniers de leur espĂšce ; et lorsque grinça le grincement, lâun dâeux, le compagnon Virachol, dit Gargantua pour cause de gigantisme et dâobĂ©sitĂ©, proclama sanguinaire » le fait de laisser des hommes lĂ dedans ». Et il basculait un Ă©norme levier dont il voulait dĂ©foncer lâinvisible. On retint Virachol. Mais, chaque fois que le grincement reprenait, Virachol reprenait aussi. De telle sorte que nous ne pourrions reproduire toutes les interruptions qui troublĂšrent la fin de cette lecture publique, sans composer un pathos indĂ©chiffrable. xiiiFin du Journal 6 juillet. Faire parvenir ces indications Ă qui peut nous sauver. Mais par quel moyen les faire parvenir ? Par quel moyen ? SâĂ©vader ? Comment ? Et puis, ce serait la mort effroyable⊠Ici, dans nos cellules, il fait chaud, on respire un air suffisamment humide, et notre corps subit cette pression normale de kilogs dont il a besoin. Mais dehors !!⊠â Il faut tout de mĂȘme quâils soient assez forts, ces Sarvants, pour avoir calculĂ© tous les Ă©lĂ©ments indispensables Ă notre vie et les avoir groupĂ©s⊠§ Ce matin il y avait de nouveaux pensionnaires de toute sorte. Câest dĂ©cidĂ©ment la nuit que les Sarvants prĂ©fĂšrent opĂ©rer. Est-ce pour les raisons exposĂ©es plus haut, ou est-ce seulement parce quâils savent que lâobscuritĂ© nous affaiblit ? § De temps en temps il y a des gens qui se prĂ©cipitent, la tĂȘte la premiĂšre, contre les murailles invisibles. On les voit se meurtrir. § Plus je rĂ©flĂ©chis Ă ce que jâai trouvĂ© relativement au monde oĂč je suis, plus je crois que jâai raison. Jâai encore trouvĂ© quelque chose je crois savoir pourquoi lâaĂ©rarium contient tant de reprĂ©sentants du genre humain et si peu, proportionnellement, de chaque famille animale. Câest que les Sarvants sâimaginent que le costume est un pelage, lequel pelage marque autant de variĂ©tĂ©s dans lâespĂšce quâil offre lui-mĂȘme de modalitĂ©s. Un fait le corrobore câest, ici, la grande quantitĂ© et la grande diversitĂ© des bĂȘtes de mĂȘme race, mais Ă fourrures ou Ă plumages diffĂ©rents, comme lapins, canards, etc⊠Les Sarvants â aristocrates Ă leur façon â croient que la redingote est dâune autre engeance que la blouse. Et ceci donne gain de cause au systĂšme que jâavais adoptĂ© de me vĂȘtir comme lâun des disparus, afin dâĂ©chapper au PĂ©ril Bleu. Mme Le Tellier ne fut dĂ©daignĂ©e par les Sarvants quâen raison de cela ; sous la charmille, ils se sont souvenus quâils possĂ©daient dĂ©jĂ , de la classe dressĂ©e et de la sous-classe Ă pattes infĂ©rieures adhĂ©rentes, un spĂ©cimen Ă corps noir et Ă criniĂšre jaune ; et ils lâont lĂąchĂ©e, au lieu de lâemporter avec Maxime et ce veau quâils venaient de confisquer dans le voisinage⊠On pourrait en conclure que tous les Sarvants se ressemblent et quâils vont nus. § Tout Ă lâheure, lâAnglais mon voisin fut pris de syncope. Il a donnĂ© tous les signes dâun ĂȘtre placĂ© sous la cloche dâune machine pneumatique ; puis les sens lui sont revenus peu Ă peu. Mais les parois de sa cellule ne se sont pas doublĂ©es de givre ; par consĂ©quent la pression avait faibli sans que la tempĂ©rature eĂ»t baissĂ©. Serait-ce une expĂ©rience ? â Je nâaime pas cela. Cellule » ai-je Ă©crit ; il faudrait dire cabanon ». Mon voisin est fou. Et que dâautres aussi ! § Bonheur ! Bonheur ! Bonheur ! Il me semble bien avoir aperçu, tout lĂ -bas, certaine robe grise⊠â Et non loin dâelle, jâai reconnu Henri Monbardeau, mais avec peine. Dans quel Ă©tat de maigreur !⊠7 juillet. Câest donc toujours la nuit quâon nous apporte Ă manger, sans que nous puissions nous en apercevoir. Câest aussi la nuit quâon nettoie nos cabines⊠TrouvĂ©, Ă mon rĂ©veil, des carottes et ma ration dâeau. En fouillant lâaĂ©rarium avec ma jumelle, jâai dĂ©couvert au rez-de-chaussĂ©e la soute aux provision â un tas de lĂ©gumes volĂ©s aux potagers de la Terre â et puis la citerne dâeau trĂšs pure, venue dâune source du Colombier ou peut-ĂȘtre extraite goutte Ă goutte de la mer atmosphĂ©rique. § Quel horrible troupeau parquĂ© nous faisons !⊠Mille dĂ©tails immondes⊠Maison de verre oĂč lâon ne peut sâisoler. Et puis, la peur a tuĂ© la pudeur⊠§ Vers 11 heures, entre les bandes dâhumus, aperçu comme une petite pilule bientĂŽt disparue. Ce ne peut ĂȘtre quâun ballon. § Ayant sorti mon revolver pour lâexaminer, que de regards suppliants jâai vus mâimplorer !⊠Les uns me tendaient le front comme une cible, un autre ouvrait sa chemise et me montrait la place de son cĆur⊠Savent-ils seulement si les balles de mon browning arriveraient jusquâĂ eux ? § Les Sarvants, que peuvent-ils ĂȘtre ?⊠HantĂ© par cette question. § Ă 3 heures 30, encore vu un ballon Ă©voluer en bas. Dirigeable. Il devait ĂȘtre extrĂȘmement haut, car je le voyais assez bien dans ma jumelle. Quâest-ce que cela signifie ? Aurait-on aperçu la macule, et les hommes sâefforcent-ils de sâen rapprocher ? § Ces heures de dĂ©sĆuvrement, au bruit berceur des clapets, sont dĂ©sespĂ©rĂ©ment longues. Je me creuse la tĂȘte Ă propos des Sarvants⊠Ces ĂȘtres du vide, oĂč nul liquide nâest possible, ne peuvent pas avoir de sang ! Ces gens invisibles et secs !⊠Ils doivent ĂȘtre plus diffĂ©rents de nous autres hommes que ne le sont les habitants dâune planĂšte fantastiquement Ă©loignĂ©e de la Terre mais qui serait, comme elle, dotĂ©e dâune atmosphĂšre⊠La substance de ce monde invisible ne doit avoir rien de commun avec celle de notre monde central⊠Les Sarvants ont une Ăąme unie Ă un corps qui nâest pas fait de la vieille matiĂšre traditionnelle. Ils sont formĂ©s dâĂ©ther, ou dâĂ©lectricitĂ©, ou de je ne sais quoi, qui est sans doute concentré⊠Pourquoi pas ? â Nous, les hommes, nous croyons toujours ĂȘtre des parangons ! Nous nous imaginons toujours quâaprĂšs nous il faut tirer lâĂ©chelle des ĂȘtres ! et nous pensons tout connaĂźtre, tout prĂ©voir, tout supposer !⊠Si une crĂ©ature Ă©tait faite dâeau, est-ce que nous pourrions la voir dans lâeau ? Eh bien, alors, si une crĂ©ature Ă©tait faite dâair, est-ce que nous la verrions dans lâair ?⊠Des ĂȘtres de la couleur de lâeau, de la couleur de lâair⊠mais, au fait, ce ne serait tout simplement quâun phĂ©nomĂšne de mimĂ©tisme !⊠Dâailleurs, puisquâil est possible et mĂȘme probable quâil existe des planĂštes invisibles, ce monde-ci devient par cela mĂȘme on ne peut plus naturel. Mais comment les Sarvants sont-ils conformĂ©s ? Quels contours prĂ©senteraient-ils Ă nos yeux en devenant visibles, eux et leurs vĂ©gĂ©taux, eux et leurs animaux, eux et tout cet univers quâils semblent rĂ©gir ?⊠Jâai beau regarder lâhumus de la pĂ©piniĂšre pour y saisir lâempreinte de leurs pas, je ne vois rien. â Ah ! combien de progrĂšs Ă rĂ©aliser, pauvres hommes, avant de pouvoir monter ici, vivre ici, observer ici !⊠Encore faut-il que je renseigne lâhumanitĂ© ; que je lui dĂ©voile lâexistence du monde superaĂ©rien⊠Et lĂ , je ne sais plus que faire. § La robe grise ne se montre plus⊠Le temps se traĂźne indĂ©finiment⊠Est-ce que nous allons tous mourir ici ?⊠Mon sacrifice ? Inutile ?⊠8 juillet. Hier et aujourdâhui, les pĂȘcheurs invisibles nâont rapportĂ© que des animaux. § Encore et toujours des ballons. Un ballon câest une bouĂ©e », disait Nadar. Jamais cela ne mâa paru si vrai. â Ils ne peuvent faire que de bien petits bonds vers nous ! Mais cela ne prouve-t-il pas que lâaĂ©rarium a Ă©tĂ© signalĂ© ! Midi. â Certaines bĂȘtes, maintenant, sont deux Ă deux ; les Sarvants font des expĂ©riences dâaccouplement. Ils ont diffĂ©renciĂ© les sexes, mais ils se trompent encore pour les races. Ainsi, ils viennent de mettre une renarde avec un loup, qui sâest empressĂ© de la croquer. Les malheureux carnivores sont au rĂ©gime vĂ©gĂ©tarien, et le loup nâĂ©tait pas fĂąchĂ© de ce petit extra. VoilĂ qui a dĂ» Ă©tonner les biologistes invisibles ! 2 heures. â Vu Floflo, le loulou de Mme Arquedouve. Il a lâair de se bien porter. 3 heures. â RĂ©voltant ! Les Invisibles nous traitent comme les bĂȘtes ! Il y a maintenant des cellules habitĂ©es par des couples humains quâils ont appareillĂ©s !⊠Les prisonniers ainsi rĂ©unis causent entre eux tristement, mais on voit bien que la facultĂ© de pouvoir parler de leur dĂ©tresse en diminue lâamertume. Par malheur, il y a des fous, et les Sarvants me paraissent incapables de comprendre la folie et les dangers quâelle peut faire courir Ă qui sâen approche⊠§ Ces mariages singuliers se multiplient. Câest Ă©videmment la robe et le pantalon qui servent de base aux doctes expĂ©rimentateurs pour dĂ©terminer le fĂ©minin et le masculin ; nâont-ils pas accouplĂ© Maxime avec un vĂ©nĂ©rable curĂ© en soutane ! â Maxime et le prĂȘtre conversent dâune façon trĂšs animĂ©e. 4 heures 20. â Les Sarvants ont mis Mme Fabienne Monbardeau avec Raflin, son ancien amoureux ! CoĂŻncidence inouĂŻe !⊠LâinfortunĂ© Raflin a perdu sa robe de chambre, â sans quoi, je pense, on lâaurait pris pour une dame. Il est en caleçon et fait peur Ă voir, si lugubre et squelettique. Il ne sâoccupe de sa compagne que pour tĂącher de lui prendre sa portion de betterave⊠Henri Monbardeau, qui partage la cellule dâune paysanne, les regarde comme un homme ivre⊠Moi je suis encore seul dans ma cabine invisible⊠Oh ! petite robe grise entrevue lâautre jour⊠Oui, mais il nây a pas que moi pour ĂȘtre encore cĂ©libataire Ă la mode des Sarvants⊠Et puis â terreur ! â il y a des fous !⊠Et â oh ! mon Dieu ! â il y a le grand singe !⊠6 heures du soir. â Je viens dâapercevoir, une seconde, le visage de Mlle Suzanne Monbardeau. Quand je lâai reconnue au fin fond des groupes, je cherchais la robe grise. 9 juillet. Encore vu beaucoup de ballons, minuscules grains de cendrĂ©e. Ă quoi bon ? 3 heures 15. â Un des clapets de ma cellule se ralentit. Va-t-il sâarrĂȘter ? ExpĂ©rience ? Câest Ă craindre. Multitude de grincements sur la paroi cĂŽtĂ© corridor⊠[Ă partir de cet endroit jusquâĂ la fin du cahier rouge, lâĂ©criture de Robert Collin tremble, ondule, balbutie et devient Ă chaque feuillet plus laborieuse et moins rĂ©guliĂšre.] [Une page couverte dâarabesques illisibles.] 10 juillet. CâĂ©tait une expĂ©rience, de rarĂ©faction. Elle mâa laissĂ© un engourdissement gĂ©nĂ©ral qui est presque une paralysie ; je ne puis rester debout, et voilĂ plusieurs heures que jâessaie dâĂ©crire sans y rĂ©ussir. Pourvu que jâaie la force de faire ce que je dois faire ! § Le loup qui a tuĂ© la renarde est mort, â tuĂ© aussi, je crois. Talion ? Justice ?⊠On a Ă©vacuĂ© son corps je ne sais oĂč. Mis 2 heures Ă Ă©crire ces 8 lignes. 11 juill. Les Sarvants, toute la nuit, ont montĂ© de la terre. Un carrĂ© de plus au rez-de-chaussĂ©e. 12 juill. Nâai plus de calme depuis cette demi-paralysie. SaletĂ©, isolement, angoisse, impuissance. ĂgoĂŻsme, sauf pour Marie-ThĂ©rĂšse. Ennui, ennui. Ănervement. Et pourtant, moi, jâai apportĂ© des objets utiles trousse-toilette, jumelle et ce cahier bĂ©ni ! Mais les autres rien ! Ils mâenvient quand ils me voient me brosser, Ă©crire, observer la Terre⊠Ho ! la bonne vieille Terre ! 13. PassĂ© lâinspection des parois de ma cellule dans lâangoisse insupportable dâĂȘtre Ă©piĂ© par quelque gardien sans aspect. Impossible dâen gratter quoi que ce soit au couteau ; nulle poudre ; comme du verre. Facilement contrĂŽlĂ© les clapets dans le bas du mur, 2 orifices de tuyaux, et lâautre au-dessus, en triangle, celui-ci pour la sortie de lâair viciĂ©, les autres pour lâarrivĂ©e de lâair pur ; on sent le sens des courants. Je ne comprends pas ce systĂšme. Les clapets sont assez loin dans les tuyaux ; Ă peine si je les effleure du bout du doigt. 14. Aujourdâhui, vĂ©ritable Ă©ruption dâaĂ©rostats. Un sphĂ©rique monte trĂšs haut ; je me divertis Ă le suivre dans la bande libre qui est au nadir et qui me permet de voir le Bugey. § La nuit a interrompu mon observation. JâĂ©cris aux Ă©toiles, parce que je veux noter des lueurs incomprĂ©hensibles en dessous de nous⊠Ah ! feux dâartifice ! 14 juillet ! fĂȘte nationale ! â Nous sommes lĂ , chez les Sarvants, et nos concitoyens font de la pyrotechnie ! 15 juillet. Nous avons de nouveaux camarades 4 hommes emmitouflĂ©s de peaux. PrĂšs de la statue dâAnglefort le jardinier Watteau une nacelle de ballon, des agrĂšs, une enveloppe flasque et dĂ©chirĂ©e oĂč je vois des lettres, un nom qui est cachĂ© Ă demi par un pli de la soie gommĂ©e LE SYL⊠Le Sylvain probablement. § Je nâĂ©prouve plus aucune surprise Ă voir les gens suspendus en lâair, ni les choses marcher toutes seules. Le ciel dâencre et ses astres excessifs, la couronne dĂ©gradĂ©e de la mer aĂ©rienne, tout mâest indiffĂ©rent ; le sort de mes codĂ©tenus mâest Ă©gal. Et pourtant, quelle horreur de cauchemar, cette exposition de mes semblables ! Ici, jâai compris pourquoi les cabinets de cires mâont toujours tellement rĂ©pugnĂ© câest quâils Ă©voquent la pensĂ©e dâun musĂ©e dâhommes. § Les bĂȘtes elles-mĂȘmes ont lâair dĂ©sespĂ©rĂ©. 17 Juillet. Entre autres objets, cette nuit a enrichi lâaĂ©rarium dâune branche dâacacia. Or, cette branche ne cesse pas de sâagiter. Un invisible canif lâincise, la fend, la scrute mĂ©thodiquement de lâĂ©corce Ă la moelle. 18 juillet. Plus de ballons. § Henri Monbardeau a quittĂ© la cellule de la paysanne pour une autre oĂč je ne puis lâapercevoir. Le mauvais sort a voulu que dans tous ces changements Mlle Marie-ThĂ©rĂšse restĂąt derriĂšre la masse des individus. Les traitements quâelle peut subir mâinquiĂštent plus que jamais. § Je lâai vue, je crois. Ces cheveux blonds Ă chatoiements argentĂ©s ne peuvent ĂȘtre que les siens. § DâaprĂšs les espaces vides entre les internĂ©s, on peut construire assez facilement lâarchitecture de lâaĂ©rarium, les couloirs. TrĂšs symĂ©trique. Je cherche en vain Ă quoi peut servir ce grand vide au milieu de la façade, contre ma cabine. Sont-ce des cabines laissĂ©es vacantes Ă chaque Ă©tage ? Et alors pourquoi ? â Est-ce un renfoncement dans la construction ? Et alors Ă quoi sert-il ? â Est-ce une haute salle dont le plancher serait celui du rez-de-chaussĂ©e et le plafond celui du dernier Ă©tage ? â Une salle ou des salles de confĂ©rences ?⊠§ Les Sarvants cultivent. Le carrĂ© dâhumus quâils ont ajoutĂ© lâautre jour est un champ de carottes Ă notre usage, comme de raison. § Les Sarvants ne sont plus dupes de nos vĂȘtements. VoilĂ comment une folle sâest dĂ©shabillĂ©e. Quelques minutes aprĂšs, dâautres personnes ont Ă©tĂ© dĂ©shabillĂ©es. Ah ! les malheureux ! quelles figures Ă©perdues ! On les a laissĂ© se revĂȘtir. â Mais Ă la fin, qui on » ? â De ce fait, le singe a Ă©tĂ© redescendu Ă lâĂ©tage des bĂȘtes ; jâai bien vu quâon essayait de lui enlever sa peau⊠Ouf ! je respire. § Ceci est mieux encore les 4 aĂ©ronautes du SylâŠ, qui nâavaient pas quittĂ© leurs pelleteries, ont Ă©tĂ© aussi descendus dâun cran ! Les Sarvants ne se sont mĂȘme pas donnĂ© la peine de voir si leurs peaux de bique et de phoque Ă©taient amovibles ! DâemblĂ©e, ils les ont pris pour des singes. 20 juillet. JâĂ©cris de moins en moins facilement. Ce cahier ! qui devait ĂȘtre si complet ! Enfin, lâessentiel y sera consignĂ©. [Rien les 21, 22, 23, 24. Plusieurs pages remplies de calculs, de croquis malhabiles et pĂ©nibles. Le mot Marie-ThĂ©rĂšse Ă©crit de tous cĂŽtĂ©s, dans tous les sens, et dâailleurs biffĂ©. Puis un dessin qui veut certainement reprĂ©senter la jeune fille.] 25 juillet. Je sais la destination des salles vides. 26 juillet. Hier, je tremblais encore trop pour Ă©crire. Câest affreux, ce que jâai vu ! Jâai vu, tout prĂšs de moi, lĂ , un homme nu, couchĂ© Ă ma hauteur. Je voyais, imprimĂ©e dans sa chair pĂąle et frissonnante, la trace rouge des liens invisibles qui lâimmobilisaient. â Ils veulent savoir comment nous sommes faits ! â Oh ! ces estafilades soudaines ! ces plaies brusques ! ces apparitions de blessures qui sâouvraient sans quâon aperçût lâinstrument du supplice ! Et cette bouche hurlante ! Et tout le sang ! tout le sang !⊠Je nâai pas pu rester en face ; je me suis dĂ©tourné⊠Câest alors que jâai vu tous les autres qui regardaient cela, fascinĂ©s, les yeux bĂ©ants dâhorreur⊠â Mais, dans leur foule statufiĂ©e, quelque chose de noir bougea. CâĂ©tait le vieux prĂȘtre de Maxime, qui gesticulait pour attirer les regards⊠Tout le monde lâa regardĂ© alors. Le prĂȘtre faisait de grands signes de croix⊠Il agitait des bras de bĂ©nĂ©diction⊠La foule des prisonniers sâest agenouillĂ©e vers lui⊠Nos yeux ne quittaient plus ses lĂšvres qui remuaient avec un air dâĂ©loquence, qui disaient des Ă©loquences, des Ă©loquences que Maxime pouvait seul entendre⊠Le vieux prĂȘtre gardait les bras tendus en forme de croix vivante. Et il se mit Ă tourner sur lui-mĂȘme, afin que chacun de nous pĂ»t contempler le crucifix, au lieu du spectacle Ă©pouvantable qui saignait Ă cĂŽtĂ© de moi. Maxime Ă©tait livide aux pieds du vieux curĂ©. Et je le revoyais, lui, dans son laboratoire de Mirastel, couvert de sang, couvert du sang des animaux dont il voulait savoir comment il sont faits !⊠HĂ©las ! que faisons-nous des bĂȘtes ! CaĂŻn, quâas-tu fait de ton frĂšre ?⊠§ Cet homme quâon dĂ©pĂšce vivant⊠Vivant, donc dans de lâair respirable !⊠Donc les Sarvants y sont aussi dans lâair respirable !⊠Donc ils ont des sortes de scaphandres pour aller dans lâair, comme nous mettrions des scaphandres pour aller vivisĂ©quer les poissons dans leur Ă©lĂ©ment aquatique⊠§ Je ne regarde plus Ă cĂŽtĂ©. § Les Sarvants ne peuvent ĂȘtre des crĂ©atures plus grande que nous. La dimension des couloirs, la hauteur des Ă©tages, le prouvent. 27 juillet. Le malheureux ! le malheureux ! LâĂ©pouvantable torture ! On a continuĂ©. On continue⊠à lâĂ©tage plus bas, le porc a Ă©tĂ© transportĂ© dans la chambre vide qui est sous le suppliciĂ©. Il a commencĂ© de souffrir ces douleurs sans pareilles qui vont augmenter la science et la valeur des Sarvants. Des grincements fourmillent contre ma cellule ; on se presse en foule pour mieux voir lâopĂ©ration⊠28 juillet. Ce sont de petites entailles⊠de petits coups de petites lames⊠un travail minutieux, soigné⊠§ Tout en bas, une grande couleuvre est en train de souffrir⊠Et aprĂšs elle, quel animal ? Et aprĂšs lâhomme, qui ? Quelle femme ? Oh ! mon Dieu, quelle femme ? Câest Ă devenir fou ! § Le sang â ce sang quâils ne possĂšdent pas, ce liquide vital proscrit de leur anatomie â a lâair dâintriguer les Sarvants. Ils rĂ©unissent tous les sangs versĂ©s dans un mĂȘme bocal invisible, et, chose curieuse, ils ont dĂ©jĂ trouvĂ© un moyen qui les empĂȘche de se coaguler. § Une gĂ©nisse encore â blanche â paie sa dette Ă la science des Invisibles. La colonne de sang monte dans le bocal. â Lâhomme vit toujours. § Il nâest pas possible que les Sarvants connaissent ce que câest que la souffrance telle que les hommes la connaissent. â Le serpent est en tronçons. § Ainsi, dans leur classification, le serpent est tout en bas et lâoiseau tout en haut. Ils ont mis les premiers ceux qui sont capables de se rapprocher dâeux davantage et le plus facilement. Allons ! ils ne sont pas beaucoup plus intelligents que nous ! Ne lâai-je pas dĂ©jĂ dit ?. 30 juillet. Lâhomme nâest pas mort. La gĂ©nisse blanche agonise. Dans la salle opĂ©ratoire des oiseaux, une chauve-souris est moribonde. â Une chauve-souris avec les oiseaux ! 31 juillet. § Je ne dors plus je crains trop de choses. Jâai toujours la main sur mon revolver. § Cette nuit, sous la lune qui faisait briller au loin lâanneau de la mer atmosphĂ©rique, jâai assistĂ© Ă lâenlĂšvement des restes de la gĂ©nisse. On les a dirigĂ©s sur le port aĂ©rien et, de lĂ , on les a prĂ©cipitĂ©s. § Le bocal de sang est comme un fĂ»t de colonne en rubis. Ă chaque instant, des choses invisibles plongent dedans ; il y a une heure, on ne cessait de remuer ce mĂ©lange avec un agitateur ; pendant que jâĂ©cris, on en prĂ©lĂšve des fioles quâon emporte pour les Ă©tudier. Je vois sâĂ©loigner de tous cĂŽtĂ©s des rougeurs liquides de formes variĂ©es. § Donc, pour les Invisibles, nous sommes des crustacĂ©s. Ils nous pĂȘchent et nous Ă©tudient comme nous pĂȘchons et comme nous Ă©tudions ceux-ci. Mais le parallĂšle sâarrĂȘte-t-il Ă cette ressemblance ? Nous, nous mangeons les crustacĂ©s⊠et quand je pense au homard Ă lâamĂ©ricaine⊠1er aoĂ»t. Aujourdâhui⊠§ VoilĂ 16 jours depuis lâarrivĂ©e du Syl⊠que les Sarvants nâont pas fait de capture humaine. Il est plausible que les Bugistes ne sortent plus du tout, dâune part, et que, dâautre part, les Sarvants ont complĂštement renoncĂ© Ă se risquer au delĂ du fond de leur mer. § Lâhomme est mort. Ă qui le tour ? § Ă qui le tour ? 2 aoĂ»t. On poursuit la dissection des membres du misĂ©rable. Cela peut durer encore quelque temps. 3 aoĂ»t. Ils lâont jetĂ© ce matin, en plein jour. Ils ont jetĂ© ses restes Ă la mer. Et ils ont jetĂ© aussi tout le sang, sous lâempire de je ne sais quelle idĂ©e inexplicable, superstitieuse peut-ĂȘtre⊠4 aoĂ»t. Un mois que je suis ici, impuissant Ă voir ce monde baignĂ© de lumiĂšre, prisonnier de ce monde comme dâune Ă©trange nuit sans obscuritĂ©, comme dans des tĂ©nĂšbres Ă©blouissantes. § Moi qui ai tant souhaitĂ© voir Marie-ThĂ©rĂšse de plus prĂšs, je ne crains plus que ceci la voir de trop prĂšs ! § Câest une rage ils taillent tout, ils charcutent tout. Des rameaux tressaillent et perdent, une Ă une, leurs feuilles ; puis se cassent et se divisent en mille dĂ©coupures. Des pierres se fendent avec une apparente spontanĂ©itĂ©. Des oiseaux, des mammifĂšres et aussi des poissons se couvrent de balafres. â Mais la salle opĂ©ratoire des hommes est vide pour le moment. § Elle ne lâest plus. Il faut quâil y ait une Providence, jâai besoin de la remercier ; ce nâest pas Marie-ThĂ©rĂšse ! Mais je ne veux plus regarder par lĂ . 6 aoĂ»t. Raflin a succombĂ©. On lâavait remis dans une cellule sĂ©parĂ©e. Jâai la certitude quâil est mort au cours dâune expĂ©rience dâair comprimĂ©. Vraiment, la soliditĂ© de nos parois est admirable, pour rĂ©sister Ă de pareilles pressions intĂ©rieures. Rien que lâair Ă la pression terrestre devrait les faire Ă©clater, si nos caissons nâĂ©taient pas plus solides que des caissons cuirassĂ©s. Nulle pression nâĂ©quilibre Ă lâextĂ©rieur la poussĂ©e interne. Et puis, comment diable font-ils aussi pour Ă©viter la buĂ©e qui devrait se condenser Ă la surface de nos cloisons, exactement comme sur les vitres dâune chambre chaude quand il fait froid dehors ?⊠MystĂšre. 7 aoĂ»t. Le cadavre de Raflin a disparu, mais je ne lâai pas vu jeter Ă la mer. 3 femmes et 1 homme mon voisin anglais sont morts Ă©galement, â je ne sais pas pourquoi. Jâai vu prĂ©cipiter lâAnglais et 2 des femmes. Lâautre, oĂč ? 8 aoĂ»t. Il est certain que les cadavres ne les intĂ©ressent pas. La vie les attire par-dessus tout. Ils jettent les dĂ©funts avec leurs vĂȘtements, sans plus sâen soucier. Cependant, lorsquâune bĂȘte pĂ©rit, jâignore ce quâils font dâelle. â Les animaux vivants, il en arrive toujours. Mais plus dâhommes. 10 aoĂ»t. Rien de neuf ; toujours les mĂȘmes horreurs. § Jâai rĂ©aperçu la chevelure blonde, et plus tard jâai revu la robe grise. Lâune ou lâautre appartient Ă Marie-ThĂ©rĂšse, sans doute, mais pas les deux ; elles ne sont pas Ă la mĂȘme place. Ă moins quâon lâait changĂ©e de cellule entre mes deux observations. Quâelle doit ĂȘtre seule et triste ! 11 aoĂ»t. ĂvĂ©nement pour la premiĂšre fois un prisonnier a Ă©tĂ© redescendu Ă terre. Et câest Maxime ! â Dans quel but ? Il avait lâair dâun condamnĂ©, quand on lâa saisi. Sa plongĂ©e fut vertigineuse. Il Ă©tait de trĂšs bonne heure. 8 heures du soir. â Maxime pas revenu. § Il y a une femme qui ne cesse de rire⊠Folie ? 12 aoĂ»t. Maxime pas rentrĂ©. Et pourtant, cette nuit, les pĂȘcheurs invisibles ont ramenĂ© des animaux. Donc, â comme je suis assurĂ© quâil nây a quâun seul sous-aĂ©rien, un seul aĂ©roscaphe, â câest que ledit aĂ©roscaphe est remontĂ© sans Maxime. Or, si les Sarvants lâont abandonnĂ©, câest quâil nâest plus quâun de ces cadavres quâils dĂ©daignent. â Maxime mort ! Que sâest-il passĂ© ? 13 aoĂ»t. Ce matin, ni animaux, ni pierres, ni plantes, ni hommes. Cela nâest jamais arrivĂ©. Quâest-ce donc ? § Le hasard aurait pu me faire choisir au lieu de Maxime, et alors jâaurais bien trouvĂ© le moyen de remettre le cahier Ă quelquâun. Quand on ne lâaurait dĂ©couvert que sur mon corps inanimé⊠11 heures. â On nous a donnĂ© moins dâeau que dâhabitude et la salade nâĂ©tait guĂšre fraĂźche. 2 heures. â Ă la fin, ils mâagacent, ces Sarvants ! Ils ne savent pas de quoi je suis capable⊠Je vais leur coller⊠Je vais leur faire une sale farce⊠Je vais⊠[ Ces trois derniĂšres lignes, dâune Ă©criture incohĂ©rente, sont effacĂ©es, â mal, puisquâon peut encore les restituer. Suivent encore dâautres lignes, celles-lĂ complĂštement oblitĂ©rĂ©es. Puis sept feuillets arrachĂ©s. Puis quinze lignes masquĂ©es de hachures. Donc, du 13 au 24, rien. Et enfin ceci ] 24 aoĂ»t. Jâai supprimĂ© toutes les dĂ©mences que jâavais tracĂ©es. Pendant 10 jours on sâest livrĂ© sur moi aux plus cruelles expĂ©riences. Sans mâextraire de ma cellule, on mâa soumis Ă toutes les pressions, toutes les dĂ©pressions, tous les mĂ©langes de gaz. Jâai passĂ© de lâexcitation la plus effrĂ©nĂ©e Ă lâabattement le plus prostrĂ© jâai respirĂ© de lâair suroxygĂ©nĂ©, surazotĂ©. Ils mâont aussi fourrĂ© du protoxyde dâazote, ça jâen suis sĂ»r pendant une heure je nâai pu mâempĂȘcher de rire, et jâai compris pourquoi cette femme riait tant lâautre fois. Ă un moment, je me rappelle que jâai voulu crever ma prison avec une balle de revolver â mais la balle sâest aplatie contre le mur invisible â puis arrĂȘter les clapets au moyen de mon couteau. Aussi me suis-je fait confisquer ces deux armes. Les grincements nâarrĂȘtaient pas de se faire entendre⊠Enfin, câest fini ! Jâen suis revenu !⊠Heureusement ! Et le cahier, alors ! On mâaurait jetĂ© Ă la mer sans lui !⊠Les lĂ©gumes quâon nous donne sont pourris et lâeau que nous buvons sent mauvais. Le niveau de la citerne baisse. En rapprochant ces faits du fait quâaucune proie nâa Ă©tĂ© capturĂ©e depuis le 12, il est aisĂ© de dĂ©duire que le bateau de ravitaillement sâest perdu. LâaĂ©roscaphe a naufragĂ©. Je ne trouve pas de meilleure explication. 25 aoĂ»t. Je me demande si ce nâest pas une hallucination due Ă quelque nouvelle expĂ©rience dont je ne mâapercevais pas â en bas, Ă 20 mĂštres de la façade de lâaĂ©rarium et Ă la hauteur du rez-de-chaussĂ©e, seul dans lâespace et immobile comme une statue Raflin !⊠feu Raflin, que jâai vu mourir !⊠Mais quelle est cette femme rigide qui sort de dessous la pĂ©piniĂšre et sâavance vers Raflin ?⊠Oh ! câest une des femmes qui sont mortes en mĂȘme temps que lui⊠La voilĂ immobile prĂšs de lui⊠Et â cela ne peut ĂȘtre quâune illusion, oui, oui ! â et tous ces animaux raides, figĂ©s, qui sortent du mĂȘme endroit, en procession, et qui vont se ranger non loin du couple, de lâhorrible couple humain !⊠Ma jumelle !⊠Non, ce nâest pas un mirage de fiĂšvre. Ce sont des crĂ©atures empaillĂ©es, bourrĂ©es avec je ne sais quoi dâinvisible. Les Sarvants ont naturalisĂ© un Ă©chantillon de chaque modĂšle terrien ! Il y a un atelier de taxidermie dans les sous-sols de lâaĂ©rarium !⊠[Les 26, 27, 28 et 29 aoĂ»t, Robert Collin sâest abstenu de coucher ses impressions sur le cahier rouge.] 30 aoĂ»t. Depuis 4 jours, je sens ma raison chanceler. Du reste, câest Ă peine si je puis tenir le crayon. Si je veux que ce journal soit raisonnable et quâil serve Ă quelque chose, il est temps dâaviser. § Lâeau est meilleure, mais ce nâest plus la mĂȘme. Les Sarvants doivent lâobtenir dâune autre façon. Les lĂ©gumes, maintenant, sont assez frais, parce quâon commence Ă rĂ©colter ceux de la plantation. § Beaucoup de vides parmi les hommes. § LâaĂ©rarium nâest rien en abomination auprĂšs de ce macabre musĂ©e dâen face â de lâautre cĂŽtĂ© de la rue, qui sait ? â ce lugubre musĂ©um dâocĂ©anographie aĂ©rienne, annexe de lâInstitut oĂč nous sommes. Avec ses vitrines invisibles, ses momies, il ressemble encore davantage Ă quelque salon de cires forain ! Si je vivais mille ans, toute ma vie je reverrais cet homme et cette femme empaillĂ©s⊠31 aoĂ»t. Il importe que mon journal â qui contient Ă prĂ©sent toutes les indications nĂ©cessaires â parvienne sans dĂ©lai Ă M. Le Tellier ou Ă quelque autre capable dâen tirer parti. Si lâon me vivisĂšque, si lâon me dissĂšque seulement, le cahier sera perdu. Si je reste, idem. Si lâon mâasphyxie avant que jâaie pris mes prĂ©cautions, idem. Mais si je meurs dans ma cellule, ayant sous mes habits le cahier rouge, on me prĂ©cipitera tel quel. Câest la seule façon dont je puisse ĂȘtre utile Ă Marie-ThĂ©rĂšse. § Je nâai plus de couteau ; je nâai rien qui puisse me servir Ă bloquer les clapets. Je dois donc les maintenir moi-mĂȘme. 1er septembre. Jâai lĂąchement hĂ©sitĂ© toute la nuit. Quoi ! jâabandonnerais ici Marie-ThĂ©rĂšse ! Et je lâabandonnerais pour toujours !⊠Câest aussi une mort Ă©pouvantable⊠Il y a encore ce passage dans le vide, qui va dĂ©former mon pauvre corpsâŠ, et cette chute Ă laquelle on ne peut penser sans frĂ©mir, mĂȘme pour son cadavre !⊠Marie-ThĂ©rĂšse ! si je pouvais revoir encore une fois ne serait-ce que votre chevelure blonde ou le bas de votre robe grise !⊠Mais voilĂ longtemps que je nâai vu ici ceux que je connais. On les a remis Ă leur place primitive, derriĂšre cette muraille humaine. Je ne reverrai pas Marie-ThĂ©rĂšse. 2 septembre. Jâattacherai le cahier sous ma chemise, bien sanglĂ© avec ma ceinture. 6 heures du soir. â Il y a eu trop de grincements. Jâai eu peur dâĂȘtre guettĂ©, arrĂȘtĂ© dans ma tĂąche, et mis dans lâimpossibilitĂ© de recommencer. § Le givre se verra tout de suite, dĂšs le dĂ©but, puisque lâair chaud nâarrivera plus. Pourvu que les Sarvants⊠8 septembre. Il nây a aucun grincement. Les empaillĂ©s, lĂ -bas oscillent, virevoltent. Il est bien Ă©vident quâon les manie. Il est mĂȘme possible quâon les inaugure, car les Sarvants paraissent avoir dĂ©sertĂ© lâaĂ©rarium. Les malheureux que lâon tourmentait de cent maniĂšres diffĂ©rentes ont du rĂ©pit. Nos bourreaux se sont portĂ©s en foule vers la galerie dâen face. â Câest lâheure. â Je vais boucher les tubes des clapets avec lâĂ©toffe de mes vĂȘtements et jâappuierai de tout mon poids. Je nâĂ©cris pas dâadieux, le temps presse et je nâai pas besoin de mâattendrir. Je vais attacher le cahier sur ma poitrine. » [Suivent soixante-six pages blanches.] xivLâĂpave de lâAir Messieurs !⊠citoyens !⊠mes amis !⊠je vous supplie dâattendre ! » sâĂ©cria M. Le Tellier. Il se jeta au-devant des ouvriers mĂ©tallurgistes qui, dâune poussĂ©e, avaient rompu le cercle. Le compagnon Virachol, dit Gargantua, le ferronnier de France qui dĂ©place le plus gros volume dâair, sâavançait Ă leur tĂȘte en jouant de son levier comme dâune canne de tambour-major. â Assez de boniments, mon astrologue ! » dit-il. Moi, sâpas, jâcomprends quâune chose câest quâil y a des frangins Ă dĂ©livrer. On les entend qui grattent⊠Allons-y, mes poteaux ! Rentres-y dedans ! » â ArrĂȘtez ! Au nom de votre vie, arrĂȘtez ! ou je vous fais expulser sur-le-champ ! Et Ă©coutez-moi. Si je vous ai gardĂ©s prĂšs de nous, au lieu de vous faire reconduire Ă votre chantier par la troupe, câest que je considĂšre vos aptitudes spĂ©ciales comme pouvant nous ĂȘtre trĂšs utiles. Mais jâexige de vous une discipline rigoureuse. Ă la premiĂšre incartade bonsoir ! Jâentends que vous vous laissiez guider dans votre travail par les savants et les officiers qui mâentourent, et je leur demande vis-Ă -vis de moi la mĂȘme soumission. Pour la minute, Ă©coutez-moi. Approchez-vous, les gardes et les pompiers ! â et ne vous prĂ©occupez pas de ces grincements, nom de nom !⊠» Lâastronome accĂ©lĂ©ra son dĂ©bit â Messieurs, vous devez maintenant mâapprouver dâavoir pris connaissance du journal de M. Collin avant de toucher Ă ce corps invisible. GrĂące Ă mon regrettĂ© secrĂ©taire, qui a si bien dĂ©duit du connu lâinconnu, voilĂ que nous savons Ă quel engin nous avons affaire. Il ne sâagit pas dâune machine venue des astres, comme le bruit en court, mais dâun appareil tombĂ© dâune terre invisible, supĂ©rieure Ă la nĂŽtre et qui fait partie de notre planĂšte ; ce nâest pas un uranoscaphe, ni un Ă©thĂ©roscaphe, câest tout bonnement un aĂ©roscaphe. Câest un sous-aĂ©rien, qui voguait parmi lâair comme nos sous-marins naviguent au sein de lâeau ; et ceci accentue encore la ressemblance si souvent remarquĂ©e entre les navigations aĂ©rienne et sous-marine, de mĂȘme quâentre lâair, type populaire des gaz, et lâeau, type populaire des liquides. » Ce bateau invisible a Ă©tĂ© frĂ©tĂ© par un peuple inconnu, invisible, superaĂ©rien. Sans aucun doute, il est montĂ© par dâinvisibles matelots. On peut affirmer, de plus, quâil fut armĂ© pour la prospection des bas-fonds sous-aĂ©riens autrement dit notre sol et dans le but de faire ce qui est pour nos voisins dâen dessus de lâocĂ©anographie ». Si vous comparez cela aux Ă©tudes de S. A. S. le prince de Monaco, vous direz avec moi que cette embarcation, dont la forme rappelle nos submersibles plus encore que nos dirigeables, est une Princesse-Alice invisible et submersible, un yacht plongeur destinĂ© Ă la pĂȘche au fond de la mer, â une Princesse-Alice et un Nautilus tout ensemble. Nous ne possĂ©dons rien dâanalogue⊠» â Pardon, monsieur ! » rĂ©futa vivement un capitaine de frĂ©gate qui Ă©coutait de toutes ses oreilles. Il existe un sous-marin pour la pĂȘche aux Ă©ponges. Câest un prĂȘtre qui lâa inventĂ©. Cela fonctionne dans la perfection. » â Les Sarvants ne sont donc pas des novateurs aussi originaux que je le croyais », reprit M. Le Tellier. Cependant, ils ont oubliĂ© dâĂȘtre bĂȘtes ; car, Ă©tant donnĂ© lâĂ©vidente lĂ©gĂšretĂ© spĂ©cifique de leur substance constitutive, ils avaient Ă surmonter de singuliĂšres difficultĂ©s pour descendre au fond de lâatmosphĂšre, Ă cinquante kilomĂštres au-dessous du niveau de leur mer. Supposez des hommes naturels voulant plonger au fond dâun ocĂ©an dâeau de cinquante mille mĂštres ! Les Sarvants ont eu autant de peine Ă descendre jusquâĂ nous que nous en aurions Ă monter jusquâĂ eux⊠La matiĂšre de leur vaisseau doit ĂȘtre Ă celle de leurs individus comme le plomb est Ă notre chair⊠» Les malheureux, dâailleurs, ont payĂ© leur audace dâune catastrophe. Ce sont des martyrs de la Science que nous avons lĂ prĂšs de nous. Car â messieurs, Ă©coutez-moi, ceci est de la plus haute importance pour le succĂšs des travaux que nous allons entreprendre â M. Robert Collin lâavait admirablement soupçonnĂ© nous assistons Ă lâĂ©pilogue dâun drame pareil Ă ceux du Lutin, du Farfadet et du PluviĂŽse, que nous nous rappelons tous et qui endeuillĂšrent la marine française. » Au cours dâune plongĂ©e effectuĂ©e le 12 aoĂ»t par cet aĂ©roscaphe, â par ce sous-marin de lâair, â un dĂ©traquement se produisit dans son organisme, Ă un instant oĂč il se trouvait encore dans les rĂ©gions les plus Ă©levĂ©es de lâatmosphĂšre ocĂ©ane. Ă partir de ce jour-lĂ , il sâest enfoncĂ© lentement, et, lentement poussĂ©e par le vent du sud-est qui souffla jusquâĂ mercredi, lâĂ©pave de lâAir est enfin venue sâĂ©chouer Ă Paris, au bout de trois semaines dâun engloutissement ininterrompu. Câest donc un naufrage, et qui serait terrifiant, si les naufragĂ©s nâĂ©taient pas les ennemis fĂ©roces de lâhumanitĂ©. Vous entendez, M. Virachol ? » Tout porte Ă croire que plusieurs des matelots mystĂ©rieux vivent encore. Ces grincements font foi de leur activitĂ©. De mĂȘme que lâĂ©quipage du Lutin ou du Farfadet vĂ©cut de longues heures au fond de lâeau dans sa provision dâair, de mĂȘme lâĂ©quipage de lâaĂ©roscaphe survit au fond de lâair dans sa provision de vide, â celle-ci plus inĂ©puisable sans doute que celle-lĂ , puisque nulle respiration ne saurait la dĂ©penser et que, selon moi, les Invisibles doivent ĂȘtre exempts de poumons comme ils sont privĂ©s de cĆur. » Oui, me fondant sur les rĂ©vĂ©lations du journal de M. Collin, jâaffirme que câest un naufrage. Point capital, messieurs. Car ainsi, nous nâavons pas Ă redouter que cette descente de lâaĂ©roscaphe soit une ruse ourdie contre nous. Il en rĂ©sulte que nous sommes les maĂźtres de lâheure. Nous pouvons agir, mais avec la plus extrĂȘme prudence. » Il y a lĂ dedans des ĂȘtres du vide qui ne sont pas morts. Donc lĂ dedans il y a encore du vide ; lâair â dont lâinfiltration a provoquĂ© la descente â nâa pas tout envahi, loin de lĂ . Ceci nous donnera du mal. Sans compter que cette substance si dure⊠Enfin, pour faciliter notre tĂąche et notre intelligence de la question, supposons, nâest-ce pas, que nous allons manier une chose coulĂ©e Ă fond dans la mer. Car on peut appliquer aux corps plongĂ©s dans lâair tout ce quâon dit des corps plongĂ©s dans lâeau, et ici notamment toutes proportions se trouvent gardĂ©es. â MĂ©fiez-vous aussi des tours que pourrait vous jouer lâinvisibilitĂ©. Somme toute, sous ce rapport, ce qui se passe est lâopposĂ© de ce que raconte le cahier rouge au lieu dâĂȘtre la rĂ©union de quelques personnes exceptionnellement visibles dans un monde invisible, câest un objet exceptionnellement invisible dans un monde visible. » M. Virachol, de la patience ! et de la prudence ! Ne risquons pas notre belle vie pour extraire de lĂ deux ou trois brutes qui succomberont dĂšs quâelles seront Ă lâair. Câest cela que vous ne comprendrez jamais ! Comme des poissons, M. Virachol ! comme des poissons ! Y ĂȘtes vous ?⊠» Et maintenant, quâon veuille bien suivre mes instructions. » Ici commence vraiment lâinĂ©narrable dĂ©couverte de lâaĂ©roscaphe. Sous la direction de M. Le Tellier, Ă qui le duc dâAgnĂšs servait de secrĂ©taire, chacun sâingĂ©nia de son mieux Ă se procurer de la chose un spectacle tactile. M. dâAgnĂšs notait scrupuleusement les trouvailles de M. Le Tellier. On apporta des Ă©chelles qui furent dressĂ©es contre lâinvisible. Elles avaient lâair dâĂ©chelles magiques, penchĂ©es en Ă©quilibre instable. Ceux qui les employĂšrent semblaient de merveilleux acrobates se jouant de la pesanteur au point de lâannuler. Parvenus Ă cinq mĂštres du sol, ils prenaient pied Ă mĂȘme le nĂ©ant, puis, avec mille prĂ©cautions, ils sâavançaient au milieu de lâair, comme des dieux novices. Quelques-uns marchaient ; on voyait leurs semelles par-dessous. La plupart abordaient Ă quatre pattes et continuaient ainsi. Tous admiraient la difficultĂ© de se tenir debout sur cette plate-forme cependant unie et rĂ©sistante, uniquement parce quâelle Ă©tait invisible. On mesura strictement le sous-aĂ©rien. Il avait 5 mĂštres 8 centimĂštres de haut sur 40 mĂštres 10 centimĂštres de long. Le contact ne rĂ©vĂ©lait quâune surface glacĂ©e aux deux sens du mot les uns parlaient de marbre, les autres citaient lâacier ou le verre, sans joints, sans rivets ni boulons, comme si cette coque eĂ»t Ă©tĂ© ciselĂ©e dâune seule piĂšce dans un pain colossal de matiĂšre invisible. La formidable collision du carrefour Louis-le-Grand ne lâavait pas seulement cabossĂ©e. â Sur les cĂŽtĂ©s, on reconnut deux files de ronds creux, simulant deux rangĂ©es dâassiettes Ă soupe. M. Monbardeau soutint que câĂ©taient des hublots, et il affola tout le monde avec lâidĂ©e de visages possibles installĂ©s Ă ces Ćils-de-bĆuf, grimaçant, regardant lâassemblĂ©e dâune maniĂšre effroyable, et grinçant des dents de cette façon exaspĂ©rante qui nâen finissait pas. M. Le Tellier lui dit que, justement, il Ă©tait nĂ©cessaire que les Sarvants grinçassent contre le bordage pour pouvoir se faire entendre, vu quâils Ă©taient dans le vide. Au mĂȘme instant, on relevait sur le plateau horizontal de lâaĂ©roscaphe, suivant la ligne mĂ©diane, cinq disques successifs, Ă peine saillants. Celui du milieu comptait 4 mĂštres de diamĂštre, les autres 50 centimĂštres seulement. Chacun voulut les palper. On fut dâaccord ce devaient ĂȘtre des couvercles, des panneaux obturant des Ă©coutilles. Cependant un groupe animĂ© se tenait Ă lâarriĂšre et garnissait plusieurs Ă©chelles doubles serrĂ©es les unes contre les autres. LâhĂ©lice invisible en Ă©tait la cause. Son axe la tenait Ă 2 m. 50 de terre. On la faisait tourner Ă la main facilement, sans aucun bruit, â ce qui prouvait que les rouages de la machinerie fonctionnaient encore dans le vide. Cette hĂ©lice faisait lâĂ©tonnement du duc dâAgnĂšs. Courte et large, savamment volutĂ©e, multiple, mobile, gauchissable, pareille Ă quelque tronçon de tire-bouchon hirsute et dĂ©chiquetĂ©, câĂ©tait en somme une vis dâArchimĂšde supĂ©rieurement perfectionnĂ©e. Inutile de chercher ailleurs la sirĂšne involontaire qui bourdonnait son chant doux et sombre dans les nuits dâĂ©pouvante, â le ventilateur dont le vent sâajoutait Ă celui du passage de lâaĂ©roscaphe pour remuer les arbres et pour faire tourner sur elle-mĂȘme la girouette de Mirastel, quand le sous-aĂ©rien dĂ©crivait tout autour ses spirales dâapproche. Les hommes de science venaient, un par un, tripoter lâincomparable propulseur ; si bien que lâun deux, â M. Martin-Dubois, de lâInstitut, â se sentit rudement calottĂ© par lâune des pales, tandis quâun de ses collĂšgues faisait marcher lâhĂ©lice. En prĂ©sence de cet accident, M. Le Tellier rĂ©solut dâattĂ©nuer dans la mesure du possible les inconvĂ©nients de lâinvisibilitĂ© en opĂ©rant la dĂ©limitation de lâaĂ©roscaphe. Provisoirement, il le fit cercler de cordes â celles-lĂ mĂȘmes qui avaient servi Ă lâapporter. On eut alors sous les yeux une carcasse extraordinaire qui ressemblait mal au squelette dâune baleine imitĂ© avec de la ficelle, â un squelette oĂč il nây avait que des cĂŽtes, une cage thoracique de chanvre, en forme de cigare Ă©quarri par le milieu. Autour de lâhĂ©lice, on planta des perches. Puis, Ă la grande satisfaction de Gargantua, on attaqua les couvercles. Il faisait chaud ; les ouvriers se mirent le torse nu. â Pas trop tĂŽt ! » grommelait Virachol. Il a dit que câĂ©tait kif-kif le Lutin. Alors, moi, jâavais un aminche quartier-maĂźtre dans le Lutin⊠» Et il ne pouvait se reprĂ©senter que si lâaĂ©roscaphe avait contenu des aminches », il les aurait vus, Ă travers cette enveloppe ultra-diaphane, aussi nettement quâil voyait sâĂ©panouir devant lui son gros ventre pantagruĂ©lique, dĂ©jĂ tout ruisselant dâune sueur anticipĂ©e. Les couvercles rĂ©sistaient aux pinces. Les pics sonnĂšrent et sâĂ©moussĂšrent sur la substance qui avait aplati la balle de Robert Collin et subi sans flĂ©chir deux torrents inverses dâautomobiles. Une Ă©motion bizarre Ă©treignait les spectateurs dans quelques minutes ils allaient savoir ce quâĂ©taient les Sarvants ! La derniĂšre Ă©nigme allait se rĂ©soudre ; le dernier voile de lâIsis monstrueuse Ă©tait sur le point de tomber. Mais les Ă©coutilles refusaient de sâouvrir, et lâincommoditĂ© de les dĂ©boucher sâaccroissait encore de ce que M. Le Tellier avait dĂ©fendu de sâen approcher Ă moins dâun mĂštre, par crainte du vide, au cas dâune brusque perforation. Les travaux de lâarriĂšre-Grand-Palais nĂ©cessitaient lâemploi dâun treuil Ă vapeur ; on lâamena. Mais, accrochĂ© au couvercle de poupe, il enleva lâaĂ©roscaphe tout entier, malgrĂ© le contrepoids de cent hommes pendus aux cordages. Le vide, sous les panneaux, les maintenait collĂ©s par lâĂ©norme pesĂ©e de lâatmosphĂšre. En dĂ©finitive, câĂ©tait lĂ une variante de ces bons vieux hĂ©misphĂšres de Magdebourg, Ă qui tout Ă©colier garde un souvenir attendri. Le treuil fut remisĂ©. M. Le Tellier monta sur lâaĂ©roscaphe pour tĂąter Ă nouveau les couvercles invincibles. Une suite nombreuse lây rejoignit. â Et câest maintenant quâon va savoir ce quâil advint de Virachol. Hors de lui, rĂ©voltĂ© dans son humanitarisme ingĂ©nu par les lenteurs du sauvetage », il embaucha ses camarades pour lâexĂ©cution dâun funeste projet. â Il avait reconnu que les grincements provenaient dâun endroit du sous-aĂ©rien situĂ© dans le bas et Ă lâavant. Il rĂ©solut dâattaquer lĂ , directement, et de saborder le navire, afin de donner de lâair » aux naufragĂ©s ! Pendant que les couvercles dĂ©tournaient lâattention, Virachol repĂ©ra les grincements juste au dernier hublot » du cĂŽtĂ© de la proue. Ensuite, il essaya de tracer sur lâaĂ©roscaphe invisible une circonfĂ©rence Ă la craie, pour que lâon pĂ»t diriger toujours au mĂȘme point les coups de la perforatrice. Mais la craie ne marquait ni sur le hublot » ni sur la carĂšne. Alors il plia son mĂštre en figure de pentagone et le fit tenir par un compagnon, Ă la bonne place, entre deux cordages. Ils Ă©taient huit Ă soutenir le grand levier pointu de Virachol-Gargantua. Un moment, ils le balancĂšrent en cadence, et, piquant droit dans le pentagone, ils frappĂšrent. Le bĂ©lier rebondit⊠Les chocs sonnaient avec la rĂ©gularitĂ© dâun pendule et le timbre dâune cloche. Au premier heurt, lâastronome avait tout devinĂ©. â EmpĂȘchez-les ! » ordonna-t-il du haut de la plate-forme. Vite ! Câest fou ! EmpĂȘchez-les donc ! Le vide ! Le vide⊠» Gargantua soufflait, ahanait et graillonnait â Hardi, bon Dieu ! Magne-toi, la coterie ! » Il Ă©tait en avant des autres et poussait le levier, de toute sa lourdeur phĂ©nomĂ©nale, suant, rougeoyant, exhalant des onomatopĂ©es sauvages. â Finissez donc ! » implorait M. Le Tellier se hĂątant de descendre. Vous allez vous faire⊠» Mais il Ă©tait trop tard. On entendit un coup de sifflet prodigieux, bref, acĂ©rĂ©, assourdissant ; il fut suivi dâune sonoritĂ© mate, flasque â et dâun cri perçant. Virachol avait lĂąchĂ© sa pince et faisait des gestes nouveaux. On jugea sans hĂ©sitation quâil Ă©tait appliquĂ© au sous-aĂ©rien. Vainement il sâarc-boutait, vainement ses amis affolĂ©s le tiraient en arriĂšre, â le dĂ©sespĂ©rĂ© ne pouvait plus partir, et il regardait avec effroi son ventre abusif oĂč tout Ă coup une excroissance congestionnĂ©e sâĂ©tait mise Ă pousser. Un attroupement se concentra vers lui. M. Le Tellier calma les esprits â Ne le tirez pas, câest inutile. » â Les Sarvants le tiennent ! » dit quelquâun. â Mais non », rĂ©pliqua vertement lâastronome. Câest le vide, et pas autre chose. » Les ouvriers expliquaient lâaventure â Subito, la pince nous a Ă©chappĂ©. On aurait dit quâelle avait de la volontĂ© pour ficher le camp⊠Il y a eu le sifflet, et Gargantua sâest plaquĂ© dans lâair comme sâil avait voulu suivre la pince ! » En effet, chacun pouvait contempler la grosse barre de fer Ă lâintĂ©rieur du bateau. Elle semblait ĂȘtre perpĂ©tuellement sur le point de tomber, soutenue quâelle Ă©tait par lâinvisible face opposĂ©e. AussitĂŽt quâelle avait eu percĂ© le flanc de lâaĂ©roscaphe, le vide lâavait bue avec aviditĂ©, ou, si lâon aime mieux, lâair rentrant lâavait entraĂźnĂ©e, puis il avait aspirĂ© Gargantua qui, Ă cette heure, aveuglait de son propre abdomen la voie dâair ainsi pratiquĂ©e. Sa chair Ă©lastique se trouvait sucĂ©e par la ventouse formidable ; lâappendice apoplectique sâallongeait, se gonflait et saignait. On pouvait craindre, semblait-il, que lâhomme tout entier finĂźt par sâintroduire dans ce petit trou⊠Virachol Ă©perdu tira son couteau ; il prĂ©fĂ©rait se couper un morceau de panse, plutĂŽt que dâadhĂ©rer une minute de plus au suçoir du gigantesque poulpe artificiel⊠M. Le Tellier lâen empĂȘcha â Il faut simplement faire entrer de lâair dans cette chambre vide. » DĂ©jĂ un autre bĂ©lier battait la carĂšne sonore. Les gaillards qui le manĆuvraient sâĂ©taient passĂ© des cĂąbles autour de la ceinture, et des pompiers, au nombre de cinquante, les retenaient. Le second bĂ©lier partit comme le prĂ©cĂ©dent ; mais aucun homme ne fut ventousĂ©, en dĂ©pit du courant dâair qui siffla plus bruyamment quâun steamer en dĂ©tresse. Virachol put se dĂ©gager. On lâemporta sans connaissance. Les grincements avaient cessĂ©. â Morts ! » chuchota M. Le Tellier Ă lâoreille du duc dâAgnĂšs. Les matelots invisibles sont morts noyĂ©s dans lâair. » â Alors, il nây a plus de vide dans le sous-aĂ©rien ? » â Oh ! oh ! que si. Nous nâavons fait rentrer lâair que dans un seul compartiment ; le coup de sifflet nâa pas assez durĂ© pour quâon puisse supposer le contraire. Pardieu ! aprĂšs tout, je vais faire dĂ©foncer les couvercles purement et simplement. Le vide nous y aidera. Tant pis pour les dĂ©gĂąts ! Jâaurais prĂ©fĂ©rĂ© les ouvrir⊠» Autour du couvercle de poupe, six ferronniers athlĂ©tiques levĂšrent ensemble six merlins Ă long manche, de vint kilogs chacun, et, jaquemarts visibles dâune cloche invisible, commencĂšrent Ă frapper lâair retentissant. Pendant quâils martelaient, le duc dâAgnĂšs prit Ă lâĂ©cart M. Le Tellier â Je vais vous paraĂźtre stupide⊠Mais, lâinvisibilitĂ© ?⊠Je ne comprends pas encore⊠Et beaucoup de gens sont logĂ©s Ă la mĂȘme enseigne, qui nâosent pas lâavouer⊠Robert Collin avait lâair de trouver tout naturel quâil existĂąt des mondes invisibles, des ĂȘtres invisibles⊠» M. Le Tellier rĂ©pondit â De toute antiquitĂ©, les hommes ont admis quâil pĂ»t y avoir des corps invisibles. Les dieux du paganisme se cachaient aux yeux des mortels ; on leur prĂȘtait cette facultĂ© olympienne de lâaorasie, qui nâest autre que lâinvisibilitĂ©. Une lĂ©gende millĂ©naire, reprise par La Fontaine dans Le Roi Candaule, nous apprend lâhistoire de GygĂšs, le berger devenu roi grĂące Ă lâanneau qui le rendait invisible. Jâai souvenir aussi de certain turban des Mille et une Nuits quâil suffisait de coiffer pour disparaĂźtre⊠» â Mythologie ! Fable ! LittĂ©rature ! » â Certes. â Mais ne sommes-nous pas entourĂ©s de choses invisibles ? RĂ©elles mais invisibles ? LâĂ©nergie, le son, lâodeur, lâair qui nous baigne, â le vent, que vous savez si bien ĂȘtre invisible que vous employez sur votre aĂ©roplane un dispositif agencĂ© pour le rendre visible ?⊠Vous reconnaissez que voilĂ des choses invisibles ! Eh bien, cela suffit Ă dĂ©pouiller de toute dĂ©raison la conjecture de mondes invisibles qui ne seraient formĂ©s que de ces choses-là ⊠» â Oui donc des choses, mais des ĂȘtres ? » â Oh ! des ĂȘtres ! Voyons quâest-ce quâun ĂȘtre ? Allons aussi loin que possible quâest-ce quâun homme ? Une Ăąme et un corps. Parfait. Mais lâĂąme, elle, est toujours invisible ; vous nâavez jamais vu dâĂąme se promener toute seule, nâest-ce pas ? Bien. Pour le corps, abstraction faite de lâĂąme, â mon Dieu, le corps nâest quâune certaine quantitĂ© de matiĂšre ni plus ni moins estimable quâune certaine quantitĂ© dâatmosphĂšre ; et, partant, je ne vois pas pourquoi lâon refuserait Ă lâune nâimporte quelle propriĂ©tĂ© que lâon accorde Ă lâautre, fĂ»t-ce la propriĂ©tĂ© dâĂȘtre optiquement imperceptible⊠Car⊠» Car, ne lâoublions pas, lâinvisibilitĂ© ce nâest que cela ; câest la qualitĂ© de ce qui nâimpressionne pas notre rĂ©tine. Pour un corps, il nâest donc pas plus extraordinaire dâĂȘtre invisible que dâĂȘtre inodore ou insapide. Il ne faut donc pas nous Ă©tonner que tel objet soit invisible, quand nous admettons sans difficultĂ© quâil ne sent rien ou quâil laisse le goĂ»t indiffĂ©rent. Estimez-vous prodigieux de nâentendre point glisser les nuages ? Alors, pourquoi ĂȘtes-vous surpris de ne voir point passer les Sarvants ? Pourquoi, vous qui admettez des choses impalpables, reconnaissez-vous Ă contre-cĆur et avec stupĂ©faction lâexistence de choses invisibles ? » Notre Ă©merveillement en prĂ©sence du PĂ©ril Bleu provient de ce que ces corps invisibles nouvellement rĂ©vĂ©lĂ©s sont solides, et que lâinvisibilitĂ© et la soliditĂ© sont deux qualitĂ©s de la matiĂšre qui ne se trouvent pas rĂ©unies dans les conditions habituelles oĂč sâexercent notre vue et notre toucher. â Cependant ! Cependant, mĂȘme avant notre premier contact avec le monde invisible, nous avons assistĂ© dĂ©jĂ Ă la rencontre de ces deux qualitĂ©s dans un mĂȘme objet. Un corps solide, animĂ© dâun mouvement rapide, ne se voit plus un projectile dans sa trajectoire, une hĂ©lice qui tourne Ă lâabri du soleil. Et, autre exemple fort diffĂ©rent de solide invisible un vase de cristal incolore plongĂ© dans une eau pure qui a le mĂȘme indice de rĂ©fraction. â Incolore, ai-je dit. Mais une chose incolore est dĂ©jĂ invisible, et vous avez sans doute admirĂ© des panneaux de glace si incolores, si aĂ©riens sous le rapport visuel, que les fenĂȘtres quâils closent semblent toujours grandes ouvertes. » Or, remarquez, je vous prie, que, de toutes ces substances dont nous parlons, quelques-unes au moins sont aussi importantes dans lâunivers que lâargile pĂ©rissable de notre corps. » â Nâimporte ! » repartit le duc dâAgnĂšs, instinctivement, on est tentĂ© de nier la rĂ©alitĂ© de ce qui est invisible. » â Eh oui parce que la vue est celui de nos sens qui a le plus vaste domaine ; câest le sens que nous disons principal, et voilĂ pourquoi vous contestez lâexistence des choses quâil nâapprĂ©cie en aucune façon. Mais imaginez un ĂȘtre qui ne serait douĂ© que dâun sens unique, lâodorat par exemple un tel ĂȘtre nâest pas absurde, il doit se trouver dans la multitude des crĂ©atures, et songez alors Ă lâinfinitĂ© de choses dont il nierait lâexistence ! Toutes les choses inodores ! Cet aveugle dĂ©mentirait la rĂ©alitĂ© de toutes les choses visibles qui nâauraient pas de parfum !⊠» Nous lui ressemblons. Vis-Ă -vis de lâarĂ©roscaphe, des Sarvants et du monde superaĂ©rien, nous sommes ainsi que des aveugles. Depuis le commencement de la vie, nous avons jouĂ© avec les Sarvants un jeu de colin-maillard terrifiant, â et câest nous qui avions le bandeau sur les yeux ! Ce ne sont pas, dâailleurs, les seuls ennemis invisibles que nous ayons depuis si longtemps. Pensez Ă lâacide carbonique, le traĂźtre, Ă lâoxyde de carbone. lâempoisonneur son complice, et tant dâautres ! Nous sommes des aveugles en face des Sarvants, vous dis-je ! voilĂ tout ; câest une question de mots. Nous ne les avons encore perçus que par lâoreille et le tact. Pour Mme Arquedouve qui, elle, ne peut rien voir, ils sont exactement comme les autres ĂȘtres, puisquâils manquent dâune qualitĂ© quâelle est incapable de percevoir. Toucherait-elle cet aĂ©roscaphe, lâimpression quâelle en retirerait serait la mĂȘme que sâil sâagissait dâune embarcation visible, Ă moins que son toucher, perfectionnĂ© par lâexpĂ©rience, ne lâavertisse que cet objet possĂšde un caractĂšre spĂ©cial qui, pour les voyants, se traduit en invisibilitĂ©. Celle-ci ne saurait exister pour les aveugles ; un aveugle-nĂ©, mĂȘme, ne pourrait comprendre ce que câest ; Ă ce point de vue, il ne ferait aucune diffĂ©rence entre le mĂ©tal de lâaĂ©roscaphe et notre chair. â Ătonnez-vous donc, monsieur, Ă©tonnez-vous encore dâune exception qui, fatalement, paraĂźt Ă certains hommes la rĂšgle gĂ©nĂ©rale et que la raison leur impose comme telle, de toute sa toute-puissance ! » Voulez-vous rompre le sortilĂšge de lâinvisible ? QuâĂ cela ne tienne fermez les yeux ! » â RhĂ©torique, monsieur ! RhĂ©torique ! De plus, reconnaissez que les objets que vous me citez comme Ă©tant invisibles ne le sont que passagĂšrement, occasionnellement. Le projectile ne devient tel que sâil est lancĂ©, lâhĂ©lice si elle tourne, et le vase sâil plonge dans lâeau. Quant aux choses invisibles dâune façon permanente, ce sont des gaz, impalpables et fort loin de⊠» â Qui vous a dit quâil ne pouvait exister de gaz palpables ? » â Ce ne serait plus des gaz, par dĂ©finition. Lâair ne devient palpable que liquĂ©fiĂ©, sous de hautes pressions, quand il se mĂ©tamorphose de gaz en liquide⊠» â Bravo, jeune homme ! Mais, dites-moi ce liquide lui-mĂȘme, ce gaz honoraire », peut devenir glaçon ; et pourquoi ce gaz, â devenu de la sorte un solide, perdrait-il forcĂ©ment sa vertu dâinvisibilitĂ© ? Il ne faudrait quâune exception bien peu exceptionnelle ! Simple question dâindice de rĂ©fraction. Le sable, monsieur, le sable qui est une maniĂšre de liquide solide, le sable opaque ne devient-il pas transparent lorsquâon le transmue en cristal ? Alors, sâil vous plaĂźt, pourquoi le gaz invisible ne resterait-il pas invisible en adoptant une autre consistance ? Dans le cas prĂ©sent, rester nâest-il pas beaucoup moins ardu que devenir ? » â Soit. â Et les mondes invisibles auxquels Robert Collin fait allusion ?⊠» â Vous vous rappelez que les planĂštes â dont la Terre â ne dĂ©crivent pas autour du Soleil un orbe rond dont le Soleil serait le centre, mais un orbe ovale, une ellipse, dont le Soleil occupe seulement lâun des deux foyers. Quây a-t-il Ă lâautre foyer ? Ă ce deuxiĂšme centre, si je puis dire, oĂč lâon ne voit rien, mais oĂč il faut quâil y ait quelque chose dâassez puissant pour contre-balancer lâaction du Soleil et faire quâau lieu de rond, lâorbe des planĂštes se trouve elliptique ?⊠Des esprits de valeur soutiennent quâaux seconds foyers des ellipses planĂ©taires, dâautres Soleils, inconnaissables aux prunelles des hommes, sâĂ©panouissent. Lisez lĂ -dessus la plaquette de Jean Saryer[12] Le Soleil et lâautre Soleil invisible, foyers rĂ©els de lâellipse, siĂšges de deux forces Ă©gales accouplĂ©es dans lâimmensité⊠entraĂźneraient la Terre avec une influence constante de direction⊠Lâautre astre rayonnerait peut-ĂȘtre de la lumiĂšre froide et Ă©clairerait des ĂȘtres invisibles Ă lâhomme. » â Un monde de la mĂȘme contexture que celui de lĂ -haut qui nous enveloppe ! Des ĂȘtres pareils aux Sarvants ! Le regard nâa pas de prise sur eux ; ils sont douĂ©s dâune transparence absolue ; la lumiĂšre les traverse intĂ©gralement. » â Nous nous sommes fiĂ©s bĂȘtement au tĂ©moignage de notre vue », fit le duc dâAgnĂšs. Dâabord nous avons pris les victimes pour les ravisseurs souvenez-vous des hommes volants et ensuite les prisonniers pour la prison rappelez-vous la tache carrĂ©e ! » â Et lâinexplicable poisson voltigeur qui, en vĂ©ritĂ©, sautillait sur le fond du cylindre invisible ! » â Ah ! ils sont⊠» M. dâAgnĂšs sâinterrompit de bavarder pour se boucher les oreilles. Un sifflement qui vous lardait le crĂąne, accompagnĂ© dâun coup de vent subit, venait de remplacer la batterie des marteaux. Sous leurs chocs rĂ©pĂ©tĂ©s et sous le poids de lâAir, le couvercle invisible avait enfin cĂ©dĂ©. Il sâĂ©tait enfoncĂ© avec une brutalitĂ© surprenante. On avait entendu le bris des choses quâil dĂ©molissait en traversant de haut en bas le sous-aĂ©rien, et, comme un trou se forma soudain dans le sol, on connut quâil avait transpercĂ© jusquâau fond de cale, agissant Ă lâinstar dâun boulet de canon pneumatique. Pour combattre lâaspiration, les six jaquemarts sâĂ©taient jetĂ©s Ă plat ventre et formaient une Ă©toile humaine rayonnant autour de lâorifice. Lâun dâeux, qui avait la tĂȘte tout au bord et qui sây cramponnait, se releva promptement et cria â Il y a quelque chose qui mâa frĂŽlĂ© en sortant avec violence, aussitĂŽt aprĂšs le sifflement ! Ăa mâa passĂ© devant⊠» Mais Ă peine avait-il exprimĂ© sa surprise, quâon entendit dans les hauteurs un bruit de carreaux cassĂ©s⊠Dans lâattente dâune dĂ©gringolade invisible, tous arrondirent le dos⊠AprĂšs une seconde, il tomba sur lâassistance une pluie dâĂ©clats de vitres. Ce fut tout. Le toit du Grand-Palais venait de crever, â on ne savait ni pourquoi ni comment. â Eh ! câest le corps dâun des matelots ! » expliqua M. Le Tellier. LĂ©gers comme ils doivent ĂȘtre ! DĂšs que lâair fut rentrĂ©, lâĂ©quilibre Ă©tant rĂ©tabli, ce corps est remontĂ© Ă la surface de lâAir, â comme un bouchon de liĂšge, comme un de nos corps remonterait du fond de la mer, avec une force incalculable⊠En voilĂ un de perdu. TĂąchons de sauvegarder les autres, ceux qui grinçaient Ă lâavant⊠» Et il songeait Ce nâest pas des hommes ; câest impossible. Si lĂ©gers ! sans cĆur ! sans poumons ! Ce ne peut pas ĂȘtre des hommes, â mĂȘme adaptĂ©s, que diable ! Le transformisme a des bornes⊠Alors, quâest-ce donc ? » Son imagination forgeait des crĂ©atures Ă©pouvantables et fabuleuses. LâidĂ©e de Marie-ThĂ©rĂšse ne pouvait que sây mĂȘler en dâinfernales Ă©vocations ; et lâastronome se sentait de plus en plus tremblant Ă mesure quâon approchait de la connaissance finale. Par la brĂšche invisible, un aspirant de marine se glissa M. Rigaud. Il descendit dans lâaĂ©roscaphe en prenant toute sortes de prĂ©cautions. Il indiquait Ă voix haute les formes de ce quâil rencontrait. Il allait et venait au milieu de lâair, dâune façon miraculeuse. On entendait ses pas circonspects, le toc-toc de ses doigts percutant les cloisons. Sa voix, peu Ă peu, sâĂ©touffait. Il remontait et redescendait, contournait des inflĂ©chissements, semblait ouvrir des portes et des trappes, rampait au long de boyaux invisibles et suivait dâĂ©troits corridors en se mettant de guingois. â On ne lâentendit plus ni parler, ni marcher, ni cogner. â Il poursuivit lâexploration du labyrinthe fantastique, et, subitement, pĂąlit et se livra aux gestes de la peur. Il sâĂ©tait Ă©garĂ©. On lâapercevait Ă quelques mĂštres de soi, on croyait pouvoir lâatteindre dâun saut, et pourtant il Ă©tait captif dâune geĂŽle inextricable⊠Des pompiers, se tenant par la main, firent une chaĂźne Ă travers le dĂ©dale, jusquâĂ M. Rigaud. Il sortit de lĂ pour ne plus rentrer, sinon, disait-il, avec une cordelette dĂ©roulĂ©e en fil dâAriane. Câest, du reste, au moyen de cet antique procĂ©dĂ© que lâon put reconnaĂźtre toute la partie Ă©tanche de lâaĂ©roscaphe oĂč donnait accĂšs le premier couvercle. Puis on enfonça les autres, jusquâau cinquiĂšme exclusivement. Le navire Ă©tait divisĂ© en alvĂ©oles trĂšs nombreuses et trĂšs petites. Point dâescaliers, mais des plans inclinĂ©s. M. Martin-Dubois, de lâInstitut, dĂ©couvrit des caissons qui devaient ĂȘtre les airballasts, et, de ce fait que la plupart Ă©taient pleins dâair, il dĂ©duisit la cause du naufrage, Ă savoir que la pompe refoulante nâavait plus fonctionnĂ©, que les Sarvants sâĂ©taient donc trouvĂ©s dans lâimpossibilitĂ© de refaire le vide dans les airballasts et, par consĂ©quent, de regagner la surface de la mer aĂ©rienne. Au centre, une large cheminĂ©e tenait toute la hauteur de lâaĂ©roscaphe. CâĂ©tait lâinoubliable cylindre quâun givre momentanĂ© avait fait apparaĂźtre Ă Robert et qui servait dâaĂ©rarium provisoire aux victimes des Sarvants. On les faisait entrer par le bas, dont le double fond sâouvrait Ă coulisse. Par le haut, que bouchait le plus grand des cinq couvercles, on les transvasait dans leur cellule dĂ©finitive. Ce fut M. Le Tellier qui, le premier, palpa la terrible pince-cisaille complĂ©tĂ©e dâun panier en rĂ©seau de mailles mĂ©talliques, avec laquelle les Invisibles coupaient les branches, saisissaient leur proie et la dĂ©posaient dans le cylindre. MontĂ©e au bout de longs bras articulĂ©s qui sortaient au bon moment par lâouverture infĂ©rieure de la cheminĂ©e, cette pince-cisaille-panier constituait un chef dâĆuvre de mĂ©canique, â autant du moins quâon en pouvait juger Ă lâaveuglette, avec des mains nĂ©ophytes et mĂ©fiantes. Le plancher Ă coulisse Ă©lucidait le miracle du coq dâAnglefort. Tandis que la trappe sâouvrait pour que la cisaille pĂ»t aller cueillir le coq du clocher, un vĂ©ritable coq, dĂ©jĂ soustrait, sâĂ©tait mis en Ă©moi, et lâouverture avait permis Ă la vieille bigote de lâentendre jeter ses cris dâaffolement. â Câest aussi par lĂ que le nabot de Ruffieux sâĂ©tait laissĂ© choir, au sommet du Colombier Ă lâinstant prĂ©cis oĂč le plancher glissait pour le passage du malheureux reporter-photographe. Une cause restĂ©e inconnue avait empĂȘchĂ© les Sarvants de ressaisir leur prise â sans doute lâarrivĂ©e impromptu de quelque gibier remarquable. Cependant il restait Ă pĂ©nĂ©trer dans la partie antĂ©rieure de lâaĂ©roscaphe, oĂč les grincements sâĂ©taient manifestĂ©s. Si grand que fĂ»t lâintĂ©rĂȘt de la machinerie, quâon venait de dĂ©couvrir, on abandonna toute autre attraction lorsque M. Le Tellier annonça quâil Ă©tait temps de rĂ©duire le dernier fort oĂč le mystĂšre se retranchait. Lâastronome avait dĂ©fendu dâenfoncer le couvercle de cette portion, dans la crainte que les corps des matelots invisibles ne sâen retournassent au ciel comme le premier. Nulle part on nâavait tĂątĂ© dâobjets ressemblant Ă des cadavres ; il Ă©tait hors de doute que les marins sâĂ©taient rĂ©fugiĂ©s Ă lâavant, tous, dans le meilleur asile du sous-aĂ©rien, laissant Ă lâarriĂšre un de leurs camarades. DĂ©vouement ? Punition ? Accident ? Hasard ? On ne le saurait pas. Des tariĂšres, Ă lâextrĂ©mitĂ© de flexibles, percĂšrent des trous dâaĂ©ration dans les Ă©tanches de proue. Il y avait encore du vide aux compartiments du haut. Les autres se trouvĂšrent accessibles par le moyen de portes en mĂ©tal souple qui sâenroulaient Ă lâimitation de nos stores, comme les fermetures de nos boutiques. Une sĂ©rie de petits rĂ©duits trĂšs bas⊠M. Le Tellier et M. dâAgnĂšs, courbĂ©s en deux, avançaient prudemment⊠Le cĆur cognĂ© de forts battements, ils arrivĂšrent auprĂšs du levier de Virachol. Le duc, se baissant, ramait dans lâair avec ses mains⊠â Câest au plafond quâil faut chercher », lui dit lâastronome. Tenez ! Ha ! » Cinq corps inertes, maintenus contre le plafond par leur Ă©tonnante lĂ©gĂšretĂ©, furent palpĂ©s lâun aprĂšs lâautre et reconnus pour cinq corps humains. â Comme on sây attendait, lâĂ©norme pression anormale les avait cruellement dĂ©formĂ©s ; ils prĂ©sentaient des boursouflures et des rugositĂ©s, dues Ă cette mort Ă©pouvantable qui tumĂ©fie si horriblement les cadavres noyĂ©s au trĂ©fonds de la mer. â Mais ce qui surprenait au delĂ de toute expression, câĂ©tait que les Sarvants fussent des hommes, â des hommes spĂ©ciaux, cela va de soi, et cependant des hommes ! Quoi ! ces ĂȘtres du vide, ces crĂ©atures invisibles, presque impondĂ©rables, privĂ©es de systĂšme circulatoire, dĂ©nuĂ©es dâappareil respiratoire, ces collectionneurs et ces bourreaux dâhommes, Ă©taient aussi des hommes ?!!! Sans sâattarder Ă de vaines rĂ©flexions, M. Le Tellier les fit charger de lourdes chaĂźnes, afin quâils ne pussent sâenvoler. On apporta des cercueils de zinc remplis de glace, oĂč furent couchĂ©s les invisibles trĂ©passĂ©s. Puis M. Le Tellier les remit au docteur Monbardeau, avec ordre de les conduire boulevard Saint-Germain, dans son laboratoire, aux fins dâautopsie. Dans une heure il le rejoindrait pour commencer le travail. Ceci dit, aux protestations de quelques mĂ©decins qui ne manquĂšrent pas de crier Ă lâaccaparement, â M. Le Tellier, Ă tĂątons, retourna vers les machines. Et il se souvient quâalors il se reprĂ©senta la disproportion fantasque qui existait entre la taille moyenne des hommes invisibles et lâexiguĂŻtĂ© des cabines de lâaĂ©roscaphe, oĂč certes le moins grand des matelots nâaurait pu se tenir debout, non plus que sâallonger de tout son long. Les machines prenaient douze chambrettes, sĂ©parĂ©es seulement par de grĂȘles colonnes. On ne se doute pas des difficultĂ©s quâon eut Ă surmonter pour dĂ©nombrer toutes ces loges et pour en dresser le plan approximatif, sans y rien voir. Il y avait lĂ beaucoup de doctes personnages qui trĂ©buchaient Ă cause du vertige, et qui, ardemment, pĂ©trissaient devant eux des contours impossibles Ă regarder. Ils nourrissaient une vive curiositĂ© Ă lâĂ©gard de la machinerie et de la force motrice employĂ©e par les Invisibles pour actionner lâhĂ©lice, les pompes et peut-ĂȘtre mĂȘme le calorifĂšre du cylindre. La plupart Ă©taient assurĂ©s quâon allait dĂ©couvrir un capteur dâĂ©lectricitĂ© encore plus parfait que celui de lâĂpervier⊠Or, il arriva quâau bout de la machine opposĂ© Ă lâhĂ©lice, on trouva une grande quantitĂ© de boĂźtes rĂ©guliĂšrement rĂ©parties sur des tablettes. Des piĂšces de mĂ©tal mobiles les rĂ©unissaient aux organes de transmission. Ces semblants dâaccumulateurs ou de piles furent ouverts sans effort⊠Ils contenaient chacun le cadavre dâune bĂȘte trapue et baroque, une espĂšce de crapaud tout en muscles, enfermĂ© dans un tambour rotatif quâil avait mission de mettre en mouvement et qui, tournant lui-mĂȘme par lâentraĂźnement de tous les autres, obligeait lâanimal Ă courir dans sa roue creuse, sous peine dây ĂȘtre durement secouĂ©, et Ă contribuer ainsi au labeur gĂ©nĂ©ral. Cette Ă©nergie, communiquĂ©e par de petites bielles Ă lâarbre central, sâallait transformer de mille façons Ă travers un fouillis mĂ©canique. Ainsi, les civilisĂ©s de lĂ -haut, ces gens dont la science paraissait accomplie, en Ă©taient encore au moteur animal ! Leurs crapauds-esclaves tournaient des tambours, comme lâĂ©cureuil fait aller sa cage ronde, et comme le cheval des batteuses monte sa cĂŽte fuyante ! CâĂ©taient des animaux machinisĂ©s, des brutes-outils, rappelant la chiourme des rameurs sur les trirĂšmes dâautrefois ; câĂ©taient des galĂ©riens-grenouilles ! La lĂ©gĂšretĂ© de ces batraciens domestiques fut estimĂ©e incomparable. Elle tendait Ă les enlever comme des bestioles dâhydrogĂšne massif. La compression les avait forcĂ©ment dĂ©tĂ©riorĂ©s. On en compta jusquâĂ cent trente, ce qui fit dire plaisamment Ă M. Salomon Kahn, le physicien, que la puissance de lâaĂ©roscaphe Ă©tait de 130 crapauds-vapeur. Et ceci dĂ©montrait lâexistence superaĂ©rienne de toute une faune du vide, invisible et dâune complexion analogue Ă celle des Sarvants. M. Le Tellier se rĂ©serva quelques-uns des nouveaux asphyxiĂ©s. Mis dans la glace avec des poids, ils prirent le mĂȘme chemin que feu leurs maĂźtres. Pendant ce temps-lĂ , les ingĂ©nieurs qui caressaient, toquaient, frottaient et auscultaient les machines, ne pouvaient se retenir dâen admirer lâingĂ©nieuse complexitĂ©. Toutefois, la sphĂšre y jouait un rĂŽle si cocasse et si prĂ©pondĂ©rant, que les techniciens les plus graves se prenaient Ă rire, Ă force de rencontrer sous leurs doigts tant de billes, de globes, de boules et de pommes. Ils riaient, et grommelaient aussi. Car la maudite invisibilitĂ© les empĂȘchait de saisir bien des agencements. Plusieurs jeunes aveugles, choisis pour leur intelligence parmi les pensionnaires dâune institution, leur rendaient pourtant de prĂ©cieux services avec leur tact perfectionnĂ©. Mais ce nâĂ©tait quâune demi-mesure, et M. Le Tellier sâaperçut bientĂŽt quâil devenait indispensable de visibiliser lâaĂ©roscaphe et ses dĂ©tails, si lâon voulait en faire une Ă©tude efficace. Ah ! que ne pouvait-on le badigeonner ! Mais lâaĂ©roscaphe Ă©tait rĂ©fractaire Ă tout barbouillage. Nul ne prenait sur lui, â pas plus que la craie du compagnon Virachol. Depuis la dĂ©trempe jusquâau ripolin, toutes les couleurs du monde furent essayĂ©es tour Ă tour. Autant vouloir peindre du verre Ă lâaquarelle. Une telle dĂ©convenue incita lâastronome Ă faire prĂ©lever des morceaux du sous-aĂ©rien pour lâanalyse chimique, afin que cette analyse provoquĂąt lâinvention dâune peinture capable de sâattacher Ă la matiĂšre invisible et, par suite, de la faire apparaĂźtre. En attendant cette heureuse Ă©ventualitĂ©, M. Le Tellier se contenta de faire venir une Ă©quipe de staffeurs avec des sacs de plĂątre. Ils entreprirent sĂ©ance tenante le moulage des morceaux les plus simples, entre autres de la pince-cisaille-panier et de lâhĂ©lice. â Comme cela, on aurait au moins des statues de lâinvisible. Le jour baissait. â Venez », dit lâastronome au duc dâAgnĂšs. Maintenant nous allons dissĂ©quer les Sarvants⊠Quand je pense Ă ma fille, il me semble que je les aurais volontiers charcutĂ©s tout vivants !⊠Venez, monsieur. Nous emmenons cet aveugle que vous voyez lĂ -bas ; il sâappelle Louis Courtois et sait lâanatomie. Le directeur de lâInstitution me lâa chaudement recommandĂ©. Allez le chercher, je vous prie. » Quand le trio, bras dessus bras dessous, quitta le Grand-Palais, lâhĂ©lice de plĂątre sortait de son moule, hĂ©tĂ©roclite, invraisemblable, toute blanche, â reproduction fidĂšle dâune hĂ©lice merveilleuse que nâavaient pas conçue les seuls qui, jusquâalors, se fussent appelĂ©s les hommes. xvLa VĂ©ritĂ© sur les Sarvants Le docteur Monbardeau les attendait sans calme dans le laboratoire du boulevard Saint-Germain, bel atelier de peintre que M. Le Tellier avait amĂ©nagĂ© pour toutes sortes de manipulations scientifiques, au sixiĂšme Ă©tage de sa maison. Le docteur sây promenait Ă grands pas, sous la lumiĂšre crue des arcs Ă©lectriques. Il avait disposĂ©, sur une table, des aciers Ă©tincelants et des liquides aux nuances chimiques, empruntĂ©s pour la circonstance Ă des confrĂšres parisiens. Les cinq biĂšres de zinc sâalignaient cĂŽte Ă cĂŽte. Et sâalignaient aussi les boĂźtes frigorifiques des crapauds-moteurs. Le duc dâAgnĂšs et lâastronome se mirent en devoir dâouvrir un des cercueils. Pendant quoi le docteur, sans discontinuer ses marches et contre-marches, interpellait lâaveugle et le prenait Ă tĂ©moin de la rigueur des Ă©vĂ©nements â Des hommes, monsieur ! quelle honte ! Des hommes ! Des bimanes bipĂšdes macrocĂ©phales, comme vous et moi ! Des ĂȘtres qui ont lâhonneur de ressembler Ă Claude Bernard, Ă Pasteur, à ⊠TolstoĂŻ ! et qui pĂȘchent leurs semblables ainsi que des goujons !⊠Et qui les collectionnent ! Ooh !⊠Aah ! pauvre humanitĂ©, monsieur ! » â Bah ! » rĂ©pondit M. Courtois, si nous pouvions, nous ferions de mĂȘme. Sous prĂ©texte dâethnographie, on se livre, au Jardin dâAcclimatation, Ă des exhibitions de Sauvages qui rappellent assez lâaĂ©rarium des Sarvants. Et tenez, docteur, cette jouissance perverse quâon Ă©prouve, paraĂźt-il, Ă regarder vivre une personne sans quâelle sâen doute, Ă travers le trou de la serrure, â câest tout bonnement la voluptĂ© du collectionneur ! » â Pauvre humanitĂ©, vous dis-je ! » â Viens nous aider, Calixte », fit M. Le Tellier. Le couvercle de la biĂšre sauta. Au milieu des chaĂźnes et de la glace Ă moitiĂ© fondue, un vide affectait confusĂ©ment la silhouette en volume » passez-nous lâexpression dâun ĂȘtre humain, ni gros ni mince, ni grand ni petit. Cette visibilitĂ© temporaire et imparfaite suggĂ©ra au directeur de lâObservatoire lâidĂ©e de faire mouler les cadavres dĂšs le lendemain, comme lâhĂ©lice, â et elle permit de saisir le Sarvant par les pieds et sous les bras, sans tĂątonner. Sa lĂ©gĂšretĂ© ascensionnelle neutralisait le poids des chaĂźnes ; lâensemble Ă©quivalait Ă 0 gramme, 0 centigramme, 0 milligramme. On lâĂ©tendit sur une claie, et les quatre opĂ©rateurs commencĂšrent Ă le palper, non sans aversion. Impulsivement, ils regardaient lâendroit oĂč leurs mains sâappliquaient, comme si les regards avaient le pouvoir de rendre les choses visibles et que lâaspect des choses ou leur non-aspect soit une simple consĂ©quence de lâattention visuelle. Les trois voyants sâaperçurent trĂšs vite que, au contraire, les yeux fermĂ©s, ils touchaient plus commodĂ©ment. Pour lâaveugle aux mains sagaces, il tenait sa tĂȘte droite, et ses doigts sâagitaient dans lâair avec une agilitĂ© prestidigitatrice. â Il y avait lĂ quatre aveugles, dont trois volontaires ; et cela dans un but de clartĂ© ! M. Le Tellier, aprĂšs un silence, ouvrit les paupiĂšres. Il fut troublĂ© de lâahurissement qui se peignait au visage de Louis Courtois, si impĂ©nĂ©trable dâhabitude. â Bigrement dĂ©formĂ©, nâest-ce pas ? » lui dit-il. Je ne sens ni les yeux, ni la bouche⊠» â Non pas dâyeux », confirma lâautre, Ă©mu. Et pas de bouche⊠Mais il y a pis que cela. La face⊠les traits⊠sont dâun modelĂ© tellement grossier⊠grumeleux⊠Et puis, dites, messieurs, cet homme est habillĂ©, il me semble ?⊠» â Parbleu ! » â Sans doute ! » â Mais oui⊠» â Eh bien, mais sentez donc il nây a pas de diffĂ©rence entre la peau de la figure et lâĂ©toffe du costumeâŠ, la peau des mains non plus⊠» â Des mains, ça ! » se rĂ©cria le docteur, ces espĂšces de moignons grenus qui rĂ©voltent le toucher ?⊠» M. dâAgnĂšs rĂ©pĂ©tait dâun air dĂ©goĂ»tĂ© â Quel sale contact ! mamelonnĂ©, visqueux⊠» â Ah çà , mais⊠» fit lâaveugle, ce ne sont pas des habits ! Cela fait corps avec lâindividu⊠Câest la mĂȘme consistance, la mĂȘme substance ! On dirait une sorte de molle effigie, faite de pelotes grossiĂšrement agglomĂ©rĂ©es⊠Ces pelotes⊠ces pelotes⊠Ha ! » sâĂ©cria-t-il, jâen tiens une ! » Et lâon vit ses doigts trifouilleurs sâaccrocher dans le vide, sur la poitrine invisible. Je la tiens !⊠Je la dĂ©tache⊠pĂ©niblement⊠Elle vient. La voici ! â Bon ! je lâai lĂąchĂ©e ! » Un bruit sec, au plafond, claqua. â Elle est allĂ©e se coller lĂ -haut, comme le Sarvant du Grand-Palais, qui a traversĂ© le vitrage », continua Louis Courtois. Maintenant il y a une cavitĂ© dans la poitrine, Ă la place de cette boule. » â Il faut la ravoir», dĂ©cida lâastronome. Avec un marchepied⊠» Mais lâaveugle disait, en crispant une deuxiĂšme fois ses mains blanches â Inutile jâen tiens une autre⊠qui ne pourra mâĂ©chapper⊠LĂ !⊠â Dieu du ciel ! » â Quoi donc ? » Les trois autres regardaient les mains puis la physionomie de lâinfirme. Ses doigts remuaient fĂ©brilement et lâhorreur verdissait sa face. Un geste frissonnant le fit reculer dans lâattitude de la rĂ©pulsion la plus invincible ; ses mains sâouvrirent. Un second bruit sec, au plafond, claqua. â Pouah ! » Il tremblait comme sâil avait eu froid. Câest une araignĂ©e !⊠Une immonde araignĂ©e Ă courtes pattes, de la grosseur dâun Ćuf de poule⊠Une araignĂ©e morte⊠» On sâĂ©carta du cadavre invisible. M. Le Tellier fit appel Ă toute son Ă©nergie et se rapprocha brusquement de la claie oĂč les chaĂźnes esquissaient la configuration de lâĂ©pouvantable Sarvant. â Allons ! un peu de cĆur au ventre !⊠Il faut savoir. Tout ça⊠» Et, seul, il reprit la hideuse besogne manuelle. Puis, formulant ses trouvailles Ă mesure quâil les faisait, voilĂ quâil eut Ă prononcer des paroles qui resteront Ă©normes dans les siĂšcles des siĂšcles â Non, non⊠Vous lâavez dit, monsieur ce nâest pas un homme que je touche⊠Câest une agglomĂ©ration de bĂȘtes agrĂ©gĂ©es en forme dâhomme, et ces bĂȘtes sont bien des araignĂ©es⊠ouiâŠ, de gros poux, si vous aimez mieuxâŠ. » â Je prĂ©fĂšre les araignĂ©es ! » susurra le duc dâAgnĂšs. Lâastronome continua â Elles se tiennent Ă©troitement serrĂ©es, en un agglomĂ©rat compact, dans la position oĂč la noyade aĂ©rienne les a surprises. Elles sont emmĂȘlĂ©es Ă la façon des petites araignĂ©es champĂȘtres dont ]a rĂ©union sur le dos de leur mĂšre y fait une horrible toison grouillante. Mais ici, câest une crĂ©ature tout entiĂšre uniquement constituĂ©e par des animaux⊠Des animaux groupĂ©s en forme dâhomme ! et dâhomme habillĂ© ! Ăa, vraiment !⊠» â Donc, » scanda le docteur au comble de lâexaltation, les bourreaux de nos enfants sont des araignĂ©es ! » M. Le Tellier rompit le silence dĂ©sespĂ©rĂ© qui venait de suivre, et remarqua â Robert lâavait bien pressenti, quand il disait les ĂȘtres du vide doivent ĂȘtre plus diffĂ©rents des hommes que les habitants dâune planĂšte immensĂ©ment lointaine, mais garnie dâune atmosphĂšre. » Tout Ă lâheure, M. Monbardeau sâindignait de ce que les Sarvants fussent des hommes ; Ă prĂ©sent, il lâeĂ»t souhaitĂ© de bon cĆur. Des araignĂ©es ! Intelligentes, civilisĂ©es, soit ! Mais, tout de mĂȘme ! Des araignĂ©es ! Pouvait-on imaginer quelque chose de plus sordide ! Leur rĂ©pugnance sâaccrĂ»t davantage lorsque le duc, ayant mis ses gants, arracha du corps un autre arachnide invisible quâil eut lâinspiration dâenduire de colle forte additionnĂ©e dâencre rouge. Tout engluĂ© de sĂ©cotine pourpre, le petit monstre surgit, sanglant et gĂ©latineux⊠Il Ă©tait dâune hideur si insupportable Ă qui savait les abominations de lâaĂ©rarium, quâon le jeta par la fenĂȘtre. Appesanti de son fardeau poisseux, il monta lentement vers les Ă©toiles, â vers le monde sus-aĂ©rien, â et se perdit bientĂŽt dans la nuit fallacieuse, traĂźtreusement fleurie de lumiĂšres exquises. Lâaveugle, courageux, palpait derechef la dĂ©pouille du Sarvant, et ses mains agiles semblaient alors deux araignĂ©es Ă cinq pattes, vivant dâune vie propre, et qui sâactivaient Ă leur tĂąche de mystĂšre. â Cette forme humaine ! » radotait le docteur. Mais pourquoi ? Pourquoi donc ? » â Jâai trouvĂ© ! » annonça tout Ă coup M. Le Tellier. Nous sommes en face dâun phĂ©nomĂšne de mimĂ©tisme ! Câest un moyen de dĂ©fense ! une ruse de guerre ! Quand elles se sont vues en notre pouvoir, ces araignĂ©es ont pensĂ© que nous respecterions des ĂȘtres semblables Ă nous, et de lĂ vient quâelles se sont agglutinĂ©es de maniĂšre Ă figurer des hommes ! MimĂ©tisme purement instinctif ou mimĂ©tisme raisonnĂ©, â en tout cas mimĂ©tisme ! » Trois exclamations nâen firent quâune seule. â Câest ainsi, mes enfants ! Et voilĂ pourquoi les chambrettes de lâaĂ©roscaphe sont Ă ce point menues. ComparĂ©es Ă la taille des matelots qui les habitaient, ce sont de grandes salles. LâaĂ©roscaphe, pour les Sarvants, est un ample paquebot, proportionnĂ© non pas Ă lâĂ©quipage, mais au gibier quâil Ă©tait chargĂ© de poursuivre et dâemporter. » â Nous ne sommes plus des goujons, docteur, » fit le duc dâAgnĂšs, nous sommes des cachalots. » â Faible consolation, monsieur. Cependant, jâavoue que⊠de misĂ©rables nains⊠tout araignĂ©es quâils soient⊠» â Uuuuh ! Des nains diantrement habiles ! Des araignĂ©es fichtrement cultivĂ©es ! LâaĂ©rarium, docteur, dans ces conditions, quel monument ! Un aquarium pour baleines ! » â Passez-moi le scalpel », dit Courtois. Cette cohĂ©sion me paraĂźt bizarre⊠» â Vous avez du nouveau ? » lui demanda M. Le Tellier. M. Courtois. â Attendez, laissez-moi faire⊠â Câest bien cela ! Je mây attendais. Oh !⊠Ces araignĂ©es⊠elles ne sont pas seulement unies par lâenlacement de leurs pattes. Elle se tiennent aussi par les nerfs. Chacune prĂ©sente deux papilles nerveuses extĂ©rieures, en relation avec les centres cerveau, moelle ou ganglions et qui remplissent la fonction de plots Ă©lectriques, ou de prises de courant, comme vous voudrez. Les araignĂ©es se branchent lâune aprĂšs lâautre, au moyen de ces contacts nerveux ! M. Le Tellier. â Terre et ciel ! Mais alors, si elles peuvent se souder de la sorte, lâespĂšce arachnĂ©enne tout entiĂšre peut, Ă sa guise, former une quantitĂ© variable dâĂȘtres collectifs, ou devenir un seul animal immense, douĂ© dâun seul esprit, dâune seule volontĂ©, dâune seule sensibilitĂ©, â une boule gigantesque, ou bien un cordon interminable, un chapelet⊠M. Monbardeau. â Comme le tĂŠnia ! qui lui aussi est composĂ© dâorganismes bout Ă bout⊠M. dâAgnĂšs. â Les Sarvants ressemblent Ă lâeau, qui sâĂ©parpille en gouttelettes sans nombre et pourrait ne former quâun seul ocĂ©an. Docteur, nous ne sommes plus des cachalots ; ces gens-lĂ sont des Titans, lorsquâils le veulent. M. Courtois. â Oui des Titans ! des ProtĂ©es multiformes ! Il a plu Ă ceux-ci dâemprunter notre stature pour essayer de nous tromper ; ils avaient le choix entre toutes les conformations possibles, ils pouvaient sâamalgamer dans toutes les combinaisons plastiques, et devenir ainsi plusieurs grandes crĂ©atures-colonies, beaucoup de petits ĂȘtres-sociĂ©tĂ©s, ou bien rester une foule dâindividus sĂ©parĂ©s. M. Le Tellier. â Ces araignĂ©es ne sont, en somme, que des unitĂ©s de construction, â telles les cellules de notre corps, puisque, aprĂšs tout, lâhomme nâest aussi quâune collection dâĂ©lĂ©ments. La diffĂ©rence, câest que chez nous la cellule nâa point de personnalitĂ©, ni dâindĂ©pendance, tandis que chez les Sarvants, chaque Ă©lĂ©ment, libre, est un individu. Ce type biologique rĂ©alise une chimĂšre sociale lâĂtat coopĂ©ratif. Le peuple super-aĂ©rien jouit de lâidĂ©ale rĂ©publique un dans tous, tous dans un. Câest admirable. M. dâAgnĂšs. â Câest dĂ©goĂ»tant ! M. Courtois. â Tous le modes de la vie sont admissibles, et celui-ci nâest pas sans grandeur, qui subordonne la prĂ©pondĂ©rance dâune race Ă la pratique de la solidaritĂ©. M. dâAgnĂšs. â Bast ! prĂ©pondĂ©rance sur des crapauds ! M. Monbardeau. â Câest vrai, les crapauds ! nous les oublions ! Si maintenant on les Ă©tudiait un peu ? Je serais curieux⊠Chacun dâeux, souvenez-vous-en, produisait le travail dâun bĆuf, et câest un mystĂšre accessoire oĂč je soupçonne, malgrĂ© tout, lâintervention dâune science⊠» Il courut alors aux bĂȘtes motrices, et il eut le regret de constater que leur dĂ©composition sâaccomplissait avec une rapiditĂ© malheureuse. Une odeur dâacide formique[13], se dĂ©gageant des glaciĂšres, vous piquait le nez et vous faisait pleurer. Des bulles de gaz mĂ©phitiques chantaient glouglou parmi lâeau de la glace fondue. Le couvercle dâune boĂźte fut lancĂ© loin dâelle, avec puanteur et dĂ©tonation. â Il faut que les Sarvants soient des brutes, » dĂ©clara le duc dâAgnĂšs, pour avoir traitĂ© comme ça de pauvres crĂ©atures du bon Dieu ! » â Dâabord, » contredit M. Le Tellier, vous ignorez si ces crapauds nâĂ©taient pas enchantĂ©s de trouver protection, abri et subsistance, au prix dâun labeur sans doute proportionnĂ© Ă leur force. Je pense, moi, que les Sarvants ne sont pas mauvais, puisquâils ont cru que nous ne ferions pas de tort Ă des hĂŽtes qui nous ressembleraient⊠» â Oui-da ! » persifla le docteur, lâanimal le plus obtus sait bien que les loups ne se mangent pas entre eux ! » â Les loups, câest vrai. Pas les hommes. » â En tout cas, les Sarvants ne se privent pas de martyriser ceux qui ne leur ressemblent pas ! » murmura le duc dâAgnĂšs. Lâastronome rĂ©pliqua â Et sâils ne savaient pas ce que câest que la souffrance ?⊠Avez-vous songĂ© Ă cela ?⊠Nous qui souffrons, nous prĂ©tendons bien que certains animaux ignorent la douleur. Au fond, quâest-ce que nous en savons ? » â Peut-ĂȘtre, » insinua lâaveugle, peut-ĂȘtre ont-ils adoptĂ© notre tournure, sachant au contraire que câest lâhomme que lâhomme redoute davantage ? â Mais dĂ©pĂȘchons ! la pourriture gagne ces restes⊠» â VoilĂ qui est fĂącheux », soupira M. Le Tellier. Jâaurais voulu les soumettre Ă des expĂ©riences de radiographie, et les faire mouler. » â Vous nâen aurez pas le temps. » â Essayons au moins de comprendre comment ils supplĂ©ent au dĂ©faut de circulation sanguine et de fonction respiratoire, et dĂ©sagrĂ©geons ce simulacre dâhumanitĂ©. » Le soleil naissant les trouva penchĂ©s sur les petits morts invisibles, rĂ©pugnants et lĂ©gers, difficiles Ă retenir et qui, au moindre faux mouvement, sâallaient plaquer au plafond. Mais le rĂ©sultat de leur veille est beaucoup trop technique pour ĂȘtre rapportĂ© au cours de cette histoire populaire, dont la clartĂ©, dâailleurs, nâen serait pas renforcĂ©e dâun cent milliĂšme de carcel. Ainsi se termina la mĂ©morable nuit du 6 au 7 septembre 1912, digne suivante dâun vendredi cĂ©lĂšbre Ă jamais dans les annales de la Connaissance. xviDe profundis clamavi SitĂŽt parus, les journaux du matin furent enlevĂ©s. On sâattendait Ă lire dâabondantes explications sur le phĂ©nomĂšne des grands boulevards, les feuilles du soir lâayant relatĂ© la veille en termes confus et dĂ©raisonnables. On eut la dĂ©ception troublante de nâacheter avec les meilleures gazettes quâun surplus dâincohĂ©rence et de contradictions. Elles donnaient un compte rendu passable de ce qui sâĂ©tait produit au Grand-Palais, mais elles faisaient suivre cette information â dĂ©jĂ trĂšs affolante â de commentaires ineptes et dâĂ©claircissements de haute fantaisie. Dans lâesprit exaltĂ© du public, tout ce qui concernait lâaĂ©roscaphe devint Ă peu prĂšs juste, mais la notion du monde superaĂ©rien demeura tĂ©nĂ©breuse et larvaire. Lâinstinct du peuple lâavertit quâil se passait des gravitĂ©s. Paris fermenta. Les magasins furent dĂ©serts. Des foules assiĂ©geaient les ministĂšres tour Ă tour, sans savoir auquel il fallait recourir en lâoccurrence. On imaginait, de la part du gouvernement, des cachotteries, des feintises, un parti pris de silence. On voulait la vĂ©ritĂ© ; sur la cadence des lampions, devant la Chambre des DĂ©putĂ©s, cent mille personnes la rĂ©clamaient. Un questeur, dĂ©lĂ©guĂ©, vint prier M. Le Tellier de vouloir bien instruire la Nation. Vers quatre heures se fit la distribution gratuite dâun Journal officiel imprimĂ© Ă la hĂąte et renfermant les communiquĂ©s de lâastronome piĂšce 821. Ils ne dĂ©guisaient rien, mais tĂąchaient seulement dâĂȘtre stoĂŻques. Câest alors que le PĂ©ril Bleu apparut dans tout son horrible et tout son formidable, quand on apprit tout net quâau-dessus des hommes, sur un globe invisible plus immense que la Terre et lâenveloppant de toutes parts, vivait une autre race dâĂȘtres intelligents qui semblaient bien nous avoir attaquĂ©s, â race redoutable par sa position, sa force, son mode vital, son gĂ©nie et son invisibilitĂ©, qui faisaient de nous comme une bande dâaveugles cernĂ©e. LâhumanitĂ© frĂ©mit dâune mĂȘme Ă©pouvante, et son Ă©motion sâaggravait bizarrement de ce que les deux formes connues des crĂ©atures du vide fussent prĂ©cisĂ©ment celles des animaux terrestres les plus rĂ©pulsifs, auxquels des siĂšcles de frĂ©quentation journaliĂšre nâavaient pu la rendre insensible. Le sort des prisonniers cessa dâintĂ©resser lâopinion ; les gens craignaient pour eux-mĂȘmes trop de calamitĂ©s. La rĂ©pugnante immixtion de crapauds et dâaraignĂ©es dans nos affaires prĂ©occupait toutes les rĂȘveries car il importe de noter quâau dĂ©but, le populaire ne faisait pas de diffĂ©rence entre les Sarvants et leur bĂ©tail dynamique. MalgrĂ© les enseignements de M. Le Tellier, lâassurance dâune invasion imminente persista fort longtemps ; lâarmĂ©e sâattendait Ă ĂȘtre mobilisĂ©e dâun instant Ă lâautre. En vingt-quatre heures, lâeffroi devint mondial. Une soif de science dĂ©vora jusquâaux tribus arriĂ©rĂ©es. Les ignorants se faisaient initier aux rudiments de lâoptique et de la mĂ©tĂ©orologie ; les clercs poussaient leur savoir aux derniers arcanes. Ă lâĂ©talage des libraires, la brochure de Jean Saryer, Essai sur lâinvisible, sâĂ©puisait en Ă©ditions polyglottes. Contre lâautorisation de publier le cahier rouge, le Journal, le Daily Mail, le New-York Herald, le NovoĂŻĂ© VrĂ©mia et la Gazette de Cologne offrirent des fortunes Ă M. Le Tellier, qui refusa. Cette fin du monde, apprĂ©hendĂ©e depuis quelques mois, semblait tout de mĂȘme arrivĂ©e. Les Ă©glises et les temples, les synagogues, les pagodes et les mosquĂ©es regorgĂšrent de multitudes horrifiĂ©es, en ferveur machinale, et les tavernes fabriquĂšrent des ivrognes Ă la douzaine. Les banques, silencieuses et abandonnĂ©es, ne trouvĂšrent pas un cambrioleur. Il y eut des prostrations unanimes, suivies de surexcitations universelles. On eĂ»t dit que les nerfs de tous les humains communiquaient entre eux, Ă la ressemblance des Invisibles. Lâabattement sâĂ©tendait sur la famille dâĂve en proie Ă cette peur injustifiĂ©e de lâextermination. Elle admettait que les temps fussent venus. Chacun se disait que câĂ©tait lĂ le triste aboutissement de tant dâefforts et de victoires. Et lâon connut Ă nouveau lâincessante dĂ©tresse qui tenaillait le cĆur de nos ancĂȘtres, quand lâhomme nâĂ©tait quâun mammifĂšre dĂ©bile, exposĂ© toujours aux agressions monumentales des mastodontes quâil redoutait sans trĂȘve et dont lâobsession ne le quittait jamais. Or, cette terreur soudain rĂ©veillĂ©e dâun sommeil vingt fois millĂ©naire, il fallait quâaux heures prĂ©historiques elle eĂ»t Ă©tĂ© suprĂȘme Ă lâĂ©gal de lâamour ; car lâĂ©prouver câĂ©tait la reconnaĂźtre. Plus nombreux quâen temps dâĂ©clipse ou de comĂšte, les regards se fixaient sur le vide apparent oĂč la dĂ©chĂ©ance de lâhomme sâinscrivait en caractĂšres invisibles. Mais lâhomme tenancier de la Terre nâĂ©tait pas mĂȘme dĂ©trĂŽnĂ© â jamais il nâavait rĂ©gnĂ© ! Il sâĂ©tait cru le maĂźtre, alors quâun autre, industrieux, gĂ©nial et saugrenu, lui restait supĂ©rieur au point de le pĂȘcher ! Humiliation des humiliations ! Lâhomme, nâĂ©tant plus lâHomme, sâinclina, pris de stupeur. Il acceptait. Il sentait pour lui-mĂȘme une grande compassion devant lâiniquitĂ© dont il se prĂ©tendait victime. Et les prĂȘtres en chaire jaculaient de la sorte â Du fond de lâabĂźme nous avons criĂ© vers Toi, Seigneur, nos dĂ©sirs, nos souffrances, notre amour. â Et nous Ă©tions comme des bĂȘtes souterraines. â Et lâabĂźme se creusait plus profond que notre estime. â Oui, plus profond, dâĂȘtre sous un monde insoupçonnĂ©. â Ceux Ă qui Tu avais donnĂ© le royaume de la Terre nâĂ©taient donc pas les fils de lâargile transfigurĂ©e au souffle dâĂlohim ? â Nos priĂšres, en montant vers Ta gloire, au plus haut des Cieux, traversaient lâunivers quâil Tâa plu dâinterposer entre Elle et nous. â Mais plus que toujours, ĂŽ Seigneur, voici que nous crions vers Toi, du fond reculĂ© de lâabĂźme, nos dĂ©sirs plus aigus, nos souffrances avivĂ©es et notre amour grandi ! » LâaraignĂ©e du soir signifiait chagrin, comme celle du matin. On Ă©crasait lâune et lâautre dĂšs quâon les avait aperçues. Des furieux leur faisaient la chasse et les trĂ©pignaient sottement. La frayeur en faisait surgir qui nâexistaient pas. On voyait partout des faucheux, des phrynĂ©s ; le Mexique hallucinĂ© rĂȘvait dâatocalts ; les nĂšgres dâAfrique sâimaginaient que les Ă©toiles Ă©tait des galĂ©odes lumineuses ; et le poĂšme de Victor Hugo se rĂ©alisait Ă lâenvers, car le soleil rayonnant Ă©voquait lâombre paradoxalement Ă©blouissante de quelque titanesque sisyphe, Et lâhomme, du soleil, faisait une araignĂ©e. Dans toutes les campagnes des cinq parties du monde, crapauds et grenouilles furent massacrĂ©s, depuis les mignonnes rainettes vertes de nos prairies jusquâaux ignobles pipas du BrĂ©sil, qui sont des abcĂšs sautelants. Et puis tout Ă coup revirement. LâhumanitĂ© se reprit dans un brusque sursaut dâĂ©nergie. Des prĂȘcheurs laĂŻcs et religieux sâĂ©criĂšrent quâaprĂšs tout, rien ne certifiait la supĂ©rioritĂ© des Sarvants ; que leur mĂ©canique, en dĂ©finitive, ne valait pas la nĂŽtre sur certains points, avec ses sphĂšres risibles et ses moto-crapauds ; quâil fallait dĂ©fendre le sol contre leurs incursions, et mettre en batterie tous les engins que notre science avait construits et quâelle construirait ! On sait que lâhomme en troupeau est une Ă©trange bĂȘte, lunatique, moutonniĂšre et panurgĂ©enne. La rĂ©action sâopĂ©ra dans lâallĂ©gresse. Une confiance exagĂ©rĂ©e supplanta lâexcessive dĂ©moralisation. Les basiliques se vidĂšrent au profit des théùtres ; les magasins de nouveautĂ©s reconnurent lâafflux des acheteuses, et les aiguilles renfilĂ©es coururent Ă qui mieux mieux dans les pongĂ©s, les shantungs et les peaux-de-soie. Tout repartit. Ă lâexemple du premier syndicat pour la dĂ©fense du territoire, dâautres se constituĂšrent. On placardait affiche sur affiche. Les rĂ©unions publiques sâajoutaient aux confĂ©rences. Et les capitales manquĂšrent illuminer lorsquâon apprit quâen France le Conseil des ministres allait se rĂ©unir pour dĂ©libĂ©rer avec lâAcadĂ©mie des sciences, â mesure Ă©minemment salutaire que tous les Ătats du globe se proposaient dâimiter. Nous rappellerons en peu de mots la sĂ©ance française mixte, cette assemblĂ©e historique, â modĂšle des parlements futurs, en attendant que les personnages scientifiques aient remplacĂ© complĂštement les politiciens. Elle sâouvrit Ă lâĂlysĂ©e, le mercredi 11 septembre, et commença par une dispute. Compte rendu officiel, piĂšce 843. ReflĂ©tant la conviction nationale, quâil partageait, le ministre de la Guerre proposa dâexaminer sans ambages les moyens les plus sĂ»rs, expĂ©ditifs et radicaux, de dĂ©truire les continents sus-aĂ©riens. Il ajouta quâil importait de le faire au plus tĂŽt, avant que les Sarvants nâeussent construit de nouveaux aĂ©roscaphes. Il parla de mortiers colossaux et de projectiles explosifs, â et se vit couper la parole. Le ministre des Colonies lâinterrompait et lui demandait de quel droit bombarder ce pays quâon pourrait sans doute, avec le temps, conquĂ©rir, annexer peut-ĂȘtre et, Ă tout le moins, ratifier dâun protectorat. Le pire quâil sâautorisait Ă prĂ©voir, câĂ©tait le massacre des indigĂšnes, encore quâil eĂ»t Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable, Ă son sens, de les asservir. Mais dĂ©vaster de fond en comble la terre invisible ? Jamais ! Il devait y avoir lĂ -haut des richesses irrĂ©vĂ©lĂ©es fort apprĂ©ciables. Pour son compte, il caressait lâespoir que la France, un jour, sâaugmenterait de cette belle possession plus Ă©tendue que toute la surface quâon voit aux mappemondes. Le physicien Salomon Kahn voulut alors intervenir. Mais le ministre du Travail entra dans la discussion. AprĂšs un compliment ironique Ă lâadresse de ses deux collĂšgues â les ayant admirĂ©s dâavoir, pour une fois, montrĂ© chacun lâesprit de son dĂ©partement, et sâĂ©tant fĂ©licitĂ© de ce que le ministre de la Guerre eĂ»t Ă©tĂ© belliqueux et le ministre des Colonies colonisateur â il annonça quâil allait, lui, ministre du Travail, faire entendre les phrases qui auraient dĂ» sortir de la bouche du garde des sceaux, ministre de la Justice. Et il prouva que lâidĂ©e de colonisation nâĂ©tait pas recevable, au triple point de vue du code, de la jurisprudence et de la justice. Car les plaines du vide appartenaient dĂ©jĂ aux hommes. Sensation prolongĂ©e. â Vous savez bien, nâest-ce pas, que tout propriĂ©taire foncier est propriĂ©taire non seulement du sol, mais encore du sous-sol de sa propriĂ©tĂ© ? Depuis lâextension de la navigation aĂ©rienne, vous vous le rappelez, on a reconnu symĂ©triquement la propriĂ©tĂ© du dessus, â la propriĂ©tĂ© de la portion dâair qui se trouve au-dessus du sol. Tout lâespace qui se trouve au-dessus de mon champ mâappartient â donc je suis propriĂ©taire dâun lopin de territoire sus-aĂ©rien. Si mon champ est rond, jâai lĂ -haut un rond du continent invisible ; mais ce rond est un peu plus grand que celui de mon champ, â parce que, messieurs, ce que nous possĂ©dons lorsque nous possĂ©dons un terrain, ce nâest pas une surface, câest un volume ; je lâai dit ; acheter un champ rond, ce nâest pas acheter un cercle de campagne, câest acheter un cĂŽne illimitĂ© de feu, de roc, de glĂšbe, dâatmosphĂšre et de vide, dont la pointe se trouve au centre de la Terre oĂč toutes les propriĂ©tĂ©s, se rejoignant, tombent Ă rien et dont la base est Ă lâinfini. Les astres, messieurs, ne peuvent graviter quâen passant de lâune Ă lâautre de ces divisions dâĂ©ther tronconiques dont nous sommes les possesseurs. » De mĂȘme, messieurs, vendre un champ carrĂ©, ce nâest pas vendre un carrĂ© de culture, câest vendre une pyramide rĂ©guliĂšre Ă quatre pans⊠» â On voit que vous avez Ă©tĂ© rĂ©pĂ©titeur de gĂ©omĂ©trie ! » lança quelquâun. â Il veut Ă©pater lâAcadĂ©mie ! » gouailla le sous-secrĂ©taire dâĂtat aux Beaux-Arts. Le prĂ©sident de la RĂ©publique ne disait rien. â Sous le rapport de la propriĂ©tĂ©, » poursuivit lâinterrompu, la Terre peut ĂȘtre comparĂ©e Ă lâananas, dont la structure⊠» â Assez ! assez ! » criait-on de toutes parts. Au fait ! » â Ă la question ! » â Parlez-nous des Sarvants ! » â Proposez quelque chose ou taisez-vous ! » â Je demande la parole» fit M. Le Tellier. On la lui donna. Le silence sâĂ©tablit. â Messieurs, » commença-t-il, avant dâanĂ©antir ou de coloniser le monde invisible, la France scientifique doit encore travailler des lustres et des lustres. » Ă la hauteur de cinquante kilomĂštres nulle bombe ne saurait parvenir, du moins utilement. Car, si elle arrivait jusque-lĂ , son explosion dans le vide ne produirait que dâinsignifiantes dĂ©gradations. Par contre, en retombant sur terre avec une force de bolides, les shrapnells non Ă©clatĂ©s y provoqueraient des malheurs irrĂ©parables. VoilĂ pour lâanĂ©antissement. » Voyons la colonisation. Les appareils dont nous disposons ne peuvent nous transporter lĂ -haut. Sur une profondeur de vingt-cinq mille mĂštres environ Ă partir du niveau atmosphĂ©rique, lâair est trop rarĂ©fiĂ© pour soutenir nos ballons, nos aĂ©roplanes et nos hĂ©licoptĂšres. Vouloir y voler correspond Ă vouloir nager dans le brouillard. Folie. » MĂȘme, si nous savions organiser un navire aussi lĂ©ger, prĂ©cis et rĂ©sistant que lâaĂ©roscaphe, â si lâaĂ©roscaphe radoubĂ© reprenait du service, â il ne pourrait monter que six hommes Ă la fois. Et il faudrait connaĂźtre la manĆuvre ! Aussi bien lâaĂ©roscaphe nâest-il pas raccommodable ; nous sommes impuissants Ă le reproduire ; et le moteur serait trop lourd que nous mettrions Ă la place des dynamos-crapaudiques, â pardonnez-moi cette nĂ©ologie barbare. » Et puis, lĂ -haut, messieurs, comment vivre ? Jâentends bien quâil existe des respirols contre lâasphyxie ; mais quel scaphandre inventer contre la dĂ©pression ? quelle cuirasse hermĂ©tique et cependant articulĂ©e ?⊠» Non, non, il ne faut pas songer Ă dĂ©molir le continent superaĂ©rien, qui dâailleurs tient peut-ĂȘtre un emploi fondamental dans lâĂ©conomie de la planĂšte, â qui est peut-ĂȘtre un prĂ©cieux condenseur de calorique solaire, â et dont la disparition entraĂźnerait peut-ĂȘtre celle de la faune terrestre, y compris certain orang dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©, tyrannique et vicieux, qui nous est cher de tout notre Ă©goĂŻsme. » Et ne songez pas non plus Ă coloniser ce monde, puisquâil nous est consignĂ©, â puisque, hĂ©las, nous ne possĂ©dons quâen utopie la columbiad de Jules Verne et la cavorite de Wells. » â Mais alors que faire ? » â Oui que faire ? » â Allons-nous donc nous laisser pĂȘcher jusquâau dernier ? » â Ils viennent chez nous, si nous nâallons pas chez eux ! » â Ils nous coloniserons, si nous ne les colonisons pas ! » Le prĂ©sident de la RĂ©publique ne disait rien. â Minute !⊠Deux mots, je vous prie ! » hacha M. Le Tellier au plus fort des exclamations. Tout cela est irrationnel. Qui de vous eut jamais le dessein dâaller faire de la pĂ©nĂ©tration pacifique chez les poissons ? de coloniser les steppes sous-marines et les pampas liquides ?⊠Vous savez bien que les Sarvants ne professent pour nous quâune simple curiositĂ© scientifique ! » â Le reste viendra ! » â Pas sĂ»r. Ou bien dans trĂšs longtemps, quand nous-mĂȘmes nous aurons des vellĂ©itĂ©s de conquĂȘte Ă lâĂ©gard du fond de la mer. Et alors nous serons prĂȘts Ă recevoir les Invisibles. â Pour lâinstant, il sâagit, sans plus, de nous dĂ©fendre, au cas oĂč de nouvelles explorations nous menaceraient, â menaceraient ce malheureux Bugey qui, de toute Ă©vidence, se trouve ĂȘtre le fond de la mer des Sarvants. VoilĂ la question. » Or, je prĂ©tends, pour peu quâon y rĂ©flĂ©chisse, que cette question ne se pose mĂȘme plus ! Mouvement. » Convaincu, par la raison, que les araignĂ©es invisibles nâont Ă cette heure â et nâauront sans doute jamais â que des intentions ocĂ©anographiques Ă lâendroit dâun monde oĂč elles ne sauraient vivre que pĂ©niblement affublĂ©es dâarmures isolantes, ou cloĂźtrĂ©es dans des cloches sous-aĂ©riennes, comme nous dans lâeau profonde, â je dis quâil sâĂ©coulera nombre dâannĂ©es avant quâelles recommencent leur tentative de musĂ©um. Et je le prouve. » Voyons, messieurs, croyez-vous quâil attache une grande importance Ă la pĂȘche humaine, cet immense peuple invisible qui nâa, dans ce but, nolisĂ© quâune seule embarcation ?⊠Eh oui, une seule ! Vous ne lâignorez pas, en effet depuis le naufrage de lâaĂ©roscaphe aucun enlĂšvement ne sâest produit. Nous avons donc affaire Ă lâentreprise assez modique dâun groupe de Sarvants savants, de ceux qui, je suppose, jouent le rĂŽle de cervelle dans leurs singuliers assemblages. â Eh bien, dites-moi, le rĂ©sultat de cette campagne est-il encourageant pour eux ? Il sâen faut de tout. Dâune part, le sous-aĂ©rien sâest perdu corps et biens ; et dâautre part ici, la voix de lâorateur sâembarrassa de sanglots retenus et dâautre part, messieurs, leurs captifs⊠â excusez-moi, â leurs captifs succombent⊠avec une effr⊠effrayante rapiditĂ©. Messieurs les membres du gouvernement sont mieux placĂ©s que personne pour vous dire avec quelle horrible frĂ©quence les cadavres tombent maintenant du ciel sur le triste Bugey⊠» Un instant, aveuglĂ© par mes larmes, trompĂ© par mes propres chagrins, jâai pu croire Ă lâĂ©normitĂ© du PĂ©ril Bleu ; jâai pu croire quâil menaçait tous les hommes dĂšs Ă prĂ©sent. Je suis Ă©difiĂ©. Les Sarvants ne sont pas Ă la veille de renouveler un essai dâaĂ©rarium qui Ă©choua dans une catastrophe navale et dans un insuccĂšs dâĂ©levage. » Que faire ? PrĂ©parons lâavenir, si lointain quâil paraisse. Et que ceux dont les parents sont aux griffes des araignĂ©es attendent courageusement la chute de leurs corps ! » M. Le Tellier sâassit lourdement, comme un voyageur au terme de sa course. Ses collĂšgues lâentouraient et lui serraient les mains. Dans le bruit de leurs compliments, on entendit le ministre de la Guerre sâobstiner â Il faut dĂ©truire les Sarvants ! » Le prĂ©sident de la RĂ©publique, sortant dâun rĂȘve, dit alors, avec le joli accent de Gascogne â HĂ©, dites un peu, monsieur Le Tellier ! Vous qui fĂ»tes le Christophe Colomb, le Vespuce de cette AmĂ©rique, ou mieux encore le Le Verrier de ce Neptune⊠Dites un peu ! Ces territoires superposĂ©s aux nĂŽtres, ces gens sous lesquels nous vivons depuis sans cesse⊠HĂ©, bĂ© ! est-ce que cette phrase-lĂ nâest pas absurde ?⊠» â Toute chose paraĂźt absurde, monsieur le prĂ©sident, lorsquâelle est trĂšs neuve, trĂšs Ă©trange, et que nous lâapercevons tout Ă coup, au dĂ©pourvu, sans quâune chaĂźne dâĂ©pisodes ou de raisonnements nous ait amenĂ©s progressivement jusquâĂ elle, par de faibles surprises successives ou de petits enseignements graduels, dont la somme constitue cependant soit une extrĂȘme stupĂ©faction, soit une science approfondie. » Câest aussi question de vocabulaire. » Tenez, vous eussiez dit Ă quelque Romain dâautrefois, au plus intelligent, au plus poĂšte des Romains Horace, par exemple, â ou bien Ă quelque Grec, au plus savant des Grecs Aristote, si vous voulez, â vous leur eussiez dit cette phrase Ă la fois lyrique et scientifique Un jour, ĂŽ maĂźtres, on emploiera la foudre Ă pousser des galĂšres. » » Ă ces mots, je vois dâici, monsieur le prĂ©sident, Aristote sourire et Horace lever les Ă©paules⊠» Cependant, la phrase que vous prĂ©tendiez absurde tout Ă lâheure, sera dans quelques annĂ©es aussi vraiment simple et naturelle quâil est simple et naturel de dire aujourdâhui, deux mille ans aprĂšs Horace et Aristote Il y a des bateaux Ă©lectriques. » Le prĂ©sident de la RĂ©publique regagna son rĂȘve Ă©lysĂ©en. â Il faut dĂ©truire les Sarvants ! » tonna le ministre que lâon sait. La sĂ©ance continua, et fut levĂ©e sur un ordre du jour invitant les Chambres Ă voter des crĂ©dits pour lâĂ©tude de projets destinĂ©s Ă combattre une nouvelle expĂ©dition arachnĂ©enne, dâailleurs improbable ». xviiNouveau Message de Tiburce Lâastronome sortit de lâĂlysĂ©e rompu de lassitude. Il avait dĂ» faire un violent effort sur lui-mĂȘme pour se montrer optimiste Ă la sĂ©ance du Conseil. Sa tristesse de pĂšre et sa raison de savant sâĂ©taient livrĂ© bataille. Câest une belle action, mais câest une torture, de peindre lâavenir des autres en couleurs agrĂ©ables, quand lâavenir est devant soi comme un trou noir. Il rentra chez lui dĂ©moralisĂ©, estimant sa tĂąche accomplie et ne pensant plus quâĂ revoir Mirastel, oĂč le docteur Monbardeau lâavait prĂ©cĂ©dĂ©. M. Le Tellier voulait ĂȘtre lĂ â quel supplice infernal que cette pensĂ©e ! â lorsque, dans la pluie de cadavres tombant sur le Bugey⊠â Oh ! cette pensĂ©e de damnation qui lui venait sans relĂąche et quâil nâavait jamais lâhorrible courage de finir !⊠M. dâAgnĂšs lâattendait boulevard Saint-Germain. Sa vue nâĂ©tait pas faite pour ragaillardir le pauvre homme, tant elle lui rappelait de chers desseins perdus, et tant le duc avait lâair sombre. Il sâouvrit de son dĂ©sespoir Ă M. Le Tellier. Aucun ingĂ©nieur ne lui laissait la moindre illusion ; le monde invisible Ă©tait inexpugnable ; ainsi le dĂ©crĂ©taient les FacultĂ©s. Lui, il en devenait neurasthĂ©nique. La nuit, ses cauchemars lâeffaraient de visions sus-aĂ©riennes vivisections, mariages scandaleux, ateliers de naturalisation humaine, etc. ; et le jour, ses idĂ©es restaient imbues de dĂ©lire. Il nâavait pas Ă©chappĂ© Ă la phobie de lâinvisible, qui alors tourmentait les gens impressionnables et les faisait marcher Ă tĂątons en plein midi, de sorte que les rues semblaient parfois remplies dâaveugles. Et quand, de sa fenĂȘtre, le duc dâAgnĂšs considĂ©rait lâagitation des passants, il croyait voir, Ă travers les carreaux, une collection poissonneuse dans un aquarium ! â Sâil me restait au moins une toute petite chance ! » fit-il subitement avec un demi-sourire honteux⊠M. Le Tellier leva les bras pour les laisser retomber en signe dâimpuissance, et le duc dâAgnĂšs reprit en balbutiant â Oui, je sais bien⊠Il faudrait ĂȘtre fou⊠aussi fou que⊠euh ! hem !⊠que, hem⊠que Tiburce, par exemple, nâest-ce pas ?⊠Ah ! celui-là ⊠rien ne le dĂ©concerte⊠hum⊠» Il sortit une lettre dâun geste empruntĂ©. â Jâai⊠hem !⊠Il mâa envoyĂ© ça. » â Ne me faites pas voir cette lettre ; non ! Ah ! je nây pensais plus guĂšre, Ă votre Tiburce ! Câest vrai dire quâil y a encore un imbĂ©cile pour croire Ă ces bienheureuses chimĂšres⊠Ah ! lâenviable crĂ©tin ! Serrez votre papier, mon ami ; cela me ferait du mal. » â Ăvidemment ! » concĂ©da le duc dâAgnĂšs. Mais cependant, il relisait pour lui seul le message insensĂ© de Tiburce. piĂšce 845 Bombay, le 3 aout 1912. Je conserve bon espoir, cher ami, quoique jâaie contre moi bien des hasards stupides et lâhomme le plus habile de la terre Hatkins. Tu te rappelles que je me suis embarquĂ© Ă la poursuite dâun certain rĂ©vĂ©rend Hodgson et de sa fille, que je soupçonnais ĂȘtre Hatkins et Mlle Le Tellier. Je les ai trouvĂ©s Ă Singapour avec une facilitĂ© surprenante. CâĂ©taient un vieux pasteur protestant et sa sĆur aĂźnĂ©e ! Lâostentation quâils apportaient Ă ne pas se cacher mâa vivement rĂ©vĂ©lĂ© le piĂšge ; ces deux vieillards Ă©taient des complices que Hatkins avait fait dĂ©barquer en mĂȘme temps que lui et qui, dĂšs cet instant, avaient pris le nom dâemprunt dont lâAmĂ©ricain et Mlle Le Tellier sâĂ©taient affublĂ©s sur le bateau. Pendant que je mâoccupais dâeux, Hatkins et sa compagne sâenfuyaient. â Ils sâenfuyaient encore câĂ©tait donc eux, de plus en plus. Par dĂ©duction, je dĂ©couvre le chemin quâils ont pris. Depuis leur arrivĂ©e, deux paquebots seulement appareillĂšrent, lâun pour Calcutta, lâautre pour Madras. Mon gĂ©nie familier me souffle Calcutta. Jây vais, et jâapprends, moyennant finances, que nul dĂ©barquĂ© ne ressemble, de prĂšs ou de loin, Ă qui je voudrais quâil ressemblĂąt. Ayant fumĂ© quelques pipes, je reconnais mon erreur, et pense retrouver la piste Ă Madras. Je reprends donc la mer, avec un retard considĂ©rable. Mais, Ă Madras, jâai la satisfaction de reconnaĂźtre que mes intuitions ne mâont pas trompĂ© deux jeunes Moldaves du sexe masculin viennent de prendre le train pour Bombay, sous le nom des frĂšres Tinska, aprĂšs avoir sĂ©journĂ© quelques jours Ă lâhĂŽtel. Il est vrai quâils ne viennent pas de lâest et de Singapour, par mer, mais du nord et dâHaĂŻderabad, par terre⊠Quâimporte ! Tinska, nâest-ce pas lâanagramme de Hatkins moins lâH ? Je les tenais ! Sans lanterner, je saute dans le rapide de Bombay oĂč je compte pincer Mlle Le Tellier en habit de jeune garçon⊠Mais lĂ , dans le fouillis de la ville, impossible de retrouver la trace de mes pseudo-Moldaves. â Ce matin, pourtant, aprĂšs un millier de dĂ©marches et de rebuffades car je nâai pas cet aspect de Sherlock Holmes qui force lâadmiration et la dĂ©fĂ©rence jâai su, de lâagence Cook, quâune sociĂ©tĂ© grecque composĂ©e de quatre personnes deux jeunes mĂ©nages, les YĂ©niserlis et les Rotapoulo, viennent de sâembarquer pour Bassora au fond du golfe Persique. De Bassora, ils comptent remonter la MĂ©sopotamie et gagner Constantinople Ă travers les terres, pour ensuite rentrer en GrĂšce. â Je suis sĂ»r que les Monbardeau-dâArviĂšre ont rejoint Hatkins et Mlle Le Tellier, et que les quatre Grecs ce sont eux ! Ils ont fourni Ă lâagence un luxe de dĂ©tails inouĂŻs sur tout ce quâils doivent faire ou ne pas faire. Ils se sont dit Tiburce ne croira jamais que câest nous, puisque nous ne dissimulons rien. » Et en effet, ils ne cherchent pas mĂȘme Ă masquer quâils sont deux hommes et deux femmes !⊠Tout autre que moi aurait abandonnĂ© cette piste trop claire. Ă bon chat bon rat ! Je les vaux bien, et ce soir je file sur Bassora. La superbe randonnĂ©e ! Jâai fait, par lâAmĂ©rique, le Japon et lâIndo-Chine, plus de la moitiĂ© du tour du monde. Avant quâils nâaient bouclĂ© la boucle, je les aurai rattrapĂ©s. Jâai conscience de les avoir talonnĂ©s, traquĂ©s, si implacablement, quâils nâont pu sâarrĂȘter comme ils le voulaient, et que je les ramĂšne au lancer, en Europe, oĂč nous serons leurs maĂźtres ! Sursum corda, cher ami ! Ă toi en toute affection ; et que Mademoiselle dâAgnĂšs veuille trouver ici les hommages de son dĂ©vouĂ© Tiburce. â Vous me faites de la peine en Europe. Ma parole, votre frousse se rĂ©percute jusquâici ! Les indigĂšnes invoquent le Trimourti contre le PĂ©ril Bleu ! Jâoubliais une chose un journal dâAmĂ©rique imprime aux Ă©chos mondains que Hatkins a renoncĂ© Ă son voyage autour du monde et quâil va donner une fĂȘte dans son hĂŽtel de New-York !⊠Crois-tu quâil est roublard ! Une fĂȘte chez Hatkins, soit ; mais Hatkins lui-mĂȘme, non. Câest un duplicata de Hatkins qui le remplacera. Cet homme dĂ©penserait ses milliards pour me berner !⊠â Adieu. T. Quand le duc dâAgnĂšs eut fini de lire ces abracadabrances, M. Le Tellier surprit dans ses yeux une petite flamme. â Ah çà ! » fit-il en se croisant les bras, est-ce que dâaventure vous garderiez un doute au sujet de la sottise de ce roussin dâoccasion ? » M. dâAgnĂšs rougit comme sâil venait dâĂȘtre Ă©veillĂ© par le sĂ©nateur BĂ©renger au milieu dâun rĂȘve libertin. â Un doute ?⊠HĂ©las ! comment voulez-vous quâil me reste un seul doute ! Je sais de source certaine que M. Hatkins est Ă New-York ; jâai lu le journal de Robert Collin qui a vu chez les Sarvants ceux que nous pleurons dĂ©jĂ . AprĂšs cela, comment pouvez-vous croire que jâajoute foi aux lettres de Tiburce, qui prĂ©tend les avoir suivis autour du monde ?!⊠» Je reconnais pourtant que⊠oui, une minute, ce ton joyeux, cette assurance alerte⊠Et puis, monsieur, nous sommes toujours tentĂ©s de croire ce qui nous cause du chagrin ; et, voyez-vous, quand je songe que Mlle Marie-ThĂ©rĂšse aurait suivi Hatkins⊠» â Vous aimeriez encore mieux la savoir dans lâaĂ©rarium ! » dit amĂšrement M. Le Tellier. â Ha ! monsieur, que me faites-vous dire ! Ayez pitiĂ© de moi ! Toutes mes transes, toutes mes jalousies, tout mon martyre Ă©ternel, plutĂŽt quâune larme aux cils de votre fille ! » Et le duc poursuivit longtemps sur ce mode-lĂ , confessant son amour et son mal, dâune voix Ă©nervĂ©e, rauque et vacillante, avec cette emphase de mĂ©lodrame qui ravale au ton de mauvaises tirades les exaltations de la plus belle vie. xviiiApparition de lâinvisible AprĂšs le dĂ©part du savant dont lâautoritĂ© avait dominĂ© la phase parisienne du PĂ©ril Bleu, on profita de sa retraite pour mettre Ă exĂ©cution certain projet que lâastronome avait toujours combattu. Nous voulons parler de lâadmission du public au Grand-Palais. M. Le Tellier ne sây opposait pas en principe, mais il soutenait avec raison quâelle devait ĂȘtre gratuite, et que, en tout cas, il fallait attendre que lâaĂ©roscaphe cessĂąt dâĂȘtre invisible, au moins en partie, grĂące Ă lâintermĂ©diaire dâune peinture ou de tout autre procĂ©dĂ©. Malheureusement, le public grondait. Câest-Ă -dire que trois ou quatre publicistes le faisaient gronder. On vit le moment oĂč la question deviendrait Ă©lectorale, et, encore que le sous-aĂ©rien fĂ»t toujours rĂ©tif Ă tout maquillage visibilisateur, lâaccession du peuple fut dĂ©cidĂ©e et taxĂ©e Ă cinquante centimes par tĂȘte, au profit des sinistrĂ©s bugistes. â LâentrĂ©e payante ne fut imposĂ©e que pour Ă©viter lâencombrement. DĂšs le premier jour, dimanche 22 septembre, il arriva ce quâavait prĂ©dit M. Le Tellier. La foule aperçut, en tout et pour tout, une haute et solide barriĂšre dĂ©fendant un enclos inoccupĂ© ; des agents de police la doublaient Ă lâintĂ©rieur. CâĂ©tait bien le cas de dire quâon avait payĂ© pour ne rien voir. Dans lâĂąme obtuse de la multitude, cette idĂ©e avait pris corps que fichtre, on verrait toujours, Ă nâimporte quoi, que ce truc-lĂ Ă©tait invisible ! » Et lâon voulait voir ! Et lâon Ă©tait furibond de ne rien voir pour ses dix sous ! Une Ă©meute Ă©clata, On nous vole ! Câest une supercherie ! » Lâexistence des Sarvants nâĂ©tait plus quâune fumisterie de fonctionnaires escrocs, destinĂ©e en fin de compte Ă gruger le contribuable, une fois de plus. Tous ces travailleurs endimanchĂ©s se rappelaient entre eux les sommes Ă©normes envoyĂ©es au secours du Bugey, de tous les points de la France et de lâĂ©tranger, et dont le comitĂ© de rĂ©partition nâavait distribuĂ© que fr. 95. Ceux mĂȘmes qui avaient acceptĂ© lâinvisible au carrefour Louis-le-Grand ne lâadmettaient plus, maintenant quâils avaient dĂ©boursĂ© leur piĂšce blanche afin de le contempler. Sur un ordre, les agents frappĂšrent lâaĂ©roscaphe retentissant⊠â Ouh ! Ouh ! â CompĂšres ! â Robert Houdin ! â Ouh ! Ouh ! â VâlĂ les cognes qui veulent faire la pige aux frĂšres Isola ! â CompĂšres ! â Assez ! Assez ! â Honteux !⊠» En exĂ©cution dâun deuxiĂšme ordre, les agents rĂ©tablirent des cordages autour du sous-aĂ©rien⊠Puis les gradĂ©s atteignirent la plate-forme occulte et sây promenĂšrent sans appui, comme les astres dans lâinfinie subtilité⊠Puis on alla chercher les moulages de lâhĂ©lice et de la pince-cisaille-panier⊠Puis douze citoyens furent invitĂ©s Ă venir toucher lâaĂ©roscaphe⊠Mais rien ne put retourner la foule, qui voyait partout des compĂšres et des traĂźtres. Le Grand-Palais sâemplit dâun vacarme sans nom. Le public bouillait comme une flaque en fermentation. Sâil avait cru Ă la rĂ©alitĂ© du bateau, il aurait tentĂ© de le mettre en piĂšces. ĂĂ et lĂ , des Ă©chauffourĂ©es se produisirent ; on Ă©touffa quelques marmots. Il fallut rendre lâargent. Le prestige du PĂ©ril Bleu venait de recevoir une atteinte irrĂ©parable. Le lendemain, les journaux de lâopposition prĂ©tendirent quâil ne sâagissait pas seulement dâune escroquerie gouvernementale et dâun crime de lâĂtatisme, mais aussi dâun stratagĂšme pour distraire de la situation sociale, sans cesse plus tendue, lâattention civique. Le pouvoir sâĂ©tait servi de ce dĂ©rivatif indigne comme il se servait parfois dâalarmes de guerre, aussi fallacieuses que la nuisibilitĂ©, que lâexistence mĂȘme des terres invisibles. Et quand, triomphalement, le chimiste Arnold, de Stockholm, annonça par le monde quâil avait trouvĂ© la peinture tant dĂ©sirable, et fait apparaĂźtre ainsi le morceau dâaĂ©roscaphe que la France lui avait confiĂ©, la dĂ©mocratie refusa dây voir autre chose quâun nouveau machiavĂ©lisme des imposteurs. Quelle attrape ! Ils allaient peindre Ă neuf quelque vieux sous-marin dĂ©classĂ©, hors service, et lâexhiber comme Ă©tant lâaĂ©roscaphe invisible recouvert de la cĂ©lĂšbre arnoldine ! Bravo, les tartufes ! Mais on savait Ă quoi sâen tenir. » Ainsi naquit la lĂ©gende du PĂ©ril Bleu, qui Ă©tait pourtant bel et bien de lâhistoire. â Cependant, au vrai, lâarnoldine Ă©tait dĂ©couverte. Le chimiste suĂ©dois vint Ă Paris sans perdre une minute. Il apportait le fragment dâaĂ©roscaphe sur lequel tant de combinaisons avaient Ă©prouvĂ© leur impuissance avant lâamalgame vainqueur. Arnold avait eu soin de nâen peindre que la moitiĂ© ; câĂ©tait donc un barre moitiĂ© invisible et moitiĂ© jaune, â dâun magnifique jaune serin. Mais, premiĂšre dĂ©ception, les Chambres se refusĂšrent Ă voter la plus faible subvention. Et, secondement, un projet de sociĂ©tĂ© anonyme au capital de quatre cent mille francs, pour la peinture de lâaĂ©roscaphe, avorta misĂ©rablement. Arnold se montra plus grand que tout un peuple. Il prit Ă sa charge les dĂ©penses considĂ©rables â car cette couleur valait plus de trois mille francs le litre â et fabriqua des quantitĂ©s dâarnoldine. Dâhabitude, la peinture dissimule les choses. Aujourdâhui, la peinture allait montrer les choses. Quand tout fut prĂ©parĂ©, Arnold convoqua autour du navire un congrĂšs de savants, pour assister Ă ce vernissage dâun nouveau genre, tel que le Grand-Palais nâen avait jamais contenu. Belloir Ă©chafauda ses gradins, environna dâun cirque de planches lâinvisible appareil⊠Au jour dit, qui tomba le 5 octobre, devant une galerie de cĂ©lĂ©britĂ©s cosmopolites, le Scandinave endossa la blouse blanche, et donna le premier coup de pinceau. Les cinĂ©matographes et les instantanĂ©s dessinaient un grand rond ; les pots dâarnoldine Ă©taient rĂ©partis de tous cĂŽtĂ©s ; un orchestre jouait une marche hĂ©roĂŻque. Lâinvisible apparut peu Ă peu. Comme si la brosse chargĂ©e de crĂšme jaune avait eu le don de les crĂ©er, tous les dĂ©tails du bateau surgirent dans lâespace, un par un. Ce fut en premier lieu la terrible pince, et lâeffroyable cisaille, et lâaffreux panier en forme dâĂ©puisette, avec son rĂ©seau de mailles, â tous trois au bout de tiges articulĂ©es sâallongeant au moyen de douilles Ă coulisse. Les machines exhibĂšrent ensuite leurs complications de finesse et dâenchevĂȘtrement, leurs sphĂšres innombrables et drolatiques, les boĂźtes dĂ©sertes oĂč le galop sur place des batraciens mĂ©canisĂ©s engendrait la force vive de lâappareil. On vit lâarbre de couche sâallonger, devenir un long tube et se fleurir dâune hĂ©lice jaune comme lui, jaune comme les machines et la pince cisaille. On vit le blaireau dâArnold peindre en ronde bosse, Ă mĂȘme lâatmosphĂšre, des instruments dĂ©sordonnĂ©s, les uns dâaspect Ă©lĂ©mentaire et volumineux, dâautres infiniment confus et multiples, dont lâarnoldine, hĂ©las, empĂątait les mignardises. Suspendu au milieu du vide, Arnold rampait, glissait, se coulait parmi lâagencement invisible des cabines. Ayant peint lâorganisme de lâaĂ©roscaphe, il sâadjoignit des aides et continua sa besogne dâenchanteur. La pince-cisaille et son panier disparurent dans une tour safran qui ressemblait Ă la cheminĂ©e dâun steamboat ; lâassistance frĂ©mit elle avait reconnu le cylindre oĂč tant de captifs sâĂ©taient abandonnĂ©s Ă tant de terreurs⊠Mais lâair se cloisonnait de murailles, de plafonds et de planchers ; les cellules sâaccumulaient Ă lâentour de la machinerie et des attirails. LâaĂ©roscaphe avait lâair dâune embarcation que lâon eĂ»t construite Ă lâenvers des autres, en commençant par oĂč dâordinaire on finit ; la coque faisait encore dĂ©faut. Pour la badigeonner, Arnold et ses aides, montĂ©s sur des Ă©chelles, Ă©tendaient lâarnoldine Ă grands coups. PiĂšce Ă piĂšce, les entrailles du sous-aĂ©rien se cachaient sous le rideau soufre, rigide et bombĂ©, quâils dĂ©ployaient dâune façon magicienne. Enfin, la couche dâarnoldine Ă©tant parfaite, un long cigare, de la couleur des canaris, se trouva dans le cirque ; et, devant sa ressemblance frappante avec un dirigeable â ressemblance que la teinte citrine accentuait encore â chacun sâĂ©tonna bruyamment. Arnold rentra dans le sous-aĂ©rien pour barbouiller le fond de caleâŠ, et quand il ressortit par lâune des Ă©coutilles, aux accents de lâhymne suĂ©dois, seul, debout au milieu de lâarĂšne, sur le dos de lâaĂ©roscaphe quâil semblait terrasser, â on lui fit une apothĂ©ose. La couleur ! La couleur ! Principe de visibilitĂ© sans lequel nos yeux seraient dâinutiles merveilles ! La couleur, qui seule justifie lâexistence de la vue ! La couleur, il lâavait donnĂ©e Ă la matiĂšre clandestine, et maintenant tout le monde voyait lâinvisible ! Arnold salua. Les taches de sa blouse ensoleillaient son geste, et, de sa brosse imbibĂ©e dâarnoldine, des gouttes dâor tombaient superbement. La foule se retira comme Ă regret. Quand le dernier spectateur eut quittĂ© le Grand-Palais, la peinture Ă©tait sĂšche, et la nuit sans lune et sans Ă©toiles Ă©tait venue, si Ă©paisse, que lâaĂ©roscaphe aurait pu se croire encore invisible, perdu dans les tĂ©nĂšbres qui abolissent la couleur et crĂšvent nos yeux. Or, au cĆur de cette ombre, tandis quâun banquet de quinze cents couverts alimentait le congrĂšs des savants et fĂȘtait la victoire des hommes sur lâinvisible, â au cĆur de cette ombre, une Ćuvre obscure, inexorable, sâaccomplissait, â lâĆuvre incomprĂ©hensible de forces inconnues, infinitĂ©simales, â une Ćuvre dâatomes et de corpuscules en travail, en lutte peut-ĂȘtre⊠Cela se passa dans lâombre et le silence. On ne sait pas comment cela sâest passĂ©. Belloir, qui vint dĂšs le potron-jaquet pour dĂ©monter le cirque, ne trouva plus le sous-aĂ©rien, mais seulement, Ă sa place, un tapis de poussiĂšre jaune serin, naviculaire. Un tapis fort mince. Une poussiĂšre tĂ©nue au suprĂȘme degrĂ©. Lâon eut beau courir en tous sens, et tĂąter lâair, et gauler le vide avec dâimmenses perches⊠LâaĂ©roscaphe nâexistait plus. La peinture suĂ©doise, corrosive de la substance invisible, lâavait rongĂ© en quelques heures. La gloire du chimiste sombrait dans la ruine et le ridicule. Il sâarrachait les cheveux ; il ne comprenait pas comment lâaĂ©roscaphe sâĂ©tait pulvĂ©risĂ©, alors que lâĂ©chantillon, prĂ©levĂ© sur le bateau mĂȘme et dont il sâĂ©tait servi pour ses expĂ©riences, avait rĂ©sistĂ© Ă lâattaque⊠Enfin, la vĂ©ritĂ© se fit jour dans lâesprit dâArnold. Parmi tous les traitements quâil avait fait subir au spĂ©cimen avant de rĂ©ussir, quelque bain, sans doute, possĂ©dait la vertu de lâimmuniser contre lâaction nocive de lâarnoldine, â au lieu que lâaĂ©roscaphe, lui, nâavait bĂ©nĂ©ficiĂ© dâaucune opĂ©ration prĂ©alable. Un bain ! Oui, mais lequel ? Il en avait tant essayĂ© !⊠Et puis, Ă quoi bon le rechercher, Ă prĂ©sent que lâaĂ©roscaphe nâĂ©tait plus ? Arnold, cependant, sâefforça de confectionner de la matiĂšre invisible, â de faire la synthĂšse de cette bizarrerie dont lâanalyse lui avait coĂ»tĂ© mille tourments et cela pour rester incomplĂšte, le composĂ© donnant, avec les acides, des rĂ©actions extravagantes. Il ne rĂ©ussit quâĂ diluer plusieurs spĂ©cimens dans un mĂ©lange dĂ©moniaque, enfiĂ©vrĂ© de courants alternatifs, et sâarrangea si bien quâil dĂ©truisit de la sorte tout ce qui demeurait ici-bas du mĂ©tal inestimable. Ce fĂącheux inventeur y laissa lâentendement. Sa patrie lâhospitalisa. Il est toujours Ă GĆteborg. TantĂŽt il veut aller peindre les continents sus-aĂ©riens, pour les rĂ©duire en poudre. Et tantĂŽt, croyant avoir trouvĂ© lâantidote de lâarnoldine, lâinsensĂ© parle de vernir cette voĂ»te transparente, afin que la nuit sâĂ©tende Ă jamais sur lâingratitude et sur lâironie. Câest de cette façon que lâinvisible â passez, muscade ! â apparut et redisparut. xixTiburce abandonne Dans sa chambre blanche et rose, toute claire au clair matin qui fait les chambres des jeunes filles plus que jamais chambres de jeune fille » â Mlle dâAgnĂšs venait dâachever sa toilette. La servante arrangeait un dĂ©sordre de fanfreluches. Mlle Jeanne dâAgnĂšs regarda son visage au fond dâun miroir, et lui adressa une petite grimace triste, Ă cause quâil nâĂ©tait pas trop beau. Puis elle sâapprocha dâun calendrier perpĂ©tuel et fit jouer son dĂ©clic afin de le mettre Ă jour. Le calendrier marqua MERCREDI 16 OCTOBRE Et le cartel anglais carillonna â Dix heures ! » Mlle Jeanne pensa, presque simultanĂ©ment, que lâheure du courrier Ă©tait passĂ©e ; que depuis un mois Tiburce le fol, Tiburce lâentĂȘtĂ©, Tiburce le Hutin, nâavait pas donnĂ© de ses nouvelles ; et quâelle avait vingt ans aujourdâhui. Le front aux vitres de sa fenĂȘtre, elle regarda sâeffeuiller les marronniers de lâavenue Montaigne. Trois coups discrets troublĂšrent sa rĂȘverie. â Quâest-ce que câest ? » fit-elle. Une voix dâhomme rĂ©pondit, obsĂ©quieuse et sourde â Câest Monsieur le duc, Mademoiselle, qui demande si Mademoiselle veut bien descendre un petit moment dans son cabinet. » â ?⊠!⊠» Sans rien dire, toute glacĂ©e, le sein houleux, Mlle dâAgnĂšs se rendit chez son frĂšre. Il lâattendait debout, et, quoiquâil fĂ»t Ă contre-jour, elle distingua ses yeux rouges et son air dĂ©fait. Il lui dit Ă brĂ»le-pourpoint, dâun ton extraordinairement doux et affectueux â Ăcoute, Jeanneton⊠Dâabord, Ă©coute tu aimes toujours bien Tiburce, nâest-ce pas ?⊠â Pauvre petit lapin, te voilĂ toute tremblante⊠Ne crois pas⊠» â Mais oui⊠je lâaime, Tiburce⊠» â Eh bien, mon Jeanneton, tu lâĂ©pouseras, va, mon petit lapin ; tu lâĂ©pouseras quand mĂȘme. Autrefois, tu sais, jâĂ©tais inepte de mâopposer Ă votre mariage ; et depuis, le subordonner au succĂšs de Tiburce, vois-tu, faire dĂ©pendre votre bonheur du mien, ça, câĂ©tait dâun Ă©goĂŻsme sans nom ! sans nom !⊠Mais tu lâĂ©pouseras, va, mon petit ! » â François, je te remercie de tout mon cĆur⊠» Elle lui prenait les mains et parlait timidement. Il⊠il nâa pas rĂ©ussi, alors ?⊠Tu dis que je lâĂ©pouserai quand mĂȘme ?⊠et tu pleures !⊠» Elle lâembrassait. âŠIl nâa pas rĂ©ussi ? » â Parbleu ! » sâĂ©cria le duc en chevrotant. CâĂ©tait bien sĂ»r quâil Ă©chouerait ! Je ne sais pas comment jâai Ă©tĂ© assez idiot pour me raccrocher Ă cette hypothĂšse ! Mais câest que lâautre, lâautre hypothĂšse, celle des Sarvants, Ă©tait si affreuse !⊠Si affreuse et si dĂ©finitive ! Tiens, jâai encore vu deux ingĂ©nieurs ce matin, et mon courrier⊠ce nâest que des rĂ©ponses dâingĂ©nieurs ! Tout ça dĂ©sespĂ©rant ! Jamais on nâira lĂ -haut. Jamais ! jamais ! jamais !⊠» Mlle dâAgnĂšs reprit tendrement â Tu as une lettre de Tiburce ? » â Oui. La voilĂ . Câest pour te la faire lire et pour te rassurer en mĂȘme temps que je tâai demandĂ©e. » Elle dĂ©ploya le billet. piĂšce 934 Angora, Turquie dâAsie, ce 11 octobre 1912. Mon cher, oh ! bien cher ami, pardonne-moi ! Pardonne Ă ma sottise !⊠Ceux que je poursuivais autour du monde nâĂ©taient pas ceux que je cherchais ! Je vois clair Ă prĂ©sent. La douleur a lavĂ© mes yeux de tant de larmes !⊠Jâai pris le change plusieurs fois de suite sur des voyageurs diffĂ©rents, poussĂ© par mon idĂ©e fixe et moins conduit par les circonstances que par une marotte que jâagitais moi-mĂȘme devant mes propres pas ! Oh ! ces derniĂšres semaines ! Cette course fiĂ©vreuse, Ă cheval, de Bassora jusquâici, cette galopade Ă travers la MĂ©sopotamie, le long du Tigre, oĂč, chaque jour, je gagnais du terrain sur les YĂ©niserlis et les Rotapoulo ! Eux, ils allaient sans se presser, visitant les ruines, sâattardant aux paysages, faisant un crochet vers Babylone, revenant Ă Bagdad, explorant les dĂ©combres de Ninive aprĂšs avoir goĂ»tĂ© Mossoul⊠Ils avaient une avance de quinze jours⊠Je les ai rejoints entre DiarbĂ©kir et Angora⊠et lĂ Jâai constatĂ© que ce nâĂ©taient pas Hatkins avec Mlle Le Tellier et les Monbardeau, mais rĂ©ellement deux jeunes mĂ©nages grecs, de vrais YĂ©niserlis, de vrais Rotapulo, â de braves gens, somme toute, Ă qui jâai confiĂ© ma dĂ©sillusion et qui mâont consolĂ© de leur mieux. Nous sommes arrivĂ©s ici de conserve. Angora, câest le point terminus de la voie ferrĂ©e qui vient de Constantinople. Une journĂ©e de wagon me sĂ©pare de la capitale de la Turquie. Mais je suis brisĂ© de fatigue et dâennui, et je compte rester ici â combien de temps ? je ne sais â Ă me reposer dans les fleurs et le soleil, en songeant Ă ma bĂȘtise comme Ă quelque maladie dont je serais convalescent. HĂ©las ! faire du roman dans la rĂ©alitĂ© ! Devenir Sherlock Holmes ! Pauvre de moi ! Malade que jâĂ©tais !⊠Mais, François, maintenant â je tâen supplie â ne me laisse pas dĂ©sespĂ©rer Ă propos de Mademoiselle Jeanne. Promets-moi que peut-ĂȘtre⊠dans bien longtemps⊠Pardonne ; je termine. Quand je pense Ă cela, ma vue se brouille. Adieu. Tiburce. Mlle dâAgnĂšs contempla son frĂšre. â Moi aussi, François, jâai besoin de pardon. Je savais bien que Tiburce ne retrouverait pas Marie-ThĂ©rĂšse, et si je lâai laissĂ© partir, câest que je comptais sur son acharnement pour flĂ©chir tes rĂ©solutions. Mais Ă lâheure oĂč mon plan vient enfin dâaboutir, il me semble que ce nâest pas trĂšs honnĂȘte cette machination⊠» â Ah ! mon amie, câest ta diplomatie qui avait raison contre mes prĂ©jugĂ©s ! Dâailleurs, apaise-toi Tiburce serait parti malgrĂ© ta dĂ©fense ; il Ă©tait si convaincu ! » â Câest possible, et jâĂ©prouve un Ă©trange soulagement Ă le savoir dĂ©sabusĂ©. Un si bon garçon dans de telles erreurs !⊠Mais, jây pense, François, comment toi, connaissant la vĂ©ritĂ©, pouvais-tu te laisser reprendre Ă ces sornettes ? » â Depuis quâon mâa enseignĂ© ce que câest que lâaĂ©rarium et ce que sont les Sarvants, me dire que Marie-ThĂ©rĂšse est la proie des Sarvants dans lâaĂ©rarium⊠câest cela que mon esprit ne peut pas supporter, et non les idĂ©es folles, non les folies encourageantes ! » â Du courage, mon frĂšre. Je tâaime aussi. Du courage. » â Jâen aurai. Jâen ai. Mais Je suis Ă©croulé⊠Je vais tĂącher de dormir un peu. Laisse-moi, mon petit lapin, veux-tu ? » Quand sa sĆur se fut retirĂ©e, le duc dâAgnĂšs sentit un isolement plus absolu quâil ne lâavait dĂ©sirĂ©. Partout, dĂ©sormais, ne serait-il pas seul comme il Ă©tait seul dans cette salle ? Pouvait-on nâĂȘtre pas seul en lâabsence Ă jamais de Marie-ThĂ©rĂšse ?⊠Il tendit vers le ciel des Sarvants la menace et la vanitĂ© de ses poings, et tout Ă coup lui vint une ivresse dâamertume, un dĂ©sir forcenĂ© de souffrance et de sanglots. Ah ! » songeait-il comme un enfant gĂątĂ©. On veut que je sois malheureux ! Ah ! on le veut ? Eh bien, je le serai, malheureux ! et mĂȘme au delĂ de ce quâon veut ! » Ainsi lâhomme prĂ©tend toujours avoir raison de sa destinĂ©e. Pour endeuiller encore son effroyable solitude, le duc pensa donc Ă sâensevelir au noir linceul de lâobscuritĂ©. Mais tel Ă©tait son Ă©garement, quâil avait oubliĂ© lâheure. Il tourna le commutateur Ă©lectrique, en vue dâĂ©teindre le soleil quâil prenait pour une lampe. Un plafonnier sâillumina, jaunĂątre et dĂ©paysĂ© dans lâĂ©clat du jour, comme un Ćil de hibou. M. dâAgnĂšs se ressaisit. â Mes compliments ! » fit-il tout haut. VoilĂ que tu deviens gĂąteux⊠Ah ! non ! non ! Ah ! non ! pas de ça, mon garçon ! Quand ce ne serait que pour la voir une derniĂšre fois, morte et dĂ©figurĂ©e, â pour lui porter des fleurs et la mettre au tombeau, â tu dois vivre ! Et vivre tout entier, de corps et dâĂąme !⊠Allons ! du nerf ! » xxDisparition du visible La lettre de Tiburce, qui avait tant Ă©mu François dâAgnĂšs, ne produisit aucun effet sur M. Le Tellier, quand il la reçut Ă Mirastel par les soins du jeune duc. Lâastronome et son entourage savaient Ă quoi sâen tenir dĂšs longtemps. Et tous, â Maxime enfin guĂ©ri, â Mme Le Tellier, blanche et blonde Ă la fois et ne songeant plus guĂšre Ă lâĂ©lĂ©gance, â Mme Arquedouve ! un peu ratatinĂ©e, si menue, si menue ! â et le pauvre couple des Monbardeau, vieilli, dĂ©semparĂ©, â tous ne pensaient quâĂ deux choses examiner au tĂ©lescope le fond de lâaĂ©rarium, avec les petits mouvements produits dans les vides par lâagitation des prisonniers, et reconnaĂźtre, Ă mesure quâils sâabĂźmaient, les cadavres prĂ©cipitĂ©s. CâĂ©tait toujours la nuit quâils tombaient. Ainsi que Robert lâavait supputĂ©, les Sarvants devaient ĂȘtre plus actifs et plus Ă lâaise dans les tĂ©nĂšbres ; et il ne se passait pas de nuit sans sifflement, pas de matinĂ©e sans quâun paysan ne vĂźnt au chĂąteau, prĂ©venir quâun mort sâĂ©tait abattu dans sa vigne. Les campagnards avaient fini par se rassurer ; de lâaube au soir, ils travaillaient la terre engraissĂ©e de chair humaine. Parfois, en arrivant, ils trouvaient des animaux nuitamment dĂ©gringolĂ©s parfois des hommes et des femmes. Ă leur appel, Maxime, son pĂšre et son oncle accouraient. Maintenant les cadavres ne portaient plus de traces anatomiques. Plus de vivisection ni de dissection, plus de tortures. Ils Ă©taient complets, honorables, mais dâune excessive maigreur. Lâautopsie rĂ©vĂ©la que des maladies les avaient dĂ©vastĂ©s sans que les Sarvants y fussent pour quelque chose. Les captifs ne mouraient que faute de soins, de remĂšdes, de grand air et de bonne nourriture. Mais ils mouraient de plus en plus. On fit le compte des disparus et lâon enregistra les cadavres. Aux environs du 10 octobre, M. Le Tellier acquit la certitude quâil ne restait lĂ -haut que vingt-cinq malheureux, parmi lesquels Marie-TherĂšse, Henri, Fabienne et Suzanne. CâĂ©tait une terrible dĂ©couverte. Au train dont les choses marchaient, dans vingt jours tout serait consommĂ©. Les quatre exilĂ©s seraient morts. Mirastel retentit de lamentations. La nuit dâaprĂšs, deux sifflements perçaient les cĆurs⊠Mais ce nâĂ©taient que les chutes dâun bouc et dâune Ăąnesse. Ceux quâon attendait ne tombĂšrent pas les jours suivants. Au zĂ©nith, la tache sombre ne bougeait pas, ne changeait pas. Seulement, lâanimation des rainures diminuait, plus rare et plus lente. Le 18 octobre, neuf chrĂ©tiens et une douzaine de bĂȘtes avaient chutĂ© depuis le 10. Il y avait encore seize condamnĂ©s dans lâaĂ©rarium. Le sommeil dĂ©serta le chĂąteau. La nuit, Ă force dâĂ©couter, chacun souffrit dâĂ©tranges courbatures auriculaires. Ă deux heures du matin, le 19, lâombre rĂ©sonna dâun bruit particulier qui ne sifflait pas comme dâhabitude. On aurait dit dâune charge de grains de plomb criblant la paix nocturne⊠Le bruit se rĂ©pĂ©ta plusieurs fois de suite. M. Le Tellier sortit sur la terrasse avec les siens. La lune venait de se coucher ; en luminositĂ© diffuse, sa clartĂ© sâexhalait encore de lâoccident. Il faisait un petit vent frais. Le bruit recommença, tandis quâune sorte de nuage obscur, sifflant comme de la grenaille, allait sâĂ©craser dans le marais, vers CeyzĂ©rieu. Un second, immĂ©diatement, le suivit. Un troisiĂšme. Un quatriĂšme. Un cinquiĂšme⊠Ils fondaient pesamment lâun sur lâautre, au mĂȘme endroit, giflant la terre humide. On en compta jusquâĂ trente-deux. La trente-troisiĂšme chute rendit un son trĂšs diffĂ©rent, de cliquetis, de ferrailles entre-choquĂ©es, et nâavait point lâaspect dâun nuage. Tout cela venait manifestement du port invisible et ne tombait vers le sud quâĂ la faveur du petit vent frais. QuâĂ©tait-ce que ces envois du monde supĂ©rieur ? Ni des hommes, ni des bĂȘtes, assurĂ©ment ; on connaissait trop leur façon de sâannoncer. Quâest-ce que les Sarvants avaient encore imaginĂ© ?⊠On attendit le soleil avec une impatience farouche. Il vint, et fit voir des espĂšces de monticule trĂšs ostensibles, au milieu du marĂ©cage. Mais il fallait renoncer Ă les approcher au centre de la plaine mouvante et dangereuse. â Rien ne semblait y remuer. Lâastronome prit le parti de les regarder avec sa meilleure lunette. On lâaccompagna dans lâobservatoire de la tour. Le tube optique Ă©tait lĂ , montĂ© en lunette terrestre et braquĂ© sur la tache carrĂ©e depuis des semaines. M. Le Tellier mit lâĆil Ă lâoculaire. â Tiens ! » dit-il, on a donc touchĂ© Ă ma lunette ? Je ne vois plus lâaĂ©rarium !⊠» Il examinait lâappareil. Mais non, rien nâa Ă©tĂ© dĂ©rangĂ©âŠ, et cependant lâaĂ©rarium nâest plus dans le champ visuel ! Il a disparu ! â Mon Dieu ! » fit Mme Monbardeau. Quoi encore ! » â Disparu ? Est-ce quâils auraient dĂ©placĂ© ce palais immense ? » suggĂ©ra Maxime. â Une catastrophe ? » reprit le docteur. Un tremblement du sol superaĂ©rien ? » â On verrait toujours quelque chose⊠Il ne reste rien ! » affirma lâastronome. Rien ! au point prĂ©cis oĂč jâai vu hier au soir le dessous de lâaĂ©r⊠Ah ! Attendez donc ! » Il abaissa le petit tĂ©lescope et visa les monticules au centre du marais. Le grossissement les lui dĂ©tailla. CâĂ©taient, sur lâĂ©tendue olivĂątre, des tas de terre brune, et sur cette terre, enfouis aux trois quarts, beaucoup dâobjets disparates des branchages secs, des ramĂ©es grises, une masse dâinformitĂ©s de toutes les couleurs, oĂč lâon distinguait une dorure Ă silhouette de coq⊠â LâaĂ©rarium est lĂ ! » dit M. Le Tellier en se redressant, ou plutĂŽt les choses qui le rendaient visible. Cette nuit, câĂ©taient des nuages de terre qui tombaient ; les Sarvants lâont jetĂ©e wagon par wagon. Ils se sont dĂ©barrassĂ©s de leur musĂ©um dâocĂ©anographie ! » Des faces blĂȘmes lâentouraient. â Et les⊠les ĂȘtres ? » demanda Mme Arquedouve. Les seize prisonniers ? » â Henri ? » â Suzanne ? » â Marie-ThĂ©rĂšse ? » â Fabienne ? » â Il nây a rien de vivant lĂ -bas. Rien de mort non plus⊠Et lĂ -haut il nây a plus rien du tout. » â Les Sarvants les ont entraĂźnĂ©s sur un autre point de leur globe ! » â Ne dis pas cela, Maxime ! » sâĂ©cria Mme Le Tellier qui tremblait de tous ses membres. Je tâen supplie ! Pas cela ! » â Mais quâespĂ©rez-vous donc, maman ? » â Est-ce que je sais !⊠» Maxime sâĂ©tait emparĂ© du tĂ©lescope. Il considĂ©rait les monticules. On se taisait. Ă ce moment, trĂšs, trĂšs loin, parmi toutes les rumeurs de lâĂ©veil auroral, un chien jappait. Mme Arquedouve prĂȘta lâoreille. Le jappement se rapprochait. Lâaveugle comprima son cĆur Ă deux mains. Les autres la regardaient curieusement. Elle Ă©coutait le chien comme elle eĂ»t admirĂ© la splendeur de la lumiĂšre reconquise. OppressĂ©e, elle ne pouvait rien dire de son Ă©moi. â MĂšre, mĂšre, » chuchota Mme Le Tellier, est-ce vraiment Floflo qui revient ? » Mme Arquedouve abaissa les paupiĂšres. Et chacun sâinterrogeait du regard. Floflo ? Floflo que Robert, que Maxime avaient vu chez les Sarvants ! Floflo vivant ! Floflo de retour ?⊠La grandâmĂšre se trompait !⊠CâĂ©tait bien lui pourtant. Il arriva, tirant une langue interminable et rose, sautant de joie malgrĂ© sa fatigue, lĂ©chant les mains, les visages et mĂȘme les bottines. Mais ce quâil Ă©tait dĂ©charnĂ©, le pauvre loulou ! Et sale, si vous saviez ! La poussiĂšre de la route avait collĂ© ses longs poils noirs tout trempĂ©s⊠â Il ne faut pas ĂȘtre sorcier », raisonna Maxime, pour voir que ce chien a Ă©tĂ© plongĂ© dans lâeau avant dâaccomplir une assez longue course. Avant ou pendant. Il se sera baignĂ©, chemin faisant, aux fontaines. Mais dâoĂč vient-il ? Ce nâest pas des monticules ; nous lâaurions vu traverser le marais, et puis il ne serait pas si extĂ©nuĂ©, ni tellement couvert de poussiĂšre. Du reste, on ne peut admettre que les Sarvants lâaient lancĂ© du haut de⊠» Un coup de cloche sonnant au portail lâempĂȘcha de finir. Le trouble qui les envahit les fit pĂąlir ; câĂ©tait un mĂ©lange contradictoire dâespĂ©rance et dâinquiĂ©tude, qui produisait une sensation physique de faiblesse soudaine et de grand froid. Il y eut une dĂ©ception Le visiteur Ă©tait un rustre avec une bicyclette. Mais il y eut encore une Ă©motion Ce rustre apportait une lettre Ă M. Le Tellier. Et il y eut alors une joie dĂ©lirante, inĂ©narrable, folle ; car la lettre venait dâun ami que M. Le Tellier avait Ă Lucey, sur le RhĂŽne, Ă dix-huit kilomĂštres de Mirastel, et cette lettre disait piĂšce 988 Venez vite. On a trouvĂ© ce matin dans une Ăźle du fleuve, entre Lucey et Massignieu-de-Rives, les disparus survivants. Aucun ne paraĂźt blessĂ©. LâautoritĂ© les a mis en quarantaine. MalgrĂ© la bizarrerie de cette derniĂšre phrase, lâallĂ©gresse prit de telles proportions quâelle faisait peur Ă voir. Il leur semblait que tout Ă coup lâatmosphĂšre venait de se modifier. Lâastronome nous a dit CâĂ©tait comme si lâon mâeĂ»t dĂ©barrassĂ© dâune camisole de force endurĂ©e pendant six mois ! » Le rire ressuscitait au fond des gorges ; mais les visages en avaient perdu lâhabitude, et les joues sây opposaient. Ils faisaient une infinitĂ© de mouvements inutiles, et marchaient de droite et de gauche, avec des grognements de bonheur. Ils se calmĂšrent enfin. Maxime interrogea le rustre. Au petit jour, un ouvrier, se rendant au travail, avait aperçu dans une Ăźle du RhĂŽne un groupe de personnes en trĂšs mauvais Ă©tat, mal vĂȘtues, mal portantes, â couchĂ©es pour la plupart, â en compagnie de bĂȘtes incroyablement diverses, dont quelques-unes essayaient de passer lâeau. Quand cet homme Ă©tait arrivĂ©, un petit chien noir traversait le fleuve Ă la nage, vers le nord, et la dĂ©rive emportait deux ou trois animaux efflanquĂ©s, trahis par leurs forces au milieu du courant. Un aigle, paraĂźt-il, tentait sans relĂąche et vainement de sâenvoler. Le maire avait dĂ©fendu quâon approchĂąt de lâĂźle, et, craignant la ruse des Sarvants, il avait mis les rescapĂ©s en quarantaine. On sâempila dans la grande auto blanche, comme au jour de lâenlĂšvement. Mais combien les figures avaient changĂ© depuis ! et comme leur gaietĂ© contrastait avec leurs rides et leurs flĂ©trissures ! â Et ils riaient ! et ils riaient ! Ils avaient lâair de se tromper en riant si fort avec de tels visages. Pour un peu, ils auraient chantĂ©. Au passage, M. le Tellier apostrophait les paysans â Ils sont revenus ! Ils sont lĂ ! Ma fille est descendue ! » â Et mes enfants aussi ! » rectifiait le docteur sur un ton comique, en feignant la susceptibilitĂ©. Mes enfants aussi ! » La mĂȘme algarade se renouvelait Ă chaque rencontre. Les beaux-frĂšres sâamusaient Ă©perdument, se tapaient sur les cuisses, et les autres riaient Ă bouche que veux-tu. On arriva. La route longeait le RhĂŽne qui, Ă cet endroit, se divise au travers dâun archipel aride et pelĂ©. Une population villageoise se pressait sur les deux rives, Ă la hauteur de lâĂźle aux rescapĂ©s. Celle-ci, pareille aux autres, sortait du flot robuste un banc de terre livide, semĂ© de quelques buissons. Elle Ă©tait assez loin des berges. M. Le Tellier voulut dĂ©tacher une barque ; mais le garde champĂȘtre sây opposa rapport Ă la quarantaine ». LĂ -dessus, lâastronome sâemporta, trĂšs inutilement. Tout en colĂšre, il regardait lĂ -bas les misĂ©rables survivants de lâaĂ©rarium Ă©tendus sur le sol parmi les liĂšvres, poules, sangliers, renards, buses, pintades et autres crĂ©atures domestiques ou sauvages qui ne paraissaient pas beaucoup plus dĂ©gourdies que leurs seigneurs. Lâaigle, par-ci par-lĂ , se levait, courait, les ailes dĂ©ployĂ©es, dâun bout Ă lâautre de lâĂźle, puis retombait sans force. Ils mouraient tous de consomption la faim minait ces hommes et ces femmes, et une mesure imbĂ©cile interdisait de leur porter secours ! Ă distance, M. Le Tellier ne reconnut dâabord que Fabienne Monbardeau-dâArviĂšre ; ensuite il lui parut que Suzanne⊠Mais il fut tirĂ© de son examen par un cri terrible, derriĂšre lui. Tout le monde se retourna. Mme Le Tellier, montĂ©e sur le siĂšge de la voiture, clamait lugubrement â Marie-ThĂ©rĂšse nâest pas lĂ ! Ils sont quinze seulement ! au lieu de seize ! et ma fille nâest pas lĂ , pas lĂ ! Ils lâont gardĂ©e ! Câest la seule quâils aient gardĂ©e ! Oooh ! mon Dieu !⊠» Elle sâaffaissa sur les coussins. M. Le Tellier fut centenaire en une seconde. Et rien nâĂ©tait plus vrai. Par un moyen restĂ© dans lâinconnu, les Sarvants avaient rapatriĂ© tous les pensionnaires de lâaĂ©rarium, â sauf Marie-ThĂ©rĂšse. Henri, Suzanne et Fabienne, lâun prĂšs de lâautre, esquissaient de temps en temps un geste de reconnaissance, harassĂ©. Mme Monbardeau les couvait des yeux. Mais les parents des autres rescapĂ©s Ă©taient accourus, les curieux sâamassaient sans dĂ©semparer, et tous ces gens murmuraient contre la quarantaine. On ne sait quelles disgrĂąces seraient arrivĂ©es au maire et au garde champĂȘtre, si Maxime et trois jeunes hommes de Massignieu nâavaient abordĂ© dans lâĂźle, Ă lâaide dâun bachot quâils avaient dĂ©couvert en amont. Lorsquâon vit que rien de fĂącheux ne leur advenait, la quarantaine fut levĂ©e, une flottille dâembarcations accosta le lazaret, et la sociĂ©tĂ© reprit possession de quinze corps inertes, famĂ©liques et parcheminĂ©s, sans voix et sans Ăąme apparente. â Lâami de M. Le Tellier prĂȘta sa limousine aux Monbardeau ; lâauberge de Lucey sâouvrit aux revenants qui nâavaient pas encore Ă©tĂ© rĂ©clamĂ©s. Quant aux animaux, on les acheva sans grande raison, ni grande nĂ©cessitĂ©, ni grande humanitĂ©. Et ce faisant, ne semble-t-il pas, au propre et au figurĂ©, quâon se soit montrĂ© au-dessous des Sarvants ? eux qui ne ]es avaient pas tuĂ©s ?⊠Nâest-il pas raisonnable de croire que les Invisibles se sont aperçus enfin de lâexistence de la douleur ? Ayant dĂ©couvert chez les ĂȘtres dâen bas cette chose subtile, atroce et merveilleuse, â Ă©trangĂšre Ă leur monde, â nâest-ce pas alors quâils ont arrĂȘtĂ© leurs vivisections ?⊠Car, il nây a pas Ă dire lâĂ©tat des cadavres en a tĂ©moignĂ© les vivisections prirent fin tout dâun coup ; et le seul motif valable quâon en puisse donner, câest la misĂ©ricorde des Sarvants Ă©veillĂ©e par la dĂ©couverte de la souffrance. Et sâils nâont pas rapatriĂ© sur-le-champ les pauvres hĂšres quâils sâĂ©taient mis Ă plaindre, ne faut-il pas attribuer ce retard au temps de construire un second aĂ©roscaphe ou quelque autre appareil invisible destinĂ© Ă les redescendre ? Ă ce sujet, lâhypothĂšse qui semble prĂ©valoir est celle dâun engin automatique, poussĂ© par le vent, qui serait venu atterrir dans lâĂźle, au hasard ; un dĂ©clenchement lâaurait fait remonter de lui-mĂȘme, aprĂšs dĂ©charge. Cela nâest pas impossible, mais rien nâautorise Ă le certifier. Le fait rĂ©el, câest que les Sarvants nous ont rendu les nĂŽtres dĂšs quâils ont pu le faire, â et tout porte Ă croire quâils lâont fait par intelligence et bontĂ©. Câest en effet une chose assez monstrueuse, logiquement parlant, que les poĂštes et les philosophes qui ont imaginĂ© des ĂȘtres intelligents hors lâhumanitĂ©, en aient toujours fait des crĂ©atures sanguinaires et mĂ©chantes. Pour affecter le lecteur avec certitude et forger des civilisĂ©s qui fussent loin de lâhomme autant quâil est possible, ces utopistes ont refusĂ© Ă leurs individus chimĂ©riques les vertus qui passent pour nous ĂȘtre propres. Ils ont cru, par cet expĂ©dient, faire montre dâindĂ©pendance Ă lâĂ©gard de lâanthropomorphisme, et ils lui ont sacrifiĂ© servilement, Ă leur insu, en privant leurs nations supposĂ©es de mĂ©rites et de qualitĂ©s dont lâhomme, en foule, est pareillement dĂ©pourvu. Les Sarvants nous sont, je crois, supĂ©rieurs en morale comme en altitude. Et il faut que cette opinion-lĂ ne soit pas si mauvaise, puisquâelle sâimposait Ă lâesprit Ă©minent de M. Le Tellier aux instants mĂȘmes oĂč il agitait avec rage pourquoi les Invisibles avaient gardĂ© sa fille. Car ils lâavaient gardĂ©e, la chose Ă©tait certaine. On avait fait des cadavres un recensement trop assidu pour que celui de Marie-ThĂ©rĂšse y eĂ»t Ă©chappĂ©. Donc elle Ă©tait restĂ©e lĂ -haut. Pourquoi ? Sa beautĂ© nâexpliquait rien, sa beautĂ© nâavait pas cours chez les Sarvants, pas plus que chez nous la grĂące dâune araignĂ©e⊠Alors, pourquoi ? Pourquoi Marie-ThĂ©rĂšse ? » se demandait M. Le Tellier. Et pourquoi elle seule ? » On revenait. Il pressait les mains de sa femme blottie au fond de la voiture. Devant eux, la limousine des Monbardeau dĂ©talait sur la route. Et dans celle-ci, penchĂ© sur le visage plaintif de sa fille, le docteur murmurait â Suzanne, Suzanne ! Je te pardonne, tu sais ! » Un sourire effleura les lĂšvres violettes. Alors, M. Monbardeau sâoccupa dâHenri et de Fabienne ; mais comme il nâavait rien Ă leur pardonner, jamais il ne parvint Ă les dĂ©rider. Leur hĂ©bĂ©tude dĂ©passait toutes les apprĂ©hensions. â Henri, sais-tu pourquoi ils ont gardĂ© Marie-ThĂ©rĂšse ? » fit Mme Monbardeau. â Chut⊠Du calme, du silence⊠» conseilla le docteur. La physionomie de son fils avait indiquĂ© une vague expression dâignorance. â Laisse-le, Augustine. Ce soir, on pourra lâinterroger. Ce soir ou demain matin. » Les deux automobiles glissaient au fond de lâocĂ©an cĂ©leste. Elles Ă©pandaient derriĂšre elles une traĂźne de poussiĂšre semblable aux nuĂ©es opaques dont les seiches de la mer dissimulent leur fuite⊠La premiĂšre, sarcophage dâĂ©bĂšne, portait la Joie. La seconde Ă©tait le char candide et resplendissant de la Tristesse⊠Vous conviendrez quâil y avait maldonne. xxiTriomphe de lâAbsurditĂ© Le mĂȘme jour Ă cinq heures du soir, le duc dâAgnĂšs, qui errait dans Paris comme une Ăąme en peine, croisa, boulevard Bonne-Nouvelle, trente ou quarante camelots lancĂ©s au pas de course et hurlant Ă tue-tĂȘte La Patrie ! â La Presse ! â La LibertĂ© ! » Ils les vendaient, au vol, Ă tous les passants. M. dâAgnĂšs acheta la LibertĂ©. RETOUR INESPĂRĂ DES DISPARUS leur Ă©tat dâabattement Mlle Le Tellier seule nâest pas au nombre des rescapĂ©s piĂšce 1037 Le bonheur causĂ© par la premiĂšre ligne nâavait pas durĂ© longtemps, mais il avait suffi pour assombrir encore lâĂ©pouvantable dĂ©ception que renfermait la derniĂšre. Et il apprenait cela boulevard Bonne-Nouvelle ! Non, une telle malchance nâĂ©tait pas possible ! pas permise ! Il lui semblait que le malheur capitulerait devant son incrĂ©dulitĂ©. Il acheta coup sur coup la Patrie et la Presse piĂšces 1038 et 1039 et, malgrĂ© lâidentitĂ© de leurs informations, envoya cette dĂ©pĂȘche Ă M. Le Tellier Est-ce vrai Marie-ThĂ©rĂšse pas revenue ? RĂ©pondez suite tĂ©lĂ©graphiquement avenue Montaigne. dâAgnĂšs. Puis, dans la furie de son impuissance, il se mit Ă marcher droit devant lui, les yeux fixes, les dents serrĂ©es, en se disant que les trois journaux ne pouvaient se tromper sur ce point capital, et quâen dĂ©finitive sa misĂšre Ă©tait plus grande quâil ne lâavait jamais cru, bien quâil lâeĂ»t crue la plus grande misĂšre de tous les temps. Câest en regagnant Ă pied lâhĂŽtel de lâavenue Montaigne que le duc dâAgnĂšs forma la rĂ©solution de se tuer. Mentalement, il rĂ©alisait la scĂšne ultime de sa vie, depuis la confection du testament jusquâau coup de revolver final⊠Sa sĆur guettait son retour. Elle avait lu la Presse. Jamais le duc nâavait senti de bras plus cĂąlins autour de son cou. Il lâembrassa plus tendrement que de coutume. Il eut, pour ses domestiques, des mots touchants de bienveillance et de tact. Il voulait mourir en bontĂ©, ce qui est la meilleure façon de partir en beautĂ©. Mlle Jeanne le surveillait dans lâinquiĂ©tude ; et quand on apporta le tĂ©lĂ©gramme prĂ©vu, â dont ils savaient, sans lâavoir lu, le texte, â M. dâAgnĂšs eut un sourire si Ă©plorĂ©, un regard si profond, que sa sĆur, comprenant toute son Ăąme, se dĂ©tourna pour pleurer. Le rugissement quâelle entendit arrĂȘta douloureusement ses sanglots dans un spasme de terreur. Elle fit volte-face, et vit son frĂšre transformĂ©, grandi, poussant des Ă©clats de rire fĂ©rocement heureux, agitant le tĂ©lĂ©gramme ouvert, et criant enfin, aprĂšs une seconde de berlue â Jeanne ! Jeanne ! Câest de Tiburce, cette dĂ©pĂȘche ! Tiburce a retrouvĂ© Marie-ThĂ©rĂšse ! Tiburce a retrouvĂ© Marie-ThĂ©rĂšse ! Tiburce ! Tiburce ! Il lâa retrouvĂ©e !⊠par hasard !⊠à Constantinople !⊠» Le duc sâeffondra sur le tapis, les mains jointes pour on ne sait quelle priĂšre. Il baisait et rebaisait le papier bleu, riait et sanglotait, sanglotait et riait on ne savait pas quand il riait, on ne savait pas quand il sanglotait et balbutiait maintenant, dâune voix tendre et mouillĂ©e, un peu haletante â Marie-ThĂ©rĂšse ! ma chĂ©rie ! ma chĂ©rie ! Oh ! mon amour chĂ©ri !⊠» Sa sĆur essuyait le beau visage trop heureux, aux longs cils emperlĂ©s⊠Mais le timbre de la grille rĂ©sonna dans la pĂ©nombre, et quelques instants plus tard on apportait un second tĂ©lĂ©gramme, celui de M. Le Tellier cette fois, qui justement ne disait pas du tout ce que M. et Mlle dâAgnĂšs avaient prĂ©jugĂ©, mais ceci Oui, câest vrai, Marie-ThĂ©rĂšse pas revenue. Seulement, Henri Monbardeau a pu faire comprendre Marie-ThĂ©rĂšs pas Ă©tĂ© enlevĂ©e avec lui et Fabienne. Câest Suzanne qui fut enlevĂ©e avec son frĂšre et sa belle-sĆur. Elle Ă©tait allĂ©e les rejoindre en cachette prĂšs de Don le jour de lâenlĂšvement. Marie-ThĂ©rĂšse jamais Ă©tĂ© chez les Sarvants. EspĂ©rez donc. Nous espĂ©rons. Jean Le Tellier. â Monsieur le duc, » dit le valet, son plateau vide Ă la main, il y a un homme qui a sonnĂ© en mĂȘme temps que le deuxiĂšme tĂ©lĂ©graphiste et qui demande Ă voir Monsieur le duc. Il dit quâil a une communication urgente Ă faire Ă Monsieur le duc, et il dit aussi quâil sâappelle Garan. » â Garan ! Faites entrer. » Il entra, ce vieil ami, la moustache en bataille et les sourcils en crocs. â Bonne affaire, monsieur le duc ! Devinez !⊠Mlle Marie-ThĂ©rĂšse est retrouvĂ©e ! » â Je le sais⊠» Garan, dĂ©ferrĂ©, nâen poursuivit pas moins â Vous le savez ?⊠Ah ! oui ; le tĂ©lĂ©gramme, parbleu ! Eh bien alors, si M. Tiburce vous a dĂ©jĂ mis au courant, ça nâest pas vieux et jâarrive encore Ă temps. » â Ă temps ? Pourquoi ? » â Voici la chose, monsieur le duc. Câest une drĂŽle dâhistoire. Vous allez comprendre. Je suis envoyĂ© ici par le gouvernement, pour vous mettre Ă la coule de tout et vous demander de ne pas Ă©bruiter certains dĂ©tails. Câest encore moi quâon a choisi, parce quâon sait que je vous connais et que jâai pris part aux Ă©vĂ©nements de ce Bugey de malĂ©diction !⊠Montrez-moi la dĂ©pĂȘche de M. Tiburce, je vous prie⊠Voyons » Ai retrouvĂ© Marie-ThĂ©rĂšse intacte Constantinople par hasard. Arriverons Marseille mercredi. Hommages bien dĂ©vouĂ©s Ă ta sĆur. AmitiĂ©s. â Tiburce. » Je mâen doutais, » reprit Garan, cette prose laconique est due Ă la collaboration de M. Tiburce et des autoritĂ©s ottomanes. » â Mais enfin, quoi ? » sâĂ©cria Mlle dâAgnĂšs. â Ăcoutez, mademoiselle, mây voilĂ . Les Affaires ĂtrangĂšres ont reçu tout Ă lâheure de la Sublime Porte, par lâentremise de lâambassade turque, une longue dĂ©pĂȘche oĂč lâaventure se trouve relatĂ©e au complet. Mais on vous prie instamment â comme on a priĂ© lĂ -bas M. Tiburce â de nâen rien divulguer, parce quâelle compromet la mĂ©moire dâun trĂšs haut personnage, ancien vizir et cousin du sultan. En un mot, monsieur le duc, il sâagit dâAbd-Ul-Kaddour-Pacha, qui a enlevĂ© Mlle Marie-ThĂ©rĂšse Le Tellier ! » Mlle dâAgnĂšs et M. le duc son frĂšre Ă©taient dans lâĂ©merveillement. Le policier continua â Oui ! câest ce sauvage-lĂ ! Un homme viciĂ©, pourri, monsieur, par les excĂšs de ceci et de cela et de plus encore ! » Lorsque je lâappris, ah ! le PĂ©ril fut moins bleu que votre serviteur ! Pensez donc ! jamais de ma vie je nâaurais cru ça ! » Nâest-ce pas aprĂšs avoir demandĂ© en mariage Mlle Le Tellier, quâon lui refusa, ce dĂ©mon dâAbd-Ul-Kaddour jura quâil lâaurait, envers et contre tous. Il la fit enlever â comme je vous le dis ! â en automobile, tout prĂšs de Mirastel, le 4 mai dernier, pendant quâelle se rendait Ă Artemare pour y dĂ©jeuner chez le docteur Monbardeau⊠» Et jâai vu la place, monsieur et mademoiselle ! la place piĂ©tinĂ©e, au croisement de la route et du petit sentier ! Je lâai vue et remarquĂ©e ! Je lâai montrĂ©e Ă M. Tiburce en lui disant que ça pourrait bien ĂȘtre une place que⊠et une place qui⊠et une place dont⊠! ImbĂ©cile ! ImbĂ©ciles que nous Ă©tions tous les deux !⊠» Lâautomobile a rejoint Abd-Ul-Kaddour Ă Lyon, oĂč, le soir, il passait en chemin de fer avec ses douze femmes, se rendant Ă Marseille pour y prendre le bateau. Lâanimal a fait tuer une de ces douze martyres, la plus vieille, par un eunuque de son sĂ©rail, afin de pouvoir lui substituer Mlle Marie-ThĂ©rĂšse. On a cousu la mouquĂšre dans un sac, toute nue, Ă la mode sultane, et, Ă dĂ©faut du Bosphore, on vous lâa jetĂ©e au RhĂŽne, dans le brouillard, en passant sur le pont ! â Il paraĂźt mĂȘme que M. Le Tellier vint Ă Lyon Ă lâĂ©poque de la dĂ©couverte du corps, et fut admis en sa prĂ©sence. Ăa, câest une coĂŻncidence, on ne peut pas dire le contraire ! » Pendant le trajet en auto, Mlle Le Tellier avait Ă©tĂ© forcĂ©e de revĂȘtir le costume des dĂ©senchantĂ©es », et sous ce voile noir qui leur couvre la figure et quâon appelle tcharchaff, elle Ă©tait solidement bĂąillonnĂ©e. » Comment lâont-ils introduite dans les wagons rĂ©servĂ©s, en gare de Lyon-Perrache ? Habilement, Ă coup sĂ»r. Quinze minute dâarrĂȘt, foule, confusion augmentĂ©e par toute cette troupe de fez, de turbans et de tcharchaffs descendus sur le quai, curiositĂ© du public, obscuritĂ© du soir et du brouillard⊠enfin, tout ça, moi qui Ă©tais chargĂ© de la police du convoi, je nây ai vu que du feu. Dâautant que je ne pensais quâĂ protĂ©ger le Turc contre les voleurs, et pas du tout Ă protĂ©ger les autres contre lui ! Du reste, nâest-ce pas douze femmes voilĂ©es Ă lâembarquement, douze femmes voilĂ©es au dĂ©barquement, ça aurait fait le compte si jâavais seulement eu lâidĂ©e de compter⊠» Ă Marseille, jâai bien observĂ© quâune des femmes faisait des efforts pour rester ; deux autres la tenaient. Mais quoi ! câĂ©tait une chose inviolable, ça ne me regardait pas ! â Nous avions hĂąte, au surplus, dâembarquer ce personnage encombrant⊠» Le paquebot leva lâancre, et moi je revins Ă Paris, pour avoir lâhonneur dây faire votre connaissance, monsieur le duc. » â Fort bien », dit celui-ci. Mais lĂ -bas, en Turquie, Mlle Le Tellier⊠Et sur le bateau, Garan, sur le bateau⊠? » â LĂ -bas, gardĂ©e Ă vue au fond du harem impĂ©nĂ©trable, comme dans les cabines du bateau, elle nâa pu rien dire, ni rien faire. Mais câest ici quâelle eut de la chance⊠Une chance inouĂŻe ! » Abd-Ul-Kaddour, usĂ© par lâalcool et les dĂ©pravations, ne battait dĂ©jĂ que dâune aile Ă son dĂ©part. La MĂ©diterranĂ©e le mit hors dâĂ©tat de nuire Ă qui que ce soit, en quoi que ce soit ; et il est arrivĂ© Ă Constantinople gravement malade. Depuis, il a baissĂ© chaque jour, et nâa plus quittĂ© son lit de souffrance â qui, avant-hier, fut un lit de mort. Mlle Le Tellier ne lâa pas mĂȘme entrevu pendant toute son incarcĂ©ration. » Cependant Abd-Ul-Kaddour avait cassĂ© sa pipe â excusez lâexpression â et voilĂ ses neveux et hĂ©ritiers qui entrent dans le vieux palais de Stamboul, se rĂ©pandent Ă travers le harem, et trouvent, au milieu des Fatmas et des FĂ©ridjĂ©s, â qui ? vous le savez Mlle Marie-ThĂ©rĂšse Le Tellier, un peu pĂąlotte, en train de regarder le ciel par les trous dâun moucharabieh câest-il comme ça quâil faut dire ?. Jeunes-Turcs Ă©levĂ©s Ă lâeuropĂ©enne, parlant français Ă la hauteur, voilĂ quâils la font sortir avec mille et un salamalecs et mille et deux excuses⊠Et sur le seuil du palais, non, mais quâest-ce quâils rencontrent ?⊠» â Tiburce, voyons ! » â M. Tiburce ! oui, monsieur le duc. Venu dâAngora et sur le point de partir pour Marseille, il visitait tristement le quartier de Stamboul, et, dâun Ćil caverneux, il admirait les faĂŻences du porche ! » â Ainsi, » remarqua M. dâAgnĂšs en riant il riait pour un oui et pour un non, ainsi, Tiburce a fait le tour du monde presque entier pour dĂ©couvrir ce quâil cherchait ! Il Ă©tait parti exactement Ă lâopposĂ© de la bonne direction, il est parvenu Ă Constantinople Ă lâenvers, et il ne savait pas que câĂ©tait lĂ quâil fallait aller ! Ineffable hasard ! Ineffable Tiburce ! » â Il a fait le grand tour, voilĂ tout ! » fit Mlle dâAgnĂšs, indulgente. â Vous voyez », dĂ©clara lâinspecteur avec une gravitĂ© facĂ©tieuse, que le sherlockisme a du bon ! » â Je vais tout de suite tĂ©lĂ©graphier Ă Mirastel ! » Et M. dâAgnĂšs sâapprocha de sa table de travail. â Si vous voulez, monsieur le duc ; bien que sans doute M. Tiburce lâait dĂ©jĂ fait de son cĂŽté⊠Mais pas un mot dâAbd-Ul-Kaddour, nâest-ce pas ? Le Commandeur des Croyants vous en supplie par mon organe ! » â Soit. Puisque Mlle Le Tellier sort indemne de cette mĂ©saventure, nous ne parlerons pas dâAbd-Ul-Kaddour. » Lâinspecteur roula de gros yeux et dit dans un chuchottement â Le sultan, monsieur le duc, offre cinq cent mille francs contre une promesse de silence. » â Comment ! » sâirrita le duc. â Mais il sâapaisa tout soudain. Cinq cent mille ?⊠Eh bien, soit encore ! Les sinistrĂ©s du Bugey les recevront avec reconnaissance. Et jâen ajoute cinq cent mille autres, pour faire un chiffre rond. Seulement, câest moi qui distribuerai le million, sans comitĂ© de rĂ©partition, vous entendez, Garan ? Dites cela au sultan des Turcs et au sultan des Français ! » â Vous ĂȘtes admirable, monsieur le duc ! » â Ce nâest pas tout, Garan. Je veux bien, pour ma part, ne rien dire dâAbd-Ul-Kaddour ; mais jâentends que lâĂtat prenne dĂšs demain lâinitiative dâune souscription nationale pour lâĂ©rection dâune statue Ă M. Robert Collin, dont lâintelligence, le courage et le sacrifice nous ont donnĂ© un si bel exemple, en dĂ©voilant le secret du monde invisible. » â Bravo ! » jeta Mlle dâAgnĂšs. â Vous avez raison, monsieur le duc. » Un silence plana â Et penser, » reprit lâinspecteur dâune voix Ă©mue, penser que ce pauvre M. Robert Collin nâa Ă©tĂ© soutenu, lĂ -haut, dans lâaĂ©rarium, que⊠que par des cheveux blonds et une robe grise⊠qui nâĂ©taient pas ceux de Mlle⊠Oh ! pardon, monsieur le duc⊠» â Les robes grises ont jouĂ© dans cette affaire un rĂŽle important », dit Mlle dâAgnĂšs. Câest une robe grise Ă©galement qui poussa lâaubergiste de Virieu-le-Petit Ă confondre Marie-ThĂ©rĂšse avec sa cousine Suzanne⊠Tu comprends tout, François ? » â Jây suis tout Ă fait. Le jour de lâenlĂšvement, Marie ThĂ©rĂšse Ă©tait partie de Mirastel vers dix heures. Câest donc vers dix heures quâelle a Ă©tĂ© enlevĂ©e par les sĂ©ides du pacha. Pendant ce temps, Henri et Fabienne Monbardeau montaient au Colombier. Ils avaient organisĂ© une partie secrĂšte avec cette malheureuse Suzanne. â Vous vous rappelez, Garan, cette lettre dâelle, quâHenri avait Ă©tĂ© chercher Ă la poste restante, la veille du 4 mai ? â Suzanne, donc, Ă©tait venue en chemin de fer de Belley, et devait rejoindre son frĂšre Ă Don, vers dix heures 15, par le petit train local. Ils se rejoignent en effet, continuent Ă monter tous les trois ; et lâaubergiste de Virieu, qui reconnaĂźt Henri, ne voit les deux femmes que de dos et sans y faire attention. Pourtant, elle remarque que la robe grise est une robe de ville et non de tourisme. Il est probable que Suzanne Monbardeau nâavait pas lâintention de se laisser entraĂźner fort loin dans la montagne ; mais lâoccasion, si rare, dâune belle promenade en famille⊠Le reste sâexplique tout seul. » â Tout seul. » â Tout seul. » Et, parlant Ă sa sĆur, M. dâAgnĂšs conclut â NâempĂȘche, mon Jeanneton, que Tiburce tâa gagnĂ©e loyalement, puisquâil a retrouvĂ© Marie-ThĂ©rĂšse ! » Ce que Mlle Jeanne complĂ©ta par ces mots â Il mâa surtout gagnĂ©e en recouvrant la sagesse ! » â Dans le dossier de M. Le Tellier, les quatre dĂ©pĂȘches mentionnĂ©es au prĂ©sent chapitre portent les cotes 1040, 1041, 1042 et 1043. Les piĂšces 1044 et 1045 sont les faire-part de deux mariages cĂ©lĂ©brĂ©s le mĂȘme jour comme dans les romans Ă Saint-Philippe-du-Roule, â lâun duc dâAgnĂšs-Marie-ThĂ©rĂšse Le Tellier, lâautre Tiburce-Jeanne dâAgnĂšs. La piĂšce 1046 est le brouillon dâune lettre expĂ©diĂ©e par Maxime Le Tellier au prince de Monaco. Lâancien officier de marine prie Son Altesse SĂ©rĂ©nissime de vouloir bien accepter sa dĂ©mission dâattachĂ© au MusĂ©um et de membre des expĂ©ditions ocĂ©anographiques, pour ce motif quâayant lui-mĂȘme Ă©tĂ© pĂȘchĂ©, mis dans une espĂšce dâaquarium et descendu au bout dâune ficelle, en fonction dâamorce ou dâappĂąt, il Ă©prouve alors une indomptable rĂ©pugnance Ă faire subir aux autres le sort quâil a subi chez les Sarvants. Je ne nie pas », dit-il, toute lâimportance que de telles recherches prĂ©sentent Ă lâĂ©gard de lâhumanitĂ©, et je souhaite le plus grand succĂšs aux travaux passionnants de Votre Altesse. Mais, pour ma part, je me sens dĂ©sormais incapable dây coopĂ©rer. » Et ce serait sur cette derniĂšre piĂšce du dossier quâil faudrait terminer notre histoire pour tous de lâan 1912 de lâĂšre chrĂ©tienne, si nous nâavions omis, volontairement, de parler dâun Ă©tat qui, par son numĂ©ro, se classe entre le procĂšs-verbal de la disparition de lâaĂ©roscaphe et la lettre de Tiburce datĂ©e dâAngora, â et dont il faut ici parler. Ce document⊠Ăpilogue Câest la liste des moulages de lâaĂ©roscaphe. On sait quâils furent transportĂ©s au Conservatoire des Arts et MĂ©tiers avec les photographies du sous-aĂ©rien paraissant Ă la faveur de lâarnoldine. La visite en est permise tous les jours de la semaine, sauf le lundi. Dans lâordre matĂ©riel, câest lĂ tout ce qui reste de la premiĂšre incursion des Sarvants sur notre sol. On ne vient pas les regarder souvent ; et dâaucuns persistent Ă nây voir que les vestiges dâune exorbitante supercherie. La terreur fut si grande quâon se plaĂźt Ă lâoublier, Ă croire quâelle fut sans raison et quâelle est sans retour. LâannĂ©e 1912 aprĂšs semblait impĂ©rissable tandis quâelle sâĂ©coulait ; rĂ©volue, on ne veut mĂȘme pas sâen souvenir. Lâoraison des croyants monte Ă nouveau dans le ciel, oĂč rien nâexiste plus puisquâon nâaperçoit rien. En France notamment, on soutient avec plaisir quâil nây eut jamais quâun seul PĂ©ril Bleu le PĂ©ril Bleu de Prusse. Le Bugey nâaime point Ă songer que sa limite coĂŻncide avec le littoral sus-aĂ©rien ; dans quelques mois il le contestera. Vraiment, si lâancien ministre de la Guerre, redevenu simple dĂ©putĂ©, ne bravait la Chambre narquoise et ne terminait tous ses discours par lâapostrophe renouvelĂ©e de Caton Il faut dĂ©truire les Sarvants ! », â si les infortunĂ©s rescapĂ©s nâĂ©taient plus lĂ pour conter leur martyre, â si la mĂ©moire du PĂ©ril Bleu ne se trouvait chansonnĂ©e aux couplets des revues, sous le nom de BĂ©ryl Bleu, de PĂšre ! il bleut, BergĂšre ! et autres finesses, â si M. Fursy nâavait fait une immortelle chanson rosse » oĂč le respectable Bugey nâest plus quâun pâtit bout dâAin un petit boudin ! câest dur, tout de mĂȘme, â on pourrait sâimaginer que nous avons rĂȘvĂ© ce cauchemar, ou du moins, suivant une expression vulgaire singuliĂšrement appropriĂ©e Ă la circonstance que les hommes, pendant un semestre, ont eu des araignĂ©es dans le plafond. Câest ainsi quâil en va des Ă©tourneaux que nous sommes. Notre lĂ©gĂšretĂ© nâa pas dâexcuse. Nous ne pensons Ă la crue de nos fleuves quâau milieu de lâinondation. Certes, on se prĂ©occupe des Sarvants ; on travaille Ă parer de nouvelles attaques. Mais câest avec indolence et de moins en moins, le risque ayant cessĂ© de nous aiguillonner du stimulant de sa prĂ©sence. Il faut le dire aussi les Sarvants, sâils reviennent, trouveront des adversaires assagis, non plus braves, mais plus rĂ©signĂ©s. Car, chose troublante et qui ne fut pas relevĂ©e on commençait Ă sâhabituer aux enlĂšvements, Ă ces disparitions dont la bizarrerie sâĂ©moussait Ă force de frĂ©quence, Ă ce flĂ©au de plus en plus familier qui, aprĂšs tout, sacrifiait moins de victimes â incomparablement â que les microbes, invisibles eux aussi mais dâune autre maniĂšre et par leur infinie petitesse. Moins de victimes que la moindre bactĂ©rie ! Moins de victimes aussi que la sinistre guerre ou lâalcoolisme, ces Ă©pidĂ©mies meurtriĂšres Ă lâexcĂšs et que nous dĂ©chaĂźnons pourtant Ă notre guise. Ne sont-elles point la peste et le cholĂ©ra mis Ă la disposition de lâhomme ? En admettant que les rapts se fussent multipliĂ©s indĂ©finiment, ils seraient devenus pour nous une endĂ©mie propre aux Bugistes, ou mĂȘme aux hommes, et lâon aurait fini par en prendre son parti, comme lâindividu sâaccoutume aux affections chroniques. Une telle inertie, une telle rĂ©signation lĂąche et sourde, voilĂ le motif pour quoi les peuples ne se sont pas noblement confĂ©dĂ©rĂ©s en Ătats-Unis du Globe, afin de rĂ©sister Ă lâennemi commun, lâinvisible, â ainsi que lâavaient espĂ©rĂ© de sublimes rĂȘveurs. Ă nos yeux, en dĂ©pit de tout, les Sarvants sont demeurĂ©s des pĂȘcheurs de personnes, alors quâau vrai ce sont les assaillants de lâhumanitĂ©. On a repoussĂ© dans la nuit des temps Ă venir cette idĂ©e insupportable, â mais, un jour lointain, ces ĂȘtres, qui partagent avec nous lâempire de la Terre, peuvent sâaviser de nous asservir ou bien de nous exterminer, comme un jour peut-ĂȘtre nous irons occuper le bas des ocĂ©ans. Ils peuvent resurgir, opĂ©rer une descente en masse, et nous dire â Part Ă deux ! » Part Ă deux ? Seulement Ă deux ? Cela est modeste. Quâen savons-nous ? Cette aventure nous a fait entrevoir toute lâimmensitĂ© de notre inconnu. AprĂšs cela, ce serait une grave et puĂ©rile inconsĂ©quence de borner notre monde au monde des Sarvants, qui nâest en dĂ©finitive que la plus rĂ©cente de nos dĂ©couvertes et non lâĂ©tape finale de notre science. Part Ă deux ? Si câĂ©tait part Ă trois ? â Ă quatre ? â Ă cinq ? â Ă six ?⊠Nous ne connaissons pas les bas-fonds ocĂ©aniques beaucoup mieux que les hauteurs de lâatmosphĂšre. Il y a peut-ĂȘtre dans le Pacifique, au creux de la fosse de Tuscarora qui descend Ă 8. 500 mĂštres, au fin fond du ravin des Carolines qui sâenfonce Ă 9. 636 mĂštres, des crĂ©atures sociables, de malicieux crustacĂ©s, impuissants Ă gravir les montagnes sous-marines, et dont le rĂȘve sĂ©culaire est de monter, parmi leur Ă©paisse altitude, vers le secret des eaux culminantes. Un beau soir â qui sait ? â une machine incroyable peut Ă©merger de lâonde un bateau quâil faudra nommer un ballon, chargĂ©e de monstres qui seront suspendus Ă quelque bulle Ă©norme gorgĂ©e dâun air artificiel fabriquĂ© in profundis comme nous fabriquons lâhydrogĂšne de nos aĂ©rostats, et vĂȘtue dâun rĂ©seau de soie tissĂ©e de goĂ©mons inattendus. Cette montĂ©e de crabes, futurs envahisseurs de nos cĂŽtes, serait la contre-partie de la descente des araignĂ©es invisibles, venues Ă nous dans une poche de nĂ©ant. Leur pays aquatique est peut ĂȘtre semĂ© de prodigieuses curiositĂ©s. Jây vois stagner dâĂ©tranges lacs dâun fluide Ă©nigmatique plus lourd que le mercure, ainsi que dorment nos Ă©tangs au fond de lâair, ainsi que lâair somnole au fond du vide, â et je crois ces lacs de lâabĂźme peuplĂ©s de bĂȘtes Ă©mouvantes que les poissons appellent des poissons. Que nul ne se rĂ©crie ! La faune des mers infĂ©rieures est moins connue de nos savants que celle des pĂ©riodes gĂ©ologiques. Nous ignorons encore si les reptiles gĂ©ants des Ăšres trĂ©passĂ©es ne vivent pas toujours aux profondeurs glauques, et si le grand serpent de mer nâest pas lâantique plĂ©siosaure. En fait, le prĂ©cipice aĂ©rien, la cuve marine, le gouffre compact du sol, nous sont Ă©galement douteux. Aucun physicien nâest en mesure dâaffirmer que lâĂ©corce terrestre ne laisse point passer certains rayons solaires, obscurs et froids, dont lâaction suffirait Ă la vie de races souterraines, comme la pellicule des continents sus-aĂ©riens nâintercepte aucune des irradiations chaudes et lumineuses qui entretiennent lâactivitĂ© de la nature Ă la surface de la Terre. Aussi bien, le milieu de la boule contient peut ĂȘtre des peuples qui nâont pas besoin du soleil pour exister. On sâimagine aisĂ©ment toutes ces crĂ©ations superposĂ©es autour du mĂȘme centre⊠et rien nâempĂȘche de soutenir que le monde des Sarvants nâest pas la plus extĂ©rieure de ces sphĂšres concentriques, puisquâil est seulement Ă la superficie de la premiĂšre couche atmosphĂ©rique et quâil en existe une deuxiĂšme. Ă la surface de celle-ci, entre le vide relatif et lâĂ©ther absolu, peut-ĂȘtre y a-t-il un second univers invisible, une Terre suprĂȘme, aux dimensions jupitĂ©riennes⊠Ainsi peut-on se figurer notre planĂšte composĂ©e de globes lâun dans lâautre, â isolĂ©s toutefois et sans Ă©changes intermondiaux, â avec leurs habitants, leurs animaux, leurs plantes⊠Cela ressemblerait Ă lâEnfer de Dante Alighieri, dont les cercles enferment les cercles⊠Et serait-ce donc une grande sottise que de dĂ©velopper ce parallĂšle ? Ă considĂ©rer les tourments de nos jours, calmĂ©s de plaisirs si piĂštres et si brefs, nâest-on pas tentĂ© quelquefois de douter que notre vie soit rĂ©ellement la Vie ? Ne croirait-on pas sans effort que notre existence rĂ©elle est accomplie ; que nous sommes tous des morts ; et que lâespace oĂč lâon nous voit sous forme de bipĂšdes glabres et moroses nâest quâun purgatoire â un cercle moyen, une sphĂšre au milieu des autres â dans lequel nous expions, par un Ă©tat de mĂ©diocre souffrance, les pĂ©chĂ©s vĂ©niels dâune vie antĂ©rieure ?⊠â Nâa-t-on pas Ă©tĂ© jusquâĂ prĂ©tendre que la qualitĂ© de Sarvant Ă©tait notre condition premiĂšre, et que leur descente constituait une descente aux enfers ?⊠Mais voilĂ une hypothĂšse un peu bien entachĂ©e de mĂ©tempsycose ; et nous devons retirer, de la secousse bleue, des leçons plus fertiles. Oh ! je ne fais pas allusion au bel exemple de gĂ©nĂ©rositĂ© que les Sarvants nous ont donnĂ©. Ceci est trop manifeste. Mais leur invisibilitĂ© nous rĂ©vĂšle encore que, â sans aller chercher des peuples Ă cinquante kilomĂštres en lâair ou cinquante kilomĂštres en bas, â nous pouvons conjecturer la prĂ©sence de crĂ©atures invisibles et intangibles au milieu mĂȘme de lâhumanitĂ©. Elles seraient pĂ©tries de gaz ou formĂ©es de rayons X, comme nous sommes faits de substance charnelle. Nos sens restreints nâen pourraient percevoir le signe le plus faible. LâĂąme de ces ĂȘtres subtils aurait pour support une quelconque matiĂšre impondĂ©rable, â ce qui est, je pense, plus raisonnablement acceptable que lâassurance dâune Ăąme sans aucun support, assurance admise pourtant de tous les partisans de la vie Ă©ternelle et qui sont lĂ©gion dâhommes intelligents. Ces personnages insaisissables pourraient habiter notre sol, â et vivent lĂ , peut-ĂȘtre, Ă notre insu. Peut-ĂȘtre quâils ne se doutent pas de notre existence plus que nous de la leur. Peut-ĂȘtre les traversons-nous et nous traversent-ils en marchant ; peut-ĂȘtre leurs villes et les nĂŽtres se pĂ©nĂštrent-elles ; peut-ĂȘtre nos dĂ©serts sont-ils pleins de leurs foules et nos silences de leurs cris⊠Mais peut-ĂȘtre sommes-nous leurs esclaves inconscients. Alors, nos maĂźtres insoupçonnables sâinstallent en nous-mĂȘmes et nous dirigent Ă leur grĂ©. Alors, pas un geste de nos mains quâils nâaient voulu que nous fissions ; pas un mot de notre bouche dont ils ne soient les promoteurs. Ă cette pensĂ©e, lâesprit se soulĂšve de dĂ©goĂ»tâŠ, et cependant, il suffirait que ces ĂȘtres-lĂ , invisibles, intangibles, tout-puissants, joignissent Ă leurs monstruositĂ©s celle de pouvoir ĂȘtre un seul ou plusieurs, Ă volontĂ©, comme les Sarvants, pour unir des mĂ©rites que lâon rĂ©vĂšre en tous lieux, sous dâautres noms â divins. La concurrence vitale est donc sans doute beaucoup plus grande quâon le prĂ©sume. VoilĂ ce que la dĂ©couverte des Sarvants nous enseigne dâabord. Mais ce nâest pas tout. Si nous considĂ©rons lâaventure sous un angle plus vaste, elle nous apprend une vĂ©ritĂ© qui serait bonne Ă retenir, mĂȘme en admettant que le PĂ©ril Bleu ne soit quâune fable, tellement alors cette fable resterait prodigieusement possible. Et câest quâĂ tout moment, des cataclysmes inopinĂ©s, dâune sorte analogue, peuvent fondre sur nous, sur nos fils ou leur descendance. LâhumanitĂ©, ne possĂ©dant sur lâunivers quâun petit nombre de lucarnes qui sont nos sens, nâaperçoit de lui quâun recoin dĂ©risoire. Elle doit toujours sâattendre Ă des surprises issues de tout cet inconnu quâelle ne peut contempler, sorties de lâincommensurable secteur dâimmensitĂ© qui lui est encore dĂ©fendu. Quâelle se cuirasse donc dâabnĂ©gation et quâelle sâarme de science, pour supporter les chocs et lutter contre lâavenir. Mais sans trĂȘve, â ĂŽ sensible, ĂŽ nerveuse et vaillante HumanitĂ© ! quâun sourire fleurisse Ă ta bouche innombrable, Ă mesure que sâenrichit lâarsenal prestigieux devant qui lâinconnu recule chaque jour ! Et dis-toi bien, malgrĂ© tes maux et tes chagrins â CâĂ©tait tout de mĂȘme un prĂ©sent non pareil que la DestinĂ©e fit Ă lâhomme, de le placer au sein du monde infiniment admirable et divers, en lui donnant la joie de le dĂ©couvrir peu Ă peu, merveille par merveille, Ă coups de gĂ©nie, Ă force de travail, â tout seul. » Câest pourquoi il est mauvais que lâon envisage lâhistoire du PĂ©ril Bleu comme une lĂ©gende mystificatrice, et quâon mĂ©prise les clichĂ©s et les plĂątres des Arts et MĂ©tiers. Quand mĂȘme les gĂ©nĂ©rations Ă venir obtiendraient la certitude de leur faussetĂ©, la preuve du truquage, quand mĂȘme elles refuseraient de croire au PĂ©ril Bleu, et quâil nous menace toujours, et que demain peut-ĂȘtre, il recommencera de sĂ©vir, â elles devraient, si la sagesse est avec elles, mener leurs jeunes gens Ă ce Conservatoire, et tenir ces propos en face des moulages et des photographies â Regardez. Puis rĂ©flĂ©chissez. Puis rĂȘvez. Ceci nâest pas impossible. » Et comme toutes les fables, grain dâamĂšre philosophie roulĂ© en pilule dâor dans tout le sucre dâun apologue, la fable des Sarvants aura portĂ© son fruit. M. Le Tellier le savait ; aussi dĂ©sirait-il un rĂ©cit populaire du PĂ©ril Bleu. Tout est dit maintenant. FIN TABLE DES CHAPITRES PREMIĂRE PARTIE OĂč ?⊠Comment ?⊠Qui ?⊠Pourquoi ?⊠DEUXIĂME PARTIE OĂč. â Comment. â Qui. â Pourquoi. â Seyssel de lâAin, par consĂ©quent, sur la rive droite du RhĂŽne, et non pas Seyssel de la Haute-Savoie, qui est en face, sur la rive gauche. â Le lecteur voudra bien se souvenir que toutes les piĂšces documentaires transcrites au cours de cet ouvrage le sont dans leur intĂ©grale exactitude. Cette remarque nâa dâautre but que dâĂ©viter la rĂ©pĂ©tition des termes sic ou textuel aprĂšs les Ă©carts de langage, ou lâimpression en caractĂšres italiques de tous les mots dĂ©lictueux. â Si le lecteur pouvait confronter le manuscrit du commentaire avec celui du compte rendu proprement dit, jamais il ne croirait quâune mĂȘme personne les a tracĂ©s tous deux ; tant lâĂ©criture est diffĂ©rente. â Comme la notice du dĂ©but, ce supplĂ©ment fut ajoutĂ© le 14 fĂ©vrier 1913 Ă la piĂšce 197, plus ancienne de huit mois et demi. â Botasse ou boutasse. Bassin, en patois, et plus gĂ©nĂ©ralement toute eau dormante. â Mot biffĂ© par le Dr Monbardeau. â PiĂšce 413. â Dans la nuit du 18 au 19 mai 1910, la fin du monde devait accompagner le retour de la comĂšte de Halley. Est-il besoin de rappeler la quantitĂ© de suicides quâengendra cette prĂ©diction ? â Au moment dâinsĂ©rer cette lettre Ă sa place chronologique, et malgrĂ© le serment que je mâĂ©tais fait de suivre M. Tiburce jusquâau terme de ses divagations, pour Ă©difier la jeunesse, â il mâest venu des scrupules. Lâapparence dĂ©placĂ©e et comme erratique de la missive choquait en moi lâesprit dâordre et dâhomogĂ©nĂ©itĂ©. Mais prestement jâai rĂ©pudiĂ© dâaussi sottes prĂ©occupations, devant lâintĂ©rĂȘt de la tĂąche Ă remplir. Je compte mĂȘme que les erreurs de M. Tiburce, rappelĂ©es ainsi tout dâun coup, sans lâombre dâune transition, â comme une trappe sâouvrirait sur un abĂźme de niaiserie, â frapperont davantage le lecteur. M. R. â PiĂšce 657. Le lecteur nous saura-t-il grĂ© de lâavoir reproduite textuellement ? Nous osons lâespĂ©rer. Ce document, brut, nous a paru sacrĂ© dans la forme incorrecte que son auteur fiĂ©vreux lui a donnĂ©e. Nous lâaurions mĂȘme Ă©ditĂ© en fac-similĂ©, nâĂ©tait lâobligation oĂč nous sommes dâĂ©tablir un volume Ă 3 fr. 50 et non plus cher. â Cette phrase traduit une pensĂ©e que M. Le Tellier exprimait dĂ©jĂ , bien que diversement, au chapitre x, et qui a de quoi surprendre le lecteur. La suite dissipera ces ombres passagĂšres. â RĂ©flexions sur le second foyer de lâorbite terrestre. Bibl. Chacornac. â Acide formique⊠Peut-ĂȘtre les savants nâont-ils pas suffisamment mĂ©ditĂ© sur cette odeur dâacide formique. Nâest-elle pas un commencement de preuve tendant Ă dĂ©montrer que les crapauds invisibles et machinisĂ©s puisaient en eux-mĂȘmes leur force bovine ? On connaĂźt la puissance extraordinaire des plus minuscules fourmis. Un cochon dâInde consubstantiel aux fourmis porterait des charges dont le poids effraierait le lecteur. Or, nos crapauds avaient la taille dâun cochon dâIndeâŠ
Unemachine Ă glaçons permet de produire des glaçon en grande quantitĂ© et rapidement. Fini les prises de tĂȘte de savoir si oui ou non vous Lire la suite » 5 meilleures machines Ă glaçons. 5 meilleures glaciĂšres . Une glaciĂšre est un Ă©quipement indispensable pour profiter au mieux de tous vos loisirs et excursions en nature. En effet, grĂące Ă une glaciĂšre, vous Lire la suite
T. LOBSANG RAMPA LE SAGE DU TIBET Titre original Tibetan Sage Ădition 22/04/2020 Le Sage du Tibet â Initialement publiĂ© en 1980 Le dernier livre du Dr Rampa. Les souvenirs de ses expĂ©riences vĂ©cues avec son guide dans le Temple IntĂ©rieurâ de la Caverne des Anciensâ. Comment le monde a commencĂ© avec le big-bang et ce qu'Ă©tait le big-bang, nous en donnant de plus amples explications. Il nous informe Ă©galement sur le fait que le pĂ©trole provient d'une autre planĂšte â contrairement Ă la croyance populaire selon laquelle il s'agit d'un combustible fossile â et qu'il est la cause de nombreux cancers d'aujourd'hui. Ce sont les derniers mots de Lobsang avant de quitter Ă jamais cette Terre en janvier 1981. Mieux vaut allumer une chandelle que maudire l'obscuritĂ©. Le blason est ceint d'un chapelet tibĂ©tain composĂ© de cent huit grains symbolisant les cent huit livres des Ăcritures TibĂ©taines. En blason personnel, on voit deux chats Siamois rampants debout sur leurs pattes de derriĂšre, le terme rampantâ Ă©tant ici un adjectif propre Ă l'hĂ©raldique, c'est-Ă -dire, aux blasons â NdT Note de la Traductrice tenant une chandelle allumĂ©e. Dans la partie supĂ©rieure de l'Ă©cu, Ă gauche, on voit le Potala ; Ă droite, un moulin Ă priĂšres en train de tourner, comme en tĂ©moigne le petit poids qui se trouve au-dessus de l'objet. Dans la partie infĂ©rieure de l'Ă©cu, Ă gauche, des livres symbolisent les talents d'Ă©crivain et de conteur de l'auteur, tandis qu'Ă droite, dans la mĂȘme partie, une boule de cristal symbolise les sciences Ă©sotĂ©riques. Sous l'Ă©cu, on peut lire la devise de T. Lobsang Rampa I lit a candleâ c'est-Ă -dire J'ai allumĂ© une chandelleâ. DĂ©diĂ© Ă ma trĂšs bonne amie Gertrud Heals Table des matiĂšres Table des matiĂšres Avertissement Chapitre Un Chapitre Deux Chapitre Trois Chapitre Quatre Chapitre Cinq Chapitre Six Chapitre Sept Chapitre Huit Chapitre Neuf Ăpilogue Avertissement Lorsque j'ai Ă©crit dans Le TroisiĂšme Ćilâ, il y a quelques annĂ©es, que j'avais volĂ© en cerf-volant, mes propos ont Ă©tĂ© accueillis par des huĂ©es et des moqueries comme si j'avais commis le plus grand des dĂ©lits. Et aujourd'hui le vol en cerf-volant est pratique courante. On peut voir des cerfs-volants tirĂ©s par des hors-bords s'Ă©lever trĂšs haut dans le ciel, et d'autres bel et bien pilotĂ©sâ par un homme Ă bord. Celui-ci doit, dans un premier temps, se tenir au bord d'une falaise ou sur n'importe quel promontoire assez haut, puis se lancer dans le vide sur son appareil qui, vĂ©ritablement, le porte. Personne aujourd'hui ne daigne reconnaĂźtre que Lobsang Rampa avait dit juste, et pourtant ils ont Ă©tĂ© nombreux Ă se moquer lorsque, pour la premiĂšre fois, j'ai parlĂ© de vol en cerf-volant. Beaucoup de choses qui, il y a seulement quelques annĂ©es, semblaient relever de la science-fictionâ sont devenues des faits quasi quotidiens. Un satellite dans l'espace, et nous pouvons capter Ă Londres les programmes de tĂ©lĂ©vision venant des Ătats-Unis ou du Japon. Et cela, je l'avais prĂ©dit. Nous avons vu aussi un homme, ou plutĂŽt des hommes, marcher sur la Lune. Tous mes livres ont dit vrai et cette confirmation de mes Ă©crits ne va d'ailleurs qu'en s'amplifiant. Le prĂ©sent ouvrage n'est pas un roman. Ce n'est pas non plus un livre de science-fiction. C'est le compte rendu pur et simple de ce qui m'est rĂ©ellement arrivĂ© et je rĂ©pĂšte que l'auteur se fait un devoir de ne prendre aucune libertĂ© quant Ă la vĂ©racitĂ© des faits. Je dis que ce livre est vrai, mais certains peut-ĂȘtre s'obstineront Ă n'y voir que de la science-fiction ou quelque chose de similaire. Chacun est libre, bien sĂ»r, d'en penser ce qu'il veut, libre aussi d'en rire. Mais peut-ĂȘtre qu'une fois le livre fermĂ© un Ă©vĂ©nement se produira qui viendra confirmer mes dires. Je tiens Ă signaler toutefois que je ne rĂ©pondrai Ă aucune question concernant ce livre ; le courrier volumineux que j'ai reçu concernant mes prĂ©cĂ©dents ouvrages, sans que mes correspondants ne pensent Ă joindre un timbre pour la rĂ©ponse, m'a dĂ©cidĂ© Ă prendre pareille mesure. Parfois il m'a coĂ»tĂ© davantage pour rĂ©pondre Ă un lecteur que celui-ci n'a dĂ» payer pour obtenir mon livre. Bref, voici de nouveaux Ă©crits ; je souhaite qu'ils vous plaisent et que vous les jugiez crĂ©dibles ; je me permets d'ajouter, toutefois, que si cela n'est pas le cas, peut-ĂȘtre est-ce parce que vous n'avez pas encore atteint un degrĂ© d'Ă©volution suffisant. Chapitre Un â Lobsang ! LOBSANG !! J'avais l'impression trĂšs vague d'Ă©merger d'un profond sommeil dans lequel m'aurait plongĂ© une immense fatigue. La journĂ©e avait Ă©tĂ© trĂšs rude, mais voilĂ qu'on m'appelait. Ă nouveau la voix fit irruption â Lobsang ! Mais je sentis soudainement un tumulte autour de moi ; j'ouvris les yeux et pensai que la montagne me tombait dessus. C'est alors qu'une main se tendit qui, d'un mouvement sec, me souleva de mon lieu de repos pour me mettre vivement Ă l'Ă©cart. Il Ă©tait temps Ă peine avait-elle accompli ce geste qu'un Ă©norme rocher aux arĂȘtes tranchantes s'Ă©croulait juste derriĂšre moi et dĂ©chirait ma robe. Tant bien que mal je me levai et, encore tout abasourdi, suivis mon compagnon jusque sur une petite corniche au bout de laquelle se trouvait un trĂšs petit ermitage. Autour de nous ce n'Ă©tait que neige et rochers dĂ©gringolant. Soudain nous aperçûmes la silhouette courbĂ©e du vieil ermite qui courait Ă notre rencontre du mieux qu'il pouvait. Mais une Ă©norme masse de rochers se mit alors Ă dĂ©valer la pente, emportant avec elle l'ermite, l'ermitage et la pointe rocheuse qui lui servait de support. Celle-ci avait environ deux cents pieds 61 m de long ; elle n'en fut pas moins balayĂ©e comme une simple feuille morte dans un coup de vent. Mon Guide, le Lama Mingyar Dondup, me tenait fermement par les Ă©paules. Autour de nous c'Ă©tait l'obscuritĂ© totale ; aucune Ă©toile ne scintillait et, venant des maisons de Lhassa, pas la moindre lueur vacillante d'une chandelle. Tout n'Ă©tait que tĂ©nĂšbres. Brusquement surgit devant nous un amas de rocs, de sable, de neige et de glace. La corniche sur laquelle nous nous tenions si prĂ©cairement bascula sur la montagne, et nous nous sentĂźmes glisser, glisser, nous eĂ»mes l'impression de glisser Ă tout jamais sans le moindre recours. Cette glissade prit fin cependant dans une violente secousse. Sans doute avais-je perdu connaissance car, lorsque je retrouvai mes esprits, j'Ă©tais en train de me remĂ©morer les circonstances qui avaient Ă©tĂ© Ă l'origine de ce voyage jusqu'Ă cet ermitage lointain... Au Potala, nous Ă©tions en train de nous divertir avec le tĂ©lescope qu'un gentleman anglais avait offert au DalaĂŻ-Lama en signe d'amitiĂ© lorsque, tout Ă coup, je repĂ©rai Ă flanc de montagne, en un point trĂšs Ă©levĂ©, des drapeaux de priĂšres que l'on agitait ; les mouvements semblaient se faire selon un code, aussi je passai trĂšs vite l'appareil Ă mon Guide, en lui indiquant la direction. Le tĂ©lescope fermement appuyĂ© contre le mur d'enceinte, Ă l'endroit le plus Ă©levĂ© du Potala, mon Guide resta lĂ un bon moment Ă scruter, puis dĂ©clara â L'ermite a besoin d'aide. Il est malade. Il faut avertir l'AbbĂ© et lui dire que nous sommes prĂȘts Ă y aller. Il rangea brusquement le tĂ©lescope et me le tendit pour que je le rapporte dans la piĂšce oĂč le DalaĂŻ-Lama gardait les cadeaux exceptionnels. Je courus avec le prĂ©cieux objet, prenant garde de ne pas trĂ©bucher pour ne pas le laisser tomber. C'Ă©tait le premier tĂ©lescope que je voyais. Je sortis ensuite pour remplir mon sac d'orge, vĂ©rifier mon approvisionnement d'amadou, puis j'attendis le Lama Mingyar Dondup. Il apparut bientĂŽt portant deux baluchons, l'un trĂšs lourd qu'il avait dĂ©jĂ sur ses Ă©paules, et un autre plus lĂ©ger qu'il installa sur les miennes. â Nous irons Ă cheval jusqu'au pied de la montagne, dit-il, puis nous renverrons les chevaux et il nous faudra grimper â grimper. La montĂ©e sera trĂšs dure, aussi ; je l'ai dĂ©jĂ faite. Chacun ayant enfourchĂ© sa monture, nous descendĂźmes les marches jusqu'Ă la Route de l'Anneau qui entoure Lhassa. Ă l'endroit oĂč elle bifurque, je ne pus m'empĂȘcher, comme je le faisais toujours, de jeter un coup d'Ćil furtif vers la gauche Ă la maison oĂč j'Ă©tais nĂ©. Mais ce n'Ă©tait pas le moment de s'attendrir, nous Ă©tions en mission. Les chevaux commencĂšrent Ă peiner, Ă haleter et Ă s'Ă©brouer. L'ascension Ă©tait devenue trop pĂ©nible pour eux, leurs sabots ne faisaient que glisser sur les rochers. â Eh bien, Lobsang, les chevaux doivent s'arrĂȘter lĂ , dit finalement le Lama Mingyar Dondup en poussant un soupir. Ă partir de maintenant nous ne pouvons compter que sur nos pauvres pieds. Nous descendĂźmes donc de cheval et, en les flattant de la main, le Lama dit aux bĂȘtes de rentrer. Elles firent demi-tour et reprirent le sentier par lequel nous Ă©tions venus, ragaillardies, semblait-il, Ă l'idĂ©e de rentrer sans avoir Ă finir cette pĂ©nible montĂ©e. AprĂšs avoir rĂ©organisĂ© nos baluchons et vĂ©rifiĂ© si nos lourds bĂątons Ă©taient en parfait Ă©tat â toute fissure ou dĂ©faut pouvant ĂȘtre fatals â nous passĂąmes Ă l'inspection des autres objets ; nous avions bien notre silex et l'amadou ainsi que nos provisions. Nous pouvions donc partir. Sans mĂȘme un regard en arriĂšre, l'ascension commença. Les roches que difficilement nous escaladions Ă©taient aussi dures et aussi glissantes que du verre. Sans souci pour nos mains et nos tibias que nous Ă©corchions sur la paroi, nous cherchions la moindre fissure oĂč insĂ©rer les doigts et les orteils, et grĂące Ă ces appuis prĂ©caires, lentement, nous progressĂąmes. Nous atteignĂźmes enfin une petite plate-forme sur laquelle nous nous hissĂąmes pour reprendre haleine et retrouver quelque Ă©nergie. Un filet d'eau qui s'Ă©chappait d'une fente rocheuse nous permit de nous dĂ©saltĂ©rer et de faire de la tsampa. Elle ne fut pas trĂšs bonne, car l'eau Ă©tait glacĂ©e et l'espace restreint ne permettait pas de faire du feu. Mais le fait de boire et de manger nous revigora, et nous envisageĂąmes ensuite la possibilitĂ© de continuer notre ascension. La paroi Ă©tait tout Ă fait lisse et il semblait impossible que quelqu'un ait pu jamais l'escalader. Nous l'attaquĂąmes cependant, comme d'autres avant nous l'avaient fait. Nous grimpĂąmes pouce par pouce cm et, petit Ă petit, grandit le point minuscule vers lequel nous tendions. Nous pĂ»mes bientĂŽt distinguer chacun des rochers qui constituaient l'ermitage. Celui-ci Ă©tait perchĂ© Ă l'extrĂȘme pointe d'un Ă©peron rocheux qui surplombait la pente. En poursuivant notre escalade, nous rĂ©ussĂźmes Ă nous glisser dessous, puis, faisant un immense effort nous nous hissĂąmes dessus. Une fois lĂ , nous prĂźmes le temps de souffler ; nous Ă©tions dĂ©jĂ trĂšs haut par rapport Ă la Plaine de Lhassa, l'oxygĂšne commençait Ă nous manquer et il faisait trĂšs froid. Lorsque nous fĂ»mes en Ă©tat de repartir, nous nous frayĂąmes un chemin beaucoup plus facilement jusqu'Ă l'entrĂ©e de l'ermitage. Le vieil ermite Ă©tait sur le seuil. Je jetai un coup d'Ćil Ă l'intĂ©rieur et fus frappĂ© par l'exiguĂŻtĂ© de la piĂšce. De toute Ă©vidence il Ă©tait impossible d'y pĂ©nĂ©trer Ă trois, et je me rĂ©signai Ă rester Ă l'extĂ©rieur. Le Lama Mingyar Dondup me fit un signe d'approbation et je m'Ă©loignai tandis que la porte se refermait derriĂšre lui. La Nature a ses lois qu'il faut respecter en tout et partout, et c'est pour rĂ©pondre Ă l'une de ses exigences qu'il me fallut trĂšs vite chercher un endroit pouvant faire office de lieux d'aisanceâ. Je le trouvai au bord de l'Ă©peron rocheux sous la forme d'une roche plate qui s'avançait dans le vide et qui comportait en son milieu un orifice trĂšs pratique ; il Ă©tait sans doute artificiel, ou peut-ĂȘtre naturel mais Ă©largi par quelqu'un. En m'accroupissant au-dessus j'eus aussitĂŽt l'explication d'un mystĂšre qui m'avait intriguĂ© en montant. Nous Ă©tions passĂ©s prĂšs d'un monticule Ă l'aspect quelque peu singulier qu'ornaient ce qui semblait ĂȘtre des tessons de glace jaunĂątres dont certains avaient une forme allongĂ©e. Je venais de comprendre que cet amoncellement bizarre n'Ă©tait que la preuve que des hommes avaient vĂ©cu dans l'ermitage depuis un certain temps, et c'est avec entrain que j'ajoutai ma propre contribution. Une fois ce besoin satisfait, je me promenai dans les environs et trouvai la roche excessivement glissante. Je suivis nĂ©anmoins le sentier et arrivai Ă ce qui Ă©tait de toute Ă©vidence une roche amovible. Elle formait une saillie et je me demandai, sans plus d'intĂ©rĂȘt, Ă quoi pouvait servir cette saillie de roche dans cette position particuliĂšre. Ătant curieux, j'examinai la roche avec le plus grand soin, mon intĂ©rĂȘt allant grandissant parce qu'elle Ă©tait manifestement artificielle, et pourtant, comment aurait-elle pu ĂȘtre faite de main d'homme ? Elle se trouvait dans une position si bizarre. Je donnai un coup de pied au hasard dans le roc, mais ayant oubliĂ© que j'Ă©tais pieds nus, je dus pendant un moment frotter mon pied endolori. Puis tournant le dos Ă l'avancĂ©e, j'inspectai l'autre bord et me trouvai ainsi du cĂŽtĂ© de la pente par laquelle nous Ă©tions montĂ©s. Que nous ayons pu escalader cette paroi semblait incroyable tant elle Ă©tait vertigineuse. D'en haut, cette surface ressemblait Ă une plaque de marbre poli, et penser qu'il nous faudrait bientĂŽt redescendre par la mĂȘme voie me donnait la nausĂ©e... Je repris brusquement conscience de ma prĂ©sente situation en voulant prendre ma boĂźte d'amadou et mon silex je me trouvais quelque part Ă l'intĂ©rieur d'une montagne, sans le moindre vĂȘtement pour me vĂȘtir, sans le moindre grain d'orge pour me nourrir, sans bol, sans amadou et sans silex. Je dus alors Ă©mettre une quelconque exclamation d'essence non bouddhique, car j'entendis un murmure â Lobsang, Lobsang, est-ce que ça va ? Ah ! Mon Guide, le Lama Mingyar Dondup Ă©tait avec moi. Je me sentis immĂ©diatement rassurĂ©. â Oui je suis ici, rĂ©pondis-je, je pense que j'ai Ă©tĂ© assommĂ© en tombant et je n'ai plus ma robe ni tout ce qu'elle contenait, et je n'ai pas la moindre idĂ©e de l'endroit oĂč nous sommes, pas plus que je ne sais comment en sortir. Il nous faut de la lumiĂšre. Le Lama, dont les jambes Ă©taient coincĂ©es sous un gros rocher, rĂ©pliqua â Je connais parfaitement bien ce passage. Le vieil ermite Ă©tait le gardien des grands secrets du passĂ© et de l'avenir. Ici se trouve l'histoire du monde depuis le moment oĂč il a commencĂ© jusqu'Ă celui oĂč il finira. Il fit une pause, puis ajouta â Si tu passes la main sur la paroi de gauche tu vas bientĂŽt sentir une arĂȘte. En poussant trĂšs fort Ă cet endroit, elle devrait basculer et tu auras ainsi accĂšs Ă une grande cavitĂ© dans laquelle tu trouveras des robes de rechange et une ample provision d'orge. La premiĂšre chose que tu dois faire c'est d'ouvrir le placard et tĂąter pour y trouver de l'amadou, un silex et des chandelles. Tu les trouveras sur la troisiĂšme Ă©tagĂšre en partant du bas. Avec de la lumiĂšre, nous serons en mesure de nous entraider. Tout d'abord, je regardai la paroi de gauche comme me l'avait indiquĂ© le Lama, puis tĂątai le mur du passage, mais ma quĂȘte me semblait vaine tant celui-ci me paraissait lisse comme s'il eĂ»t Ă©tĂ© fait par des mains humaines. J'allais abandonner quand tout Ă coup je sentis un morceau de roche pointue. En fait, je m'y frappai violemment les jointures et y laissai des lambeaux de peau, mais je poussai et poussai, persuadĂ© que je n'y arriverais jamais. Enfin, mes efforts furent rĂ©compensĂ©s et la roche bascula sur elle-mĂȘme en un grincement effrayant. Oui, il y avait en effet un placard et je pouvais tĂątonner les Ă©tagĂšres. AprĂšs avoir repĂ©rĂ© la troisiĂšme Ă partir du bas, j'y trouvai des lampes Ă beurre et je localisai le silex et l'amadou. L'amadou Ă©tait d'une qualitĂ© exceptionnelle ; il n'Ă©tait pas du tout humide et s'enflamma sur le champ. Je m'empressai d'allumer une chandelle, car je commençais Ă me brĂ»ler les doigts. â Allumes-en deux, Lobsang, une pour toi et une pour moi. Il y en a tout un stock, nous en aurions mĂȘme suffisamment pour tenir une semaine, si nĂ©cessaire. Le Lama se tenant silencieux, je cherchai Ă voir ce qu'il y avait dans ce placard que nous pourrions utiliser, et j'y vis une barre de mĂ©tal qui paraissait en fer et que je pouvais Ă peine soulever. Mais je voulais m'en servir comme levier pour dĂ©gager les jambes de mon compagnon qui Ă©taient prises sous un rocher. M'Ă©clairant d'une bougie, j'allai informer le Lama de mon intention, puis je revins m'occuper de cette barre. C'Ă©tait le seul moyen pensais-je, de libĂ©rer mon Guide et ami de la poigne de ce rocher. Je posai la barre au pied du bloc de pierre et, Ă quatre pattes devant, cherchai un moyen de le soulever. Il y avait une quantitĂ© de roches tout autour, mais je doutais de ma propre force, parvenant dĂ©jĂ Ă peine Ă soulever cette barre, mais je finis par Ă©laborer un plan d'action si je donnais au Lama l'un des bĂątons, peut-ĂȘtre pourrait-il pousser une pierre sous le rocher au moment oĂč je soulĂšverais celui-ci, en admettant que j'y parvienne ! Il approuva mon idĂ©e. â Câest la seule chose que nous pouvons faire, Lobsang, parce que si je ne peux me libĂ©rer de ce rocher, mes os vont y rester. Allons, commençons. Je repĂ©rai donc une grosse pierre de forme assez carrĂ©e d'environ quatre mains d'Ă©paisseur, l'apportai au pied du rocher et l'appuyai contre lui, puis je donnai un solide bĂąton de bois au Lama pour qu'il contribue Ă la manĆuvre. Nous pensions que si j'arrivais Ă soulever un tant soit peu le rocher, il pourrait pousser la pierre carrĂ©e dessous et crĂ©er ainsi assez d'espace pour sortir ses jambes. Je cherchai l'endroit le plus propice pour y insĂ©rer la barre et enfonçai cette derniĂšre par l'extrĂ©mitĂ© qui portait une griffe, aussi profondĂ©ment que possible, entre le sol et la base du bloc. Il me fut ensuite facile de trouver et placer une autre grosse pierre aussi prĂšs que possible de la griffe. â PrĂȘt ? hurlai-je, me stupĂ©fiant presque moi-mĂȘme de ma force, appuyant de tout mon poids sur la barre de fer, mais sans rĂ©sultat. Je n'Ă©tais pas assez lourd. Je me reposai un moment, puis chercher autour de moi la pierre la plus lourde que je pourrais soulever. J'en repĂ©rai une et la traĂźnai jusqu'Ă la barre de fer. Il me fallut ensuite la poser en Ă©quilibre sur celle-ci et Ă nouveau m'appuyer de tout mon poids par-dessus, tout en l'empĂȘchant de tomber. Ă ma grande joie, tout Ă coup, je sentis un tressaillement dans la barre qui bientĂŽt bascula vers le sol. â Tout va bien, Lobsang, s'Ă©cria le Lama Mingyar Dondup. Tu peux relĂącher la barre maintenant ; j'ai pu mettre le bloc de pierre sous le rocher. Nous allons pouvoir retirer mes jambes. Au comble de la joie je retournai de l'autre cĂŽtĂ© du rocher et, oui, les jambes du Lama Ă©taient dĂ©gagĂ©es, mais elles Ă©taient Ă vif et saignaient, et nous avions peur qu'elles soient facturĂ©es. TrĂšs, trĂšs dĂ©licatement, je l'aidai Ă les mouvoir et comme il pouvait les bouger, je me glissai sous le rocher pour atteindre ses pieds encore retenus dessous. Je lui suggĂ©rai alors de se soulever sur les coudes en essayant de reculer tandis que je poussais sur la plante de ses pieds. J'opĂ©rai trĂšs dĂ©licatement et, de toute Ă©vidence, mĂȘme si les blessures paraissaient trĂšs sĂ©rieuses, les os n'Ă©taient pas fracturĂ©s. Le Lama continuait d'essayer de se sortir de dessous le rocher. C'Ă©tait trĂšs difficile et je devais pousser sur ses pieds de toutes mes forces tout en appliquant une lĂ©gĂšre torsion sur ses jambes pour Ă©viter un affleurement de pierre sous le rocher. Je pensai alors que c'Ă©tait sans doute Ă cet affleurement que le Lama devait de n'avoir pas eu les jambes broyĂ©es, mais il n'en continuait pas moins Ă nous donner des problĂšmes. Finalement, avec plus qu'un soupir de soulagement, ses jambes furent dĂ©gagĂ©es et je sortis en rampant de dessous le rocher pour l'aider Ă s'asseoir sur un rebord de roche. Comme deux petites bougies ne nous Ă©clairaient pas suffisamment, je retournai Ă la niche de pierre et revins avec une demi-douzaine de plus et une sorte de panier pour les transporter. Ă la lumiĂšre toutes les bougies nous pĂ»mes examiner trĂšs soigneusement ses jambes elles Ă©taient littĂ©ralement en lambeaux. Des cuisses aux genoux elles Ă©taient complĂštement Ă vif, et des genoux jusqu'aux pieds les chairs pendaient parce qu'elles se trouvaient coupĂ©es en laniĂšres. Le Lama me dit de retourner pour rapporter des chiffons qui Ă©taient dans une boĂźte, et aussi un pot contenant une certaine pĂąte. Il me la dĂ©crivit exactement, et je partis chercher le pot, les chiffons, et quelques autres objets. Le Lama Mingyar Dondup s'Ă©gaya considĂ©rablement en voyant que j'avais rapportĂ© Ă©galement une lotion dĂ©sinfectante. Je nettoyai toute la surface de ses jambes Ă partir des hanches, et sur ses indications, replaçai les chairs meurtries en couvrant les os qui Ă©taient devenus trĂšs, trĂšs apparents, les couvrant avec la chair que je collaiâ en place avec l'onguent que j'avais rapportĂ©. Au bout d'environ une demi-heure, celui-ci Ă©tait presque sec et les jambes semblaient enfermĂ©es dans de fermes moulages. Je dĂ©chirai des chiffons en bandes et les enroulai tout autour de ses jambes pour aider le plĂątreâ Ă tenir en place. Puis j'allai remettre sur les Ă©tagĂšres tous les objets que j'avais empruntĂ©s, sauf les chandelles, huit en tout. Nous en Ă©teignĂźmes six et les transportĂąmes dans nos robes. Ramassant nos deux bĂątons de bois, je les donnai au Lama qui m'en sut grĂ©. Puis je lui dis â Je vais aller de l'autre cĂŽtĂ© du rocher et je devrais ĂȘtre en mesure de voir comment nous allons rĂ©ussir Ă vous sortir d'ici. Il me sourit et me rassura â Je connais parfaitement bien cet endroit, Lobsang, il existe depuis environ un million d'annĂ©es et a Ă©tĂ© créé par les gens qui ont tout d'abord peuplĂ© ce pays qui est le nĂŽtre. Ă condition qu'aucune roche ne se soit effondrĂ©e en obstruant la voie, nous pouvons rester ici une semaine ou deux en toute sĂ©curitĂ©. Il hocha la tĂȘte en direction du monde extĂ©rieur, et ajouta â Je ne pense pas que nous pourrons repartir de ce cĂŽtĂ©, et si nous ne pouvons sortir par l'un des orifices volcaniques, peut-ĂȘtre serons-nous dĂ©couverts dans un millier d'annĂ©es par des explorateurs qui trouveront alors deux intĂ©ressants squelettes sur lesquelles se pencher. J'avançai, avec d'un cĂŽtĂ© le formidable tunnel et de l'autre le rocher, mais le passage Ă©tait tellement Ă©troit que je me demandai comment le Lama allait pouvoir le traverser. Qui veut peutâ, me dis-je, et j'en vins Ă la conclusion que si je m'accroupissais au bas du rocher, le Lama pourrait monter sur mon dos et se trouver ainsi plus haut de sorte que ses hanches et ses jambes arrivent Ă passer le plus gros renflement du rocher. Quand je lui soumis mon idĂ©e, il fut extrĂȘmement rĂ©ticent sachant qu'il Ă©tait beaucoup trop lourd pour moi, mais aprĂšs plusieurs tentatives douloureuses, il arriva Ă la conclusion qu'il n'y avait tout simplement pas d'autre façon. J'empilai alors quelques galets pour me faire un coussin aussi plat que possible, puis je me mis Ă quatre pattes en disant au Lama que j'Ă©tais prĂȘt. Prestement il posa un pied sur ma hanche droite et l'autre sur mon Ă©paule gauche, et d'un rapide mouvement, il passa â il franchit le rocher et se retrouva de l'autre cĂŽtĂ© en terrain dĂ©gagĂ©. Je me redressai et vis qu'il Ă©tait en sueur, tant il avait souffert et avait craint de me faire mal. Nous nous assĂźmes un moment pour reprendre notre souffle et rĂ©cupĂ©rer nos forces. Nous ne pouvions pas prĂ©parer de tsampa puisque nous avions perdu nos bols, de mĂȘme que notre orge, mais je me rappelai en avoir vu dans la niche de pierre et, une fois de plus, j'y retournai. Je fouillai parmi les bols en bois et en choisis deux, rĂ©servant le plus beau pour mon Guide. Je les nettoyai avec du sable fin qui abondait dans ce tunnel. Je plaçai les deux bols cĂŽte Ă cĂŽte sur une Ă©tagĂšre, puis les remplis d'une bonne quantitĂ© d'orge entreposĂ©e dans la niche. Il me fallait encore faire du feu, mais c'Ă©tait un jeu d'enfant puisque ce placard renfermait tout ce dont j'avais besoin amadou, silex et bois de chauffage. Ă l'aide d'un gros morceau de beurre que j'y trouvai tout autant, je pus faire cette bouillie consistante que nous appelons tsampaâ. Revenant auprĂšs de mon Guide, nous nous installĂąmes sans mot dire pour la manger. Peu aprĂšs, nous nous sentĂźmes tous deux beaucoup mieux et capables de continuer. Je vĂ©rifiai nos provisions, maintenant reconstituĂ©es grĂące au dĂ©pĂŽt et, oui, nous avions un bol chacun, de l'amadou et un silex, un sac d'orge chacun, et c'Ă©tait vraiment tout ce que nous possĂ©dions en ce monde, Ă part les deux solides bĂątons de bois. Tout couverts de bleus et de meurtrissures, et aprĂšs une marche qui me parut durer des siĂšcles, nous arrivĂąmes devant une roche en plein milieu du chemin la fin du tunnel, pensai-je. Mais le Lama me dit â Non, non, ce n'est pas la fin ; si tu pousses au bas de cette grande dalle elle basculera en son milieu, et en nous penchant nous pourrons traverser. Je poussai le bas de la dalle et avec un grincement terrifiant elle bascula pour se mettre en position horizontale, puis resta dans cette position. Je la tins par mesure de prudence pendant que le Lama se glissait pĂ©niblement en dessous, puis je fis reprendre Ă la dalle sa position d'origine. La noirceur, une pĂ©nible noirceur que nos deux petites bougies vacillantes faisaient paraĂźtre encore plus noire. â Lobsang, Ă©teins ta bougie, me dit alors le Lama, j'Ă©teins la mienne aussi, et nous verrons la lumiĂšre du jour. La lumiĂšre du jour ! Je pensai qu'il Ă©tait victime d'une hallucination que j'attribuai Ă la fatigue et Ă la douleur. J'Ă©teignis nĂ©anmoins ma chandelle, et pendant un moment je pus sentir l'odeur de la mĂšche fumante qui avait Ă©tĂ© saturĂ©e de beurre rance. â Attendons quelques instants, me dit le Lama, et nous aurons toute la lumiĂšre dont nous avons besoin. Je me sentais parfaitement idiot, debout dans ce qui Ă©tait maintenant une obscuritĂ© totale, sans la moindre lueur venant d'oĂč que ce soit. J'aurais pu l'appeler une obscuritĂ© sonoreâ car elle semblait faite de boum, boum, boum, puis d'une contraction, mais cela sortit de mon esprit en voyant ce qui me parut ĂȘtre un lever de soleil. D'un cĂŽtĂ© de ce qui Ă©tait apparemment une piĂšce apparut une boule lumineuse. Elle Ă©tait rouge et avait l'aspect du mĂ©tal que l'on chauffe jusqu'Ă l'incandescence. Rapidement le rouge passa au jaune, puis au blanc, le blanc-bleutĂ© de la lumiĂšre du jour. BientĂŽt tout se dĂ©voila dans une saisissante rĂ©alitĂ©. Je restai lĂ , pantelant d'Ă©merveillement. La salle, ou quoi que ce fut, Ă©tait trĂšs vaste, si vaste qu'elle aurait pu contenir le Potala tout entier. La lumiĂšre Ă©tait brillante et j'Ă©tais presque hypnotisĂ© par les dĂ©corations sur les murs et par les choses Ă©tranges qui jonchaient le sol sans en gĂȘner le passage. â Un endroit prodigieux, n'est-ce pas, Lobsang ? Il date d'une Ă©poque beaucoup trop lointaine pour que l'esprit de l'Homme puisse la concevoir. C'Ă©tait ici le siĂšge d'une Race spĂ©ciale capable d'effectuer des voyages dans l'espace et quantitĂ© d'autres choses. Des millions d'annĂ©es ont passĂ© et tout est encore intact. Certains d'entre nous ont Ă©tĂ© nommĂ©s Gardiens du Temple IntĂ©rieur ; ceci est le Temple IntĂ©rieur. Je m'approchai pour examiner le mur le plus proche et il parut ĂȘtre couvert d'une quelconque sorte d'Ă©criture, une Ă©criture qui, je le sentis instinctivement, n'appartenait Ă aucune race de la Terre. Le Lama capta mes pensĂ©es par tĂ©lĂ©pathie et rĂ©pondit â Oui, ceci fut construit par la Race des Jardiniers qui ont amenĂ© humains et animaux sur ce monde. Il se tut, et me montra du doigt une boĂźte installĂ©e contre un mur un peu plus loin. â Peux-tu aller jusque-lĂ , me dit-il, et prendre deux bĂątons pourvus d'une piĂšce transversale au sommet ? ObĂ©issant, je me dirigeai vers le placard qu'il m'indiquait. La porte s'ouvrit facilement et je fus absolument fascinĂ© par son contenu. Il semblait rempli de choses Ă usage mĂ©dical. Dans un coin il y avait un certain nombre de ces bĂątons avec une traverse Ă une extrĂ©mitĂ©. J'en pris deux et je compris qu'ils devaient servir Ă soutenir un homme. Je ne savais pas ce qu'Ă©taient des bĂ©quilles Ă cette Ă©poque, mais j'en rapportai deux au Lama qui plaça les traverses sous ses aisselles tandis qu'il appuyait ses mains sur des tiges placĂ©es Ă mi-hauteur. â VoilĂ , Lobsang, me dit-il, ces choses aident les invalides Ă marcher. Maintenant je vais pouvoir aller moi-mĂȘme jusqu'Ă ce placard et me faire un plĂątre plus solide. Il me permettra de marcher plus facilement jusqu'Ă ce que les chairs se cicatrisent. Il se dirigea vers le placard, et comme j'Ă©tais d'un caractĂšre curieux, je le suivis. â Va chercher les bĂątons que nous avions, me dit-il, et nous les mettrons dans ce coin pour les avoir sous la main en cas de besoin. LĂ -dessus il me tourna le dos et se mit Ă fouiller dans le casier. Je me retournai Ă©galement et partis chercher nos bĂątons que je posai dans le coin de ce placard. â Lobsang, Lobsang, serais-tu capable de rapporter nos baluchons et la barre d'acier ici ? Elle n'est pas en fer comme tu le penses, mais en quelque chose de beaucoup plus dur et rĂ©sistant et qui s'appelle de l'acier. Je repartis donc et retournai Ă la dalle par laquelle nous Ă©tions entrĂ©s. Je poussai contre le sommet de la chose et elle bascula en position horizontale et immobile. La lumiĂšre Ă©tait une trĂšs rĂ©elle bĂ©nĂ©diction, car elle Ă©clairait tout le long du tunnel et je pouvais retracer mon chemin passĂ© celui-ci, jusque de l'autre cĂŽtĂ© du gros rocher qui nous avait causĂ© tant d'ennuis. Nos baluchons contenant toutes nos affaires Ă©taient de l'autre cĂŽtĂ©, et c'est avec difficultĂ© que je franchis le rocher et les y retrouvai. Ils me parurent extrĂȘmement lourds, mais sans doute cette impression Ă©tait-elle due au manque de nourriture et Ă l'Ă©tat de faiblesse qui en rĂ©sultait. Je pris d'abord les deux sacs et les apportai juste au bord du passage, puis revins chercher la barre d'acier. Je pouvais Ă peine lever la chose ; elle me faisait haleter et grogner comme un vieillard, ce qui fait que je laissai traĂźner un bout tout en m'accrochant Ă l'autre, et je m'aperçus qu'en marchant Ă reculons et tirant Ă deux mains, j'arrivais Ă la faire bouger. Il me fallut pas mal de temps pour lui faire passer le rocher, mais le reste du chemin se fit assez bien. Il me fallait maintenant pousser les baluchons sous la dalle et dans cette immense piĂšce, puis je me coltinai la barre d'acier en me disant que je n'avais jamais dĂ©placĂ© pareil poids de ma vie. Je la fis passer dans la piĂšce, puis abaissai la dalle qui servait de porte, de sorte que nous avions de nouveau un mur lisse, sans ouverture. Le Lama Mingyar Dondup n'avait pas perdu son temps. Ses deux jambes Ă©taient maintenant enrobĂ©es dans un mĂ©tal brillant, et il semblait de nouveau en parfaite santĂ©. â Lobsang, nous allons nous faire un repas avant de visiter ces lieux, parce que nous serons ici pendant environ une semaine. Pendant que tu ramenais ces choses â il dĂ©signa les baluchons et la barre d'acier â j'ai Ă©tĂ© en communication tĂ©lĂ©pathique avec un ami du Potala qui m'a dit qu'une terrible tempĂȘte faisait rage. Il m'a conseillĂ© de rester oĂč nous Ă©tions le temps qu'elle se calme. Les prophĂštes de la mĂ©tĂ©orologie affirment que la tempĂȘte durera environ une semaine. Je me sentis vraiment dĂ©primĂ© Ă cette nouvelle, parce que j'en avais assez de ce tunnel et mĂȘme cette salle ne soulevait pas beaucoup mon intĂ©rĂȘt. MalgrĂ© sa taille, elle provoquait chez moi une certaine claustrophobie qui peut paraĂźtre impossible, mais qui n'en Ă©tait pas moins rĂ©elle. Je me sentais comme un animal en cage. Toutefois, les affres de la faim Ă©taient plus fortes que toutes mes peurs, et j'observai avec plaisir le Lama prĂ©parer notre repas. Il le faisait mieux que quiconque, pensai-je, et c'Ă©tait si agrĂ©able de s'asseoir devant un repas chaud. Je pris une bouchĂ©e de l'aliment â un nom vraiment poli pour parler de la tsampa â et m'Ă©merveillai de sa saveur. Je la trouvai des plus agrĂ©ables et sentis que mes forces me revenaient et que mon humeur morose se dissipait. Lorsque j'eus avalĂ© ma ration, le Lama me demanda â En as-tu eu assez, Lobsang ? Tu peux en avoir autant que tu veux ; il y a beaucoup de nourriture ici, suffisamment, en fait, pour nourrir une petite lamaserie. Je t'en dirai davantage plus tard mais, pour le moment, en veux-tu d'autre ? â Oh oui ! merci, rĂ©pondis-je, je crois que j'ai encore un peu de place pour un supplĂ©ment de tsampa, et elle est tellement bonne. Jamais je ne l'ai trouvĂ©e aussi dĂ©licieuse. Le Lama eut un petit rire Ă©touffĂ© tandis qu'il allait remplir mon bol. Puis il revint en riant Ă gorge dĂ©ployĂ©e, tenant Ă la main une bouteille. â Regarde, Lobsang, me dit-il, c'est le meilleur cognac qui soit, gardĂ© entiĂšrement Ă des fins mĂ©dicales. Je pense que nous pouvons considĂ©rer notre captivitĂ© ici comme justifiant un peu de cognac pour donner quelque saveur Ă la tsampa. Je pris le bol qu'il me tendait et en apprĂ©ciai l'arĂŽme, mais en mĂȘme temps avec de sĂ©rieux doutes, car on m'avait toujours dit que ces breuvages alcoolisĂ©s Ă©taient l'Ćuvre des DĂ©mons, et maintenant on m'encourageait Ă y goĂ»ter. Peu importe, pensai-je, c'est bon quand on ne se sent pas trop d'aplomb. Je me mis Ă manger et en fis un beau gĂąchis. Nous n'avions que nos doigts, il faut dire, rien qui ressembla Ă un couteau, une fourchette ou une cuillĂšre, pas mĂȘme des baguettes, seulement nos doigts, et aprĂšs les repas nous nous lavions les mains avec du sable fin qui dĂ©collait la tsampa avec une merveilleuse efficacitĂ©, enlevant mĂȘme parfois un peu de peau si on y mettait trop d'Ă©nergie. J'Ă©tais donc en train de vider consciencieusement mon bol, utilisant non seulement mes doigts mais aussi toute la paume de ma main droite, lorsque, d'un seul coup, je tombai Ă la renverse. Je me plais Ă dire que j'Ă©tais bel et bien tombĂ© de fatigueâ, mais le Lama m'assura, comme il le dit plus tard en riant Ă l'AbbĂ©, que j'Ă©tais, en fait, ivre-mort. Ivre ou non, je dormis, dormis et dormis encore, et lorsque je m'Ă©veillai la merveilleuse lumiĂšre dorĂ©e illuminait toujours la piĂšce. Je portai mon regard vers ce qui devait ĂȘtre le plafond, mais il Ă©tait si loin qu'on pouvait Ă peine le distinguer. C'Ă©tait assurĂ©ment une piĂšce immense, comme si toute la fichue montagne Ă©tait creuse. â La lumiĂšre du soleil, Lobsang, la lumiĂšre du soleil et nous l'aurons vingt-quatre heures par jour. La lumiĂšre qu'il donne est absolument sans chaleur, elle est exactement Ă la mĂȘme tempĂ©rature que l'air ambiant. Ne penses-tu pas qu'une lumiĂšre comme celle-ci vaut mieux que des chandelles malodorantes qui fument ? Je regardai une fois de plus autour de moi, n'arrivant toujours pas Ă comprendre comment il pouvait y avoir la lumiĂšre du soleil quand nous Ă©tions ensevelis dans une cavitĂ© rocheuse, et c'est ce que je dis au Lama qui me rĂ©pondit â Oui, j'ai connu cette merveille des merveilles toute ma vie, mais personne ne sait comment cela fonctionne. La lumiĂšre froide est une invention miraculeuse qui a Ă©tĂ© créée ou dĂ©couverte il y a un million d'annĂ©es environ. Des ĂȘtres ont dĂ©veloppĂ© une mĂ©thode de conservation de la lumiĂšre du soleil et l'ont rendue disponible mĂȘme durant les nuits les plus noires. Si l'on n'utilise pas cette technique dans nos citĂ©s et dans nos temples, c'est parce que nous ne savons tout simplement pas comment faire. Nulle part ailleurs je n'ai vu pareil Ă©clairage. â Environ un million d'annĂ©es, vous avez dit ? C'est pratiquement au-delĂ de ma comprĂ©hension. J'imagine que c'est un chiffre tout comme un 1, un 2, un 3, ou autres, suivi par un nombre de zĂ©ros, 6 je crois, mais c'est seulement une supposition et, de toute façon, c'est un chiffre si Ă©norme, que je ne peux comprendre. Cela ne fait aucun sens pour moi. Dix ans, vingt ans, je peux Ă la rigueur en avoir une idĂ©e, mais plus, non ! Comment a-t-on pu construire cette salle ? demandai-je tout en passant les doigts distraitement sur l'une des inscriptions du mur. Je sursautai d'effroi parce qu'un dĂ©clic venait de se faire entendre et qu'un pan de mur commençait Ă s'enfoncer. â Lobsang ! Lobsang ! Tu as fait une dĂ©couverte ! Aucun d'entre nous qui sommes venus ici ne connaissait l'existence de cette seconde salle. Nous regardĂąmes prudemment par l'ouverture de la porte et aussitĂŽt que nos tĂȘtes en passĂšrent l'entrĂ©e, la lumiĂšre s'alluma ; j'observai qu'en quittant l'immense piĂšce oĂč nous Ă©tions, cette derniĂšre progressivement s'obscurcissait. Nous regardions autour de nous, presque effrayĂ©s de bouger, parce que nous ne savions pas quels dangers nous attendaient ou dans quel piĂšge nous pourrions tomber, mais rassemblant finalement notre courage, nous nous dirigeĂąmes vers un grand quelque choseâ qui se trouvait au milieu de la piĂšce. C'Ă©tait une Ă©norme structure. Elle avait dĂ» ĂȘtre brillante dĂ©jĂ , mais sa surface Ă©tait maintenant toute ternie et grisĂątre. Elle Ă©tait de la hauteur de quatre ou cinq hommes, et ressemblait Ă deux plats posĂ©s l'un sur l'autre. Nous en fĂźmes le tour et dĂ©couvrĂźmes Ă l'autre bout une Ă©chelle en mĂ©tal gris qui, Ă partir d'une porte dans la machine, descendait jusqu'au sol. Je m'y prĂ©cipitai, oubliant qu'en tant que jeune homme dans les Ordres SacrĂ©s je devais montrer plus de dĂ©corum, mais je m'Ă©lançai vers l'Ă©chelle et y grimpai prestement sans mĂȘme m'inquiĂ©ter de savoir si elle Ă©tait solidement fixĂ©e. Elle l'Ă©tait. De nouveau, comme ma tĂȘte passait l'embrasure de la porte les lumiĂšres s'allumĂšrent Ă l'intĂ©rieur de la machine. Le Lama Mingyar Dondup, pour ne pas ĂȘtre en reste, grimpa dans la machine. â Ah, Lobsang, c'est l'un des Chars des Dieux. Tu les as dĂ©jĂ vus virevolter, n'est-ce pas ? â Oh oui, MaĂźtre, rĂ©pondis-je, je me disais qu'il y avait des Dieux qui traversaient notre Pays pour s'assurer que tout allait bien, mais, bien sĂ»r, je n'en ai jamais vu un d'aussi prĂšs. Chapitre Deux Nous nous trouvions, semblait-il, dans une sorte de couloir bordĂ© des deux cĂŽtĂ©s de casiers ou de placards, ou quelque chose de similaire. Quoi qu'il en soit, je tirai une poignĂ©e au hasard et un grand tiroir vint Ă moi, coulissant aussi bien que s'il venait tout juste d'ĂȘtre fabriquĂ©. Il renfermait toutes sortes d'instruments Ă©tranges. Le Lama Mingyar Dondup qui regardait par-dessus mon Ă©paule prit quelque chose et s'exclama â Ah ! ce sont sĂ»rement des piĂšces de rechange. Je suis sĂ»r qu'il y a ici de quoi faire fonctionner Ă nouveau la machine. Nous refermĂąmes le tiroir et allĂąmes plus loin. La lumiĂšre nous prĂ©cĂ©dait, diminuant progressivement derriĂšre nous, et nous atteignĂźmes bientĂŽt une trĂšs grande piĂšce. En y pĂ©nĂ©trant elle s'Ă©claira brillamment, et nous restĂąmes tous deux sans voix c'Ă©tait de toute Ă©vidence le poste de commande de la chose, mais ce qui nous surprit Ă©tait le fait qu'il y avait lĂ des hommes. L'un d'eux Ă©tait assis dans ce qui devait ĂȘtre le siĂšge de contrĂŽle, en train de scruter un instrument de mesure sur un tableau en face de lui. Il y avait une quantitĂ© de cadrans, et je supposai qu'il se prĂ©parait au dĂ©collage. â Comment se fait-il, m'Ă©criai-je, que ces hommes soient encore lĂ aprĂšs des millions d'annĂ©es ? Ils ont l'air tellement vivants, seulement profondĂ©ment endormis. Un autre homme Ă©tait assis devant une table sur laquelle Ă©taient Ă©talĂ©es de grandes cartes qu'il consultait la tĂȘte dans ses mains et les coudes appuyĂ©s sur la table. Nous parlions Ă mi-voix. C'Ă©tait stupĂ©fiant, et notre science n'Ă©tait rien de plus que pitoyable comparĂ©e Ă ceci. Le Lama Mingyar Dondup prit un de ces personnages par l'Ă©paule en disant â Je pense que ces hommes sont dans une forme d'animation suspendue. Je pense qu'ils pourraient ĂȘtre ramenĂ©s Ă la vie, mais je ne sais pas comment le faire, je ne sais pas ce qui se passerait si je savais le faire. Comme tu le sais, Lobsang, il y a d'autres grottes dans cette chaĂźne de montagnes et nous en avons visitĂ© une qui contenait d'Ă©tranges engins comme des Ă©chelles qui, apparemment, fonctionnaient mĂ©caniquement. Mais ceci dĂ©passe tout ce que j'ai vu jusqu'ici, et en tant que l'un des Lamas seniors responsables pour maintenir ces lieux intacts, je peux te dire que c'est ici l'endroit le plus merveilleux de tous, et je me demande s'il y a encore d'autres boutons qu'il nous faudrait presser pour ouvrir d'autres piĂšces. Mais examinons d'abord soigneusement celle-ci. Nous avons environ une semaine devant nous, car il me faudra bien tout ce temps avant d'ĂȘtre capable de redescendre dans la vallĂ©e. Nous nous approchĂąmes des autres hommes ; il y en avait sept en tout. On avait l'impression que chacun Ă©tait Ă son poste et qu'ils s'apprĂȘtaient Ă dĂ©coller. Mais le dĂ©collage avait dĂ» ĂȘtre interrompu par une catastrophe subite. On aurait dit qu'un tremblement de terre s'Ă©tait produit qui aurait fait s'effondrer de lourds rochers sur ce qui devait ĂȘtre un toit coulissant. Le Lama s'arrĂȘta et s'approcha d'un autre homme qui avait un livre â un carnet â devant lui. Ăvidemment, il Ă©tait en train d'Ă©crire le compte rendu de ce qui se passait, mais nous ne pouvions comprendre son Ă©criture, nous n'avions aucune base pour Ă©tablir que ces choses Ă©taient des lettres, des idĂ©ogrammes ou bien seulement des symboles techniques. Le Lama dit â Dans toutes nos recherches nous n'avons jamais rien trouvĂ© qui puisse nous aider Ă traduire... attends une minute... ajouta-t-il avec une inhabituelle excitation dans la voix, cette chose lĂ -bas, je me demande si c'est une machine parlante pour les archives. Bien sĂ»r, je ne pense pas qu'elle fonctionnera aprĂšs toutes ces annĂ©es, mais essayons. Nous nous dirigeĂąmes ensemble vers l'appareil en question. Il avait la forme d'une boĂźte et, Ă peu prĂšs Ă mi-hauteur, une ligne en faisait le tour. Ă titre d'essai nous appuyĂąmes sur la surface au-dessus de la ligne, et Ă notre grande joie, la boĂźte s'ouvrit, rĂ©vĂ©lant des rouages Ă l'intĂ©rieur et quelque chose qui semblait servir aux dĂ©placements d'une bande mĂ©tallique entre deux bobines. Le Lama Mingyar Dondup examina les diffĂ©rents boutons fixĂ©s sur le devant de la boĂźte. Tout Ă coup, nous sursautĂąmes d'effroi ; il s'en fallut de peu que nous prenions nos jambes Ă nos cous, car une voix se fit entendre qui venait de la partie supĂ©rieure de la boĂźte, une voix Ă©trange, complĂštement diffĂ©rente des nĂŽtres. Cela ressemblait Ă une quelconque explication donnĂ©e par un Ă©tranger, mais nous ne comprenions pas de quoi il Ă©tait question. Et puis â nouvelle surprise â des bruits sortirent de la boĂźte ; je suppose que ce devait ĂȘtre de la musique, mais pour nous ce n'Ă©tait que des bruits discordants. Mon Guide pressa alors un autre bouton et le bruit s'arrĂȘta. Nous Ă©tions tous les deux plutĂŽt Ă©puisĂ©s par nos dĂ©couvertes et par un excĂšs d'Ă©motions. Nous nous assĂźmes donc sur ce qui Ă©tait apparemment des fauteuils, mais la panique me gagna en sentant que je m'enfonçais dans mon siĂšge comme si j'Ă©tais en fait assis dans l'air. Cet instant de surprise passĂ©, le Lama me dit â Peut-ĂȘtre qu'un peu de tsampa nous ferait du bien ; nous sommes tous deux Ă©puisĂ©s. LĂ -dessus il chercha des yeux l'endroit le plus propice pour y allumer un petit feu pour chauffer la tsampa. C'est alors qu'il remarqua une alcĂŽve Ă l'extĂ©rieur de la salle de contrĂŽle, et en y pĂ©nĂ©trant la lumiĂšre s'alluma. â Je pense que c'est ici qu'ils prĂ©paraient leurs repas, parce que tous ces boutons ne sont pas lĂ comme dĂ©coration, ils doivent servir Ă quelque chose. Il me montra un bouton sur lequel Ă©tait reprĂ©sentĂ©e une main levĂ©e dans la position arrĂȘtâ. Sur un autre Ă©tait dessinĂ©e une flamme ; c'est sur ce dernier qu'il appuya. Au-dessus de cet instrument se trouvaient divers rĂ©cipients mĂ©talliques. Nous en prĂźmes un. Ă ce moment-lĂ nous ressentĂźmes une sensation de chaleur et aprĂšs y avoir passĂ© la main en un va-et-vient, le Lama dit finalement â Et voilĂ , Lobsang, mets ta main ici ; c'est la chaleur pour la cuisson de notre repas. Je mis la main lĂ oĂč il m'indiquait, mais un peu trop prĂšs, et sursautai de surprise. En riant, mon Guide mit la tsampa presque congelĂ©e dans le rĂ©cipient mĂ©tallique, puis posa le tout sur une grille au-dessus de la source de chaleur. Il y ajouta de l'eau, et le mĂ©lange ne tarda pas Ă bouillonner. Il appuya alors sur le bouton marquĂ© du symbole de la main et le rouge incandescent disparut immĂ©diatement. Ayant retirĂ© le rĂ©cipient Ă l'aide d'un objet mĂ©tallique dont l'extrĂ©mitĂ© avait la forme d'une petite Ă©cuelle, il distribua la tsampa dans nos bols. Pendant quelque temps, nous n'entendĂźmes plus que le bruit que nous faisions en mangeant. â J'ai une de ces soifs ! m'Ă©criai-je dĂšs que j'eus avalĂ© la derniĂšre bouchĂ©e. Je boirais volontiers quelque chose. Ă cĂŽtĂ© de la boĂźte qui produisait de la chaleur nous vĂźmes une sorte de grande cuvette et, au-dessus, deux manettes mĂ©talliques. Je tournai l'une d'elles de la seule façon possible, et de l'eau, de l'eau froide, se rĂ©pandit dans la cuve. Je ramenai hĂątivement la manette Ă sa position originale et essayai l'autre qui Ă©tait d'une couleur rougeĂątre. Je la tournai et de l'eau rĂ©ellement chaude en sortit, si chaude que je m'Ă©bouillantai, pas sĂ©rieusement, mais je m'Ă©bouillantai suffisamment pour en bondir. Je remis la manette dans sa position premiĂšre. â MaĂźtre, dis-je, si c'est de l'eau, elle a dĂ» ĂȘtre lĂ pendant l'un de ces millions d'annĂ©es dont vous avez parlĂ©. Comment se fait-il que nous puissions la boire ? Elle devrait ĂȘtre totalement Ă©vaporĂ©e ou avoir une saveur aigre, mais elle a un goĂ»t trĂšs agrĂ©able. Le Lama rĂ©pondit â Eh bien, l'eau peut se conserver pendant des annĂ©es que dis-tu des lacs et des riviĂšres ? Leurs eaux remontent bien au-delĂ de l'histoire, et je suppose que cette eau-ci provient d'un rĂ©servoir hermĂ©tique, ce qui signifie qu'elle a pu conserver un goĂ»t agrĂ©able. Je suppose que ce vaisseau n'Ă©tait venu ici que pour un rĂ©approvisionnement et peut-ĂȘtre pour certaines rĂ©parations parce que, Ă en juger par la pression de l'eau, il doit y en avoir une trĂšs grande quantitĂ© dans un rĂ©servoir. Quoi qu'il en soit, il y a ici de quoi tenir des gens occupĂ©s pendant un mois. â Eh bien, dis-je, si l'eau est restĂ©e fraĂźche, il doit y avoir Ă©galement des aliments qui se sont conservĂ©s frais. Je me levai de mon siĂšge avec difficultĂ© car il semblait vouloir me retenir, mais je mis alors mes mains sur le cĂŽtĂ© du fauteuil â sur le dessus des accoudoirs â et immĂ©diatement je fus non seulement libĂ©rĂ©, mais poussĂ© en position debout. AprĂšs m'ĂȘtre remis du choc causĂ© par cette merveille, je me mis Ă tĂąter les murs de la petite cuisine. Je vis une quantitĂ© d'encoches qui ne semblaient d'aucune utilitĂ©. Je mis le doigt dans l'une d'elles, tirai, et rien ne se passa. J'essayai de tirer de cĂŽtĂ©, mais non, la chose ne bougea pas ; j'en essayai donc une autre, poussai mon doigt directement dans l'encoche, et un panneau glissa de cĂŽtĂ©. Ă l'intĂ©rieur du placard, de l'armoire, ou quel que soit son nom, il y avait un certain nombre de pots qui semblaient n'avoir d'ouverture nulle part. Ils Ă©taient transparents, ce qui permettait de voir ce qu'il y avait Ă l'intĂ©rieur. De toute Ă©vidence c'Ă©tait une sorte de nourriture, mais comment de la nourriture pourrait-elle ĂȘtre conservĂ©e pendant un million d'annĂ©es ou plus ? Je rĂ©flĂ©chis et rĂ©flĂ©chis Ă la question. Il y avait des images d'aliments que je n'avais jamais vus ni entendu parler, et certaines choses Ă©taient enfermĂ©es dans un contenant transparent sans qu'il ne semble pourtant y avoir un moyen d'ouvrir ledit contenant. Je passai de l'un Ă l'autre de ces placards, armoires, ou cabinets, et allai de surprise en surprise. Je savais Ă quoi ressemblaient des feuilles de thĂ©, et ici, dans l'un des cabinets il y avait des contenants Ă travers lesquels je pouvais voir des feuilles de thĂ©. Il y avait d'autres surprises car certains de ces rĂ©cipients transparents contenaient ce qui Ă©tait de toute Ă©vidence des morceaux de viande. Je n'avais jamais mangĂ© de viande de ma vie, et avais grande envie d'y goĂ»ter pour savoir ce qu'il en Ă©tait. Je me fatiguai rapidement de jouer dans la cuisine et allai rejoindre le Lama Mingyar Dondup. Il avait un livre Ă la main, les sourcils froncĂ©s, et se trouvait dans un Ă©tat d'intense concentration. â Oh, MaĂźtre, dis-je, j'ai dĂ©couvert l'endroit oĂč ils stockaient leur nourriture ; ils la gardent dans des boĂźtes transparentes, mais il n'y a aucun moyen de les ouvrir. Il me regarda un instant d'un air absent, puis Ă©clata de rire en disant â Eh oui, eh oui, le matĂ©riel d'emballage actuel est loin d'ĂȘtre comparable Ă celui d'il y a un million d'annĂ©es. J'ai goĂ»tĂ© de la viande de dinosaure et elle Ă©tait aussi fraĂźche que si l'animal venait d'ĂȘtre abattu. Je te rejoins dans un moment et nous allons examiner tes dĂ©couvertes. Je fis le tour de la salle de contrĂŽle, puis m'assis pour rĂ©flĂ©chir. Si ces hommes Ă©taient ĂągĂ©s d'un million d'annĂ©es, pourquoi n'Ă©taient-ils pas tombĂ©s en poussiĂšre ? Il Ă©tait manifestement ridicule de dire que ces hommes avaient un million d'annĂ©es alors qu'ils Ă©taient absolument intacts et semblaient bien vivants, attendant simplement d'ĂȘtre rĂ©veillĂ©s. Je vis que, suspendu aux Ă©paules de chacun, il y avait une sorte de petit sac Ă dos, aussi j'en retirai un de l'un des corps endormisâ et l'ouvris. Ă l'intĂ©rieur il y avait de curieux morceaux de fils mĂ©talliques enroulĂ©s en bobines, et aussi d'autres choses faites de verre. Le tout n'avait aucun sens pour moi. Il y avait Ă©galement un casier tout plein de boutons, et je pressai le premier que je vis. Je criai de peur le corps dont j'avais retirĂ© le sac Ă dos eut un brusque sursaut et tomba en fine, fine poussiĂšre, une poussiĂšre vieille d'un million d'annĂ©es ou plus. Le Lama Mingyar Dondup me rejoignit lĂ oĂč je me tenais, pĂ©trifiĂ© de peur. Il regarda le sac Ă dos, regarda le tas de poussiĂšre, puis dit â Il existe un bon nombre de ces cavernes ; j'en ai visitĂ© quelques-unes et nous avons appris Ă ne jamais appuyer sur un bouton avant de savoir Ă quoi il sert, avant de l'avoir dĂ©duit par hypothĂšse. Ces hommes savaient qu'ils allaient ĂȘtre enterrĂ©s vivants dans un Ă©norme tremblement de terre, alors le mĂ©decin du vaisseau a dĂ» aller vers chaque homme et lui mettre une trousse de survie sur les Ă©paules. Les hommes entrĂšrent alors dans un Ă©tat d'animation suspendue, de sorte qu'ils n'eurent pas la moindre conscience de ce qui se passait pour eux ou autour d'eux ; ils Ă©taient aussi proches que possible de la mort, sans rĂ©ellement ĂȘtre morts. Ils recevaient dĂšs lors une nourriture adĂ©quate pour maintenir le fonctionnement du corps Ă une Ă©chelle infime. Quand tu as touchĂ© ce bouton, qui est rouge Ă ce que je vois, tu as dĂ» interrompre l'approvisionnement de la force de vie de l'homme en animation suspendue. Sans approvisionnement de la force vitale, son Ăąge s'est subitement fait sentir, le rĂ©duisant immĂ©diatement en un tas de poussiĂšre. Nous allĂąmes voir les autres hommes et dĂ©cidĂąmes qu'il n'y avait rien que nous puissions faire pour eux parce que, aprĂšs tout, nous Ă©tions enfermĂ©s dans la montagne tout comme l'Ă©tait le vaisseau, et si ces gens se rĂ©veillaient, seraient-ils un danger pour le monde ? Seraient-ils un danger pour les lamaseries ? Ces hommes, bien sĂ»r, possĂ©daient des connaissances qui les feraient paraĂźtre comme des Dieux Ă nos yeux, et nous eĂ»mes peur d'ĂȘtre mis de nouveau en esclavage, car nous avions une forte mĂ©moire raciale d'avoir dĂ©jĂ Ă©tĂ© faits esclaves. Le Lama Mingyar Dondup et moi nous assĂźmes sur le sol, sans mot dire, chacun absorbĂ© dans ses propres pensĂ©es. Que se passerait-il si nous pressions ce bouton-ci, que se passerait-il si nous pressions ce bouton-lĂ , et quelle sorte d'approvisionnement en Ă©nergie pouvait garder des hommes en vie et bien nourris pendant plus d'un million d'annĂ©es ? Nous frĂ©mĂźmes malgrĂ© nous au mĂȘme moment puis, nous jetant mutuellement un regard, le Lama dit â Tu es un jeune, Lobsang, et moi je suis un vieil homme. J'ai Ă©tĂ© le tĂ©moin de beaucoup de choses et je me demande ce que tu ferais dans un cas comme celui-ci. Ces hommes sont en vie, cela est certain, mais qui peut nous dire que si nous leur redonnons vie ils ne se comporteront pas en barbares ? Peut-ĂȘtre mĂȘme nous tueraient-ils pour venger leur compagnon que nous avons laissĂ© mourir ? Il nous faut rĂ©flĂ©chir Ă cela trĂšs sĂ©rieusement, car nous ne pouvons lire les inscriptions. Il s'interrompit car je venais de me lever en proie Ă une grande excitation. â MaĂźtre, MaĂźtre, m'Ă©criai-je, j'ai vu tout Ă l'heure un livre qui peut peut-ĂȘtre nous aider ; on dirait un dictionnaire de diffĂ©rentes langues. Sans attendre sa rĂ©ponse, je me prĂ©cipitai dans une piĂšce prĂšs de la cuisine et retrouvai le fameux livre qui paraissait tout neuf. Je le pris Ă deux mains, car il Ă©tait lourd, et le rapportai en vitesse au Lama, mon Guide. Le Lama prit le livre et avec une suppression d'excitation mal dissimulĂ©e, il se mit Ă le consulter. Pendant un certain temps, il resta assis lĂ , totalement captivĂ© par sa lecture. Enfin, il s'aperçut que j'Ă©tais dans un Ă©tat d'extrĂȘme agitation, me demandant de quoi il s'agissait et pourquoi il ne m'en disait rien. â Lobsang, Lobsang, je suis dĂ©solĂ©, je te demande pardon dit le Lama, mais ce livre est la Clef de tout, et quelle histoire fascinante ! Je peux le lire car il est Ă©crit dans ce qui semble ĂȘtre notre langue honorifique. La moyenne des gens, bien sĂ»r, ne peut pas lire le TibĂ©tain honorifique, mais je le peux, et ce vaisseau est vieux d'environ deux millions d'annĂ©es. Il fonctionne grĂące Ă l'Ă©nergie obtenue de la lumiĂšre â de toute lumiĂšre, celle des Ă©toiles, celle du soleil, et il capte l'Ă©nergie des sources qui ont dĂ©jĂ utilisĂ© cette Ă©nergie et l'ont transmise. Se rĂ©fĂ©rant toujours au livre, il poursuivit â Ces hommes formaient une bande diabolique, ils Ă©taient les serviteurs des Jardiniers du Monde. Mais c'est toujours la mĂȘme vieille histoire avec les hommes et les femmes, les hommes voulant des femmes tout comme les femmes veulent des hommes ; mais ce navire avait pour Ă©quipage des hommes qui avaient dĂ©sertĂ© le grand vaisseau-mĂšre et ceci, en fait, est ce qu'ils nomment un navire de sauvetage. La nourriture peut ĂȘtre mangĂ©e sans danger et les hommes peuvent ĂȘtre rĂ©animĂ©s, mais peu importe combien de temps ils sont restĂ©s ici, ce sont toujours des renĂ©gats, parce qu'ils cherchaient Ă trouver des femmes beaucoup trop petites pour eux et leurs associations avec ces femmes Ă©taient de vĂ©ritables tortures pour ces derniĂšres. Ils se sont apparemment demandĂ© si leurs sacs Ă dos avec les dispositifs pour maintenir la vie allaient fonctionner ou s'ils allaient automatiquement ĂȘtre dĂ©branchĂ©s Ă partir du vaisseau qu'ils appellent le vaisseau-mĂšre. Je pense que nous devons observer un peu et lire davantage, parce qu'il me paraĂźt clair que si ces hommes Ă©taient autorisĂ©s Ă vivre, avec toutes leurs connaissances ils seraient en mesure de nous faire un mal contre lequel nous ne pourrions jamais lutter, parce que ces gens sont habituĂ©s Ă nous traiter comme du bĂ©tail, comme des choses sur lesquelles effectuer des expĂ©riences gĂ©nĂ©tiques. Ils ont dĂ©jĂ causĂ© du mal par leurs expĂ©riences sexuelles avec nos femmes, mais tu es encore trop jeune pour en savoir plus sur ce sujet. Je me promenai aux alentours. Le Lama Ă©tait Ă©tendu sur le sol pour soulager ses jambes qui lui causaient pas mal de problĂšmes. Je me promenai aux alentours et arrivai dans une piĂšce qui Ă©tait toute verte. Il y avait lĂ une table trĂšs particuliĂšre avec une Ă©norme lumiĂšre au-dessus, et il y avait partout ce qui ressemblait Ă des boĂźtes en verre. â Hmm, pensai-je en moi-mĂȘme, ce doit ĂȘtre ici qu'ils soignent leurs malades ; il vaut mieux aller en parler au Patron. Ainsi je le rejoignis et lui dis que j'avais trouvĂ© une piĂšce trĂšs particuliĂšre, une piĂšce toute verte avec des choses Ă©tranges enfermĂ©es dans ce qui ressemblait Ă du verre mais n'en Ă©tait pas. Lentement, il se mit debout et avec l'aide des deux bĂątons se dirigea vers la piĂšce que j'avais dĂ©couverte. DĂšs que j'y pĂ©nĂ©trai â je montrais le chemin â les lumiĂšres s'allumĂšrent, des lumiĂšres comme la lumiĂšre du jour, et le Lama Mingyar Dondup se tenait lĂ , dans l'embrasure de la porte, une expression d'immense satisfaction sur son visage. â Bravo, Lobsang, bravo ! dit-il. VoilĂ que tu as fait deux dĂ©couvertes. Je suis certain que ces informations seront bien reçues par Sa SaintetĂ© le DalaĂŻ-Lama. Il fit le tour de la piĂšce en examinant diffĂ©rentes choses, en en saisissant certaines, et en scrutant le contenu de â eh bien, je ne sais pas comment les appeler â certaines des choses qui se trouvaient dans les cubes de verre Ă©taient absolument au-delĂ de ma comprĂ©hension. Mais il finit par s'asseoir sur une chaise basse, captivĂ© par un livre qu'il avait pris sur une Ă©tagĂšre. â Comment se fait-il, demandai-je, que vous compreniez une langue que vous dites vieille d'au moins un million d'annĂ©es ? Faisant un effort, il mit le livre de cĂŽtĂ© pour un moment, rĂ©flĂ©chissant Ă ma question. Puis il rĂ©pondit â Eh bien, c'est une assez longue histoire, Lobsang. Cela nous mĂšne Ă travers les mĂ©andres de l'histoire, cela nous mĂšne Ă travers des chemins que mĂȘme certains Lamas ne peuvent suivre. Mais briĂšvement, c'est ceci Ce monde Ă©tait prĂȘt Ă ĂȘtre colonisĂ© et donc nos MaĂźtres â je dois les appeler MaĂźtres parce qu'ils Ă©taient les chefs des Jardiniers de la Terre et d'autres mondes â ordonnĂšrent qu'une certaine espĂšce soit dĂ©veloppĂ©e sur Terre, et cette certaine espĂšce, c'Ă©tait nous. Sur une planĂšte fort Ă©loignĂ©e, en dehors de cet Univers, des prĂ©paratifs furent mis en Ćuvre et l'on construisit un navire spĂ©cial capable de voyager Ă une vitesse absolument incroyable, et nous, embryons humains, y fĂ»mes embarquĂ©s. D'une façon ou d'une autre, les Jardiniers, comme on les appelait, les emmenĂšrent sur ce monde, et puis nous ne savons pas ce qui arriva entre le temps de l'arrivĂ©e des embryons et â les premiĂšres crĂ©atures qui pouvaient ĂȘtre appelĂ©es humaines. Mais pendant leur absence, de nombreux Ă©vĂ©nements eurent lieu dans leur patrie. Le vieux dirigeant, ou Dieuâ, Ă©tait ĂągĂ© et il y avait certaines personnes aux intentions mauvaises qui convoitaient son pouvoir ; elles s'arrangĂšrent pour se dĂ©barrasser de ce Dieu et en placĂšrent un autre â leur propre marionnette â pour rĂ©gner Ă sa place. Ses dĂ©cisions, bien sĂ»r, Ă©tant dictĂ©es par ces renĂ©gats. Le navire revint de la planĂšte Terre et ses occupants trouvĂšrent une situation trĂšs diffĂ©rente, s'aperçurent qu'ils n'Ă©taient pas les bienvenus et que le nouveau dirigeant voulait les tuer pour se dĂ©barrasser d'eux. Mais les Jardiniers qui venaient tout juste de rentrer de la Terre s'emparĂšrent de quelques femmes de leur propre taille et dĂ©collĂšrent Ă nouveau pour l'Univers terrestre il existe beaucoup, beaucoup d'univers diffĂ©rents, tu sais, Lobsang. ArrivĂ©s au monde oĂč ils avaient dĂ©veloppĂ© des humains, ils Ă©tablirent leur propre empire, ils construisirent divers artefacts comme des pyramides grĂące auxquelles ils pouvaient maintenir une surveillance-radio sur tout ce qui s'approchait de la Terre. Les humains leur servaient d'esclaves et les Jardiniers n'avaient qu'Ă savourer leur confort et Ă©mettre des ordres. Les hommes et les femmes â peut-ĂȘtre pourrions-nous les appeler super-hommes et super-femmes â se fatiguĂšrent de leurs propres partenaires et il y eut de nombreuses liaisons qui menĂšrent Ă des querelles et Ă toutes sortes de problĂšmes. C'est alors que, venant de l'espace et non dĂ©tectĂ© par les vigies des pyramides, un vaisseau spatial apparut. C'Ă©tait un immense vaisseau et il s'installa de maniĂšre Ă ce que les gens puissent en sortir et commencer Ă bĂątir des habitations. Les premiers occupants de la Terre furent contrariĂ©s par la prĂ©sence de ces autres hommes et femmes de l'espace et c'est ainsi que, d'une bataille de mots, ils en vinrent Ă un vĂ©ritable combat. La dispute continua longtemps et les inventions les plus diaboliques apparurent. Finalement, les gens du grand vaisseau spatial n'en pouvant supporter davantage, dĂ©pĂȘchĂšrent un nombre de vaisseaux apparemment dĂ©jĂ stockĂ©s en vue d'une telle Ă©ventualitĂ©, et larguĂšrent de terribles bombes partout oĂč vivaient les autres gens de l'espace. Ces bombes Ă©taient une forme trĂšs avancĂ©e de la bombe atomique et lorsqu'elles tombĂšrent, tout fut dĂ©cimĂ© Ă des milles km Ă la ronde. Une Ă©blouissante lumiĂšre pourpre s'Ă©leva alors de la terre et les hommes et les femmes de l'espace qui l'avaient provoquĂ©e regagnĂšrent le vaisseau spatial gĂ©ant et quittĂšrent les lieux. Pendant une centaine d'annĂ©es ou plus, il n'y eut pratiquement aucune forme de vie sur Terre dans les rĂ©gions bombardĂ©es, mais lorsque les effets des radiations commencĂšrent Ă se dissiper, des gens se mirent Ă sortir craintivement, se demandant ce qu'ils allaient dĂ©couvrir. Ils mirent bientĂŽt sur pied une sorte d'agriculture, utilisant des charrues en bois et autres instruments du genre. â Mais MaĂźtre, vous dites que le monde est vieux de plus de cinquante millions d'annĂ©es ; eh bien, il y a tellement de choses que je ne comprends pas du tout. Ces hommes-ci, par exemple, nous ne savons pas quel Ăąge ils ont, nous ne savons pas depuis combien de jours, de semaines, ou de siĂšcles, ils sont ici ; et comment est-il possible que la nourriture se soit conservĂ©e fraĂźche toutes ces annĂ©es ? Pourquoi ces hommes ne sont-ils pas tombĂ©s en poussiĂšre ? Le Lama se mit Ă rire. â Nous sommes un peuple d'ignorants, Lobsang. Il y a eu sur cette Terre des gens autrement plus intelligents ; il y a eu de nombreuses civilisations, tu sais. Si tu prends ce livre, par exemple il me montrait un livre qui se trouvait sur une Ă©tagĂšre, tu y trouveras toutes sortes d'explications sur des pratiques mĂ©dicales et techniques chirurgicales totalement inconnues au Tibet. Et pourtant nous sommes parmi les premiers habitants de cette Terre. â Alors pourquoi notre pays se trouve-t-il Ă si haute altitude ? repris-je. Pourquoi notre existence est-elle si pĂ©nible ? Certains de ces livres illustrĂ©s que vous avez rapportĂ©s de Katmandou montrent toutes sortes de choses, mais nous ignorons tout de ces choses, nous n'avons rien sur roues au Tibet. â Non. Il y a une vieille, trĂšs vieille prĂ©diction, rĂ©pondit le Lama, qui dit que lorsque le Tibet permettra que les roues soient introduites dans le pays, il sera alors conquis par une race trĂšs hostile. Cela s'est vĂ©rifiĂ© et je vais te prouver, jeune homme, que les anciens pouvaient rĂ©ellement prĂ©dire l'avenir car il y a ici des instruments permettant de voir non seulement dans le passĂ©, mais aussi dans le prĂ©sent et le futur. â Mais comment les choses peuvent-elles durer si longtemps ? Si on laisse les choses sans s'en occuper, eh bien, elles se dĂ©tĂ©riorent, elles tombent en morceaux, elles deviennent inutiles tout comme la Roue de PriĂšre que vous me montriez dans cette vieille lamaserie une belle piĂšce d'art corrodĂ©e et impossible Ă dĂ©placer. Comment ces gens pouvaient empĂȘcher les choses de se dĂ©tĂ©riorer, comment pouvaient-ils fournir l'Ă©nergie nĂ©cessaire pour garder les choses en Ă©tat de marche ? Regardez la façon dont les lumiĂšres s'allument dĂšs que nous entrons dans une piĂšce ; nous n'avons rien de pareil. Nous utilisons des lampes Ă beurre nausĂ©abondes ou des lanternes ; pourtant ici nous avons une lumiĂšre comparable Ă celle du jour, et qui ne provient de nulle part. Rappelez-vous que vous m'avez montrĂ© dans un livre des images de machines qui fonctionnaient dans un champ magnĂ©tique et produisaient ce que vous avez appelĂ© Ă©lectricitĂ©â. Nous n'avons pas cela. Pourquoi sommes-nous si arriĂ©rĂ©s ? J'Ă©tais dĂ©concertĂ©. Le Lama garda le silence un certain temps puis me dit â Oui, il te faudra connaĂźtre toutes ces choses ; tu vas devenir le Lama le plus instruit qui se soit jamais vu au Tibet ; tu vas connaĂźtre le passĂ©, le prĂ©sent, et le futur. Dans cette chaĂźne-ci de montagnes il existe un certain nombre de ces cavernes qui, Ă une Ă©poque, Ă©taient toutes reliĂ©es entre elles par des tunnels. Il Ă©tait possible de passer d'une caverne Ă l'autre et d'avoir de la lumiĂšre et de l'air frais en tout temps, quel que soit l'endroit oĂč l'on se trouvait. Mais ce pays, le Tibet, Ă©tait jadis au bord de la mer et les gens vivaient dans les plaines ; celles-ci n'Ă©taient que trĂšs lĂ©gĂšrement vallonnĂ©es. Ces gens de cette Ăpoque rĂ©volue disposaient de sources d'Ă©nergie qui nous sont tout Ă fait inconnues. Mais il se produisit une terrifiante catastrophe, parce qu'au-delĂ de notre terre les savants d'un pays appelĂ© Atlantide dĂ©clenchĂšrent une formidable explosion qui ruina ce monde. â Ruina ce monde ? dis-je. Mais notre pays se porte bien ; comment est-il ruinĂ© ? Comment le monde est-il ruinĂ© ? Le Lama se leva et alla chercher un livre. Il y avait une si grande quantitĂ© de livres ici, et il en choisit un pour me montrer certaines images. â Regarde, dit-il, ce monde Ă©tait jadis couvert de nuages. Le soleil ne se voyait jamais, et l'on ne soupçonnait pas l'existence des Ă©toiles. Ă cette Ă©poque, les gens vivaient des centaines d'annĂ©es ; ils ne mouraient pas aussitĂŽt qu'ils avaient appris quoi que ce soit comme c'est le cas aujourd'hui. Les gens meurent maintenant Ă cause des radiations nĂ©fastes du soleil et parce que notre couverture protectrice de nuages a disparu ; par consĂ©quent, de dangereux rayons sont apparus qui ont saturĂ© le monde, provoquant toutes sortes de maladies, toutes sortes d'aberrations mentales. Le monde fut pris dans une tourmente, le monde se tordit sous l'impact de cette fantastique explosion. L'Atlantide qui se trouvait loin d'ici, de l'autre cĂŽtĂ© du monde, sombra dans l'ocĂ©an, et nous au Tibet â eh bien, notre terre fut projetĂ©e entre vingt-cinq et trente mille pieds 7 600 m / 9 000 m au-dessus du niveau de la mer. Les gens devinrent en moins bonne santĂ© et pendant longtemps, moururent, parce qu'il n'y avait pas assez d'oxygĂšne pour eux Ă cette hauteur, et parce que nous Ă©tions plus prĂšs des cieux, lĂ oĂč les radiations Ă©taient plus fortes. Il s'arrĂȘta un moment et frotta ses jambes qui le faisaient beaucoup souffrir. â Une partie de notre pays resta toutefois au niveau de la mer, reprit-il, et les gens lĂ -bas devinrent de plus en plus diffĂ©rents de nous, ils devinrent presque stupides dans leur mentalitĂ©, ils n'Ă©levĂšrent pas de temples, ils ne vĂ©nĂ©rĂšrent pas les Dieux, et mĂȘme maintenant ils se servent d'embarcations en peaux de bĂȘtes pour attraper des phoques, des poissons, et autres formes de vie. Ils tuent aussi beaucoup de ces immenses crĂ©atures dont la tĂȘte s'orne de cornes Ă©normes et ils en mangent la chair. Quand d'autres races arrivĂšrent, elles donnĂšrent Ă ces gens de l'extrĂȘme-nord le nom d'Esquimaux. Notre partie du Tibet conserva les meilleures gens les prĂȘtres, les sages et les docteurs de grandes renommĂ©es, tandis que celle qui se sĂ©para pour sombrer dans la mer, ou du moins rester Ă son niveau, hĂ©bergea ceux de moindres mentalitĂ©s les travailleurs ordinaires, les gens ordinaires, les bĂ»cherons et les porteurs d'eau. Ils demeurĂšrent presque dans le mĂȘme Ă©tat pendant plus d'un million d'annĂ©es. Ils en sortirent progressivement et se mirent Ă gagner leur vie sur la surface de la Terre. Ils installĂšrent de petites fermes et en une centaine d'annĂ©es environ, les choses prirent une tournure normale. â Mais avant de t'en dire davantage, poursuivit le Lama, je voudrais que tu regardes mes jambes ; elles me font trĂšs mal et j'ai trouvĂ© un ouvrage mĂ©dical ici qui parle de blessures qui ressemblent Ă la mienne. J'arrive Ă en lire assez pour savoir que je souffre d'une infection. Je le regardai, trĂšs Ă©tonnĂ©, me demandant ce que moi, un chela ordinaire, je pouvais faire pour un si grand homme ? Mais je retirai nĂ©anmoins les chiffons enveloppant ses jambes et reculai devant ce que je vis. Les jambes Ă©taient couvertes de pus et la chair paraissait vraiment trĂšs, trĂšs infectĂ©e. En plus, sous les genoux, les jambes Ă©taient trĂšs enflĂ©es. â Maintenant, il te faut suivre exactement mes instructions. Tout d'abord il nous faut quelque chose pour dĂ©sinfecter ces jambes. Heureusement, tout ici est en bon Ă©tat, et sur cette Ă©tagĂšre â m'indiquant l'endroit du doigt â tu vas trouver un flacon avec une inscription sur le verre. Je pense que c'est le troisiĂšme Ă partir de la gauche sur la deuxiĂšme Ă©tagĂšre du bas. Apporte-le et je te dirai si c'est le bon. ObĂ©issant, je me dirigeai vers les Ă©tagĂšres et je fis coulisser une porte qui me sembla ĂȘtre en verre. Maintenant, je ne connaissais pas grand-chose au verre car il y en avait trĂšs, trĂšs peu au Tibet. Nos fenĂȘtres pouvaient ĂȘtre tendues de papier imbibĂ© d'huile pour les rendre translucides et laisser pĂ©nĂ©trer un peu de lumiĂšre dans les piĂšces, mais la plupart des gens n'avaient pas de fenĂȘtres Ă leur demeure parce qu'ils ne pouvaient s'offrir le coĂ»t du transport du verre Ă travers les montagnes, du verre qui devait ĂȘtre achetĂ© en Inde. Je fis donc coulisser la vitrine et examinai les bouteilles. J'en trouvai une qui me sembla ĂȘtre celle que voulait le Lama et la lui apportai. Il la regarda et lut le mode d'emploi. AprĂšs quoi il me dit â Apporte-moi ce grand rĂ©cipient retournĂ© que tu vois lĂ sur le cĂŽtĂ©. D'abord, lave-le bien. N'oublie pas que nous avons une quantitĂ© d'eau illimitĂ©e et donc, lave-le bien, puis mets-y environ trois bols d'eau. Je lavai donc minutieusement le rĂ©cipient qui Ă©tait dĂ©jĂ impeccable, puis y versai ce que je supposai Ă©quivaloir Ă trois bols d'eau, et lui apportai le tout. Ă ma profonde stupĂ©faction, il fit quelque chose Ă la bouteille et l'extrĂ©mitĂ© s'en dĂ©tacha ! â Oh ! vous l'avez cassĂ©e, m'Ă©criai-je. Est-ce que j'essaie d'en trouver une qui soit vide ? â Lobsang, Lobsang, dit le Lama, tu me fais vraiment rire. S'il y a quelque chose dans cette bouteille, c'est qu'il doit y avoir un moyen de l'y mettre puis de l'en retirer. Ceci est tout simplement un bouchon. Je vais l'utiliser Ă l'envers et il va me servir Ă mesurer. Peux-tu voir ? Je regardai le bouchon qu'il tenait Ă l'envers et oui, je pouvais voir qu'il s'agissait d'une sorte d'instrument Ă mesurer parce qu'il y avait des marques de haut en bas. â Il va nous falloir maintenant du tissu, reprit mon guide ; ouvre ce placard, je vais te dire quel paquet prendre. La porte n'Ă©tait pas en verre, elle n'Ă©tait pas en bois, plutĂŽt quelque chose entre les deux, mais je l'ouvris et vis une quantitĂ© de paquets en une rangĂ©e ordonnĂ©e. â Apporte-moi le bleu, dit le Lama, et Ă droite il y a en a un blanc ; apporte-le-moi Ă©galement. Et puis va au robinet te laver les mains, ajouta-t-il aprĂšs m'avoir examinĂ©. PrĂšs du robinet tu verras un bloc de matiĂšre blanche. Mouille-toi les mains, mouille ensuite ce bloc et frotte tes mains avec, en prenant bien soin de nettoyer tes ongles. Je fis tout cela et trouvai trĂšs intĂ©ressant de voir ma peau s'Ă©claircir Ă mesure que je frottais. C'Ă©tait comme voir un Noir pour la premiĂšre fois et dĂ©couvrir les paumes roses de ses mains. Maintenant mes mains Ă©taient presque roses et j'allais les essuyer sur ma robe lorsque le Lama s'exclama â ArrĂȘte ! Il pointa quelque chose qu'il avait sorti du paquet blanc. â Essuie-toi avec ça et ne touche surtout pas Ă ta vieille robe sale aprĂšs l'avoir fait. Il faut que tes mains soient impeccables pour faire ce travail. C'Ă©tait vraiment intĂ©ressant parce qu'il avait Ă©tendu par terre une sorte de tissu et avait posĂ© dessus divers objets une cuvette, quelque chose qui ressemblait Ă une petite pelle et un autre objet qui ne me disait rien du tout car je n'avais encore jamais vu pareille chose, mais c'Ă©tait un tube de verre, semblait-il, avec des marques ; Ă une extrĂ©mitĂ© il semblait y avoir une aiguille en acier, tandis qu'Ă l'autre bout il y avait un bouton. Dans le tube, qui Ă©tait Ă©videmment creux, il y avait un liquide de couleur qui faisait des bulles et scintillait. â Maintenant, Ă©coute-moi attentivement, dit le Lama. Il te faut nettoyer la chair jusqu'Ă l'os. Nous avons ici le fruit d'une science vraiment merveilleuse, trĂšs avancĂ©e, et nous allons en faire pleinement usage. Prends cette seringue, sors-en l'extrĂ©mitĂ© du tube â attends je vais le faire pour toi â maintenant tu enfonces l'aiguille dans ma jambe, lĂ oĂč je mets mon doigt. Cela va insensibiliser ma jambe, parce que sinon je m'Ă©vanouirai probablement d'une douleur intolĂ©rable. Allez, vas-y ! Je pris l'objet qu'il avait appelĂ© une seringue, levai un regard vers lui, et frĂ©mis. â Non, non, je ne peux pas ; j'ai trop peur de vous faire du mal. â Lobsang, tu vas bientĂŽt ĂȘtre un lama-mĂ©decin et parfois tu seras obligĂ© de faire mal aux gens pour les guĂ©rir. Allez, fais ce que je te dis et enfonce l'aiguille complĂštement. Je te dirai si ça fait trop mal. Je repris donc l'instrument et crus que j'allais dĂ©faillir, mais â eh bien â un ordre est un ordre. Je tins la seringue le plus bas possible en l'approchant de la peau et je fermai les yeux tandis que je plantai l'aiguille d'un coup sec. Il n'y eut aucun son de la part du Lama, aussi j'ouvris les yeux et le trouvai en train de me sourire ! â Lobsang, tu as fait du beau travail, je n'ai rien ressenti. Tu seras un excellent lama-mĂ©decin. Je le regardai suspicieusement croyant qu'il se moquait de moi, mais Ă son expression je vis qu'il Ă©tait parfaitement sincĂšre. â Maintenant, poursuivit-il, nous lui avons donnĂ© suffisamment de temps et cette jambe est insensibilisĂ©e ; je ne ressentirai donc pas de douleur. Je veux que tu prennes ces choses â qu'on appelle des pinces, soit dit en passant â et je veux que tu verses un peu de ce liquide dans un bol et nettoies soigneusement ma jambe en partant du haut, vers le bas â non pas en remontant, mais seulement en descendant. Tu peux appuyer fermement et tu vas t'apercevoir que le pus va sortir en amas. Eh bien, lorsqu'il y en aura trop par terre il faudra que tu m'aides Ă me dĂ©placer vers un endroit plus propre. Je pris la chose qu'il avait appelĂ©e une pince et constatai que je pouvais saisir un gros morceau de coton. Je le trempai soigneusement dans le bol et essuyai ses jambes. C'Ă©tait incroyable, absolument incroyable de voir comment le pus et le sang sĂ©chĂ© sortaient des blessures. Je rĂ©ussis Ă bien nettoyer une premiĂšre jambe, l'os Ă©tait propre et la chair Ă©tait propre. â Voici une poudre, dit alors le Lama. Je veux que tu la fasses pĂ©nĂ©trer Ă l'intĂ©rieur des plaies pour qu'elle aille jusqu'Ă l'os. Elle va dĂ©sinfecter et empĂȘcher que ne se reforme du pus. Quand tu auras fait cela, tu devras me panser la jambe avec un bandage de ce paquet bleu. Je continuai donc Ă nettoyer, nettoyer, nettoyer, saupoudrer en faisant pĂ©nĂ©trer cette poudre blanche, puis j'enveloppai la jambe dans une espĂšce de gaine en plastique aprĂšs l'avoir bandĂ©e en prenant garde de ne pas trop serrer. Quand j'eus terminĂ© j'Ă©tais en sueur, mais le Lama semblait aller beaucoup mieux. AprĂšs avoir fait une jambe, je fis l'autre, et le Lama dit alors â Tu ferais bien de me donner un stimulant, Lobsang. Sur cette Ă©tagĂšre tu vas voir une boĂźte d'ampoules. Donne-m'en une. Tu vois ce bout pointu ? Casse-le d'un mouvement brusque et pique-le contre ma peau, n'importe oĂč. C'est ce que je fis, puis aprĂšs avoir nettoyĂ© tout le pus et les saletĂ©s, je m'effondrai, endormi. Chapitre Trois â BontĂ© divine ! Le soleil est tellement chaud ; je ferais mieux de me mettre Ă l'ombre, me dis-je. Puis je m'assis, ouvris les yeux, et regardai autour de moi, complĂštement stupĂ©fait. OĂč Ă©tais-je ? Qu'est-ce qui s'Ă©tait passĂ© ? C'est en apercevant le Lama Mingyar Dondup que tout me revint, moi qui avais cru que cela n'avait peut-ĂȘtre Ă©tĂ© qu'un rĂȘve. Il n'y avait pas de soleil, l'endroit Ă©tait Ă©clairĂ© par quelque chose qui ressemblait Ă la lumiĂšre du soleil passant Ă travers des murs de verre. â Tu as l'air tout Ă fait Ă©tonnĂ©, Lobsang, me dit le Lama. J'espĂšre que tu as bien dormi. â Oui, MaĂźtre, rĂ©pondis-je, mais je suis de plus en plus perplexe ; plus les choses me sont expliquĂ©es et plus je suis dĂ©concertĂ©. Par exemple, cette lumiĂšre qui vient de quelque part n'a pu ĂȘtre emmagasinĂ©e pendant un million d'annĂ©es et briller ensuite aussi vivement que le soleil lui-mĂȘme. â Il y a beaucoup de choses que tu devras apprendre, Lobsang ; tu es un peu jeune encore, mais puisque nous sommes dans ces lieux, je vais t'en dire un peu. Les Jardiniers de la Terre voulaient des endroits secrets afin de pouvoir venir sur Terre Ă l'insu des Terriens, et c'est ainsi que lorsque ceci n'Ă©tait qu'un rocher de faible hauteur en saillie au-dessus du sol, ils percĂšrent la roche vivante au moyen de ce qu'on appellera plus tard des torches atomiques. Elles faisaient fondre la roche, et une grande partie de la surface grise vue Ă l'extĂ©rieur est de la vapeur provenant de la roche fondue. Puis, quand la caverne fut percĂ©e aux dimensions voulues, on la laissa se refroidir et elle se refroidit en laissant une surface aussi lisse que du verre. â AprĂšs avoir fait cette immense caverne dans laquelle pourrait tenir le Potala tout entier, ils firent certaines recherches et creusĂšrent ensuite des tunnels le long de cette chaĂźne montagneuse qui, Ă cette Ă©poque, Ă©tait presque entiĂšrement recouverte de terre. Il Ă©tait possible de parcourir environ deux cent cinquante milles 400 km Ă travers ces tunnels, d'une caverne Ă l'autre. â Puis il y eut cette puissante explosion qui secoua la Terre sur son axe, et certains endroits furent submergĂ©s tandis que d'autres furent soulevĂ©s. Nous avons eu la chance que cette basse colline devienne une chaĂźne de montagnes. J'en ai vu des images et je vais te les montrer. Mais, bien sĂ»r, en raison des mouvements de la Terre l'alignement de certains tunnels se trouva grandement perturbĂ© et il devint impossible de parcourir toute la longueur comme auparavant. Il n'est dĂ©sormais possible de visiter que deux ou trois cavernes avant d'Ă©merger Ă l'extĂ©rieur de la chaĂźne de montagnes, puis marcher un peu pour nous rendre lĂ oĂč nous savons que le tunnel continue. Le temps n'a pas la moindre importance pour nous, comme tu le sais, et je suis donc l'un de ceux qui ont visitĂ© environ une centaine de ces endroits et j'ai vu de trĂšs nombreuses choses Ă©tranges. â Mais, MaĂźtre, interrompis-je, comment ces choses peuvent-elles continuer Ă fonctionner aprĂšs environ un million d'annĂ©es ? Peu importe la chose, mĂȘme une Roue de PriĂšres, elle se dĂ©tĂ©riore avec le temps et l'usage et pourtant, ici, nous nous trouvons dans une lumiĂšre probablement plus claire que celle de l'extĂ©rieur. Je n'y comprends rien du tout. Le Lama soupira et dit â Mangeons d'abord quelque chose, Lobsang ; nous allons devoir passer plusieurs jours ici et un changement d'alimentation serait le bienvenu. Va dans cette petite piĂšce il pointa l'endroit, rapporte quelques-unes de ces boĂźtes sur lesquelles il y a des images, et nous aurons alors une idĂ©e de la façon dont les gens vivaient il y a trĂšs, trĂšs longtemps. Je me levai et sentis ce que je devais faire en tout premier lieu. â Honorable Lama, dis-je, puis-je vous aider Ă satisfaire vos besoins naturels ? â Merci beaucoup, Lobsang, rĂ©pondit-il dans un sourire, c'est dĂ©jĂ fait. Il y a un petit endroit dans le coin lĂ -bas, et dans le plancher tu y trouveras un trou trĂšs commode. Installe-toi au-dessus de ce trou et laisse la Nature suivre son cours ! J'allai dans la direction qu'il m'avait indiquĂ©e, trouvai le trou en question et l'utilisai. Les murs de la piĂšce Ă©taient lisses comme du verre, mais le sol avait une surface matte, si bien que l'on ne pouvait craindre de glisser. Une fois ces besoins satisfaits, je pensai de nouveau Ă la nourriture et me rendis donc dans la piĂšce situĂ©e Ă l'autre bout. Je commençai par me laver soigneusement les mains, parce que c'Ă©tait un tel luxe de tourner une barre de mĂ©tal et de voir jaillir de l'eau. AprĂšs m'ĂȘtre lavĂ© les mains Ă fond je fermai le robinet et sentis alors un courant d'air chaud venant d'un trou dans le mur. C'Ă©tait un trou de forme rectangulaire et il me vint Ă l'idĂ©e que mes mains sĂ©cheraient rapidement si je les mettais dans ce trou rectangulaire ; c'est ce que je fis et pensai que c'Ă©tait lĂ le meilleur nettoyage que j'aie jamais eu. AprĂšs cette eau si agrĂ©able, pendant que je gardais mes mains dans le trou, la chaleur fut subitement coupĂ©e. Je supposai que ceux qui avaient conçu ce systĂšme avaient dĂ» calculer le temps moyen qu'il fallait pour se sĂ©cher les mains. J'allai ensuite au placard, en ouvris les portes, et regardai avec ahurissement la sĂ©rie de contenants. Il y en avait de toutes les sortes avec des images, et ces images Ă©taient si Ă©tranges qu'elles n'avaient aucun sens pour moi. Par exemple, une chose rouge avec de grosses pinces qui ressemblait Ă un monstre fĂ©roce et quelque chose, pensai-je, comme un perce-oreille Insecte inoffensif dont l'abdomen porte une sorte de pince â NdT. Puis il y avait d'autres images qui montraient ce qui avait l'air d'araignĂ©es vĂȘtues d'une armure rouge. Eh bien, je passai outre Ă ces choses et en choisis plutĂŽt certaines qui contenaient de toute Ă©vidence des fruits de quelque sorte. Il y en avait des rouges, des verts et d'autres qui Ă©taient jaunes, et ils semblaient tous appĂ©tissants. J'en pris donc autant que je pouvais en transporter, puis je vis un chariot dans un coin. J'y dĂ©posai tous ces contenants et tirai le tout pour rejoindre le Lama Mingyar Dondup. Il rit de bon cĆur en voyant comment je m'Ă©tais organisĂ©, et demanda â Et comment as-tu aimĂ© cette façon de te laver les mains ? As-tu aimĂ© la mĂ©thode de sĂ©chage ? Imagine, tout cela est ici depuis quelques millions d'annĂ©es et continue de fonctionner, parce que l'atome qui alimente tout cet Ă©quipement est virtuellement indestructible, et lorsque nous partirons tout va en venir Ă un soupir, toute l'Ă©nergie sera stockĂ©e Ă nouveau et attendra la venue d'Ă©ventuels visiteurs. Les lumiĂšres alors se rallumeront â les lumiĂšres, en fait, sont quelque chose qui dĂ©passe ton entendement parce que derriĂšre la surface de verre se trouve une substance chimique qui rĂ©pond Ă une certaine impulsion en produisant de la lumiĂšre froide. Mais voyons ce que tu as apportĂ©. Je lui passai les choses, une par une, et il choisit quatre contenants en disant â Je pense que cela nous suffira pour l'instant, mais nous aurons besoin de quelque chose Ă boire. Dans l'armoire au-dessus du robinet tu trouveras des rĂ©cipients ; remplis-en deux avec de l'eau, et dans le bas de l'armoire tu trouveras un autre rĂ©cipient contenant des pastilles. Rapporte une de ces pastilles et nous aurons de l'eau d'une saveur diffĂ©rente. Je retournai dans la â eh bien â cuisine, et trouvai les contenants tels que dĂ©crits, les remplis d'eau, et les rapportai au Lama. J'y retournai et choisis un tube contenant de drĂŽles de petits comprimĂ©s qui Ă©taient de couleur orange. Je revins auprĂšs du Lama qui fit quelque chose Ă l'extrĂ©mitĂ© du tube d'oĂč sortit une pastille qui tomba directement dans le verre d'eau. Il rĂ©pĂ©ta la performance et une autre pastille se retrouva dans l'autre verre d'eau. Il porta alors l'un des contenants Ă ses lĂšvres et but avec dĂ©lice. Je suivis douteusement son exemple, et fus surpris et ravi de l'agrĂ©able saveur. â Mangeons quelque chose avant de boire un peu plus, dit le Lama. Il prit l'un des contenants ronds et tira sur un petit anneau. Il y eut un sifflement d'air. DĂšs que le sifflement s'arrĂȘta, il tira plus fort sur l'anneau et tout le dessus du contenant se dĂ©tacha. Ă l'intĂ©rieur il y avait des fruits. Il les renifla soigneusement, puis en prit un et le mit dans sa bouche. â Eh oui, ils se sont parfaitement bien conservĂ©s, ils sont absolument frais. Je vais t'en ouvrir une boĂźte ; choisis celle que tu prĂ©fĂšres et donne-la-moi. Je regardai le tout ; il y avait des fruits noirs avec des petits boutons partout, et c'est ceux-lĂ que je choisis. Il tira sur un anneau et de nouveau le sifflement d'air se fit entendre. Il tira plus fort et le dessus au complet se dĂ©tacha. Mais lĂ , il y avait un problĂšme ces choses Ă l'intĂ©rieur Ă©taient petites et elles Ă©taient dans un liquide. Le Lama dit alors â Il va nous falloir ĂȘtre plus civilisĂ©s. Retourne dans la cuisine et dans l'un des tiroirs tu vas trouver des objets de mĂ©tal avec un fond bombĂ© Ă une extrĂ©mitĂ© et qui ont un manche. Apportes-en deux, un pour toi et un pour moi. Ă propos, ils sont en mĂ©tal et de couleur argentĂ©e. Je repartis et revins bientĂŽt avec ces Ă©tranges morceaux de mĂ©tal. â MaĂźtre, il y avait lĂ d'autres objets Ă©tranges, certains avec des pointes au bout et d'autres avec une lame, dis-je. â Ce sont des fourchettes et des couteaux, Lobsang. Nous nous en servirons plus tard. Ce que tu as apportĂ© c'est une cuillĂšre. En en plongeant l'extrĂ©mitĂ© dans la boĂźte tu vas pouvoir recueillir les fruits en mĂȘme temps que le jus et ce sans te salir. Il me montra comment faire en puisant dans son propre contenant, et je suivis son exemple en mettant la chose de mĂ©tal dans la boĂźte pour puiser une petite quantitĂ© de la substance. Je voulais tout d'abord goĂ»ter un peu car je n'avais jamais rien vu de tel auparavant. â Ah ! Cela glissa dans ma gorge et me donna un sentiment de grande satisfaction. Je n'avais pas rĂ©alisĂ© Ă quel point j'avais faim. Je vidai mon contenant rapidement. Le Lama Mingyar Dondup fut encore plus rapide que moi. â Nous ferions mieux d'y aller doucement, Lobsang, car nous n'avons pas pris de nourriture depuis un bon moment. Puis il ajouta â Je ne me sens pas capable d'aller et venir, Lobsang, aussi je te suggĂšre de faire le tour des diffĂ©rents compartiments parce que nous voulons en savoir le plus possible. DĂ©terminĂ©, je sortis de la grande piĂšce et constatai qu'il y avait quantitĂ© d'autres salles. Je pĂ©nĂ©trai dans l'une d'elles, les lumiĂšres s'allumĂšrent et l'endroit sembla plein de machines qui Ă©tincelaient comme si elles avaient Ă©tĂ© installĂ©es le jour mĂȘme. Je m'avançai, presque effrayĂ© de toucher Ă quoi que ce soit, mais je tombai alors tout Ă fait par hasard sur une machine montrant une image. On y voyait des boutons que l'on pressait et c'Ă©tait une image en mouvement qui montrait une sorte de chaise et un homme d'Ă©trange apparence qui en aidait un autre Ă l'apparence plus Ă©trange encore, Ă s'y asseoir. Et alors, l'homme qui aidait se saisit de deux poignĂ©es et je le vis tourner celle de droite la chaise se souleva de plusieurs pouces cm. Ensuite l'image changea et je vis la chaise se promener d'un appareil Ă l'autre... et c'est alors que je m'aperçus qu'elle Ă©tait prĂ©cisĂ©ment derriĂšre moi. Je me retournai si vite que je butai dessus et tombai face la premiĂšre. Mon nez me donna l'impression d'avoir Ă©tĂ© arrachĂ© et il Ă©tait tout mouillĂ© ; je compris que je m'Ă©tais blessĂ© et qu'il saignait. Je poussai la chaise devant moi et me prĂ©cipitai vers le Lama. â Oh, MaĂźtre, j'ai trĂ©buchĂ© sur cette innommable chaise et j'ai maintenant besoin de quelque chose pour essuyer ma figure en sang. Je me dirigeai vers une boĂźte et dĂ©ballai l'un des rouleaux bleus. Il y avait ce drĂŽle de truc blanc Ă l'intĂ©rieur, comme un tas de coton enveloppĂ© ensemble. AprĂšs l'avoir appliquĂ© sur mes narines pendant plusieurs minutes, le saignement s'arrĂȘta, et je jetai cet amas de coton ensanglantĂ© dans un rĂ©cipient vide qui se trouvait lĂ ; quelque chose me poussa Ă regarder dedans. Je fus stupĂ©fait de constater que le matĂ©riel avait simplement disparu, non pas cachĂ© dans l'obscuritĂ© ou autre chose comme cela, mais tout simplement disparu. J'allai donc Ă l'endroit oĂč j'avais jetĂ© tout le pus et le reste des dĂ©chets, et en utilisant un morceau de mĂ©tal plat avec un manche en bois, je ramassai autant que je pus en une seule fois et versai le tout dans le conteneur Ă ordures, oĂč tout disparut. Je me rendis ensuite au coin que nous avions utilisĂ© pour rĂ©pondre aux besoins de la Nature, ramassai tout ce qu'il y avait lĂ pour le jeter dans le conteneur. Le tout disparut immĂ©diatement et le conteneur demeura brillant et comme neuf. â Lobsang, je pense que le conteneur devrait s'ajuster dans ce trou que nous avons utilisĂ© ; pourrais-tu vĂ©rifier si c'est le cas ? J'y traĂźnai la chose et â oui â elle s'ajustait parfaitement dans ce trou, et c'est ainsi que je la laissai lĂ , prĂȘte pour un usage immĂ©diat ! â MaĂźtre, MaĂźtre, dis-je avec grand enthousiasme, si vous vous asseyez dans cette chaise, je peux vous emmener et vous montrer des choses merveilleuses. Le Lama se leva avec prĂ©caution et je glissai la chaise sous lui. Je tournai alors la poignĂ©e comme je l'avais vu faire sur l'image en mouvement, et la chaise s'Ă©leva d'environ un pied 30 cm dans les airs, exactement Ă la bonne hauteur pour me permettre de tenir les poignĂ©es et diriger la chose. C'est ainsi qu'avec le Lama Mingyar Dondup dans ce que j'appelai un fauteuil roulant mais qui dĂ©pendait de toute Ă©vidence de la lĂ©vitation et non de roues, nous reprĂźmes le chemin de cette salle des machines. â Je pense que c'Ă©tait leur salle de divertissement, Lobsang, dĂ©clara le Lama. Toutes ces choses sont pour jouer Ă des jeux. Jetons un coup d'Ćil Ă cette boĂźte prĂšs de l'entrĂ©e. Je fis donc demi-tour et ramenai la chaise Ă l'entrĂ©e, puis je la poussai tout contre la machine qui m'avait montrĂ© comment ladite chaise fonctionnait. De nouveau je pressai un bouton et vis une image en mouvement. Chose incroyable, elle montrait le Lama Mingyar Dondup s'asseyant dans la chaise et moi le poussant dans cette piĂšce. Puis, aprĂšs nous ĂȘtre dĂ©placĂ©s quelque peu, le Lama dit quelque chose qui nous fit faire demi-tour et revenir Ă cette machine. Nous vĂźmes tout ce qui venait tout juste de se produire. L'image changea alors, montrant diverses machines et donnant des instructions en images de ce qu'elles Ă©taient. Au centre de la piĂšce se trouvait une machine qui, si on appuyait sur un bouton, dĂ©versait sur un plateau quantitĂ© de petits objets multicolores, et c'est lĂ que nous nous dirigeĂąmes. Le Lama appuya sur le bouton indiquĂ©, et avec un cliquetis mĂ©tallique des choses rondes dĂ©gringolĂšrent d'une chute pour tomber dans un petit plateau au-dessous. AprĂšs les avoir examinĂ©es et essayĂ© de les casser, j'avisai sur le cĂŽtĂ© de la machine un plat que surmontait une lame incurvĂ©e. Je mis quelques-unes de ces choses rondes dans le rĂ©cipient et abaissai une poignĂ©e â craintif et tremblant â pour voir ce qui allait se passer. Les choses furent bientĂŽt coupĂ©es en deux et Ă l'intĂ©rieur il semblait y avoir une substance molle. Comme je suis toujours plus ou moins en train de penser Ă la nourriture, je touchai l'intĂ©rieur de l'une d'elles, puis y passai ma langue. Sublime ! Je n'avais jamais rien mangĂ© d'aussi bon. â MaĂźtre, m'Ă©criai-je, il faut que vous goĂ»tiez Ă cela ! Je le ramenai prĂšs de la machine pour qu'il appuyĂąt Ă nouveau sur le bouton et il en sortit une plus grande quantitĂ© de ces choses. J'en pris une, la mis dans ma bouche et j'eus l'impression que c'Ă©tait un caillou. Au bout d'un moment, toutefois, la coquille extĂ©rieure de la chose devint molle et la pression continuelle de ma mĂąchoire pĂ©nĂ©tra la surface ; j'eus alors la plus agrĂ©able des sensations. Chaque couleur avait une saveur diffĂ©rente. Je n'avais pas la moindre idĂ©e de ce que c'Ă©tait, et le Lama vit que je m'y perdais. â J'ai Ă©normĂ©ment voyagĂ©, tu sais, Lobsang, et dans une ville Occidentale j'ai vu une machine semblable qui contenait des bonbons tout comme ceux-ci. Mais dans cette ville Occidentale, il fallait y mettre de l'argent. On mettait une piĂšce de monnaie dans une fente et toute une quantitĂ© de ces boules se dĂ©versaient. Il y avait d'autres machines du genre qui fournissaient diffĂ©rentes choses. Il y en avait une qui m'attira tout particuliĂšrement car elle contenait une substance appelĂ©e chocolat. Je dois avouer que je serais incapable de t'Ă©crire ce mot. Oh ! Oh ! ajouta-t-il, le voici c'est ce qui est Ă©crit ici, avec six autres mots. Je suppose que chacun reprĂ©sente une langue diffĂ©rente. Mais voyons si elle fonctionne. Il s'approcha de la machine et appuya fermement sur un bouton ; il y eut une lĂ©gĂšre secousse et bientĂŽt un battant s'ouvrit en rĂ©vĂ©lant toute une rĂ©serve de bonbons au chocolat et autres friandises. Nous n'avions plus qu'Ă nous servir ! Nous en mangeĂąmes jusqu'Ă nous rendre malades. Je pensais que j'allais en mourir et dus aller dans ce fameux cabinet rejeter ce que je venais d'avaler. Le Lama Mingyar Dondup, abandonnĂ© dans son fauteuil, m'appela ensuite d'urgence pour que je le conduise au mĂȘme endroit, et nous jetterons simplement un voile sur le reste de cette expĂ©rience. AprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© dans une large mesure, nous discutĂąmes de la question et en arrivĂąmes Ă la conclusion que notre gourmandise nous avait incitĂ©s Ă trop manger un aliment Ă©trange, et nous passĂąmes alors dans une autre piĂšce qui avait dĂ» ĂȘtre un atelier de rĂ©paration. Il y avait toutes sortes de machines trĂšs Ă©tranges, et je reconnus un tour Ă bois. Le DalaĂŻ-Lama en avait un dans l'un de ses entrepĂŽts ; il lui avait Ă©tĂ© offert par un pays amical qui dĂ©sirait se montrer plus amical encore. Personne, Ă©videmment, ne savait s'en servir, mais je m'Ă©tais faufilĂ© dans la piĂšce Ă maintes reprises et avais fini par comprendre ce que c'Ă©tait. Il s'agissait d'un tour Ă pĂ©dales. Assis sur un siĂšge en bois, on utilisait ses pieds pour actionner deux pĂ©dales de haut en bas. Celles-ci faisaient tourner une roue et quand on plaçait, disons, une piĂšce de bois entre ce qui Ă©tait marquĂ© poupĂ©eâ et contre-poupĂ©eâ partie fixe et partie mobile â NdT, on pouvait sculpter le bois et faire des tiges absolument droites. Il m'Ă©tait difficile de comprendre Ă quoi ce tour-ci pouvait servir, mais je dĂ©cidai de prendre nos bĂątons pour les lisser, et ce fut beaucoup plus plaisant d'avoir des bĂątons de marche qui avaient acquis un aspect, disons, professionnel. Nous nous approchĂąmes ensuite de quelque chose qui ressemblait Ă un foyer. Il y avait aussi des chalumeaux et toutes sortes d'objets en rapport avec le feu. Comme d'habitude nous fĂźmes divers essais et dĂ©couvrĂźmes que nous pouvions rĂ©unir des piĂšces mĂ©talliques en les faisant fondre. AprĂšs plusieurs tentatives nos rĂ©sultats devinrent trĂšs satisfaisants, mais le Lama finit par dire â Allons jeter un coup d'Ćil ailleurs, Lobsang ; il y a des choses merveilleuses ici, n'est-ce pas ? Je tournai donc de nouveau la manette et la chaise s'Ă©leva d'environ deux pieds 60 cm. Je la poussai hors de la salle des machines et entrai dans une piĂšce juste en face d'un grand espace. Il y avait lĂ un vĂ©ritable mystĂšre. Il y avait un certain nombre de tables, des tables en mĂ©tal, avec d'Ă©normes bols au-dessus. Cela nous Ă©tait incomprĂ©hensible, mais dans une piĂšce attenante, nous dĂ©couvrĂźmes un renfoncement dans le sol et, sur le mur juste au-dessus, des instructions sur la façon d'utiliser la chose. Heureusement, il y avait Ă©galement des images montrant comment faire, aussi nous nous assĂźmes sur le bord du bassin vide et j'enlevai au Lama ses pansements. Je l'aidai ensuite Ă se mettre debout et aussitĂŽt qu'il se trouva au centre du bassin, il commença Ă se remplir d'une solution de vapeur ! â Lobsang, Lobsang, ceci va guĂ©rir mes jambes. Je peux lire certains des mots Ă©crits sur le mur, et si je n'y arrive pas dans une langue, je le peux dans une autre. Il s'agit de quelque chose qui rĂ©gĂ©nĂšre les tissus. â Mais MaĂźtre, dis-je, comment est-ce possible que cela guĂ©risse vos jambes, et comment se fait-il que vous en sachiez autant sur ces langues ? â Oh, c'est trĂšs simple, rĂ©pondit-il, j'ai Ă©tudiĂ© ce genre de choses toute ma vie. J'ai Ă©normĂ©ment voyagĂ© Ă travers le monde et j'ai appris diffĂ©rentes langues. Tu as dĂ» remarquer que j'ai toujours des livres avec moi ; je passe tout mon temps libre Ă les lire afin d'apprendre. Maintenant, cette langue il pointa l'Ă©criture sur le mur est ce qu'on appelle le sumĂ©rien, et c'est elle qui Ă©tait la langue principale de l'une des Atlantides. â Les Atlantides ? demandai-je. N'y avait-il pas un seul endroit appelĂ© Atlantide ? Le Lama eut un bon rire jovial et rĂ©pondit â Non, Non, Lobsang, il n'y a pas un endroit prĂ©cis qui s'appelle l'Atlantide ; c'est un terme gĂ©nĂ©rique pour les nombreuses terres qui ont sombrĂ© dans l'ocĂ©an et dont toute trace a Ă©tĂ© perdue. â Oh ! dis-je, je croyais que c'Ă©tait un pays oĂč l'on Ă©tait arrivĂ© Ă un niveau de civilisation tel que nous autres, Ă cĂŽtĂ©, Ă©tions de vĂ©ritables ignorants, et maintenant vous me dites qu'il n'y avait pas d'Atlantide spĂ©cifique. Il m'interrompit en disant â Il y a une si grande confusion Ă ce sujet et les scientifiques du monde ne vont pas croire la vĂ©ritĂ©. La vĂ©ritĂ© est celle-ci il fut un temps oĂč ce monde n'avait qu'une seule masse de terre. Le reste Ă©tait de l'eau, et finalement, sous l'effet des vibrations terrestres comme celles produites par les tremblements de terre, l'unique masse de terre fut morcelĂ©e en Ăźles, et l'on donna le nom de continents aux trĂšs grandes Ăźles. Elles dĂ©rivĂšrent progressivement de sorte que, dans beaucoup d'entre elles, les gens oubliĂšrent la Vieille Langue, et ils utilisĂšrent leur propre dialecte familial comme langue courante. Jadis, il n'y avait pas de langue parlĂ©e car tout le monde communiquait par tĂ©lĂ©pathie, mais certains individus malveillants prirent avantage du fait de connaĂźtre ce que chacun communiquait aux autres, et c'est ainsi qu'il devint coutumier que les chefs des communautĂ©s Ă©laborent des langues qu'ils utilisaient quand ils ne voulaient pas se servir de la tĂ©lĂ©pathie que n'importe qui pouvait capter. Avec le temps, le langage devint de plus en plus utilisĂ©, et l'art de la tĂ©lĂ©pathie se perdit, sauf pour quelques personnes comme certains d'entre nous au Tibet. Nous pouvons communiquer par la pensĂ©e. J'ai, pour te donner un exemple, Ă©tabli le contact avec un ami du Chakpori pour lui expliquer notre situation exacte, et il m'a rĂ©pondu qu'il valait mieux rester lĂ oĂč nous Ă©tions Ă cause des tempĂȘtes qui faisaient rage et rendraient trĂšs difficile la descente de la montagne. Comme il me le disait, peu importe lĂ oĂč nous sommes du moment que l'on apprend quelque chose, et je crois que nous apprenons Ă©normĂ©ment. Mais, Lobsang, ce produit semble faire des merveilles pour mes jambes. Si tu les regardes, tu vas en fait les voir en train de guĂ©rir. Je regardai, et le spectacle Ă©tait des plus mystĂ©rieux. La chair avait Ă©tĂ© coupĂ©e jusqu'Ă l'os et je pensais que la seule chose Ă faire serait d'amputer ses jambes une fois de retour Ă Chakpori, mais voilĂ que ce merveilleux bain rond Ă©tait en train de guĂ©rir la chair. Pendant que je regardais je pouvais voir se dĂ©velopper une nouvelle chair, unissant les entailles. â Je crois que je vais sortir de ce bain pour le moment, dit soudainement le Lama, parce que mes jambes me dĂ©mangent tellement que je vais devoir me mettre Ă danser si je reste ici, et c'est quelque chose qui te ferait bien rire. Alors je sors et tu n'as pas besoin de m'aider. D'un pied sĂ»r, il sortit du bain et, ce faisant, tout le liquide disparut. Il n'y avait aucun trou pour cela, aucun tuyau d'Ă©coulement ou quoi que ce soit permettant la vidange ; il sembla simplement disparaĂźtre dans les murs et le fond. â Regarde, Lobsang, il y a ici des livres avec des illustrations vraiment fascinantes qui montrent comment effectuer certaines opĂ©rations, qui montrent comment faire fonctionner ces machines Ă l'extĂ©rieur. Nous devons nous mettre au travail pour essayer de comprendre ceci, parce que nous pouvons ĂȘtre en mesure d'en faire profiter le monde si cette science des plus anciennes pouvait ĂȘtre ravivĂ©e. Je regardai certains de ces livres et ils me parurent assez horribles. Des images des parties internes des gens, des images de gens avec les plus affreuses blessures imaginables, des blessures si graves, qu'on ne peut mĂȘme pas les concevoir. Mais je dĂ©cidai que je m'y mettrais sĂ©rieusement et apprendrais le plus possible au sujet du corps humain. Mais pour le moment, ce qui me paraissait urgent c'Ă©tait de me nourrir ! Le cerveau ne peut convenablement fonctionner si le ventre est vide, pensai-je. PensĂ©e que j'exprimai Ă haute voix, d'ailleurs, ce qui fit rire le Lama. â Tout juste ce Ă quoi j'Ă©tais en train de penser. Ce traitement m'a donnĂ© une faim de loup ; allons voir ce qu'il y a dans cette cuisine. Il va nous falloir soit ne manger que des fruits, soit enfreindre une de nos rĂšgles et manger de la viande. Je frĂ©mis et eus un haut-le-cĆur. â Mais MaĂźtre, dis-je, comment peut-on manger la chair d'un animal ? â Mais, juste ciel, Lobsang, ces animaux sont morts depuis des millions d'annĂ©es. Nous ne savons pas depuis combien de temps cet endroit existe, mais nous savons qu'il est en remarquablement bon Ă©tat. Il vaut mieux pour nous manger de la viande et vivre que de jouer les puristes et mourir. â MaĂźtre, comment cet endroit est-il en si bon Ă©tat s'il a un million d'annĂ©es ? Cela me paraĂźt impossible. Tout s'use, mais ce lieu semble avoir Ă©tĂ© dĂ©laissĂ© hier. Je ne comprends tout simplement pas, et je ne comprends pas le sujet de l'Atlantide. â Eh bien, il existe ce que l'on appelle l'animation suspendue. En fait ces gens, les Jardiniers de la Terre, Ă©taient sujets Ă des maladies tout comme nous le sommes, mais elles ne pouvaient pas ĂȘtre traitĂ©es et guĂ©ries avec les matĂ©riaux bruts disponibles sur cette Terre ; ainsi, quand une personne Ă©tait rĂ©ellement malade et au-delĂ de la compĂ©tence des Jardiniers vivant sur cette Terre, les patients Ă©taient enveloppĂ©s dans du plastique aprĂšs avoir reçu le traitement de l'animation suspendue. Dans cet Ă©tat, le patient Ă©tait vivant, mais tout juste. Un battement de cĆur ne pouvait ĂȘtre ressenti, et certainement aucun souffle ne pouvait ĂȘtre dĂ©tectĂ© ; les gens pouvaient ĂȘtre gardĂ©s en vie dans cet Ă©tat jusqu'Ă une pĂ©riode de cinq ans. Un vaisseau venait chaque annĂ©e recueillir ces cas et les emmener pour ĂȘtre traitĂ©s dans des hĂŽpitaux spĂ©ciaux de la Maison des Dieux. Une fois remis, ils Ă©taient comme neufs. â MaĂźtre, et ces autres corps, hommes et femmes, chacun dans un cercueil de pierre ? Je suis certain qu'ils sont morts, mais ils paraissent en vie et en bonne santĂ© ; qu'est-ce qu'ils font ici ? Ă quoi servent-ils ? â Les Jardiniers de la Terre sont des gens trĂšs occupĂ©s. Leurs superviseurs le sont encore plus, et pour connaĂźtre les conditions rĂ©elles chez les Terriens, ils n'avaient qu'Ă prendre l'un de ces corps. Leur propre forme astrale pĂ©nĂ©trait dans l'un de ceux-ci, qui ne sont rĂ©ellement que des enveloppes, tu sais, et activait le corps. C'est ainsi que quelqu'un pouvait ĂȘtre un homme de trente ans, ou quel que soit l'Ăąge, sans l'ennui et les difficultĂ©s de naĂźtre, de passer par l'enfance, de se trouver peut-ĂȘtre un emploi, et mĂȘme de prendre une Ă©pouse, tout cela pouvant conduire Ă un tas de complications. Mais ces corps sont bien entretenus et toujours prĂȘts Ă recevoir une Ăąmeâ qui les activera pour une pĂ©riode donnĂ©e. Ils vont ainsi rĂ©pondre Ă certains stimuli et le corps pourra se mouvoir au grĂ© et sous le contrĂŽle parfait du nouvel occupant provisoire du corps-enveloppe. Ces individus que l'on dit en transmigration sont trĂšs nombreux. Ils sont ici pour assurer une surveillance sur les humains et essayer de prĂ©venir et de rĂ©orienter certaines de leurs violentes tendances. â Je trouve tout cela absolument fascinant et presque incroyable. Et ces corps qui se trouvent au sommet du Potala, ceux qui sont recouverts d'or, sont-ils aussi destinĂ©s au mĂȘme usage ? â Oh, grands dieux, non, dit le Lama. Ceux-lĂ sont des humains de type supĂ©rieur, et quand le corps meurt l'Ă©go passe Ă des sphĂšres supĂ©rieures. Certains vont dans le monde astral oĂč ils attendent, Ă©tudiant certaines personnes qui s'y trouvent, mais je me promets de t'en dire davantage Ă ce sujet et sur celui du royaume de Patra. Pour autant que je le sache il n'y a que nous, les lamas TibĂ©tains, qui sachions quoi que ce soit Ă propos de Patra, mais c'est un sujet trop important pour ĂȘtre bĂąclĂ©. Je suggĂšre que nous regardions un peu aux alentours, car c'est un assez grand ensemble de cavernes. Le Lama alla ensuite reposer des livres sur une Ă©tagĂšre et je lui dis â N'est-il pas dommage de laisser des livres aussi prĂ©cieux sur les tablettes ? Ne serait-il pas prĂ©fĂ©rable de les rapporter au Potala ? Le Lama Mingyar Dondup me jeta un regard particulier et me dit â Je m'Ă©tonne de plus en plus de tout ce que tu sais Ă ton si jeune Ăąge, et le DalaĂŻ-Lama m'a accordĂ© son entiĂšre permission pour te parler de tout ce que je pense que tu devrais savoir. Je me sentis trĂšs flattĂ© par cette dĂ©claration, mais le Lama continua â Tu Ă©tais prĂ©sent lors de l'entretien avec les militaires Britanniques, dont l'un s'appelait Bell, et le DalaĂŻ-Lama fut absolument ravi que tu n'aies rĂ©vĂ©lĂ© Ă personne, pas mĂȘme Ă moi, ce qui a Ă©tĂ© dit, ce qui s'est passĂ©. J'ai dĂ©libĂ©rĂ©ment cherchĂ© Ă savoir, Lobsang, pour tester ta capacitĂ© Ă garder les secrets, et je suis trĂšs heureux de la façon dont tu m'as rĂ©pondu. â Dans quelques annĂ©es, le Tibet sera envahi par les Chinois qui dĂ©pouilleront le Potala de toutes les choses qui en font ce qu'il est. Ils s'empareront des Personnages DorĂ©s et les feront fondre pour en extraire l'or qu'ils contiennent. Les livres sacrĂ©s et les livres de la connaissance seront emportĂ©s Ă PĂ©kin pour y ĂȘtre Ă©tudiĂ©s, parce que les Chinois savent qu'ils peuvent en apprendre beaucoup de nous. Par consĂ©quent, nous avons des endroits pour dissimuler les choses les plus prĂ©cieuses. Tu n'as pu trouver cette caverne que par le plus grand des hasards, et nous allons masquer le flanc de la montagne pour que le plus grand des hasards ne puisse ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©. Tu vois, nous avons des tunnels interconnectĂ©s sur plus de deux cents milles 322 km ; les Chinois ne pourront faire la route avec leurs machines Ă quatre roues, et ils ne pourront certainement pas la faire Ă pied, alors que pour nous ce n'est qu'un voyage de deux jours. â Dans quelques annĂ©es le Tibet sera envahi, mais non conquis. Les plus sages d'entre nous monteront sur les hautes terres du Tibet et vivront dans les souterrains, tout comme les gens qui ont fui auparavant et qui vivent dans la partie creuse de ce monde. Maintenant, ne t'emballe pas parce que nous allons discuter de ces choses. Le DalaĂŻ-Lama dit que nous ne sommes pas pressĂ©s de rentrer. Je dois t'enseigner autant qu'il m'est possible sur autant de choses que possible, et nous aurons beaucoup recours Ă ces livres. Les ramener au Potala servirait simplement Ă les mettre entre les mains des Chinois, et ce serait en vĂ©ritĂ© un triste sort. â Eh bien, je pense qu'il est temps pour nous d'effectuer une recherche systĂ©matique de cette caverne particuliĂšre et de dessiner une carte de l'endroit. â Pas besoin, MaĂźtre, rĂ©pondis-je. Voici une carte dans le menu dĂ©tail. Chapitre Quatre Le lama Mingyar Dondup parut extrĂȘmement heureux et il le fut encore plus lorsque je lui montrai aussi des cartes de plusieurs autres cavernes. J'avais farfouillĂ© sur une Ă©tagĂšre en m'Ă©merveillant qu'il n'y ait pas le moindre grain de poussiĂšre nulle part, et lĂ je trouvai... eh bien, je pourrais appeler cela du papier, car c'Ă©tait en fait d'une consistance semblable au papier, mais incomparablement plus fine. Notre papier Ă©tait quelque chose d'entiĂšrement fabriquĂ© Ă la main Ă partir de papyrus. Je pris donc cette pile de papiers et m'aperçus qu'il s'agissait de cartes et de graphiques. Tout d'abord, il y avait une carte Ă trĂšs petite Ă©chelle montrant une zone d'environ deux cent cinquante milles 400 km, puis le tunnel indiquait certaines coupures dans la ligne pour montrer lĂ oĂč il n'Ă©tait plus possible de passer, lĂ oĂč l'on devait sortir de notre propre tunnel et chercher l'entrĂ©e du suivant. C'Ă©tait parfaitement bien indiquĂ© sur la carte, mais combien de tremblements de terre l'avaient rendu inexacte, c'Ă©tait lĂ le problĂšme. Mais la carte suivante en Ă©tait une de la caverne dans laquelle nous nous trouvions. Elle indiquait toutes les piĂšces et je fus surpris de leur grand nombre ; toutes les armoires et les piĂšces Ă©taient Ă©tiquetĂ©es, mais, bien entendu, je ne pouvais rien dĂ©chiffrer. Mon Guide, toutefois, le pouvait. Nous Ă©tendĂźmes les cartes par terre et les consultĂąmes Ă plat ventre. â Lobsang, dit le Lama, tu as fait des dĂ©couvertes remarquables au cours de ce voyage et elles joueront fortement en ta faveur. J'ai dĂ©jĂ emmenĂ© ici un jeune chela et il a mĂȘme eu peur d'entrer dans la caverne. Tu vois, le vieil ermite qui a trouvĂ© la mort en tombant Ă©tait en fait le Gardien de l'entrĂ©e, et il nous faut maintenant construire un nouvel ermitage dans ce mĂȘme but. â Je pense que nous n'avons guĂšre besoin d'un Gardien, rĂ©pondis-je, parce que tout le tunnel par lequel nous sommes entrĂ©s est apparemment bloquĂ© par le tremblement de terre qui a secouĂ© toute une couche de roches qui ont glissĂ© pour couvrir cette entrĂ©e. Si nous n'avions pas ces cartes, nous pourrions ĂȘtre coincĂ©s ici pour toujours. Le lama approuva de la tĂȘte, l'air grave, puis il se leva et se dirigea vers les rayonnages de livres, regardant les titres les uns aprĂšs les autres. Puis, avec une exclamation de plaisir, il saisit un livre, quelque chose de massif, d'Ă©norme, qui semblait avoir Ă©tĂ© tout juste fabriquĂ©. â Un dictionnaire, Lobsang, des quatre langues en usage. Maintenant nous sommes en bonne voie. Il prit le livre et le dĂ©posa Ă©galement sur le plancher ; la table aurait Ă©tĂ© trop petite pour contenir toutes les cartes. Le Lama se mit Ă parcourir les pages du dictionnaire puis, prenant des notes sur la carte de notre caverne particuliĂšre, il dit â Il y a des siĂšcles et des siĂšcles, une trĂšs haute civilisation, de loin supĂ©rieure Ă ce que le monde a connu depuis lors, existait. Malheureusement, comme il y avait davantage de tremblements de terre et de sĂ©ismes marins, certaines terres sombrĂšrent sous les flots et, d'aprĂšs ce dictionnaire, dans le cas de l'Atlantide, il ne s'agit pas d'un seul continent submergĂ©. Il y en avait un dans la mer qu'ils appellent l'Atlantique, et il y en avait un autre plus bas dans la mĂȘme mer ; c'Ă©tait un endroit oĂč il y avait de nombreux sommets de montagnes et ceux qui Ă©mergent encore des eaux sont maintenant appelĂ©s des Ăźles. Je peux te montrer exactement oĂč cela se trouve sur la carte. Il farfouilla dans les papiers et en sortit bientĂŽt une grande feuille multicolore, puis il m'indiqua les mers et les endroits oĂč s'Ă©tait situĂ© l'Atlantide. â L'Atlantide, continua-t-il, veut dire terre perdueâ ; c'est la vĂ©ritable signification de ce mot. Ce n'est pas un nom comme le Tibetâ ou l'Indeâ, mais un terme gĂ©nĂ©rique pour la terre disparue, la terre qui a sombrĂ© sans laisser de trace. Nous gardĂąmes le silence tandis que nous regardions de nouveau ces cartes. J'Ă©tais soucieux de savoir comment sortir de ce lieu. Le Lama Ă©tait soucieux de trouver certaines salles. Finalement il se redressa en disant â LĂ , Lobsang, c'est lĂ . Dans cette piĂšce il y a de merveilleuses machines qui nous montrent le passĂ© et ce, jusqu'au prĂ©sent, et il y en a une qui montre le futur probable. Vois-tu, avec l'astrologie, par exemple, on peut prĂ©dire ce qui va arriver Ă un pays, mais quand il s'agit d'en prĂ©dire autant pour une personne en particulier, eh bien, il faut un astrologue de gĂ©nie ; tu as eu un tel astrologue pour prĂ©dire ton avenir, et c'est vĂ©ritablement un pĂ©nible avenir. â Explorons certaines des autres piĂšces, tout d'abord, car nous voulons passer beaucoup de temps dans la salle des machines, lĂ oĂč celles-ci peuvent nous montrer ce qui s'est produit depuis la venue en ce monde des premiers hommes. Les gens de ce monde ont de nombreuses croyances Ă©tranges, mais nous connaissons la vĂ©ritĂ© parce que nous avons pu accĂ©der au Registre Akashique et au Registre Akashique des ProbabilitĂ©s, ce qui fait que nous pouvons prĂ©dire avec prĂ©cision ce qui va arriver au Tibet, ce qui va arriver Ă la Chine, et ce qui arrivera Ă l'Inde. Mais pour l'individu â non, le Registre des ProbabilitĂ©s devient un peu trop probabilitĂ©sâ et ne doit pas ĂȘtre pris trop au sĂ©rieux. â MaĂźtre, dis-je, je suis totalement confus parce que tout ce que j'ai appris m'a fait comprendre qu'il y a dissolution le papier doit finir par tomber en poussiĂšre, les corps doivent finir par tomber en poussiĂšre, et la nourriture, aprĂšs un million d'annĂ©es, eh bien, aurait certainement dĂ» tomber en poussiĂšre, et je ne peux tout simplement pas comprendre comment cet endroit pourrait avoir environ un million d'annĂ©es. Tout paraĂźt neuf, frais, et c'est tout Ă fait incomprĂ©hensible. Le Lama me regarda en souriant et rĂ©pondit â Mais il y a un million d'annĂ©es il existait une science beaucoup plus avancĂ©e que celle d'aujourd'hui, et ces gens-lĂ avaient un systĂšme par lequel le temps lui-mĂȘme pouvait ĂȘtre arrĂȘtĂ©. Le temps est une chose purement artificielle, et il n'est utilisĂ© que sur ce monde-ci. Si tu attends quelque chose de trĂšs agrĂ©able, il te semble alors que tu doives attendre interminablement, mais s'il te faut aller voir un supĂ©rieur en vue d'une remontrance, eh bien, tu as l'impression de te retrouver en face de lui en un rien de temps Ă devoir Ă©couter l'opinion qu'il a de toi. Le temps est une chose artificielle qui permet aux gens de se livrer au commerce ou de voir Ă leurs affaires quotidiennes. Ces cavernes sont isolĂ©es du monde, elles ont ce que j'appellerai simplement un Ă©cran autour d'elles, et cet Ă©cran les place dans une dimension diffĂ©rente, la quatriĂšme dimension, lĂ oĂč les choses ne se dĂ©gradent pas. Nous allons prendre un repas avant d'explorer plus avant, et il sera composĂ© d'un dinosaure tuĂ© par des chasseurs il y a deux ou trois millions d'annĂ©es. Tu verras qu'il a trĂšs bon goĂ»t. â Mais MaĂźtre, je pensais qu'il nous Ă©tait interdit de manger de la viande. â Oui, il est interdit aux personnes ordinaires de manger de la viande. Il est considĂ©rĂ© tout Ă fait adĂ©quat de vivre de tsampa, car si on se gave de viande on obstrue son cerveau. Nous mangeons de la viande parce que nous avons besoin de la rĂ©sistance supplĂ©mentaire que seule celle-ci peut donner et, de toute façon, nous n'en avons pas beaucoup ; nous mangeons surtout des lĂ©gumes et des fruits. Mais tu peux ĂȘtre sĂ»r que manger cette viande ne nuira pas Ă ton Ăąme immortelle. LĂ -dessus il se leva et se dirigea vers la cuisine d'oĂč il revint avec un gros contenant enrobĂ© d'une horrible image. Ce devait ĂȘtre, j'imagine, celle d'un dinosaure, et une marque soulignĂ©e en rouge indiquait quelle partie se trouvait dans la boĂźte. AprĂšs quelques manipulations le Lama ouvrit le contenant. Je pus voir que la viande Ă l'intĂ©rieur Ă©tait absolument fraĂźche, que l'animal aurait pu avoir Ă©tĂ© tuĂ© le jour mĂȘme tellement elle Ă©tait fraĂźche. â Nous allons faire cuire ceci car la viande cuite est bien meilleure que la viande crue, et tu regardes bien ce que je fais. Il fit des choses bizarres avec des plats de mĂ©tal, puis aprĂšs avoir versĂ© le contenu de la boĂźte dans l'un de ces plats mĂ©talliques, il le glissa dans ce qui ressemblait Ă un cabinet en mĂ©tal. Il en ferma ensuite la porte et tourna certains boutons qui firent apparaĂźtre de petites lumiĂšres. â Maintenant, dans dix minutes ce sera Ă point, dit-il, car ce n'est pas cuit sur une flamme, mais chauffĂ© de l'intĂ©rieur vers l'extĂ©rieur. Il s'agit d'un systĂšme de rayons que je ne prĂ©tends pas comprendre. Mais il nous faut maintenant trouver des lĂ©gumes appropriĂ©s pour accompagner la viande. â Mais comment avez-vous appris tout cela, MaĂźtre ? demandai-je. â Eh bien, j'ai beaucoup voyagĂ© et recueilli des connaissances du monde Occidental, et je sais comment ils prĂ©parent un repas spĂ©cial le septiĂšme jour de la semaine. Je dois avouer que c'est rĂ©ellement bon, mais il faut des lĂ©gumes et je pense qu'ils sont ici. Il plongea la main au fond d'une armoire et en retira un contenant de forme allongĂ©e. Il le dĂ©posa sur l'Ă©tagĂšre, en Ă©tudia soigneusement l'Ă©tiquette, et dit â Oui, ce sont des lĂ©gumes et nous devons les mettre Ă cuire dans le four pendant cinq minutes. Au mĂȘme moment, une lumiĂšre s'Ă©teignit. â Ah, dit le Lama, c'est un signal ; nous devons ajouter les lĂ©gumes maintenant. Sur ce, il alla au four, ouvrit la porte et versa dans le plat le contenu de la boĂźte de lĂ©gumes, puis la referma rapidement. Il ajusta ensuite certains boutons sur le dessus, et une autre lumiĂšre s'alluma. â Lorsque toutes ces lumiĂšres seront Ă©teintes, notre repas sera parfaitement prĂ©parĂ©. Il nous faut maintenant des assiettes et ces autres instruments redoutables que tu as vus des couteaux pointus et des choses en mĂ©tal avec un petit bol Ă leur extrĂ©mitĂ©, puis ces autres choses qui se terminent par quatre ou cinq pointes et qu'on appelle des fourchettes. Je pense que tu vas apprĂ©cier ce repas. Comme il finissait de parler les petites lumiĂšres clignotĂšrent, diminuĂšrent d'intensitĂ©, pour finalement s'Ă©teindre. â Ăa y est, Lobsang. Nous pouvons maintenant nous asseoir par terre et prendre un bon repas. Il s'approcha de cet endroit chaud qu'il appelait un four et fit glisser la porte avec prĂ©caution. L'odeur Ă©tait fort agrĂ©able et j'observai avec la plus vive anticipation tandis qu'il retirait des assiettes mĂ©talliques des Ă©tagĂšres. Il me servit une gĂ©nĂ©reuse portion de tout, tandis qu'il en mettait un peu moins dans le sien. â Commence, Lobsang, commence. Tu dois conserver tes forces, tu sais. Il y avait des plats avec des lĂ©gumes de diffĂ©rentes couleurs que je n'avais jamais vus auparavant, et puis ce plus grand plat avec un gros morceau de viande de dinosaure. Avec prĂ©caution je pris la viande avec mes doigts, mais le Lama me dit d'utiliser une fourchette pour ce faire, et il me montra comment m'y prendre. Eh bien, je coupai un morceau de viande, l'examinai, le reniflai, et le mis dans ma bouche. Je me prĂ©cipitai aussitĂŽt Ă l'Ă©vier de la cuisine pour me dĂ©barrasser de cette viande dans ma bouche. Le Lama se mit Ă rire aux Ă©clats. â Tu te trompes, Lobsang. Tu crois que je t'ai jouĂ© un tour, mais ce n'est pas du tout le cas. Dans certaines parties de la SibĂ©rie les locaux dĂ©terrent parfois un dinosaure pris dans le pergĂ©lisol sol gelĂ© en permanence â NdT et congelĂ© si solide qu'il met trois ou quatre jours Ă dĂ©congeler. Ils mangent la viande de dinosaure avec le plus grand plaisir. â Eh bien, je leur donne ma part et tout le plaisir sera pour moi. J'ai cru m'ĂȘtre empoisonnĂ© autant manger ma grand-mĂšre que cette saletĂ© ! C'est abominable. Sur ces paroles je me mis Ă gratter mĂ©ticuleusement mon assiette pour qu'il ne reste plus la moindre trace de viande, puis je me hasardai Ă prendre quelques lĂ©gumes. Ă mon grand Ă©tonnement, ils Ă©taient vraiment trĂšs, trĂšs bons. Il faut dire que je n'avais jamais mangĂ© de lĂ©gumes auparavant ; jusque-lĂ je n'avais jamais rien eu d'autre que de la tsampa et de l'eau Ă boire. Je fis donc honneur aux lĂ©gumes jusqu'Ă ce que le Lama mette un frein Ă mon ardeur en disant â Tu ferais mieux de t'arrĂȘter, Lobsang. Tu as pris un trĂšs gros repas, tu sais, et tu n'es pas habituĂ© Ă ces lĂ©gumes. Il se peut que tu ne les supportes pas et qu'ils te fassent l'effet d'une purge. Je vais te donner quelques comprimĂ©s qui calmeront ton estomac dĂ©rangĂ©. J'avalai les fichus comprimĂ©s qui me parurent aussi gros que des cailloux. AprĂšs que je les eus avalĂ©s le Lama me regarda en disant â Oh, tu les as avalĂ©s comme ça ? En gĂ©nĂ©ral on les prend avec une bonne quantitĂ© d'eau. Fais-le maintenant ; remplis ta tasse d'eau et cela fera passer le goĂ»t poudreux. Une fois de plus je me levai et j'allai dans la cuisine, ou plutĂŽt je chancelai vers la cuisine, car n'ayant jamais mangĂ© de lĂ©gumes ou de fruits, je pouvais sentir d'alarmants bouillonnements dans mon ventre, si alarmants en fait, que je dus dĂ©poser ma tasse et me ruer vers cette petite piĂšce qui avait un trou dans le sol. Un peu plus et il Ă©tait trop tard ! J'y arrivai Ă temps nĂ©anmoins. Je revins auprĂšs du Lama et lui dit â Il y a beaucoup de choses qui vraiment me dĂ©concertent et que je ne peux tout simplement pas sortir de mon esprit. Par exemple, vous dites que cet endroit peut ĂȘtre vieux de deux millions d'annĂ©es. Comment se fait-il alors que les fruits et les lĂ©gumes soient si savoureux ? â Ăcoute, Lobsang, rĂ©pondit le Lama, tu dois te souvenir que ce monde a des millions d'annĂ©es et qu'il y a eu beaucoup, beaucoup de diffĂ©rents types de gens, ici. Par exemple, il y a environ deux millions d'annĂ©es existait une espĂšce de crĂ©ature sur Terre connue sous le nom d'Homo Habilis. Ils entrĂšrent dans notre Ăšre en inventant les premiers outils de ce cycle particulier. Tu vois, nous sommes des Homo Sapiens et nous descendons de cet autre Homo dont je viens de te parler. â Pour essayer de te faire comprendre un peu mieux, disons que le monde est comme un jardin, et que toutes les constructions du monde sont des plantes. Eh bien, de temps en temps le fermier viendra et il labourera son jardin, ce qui signifie qu'il retournera la terre et bouleversera ainsi toutes les plantes et leurs racines. Celles-ci se trouveront exposĂ©es un moment Ă l'air libre avant d'ĂȘtre renfoncĂ©es encore plus profondĂ©ment par la charrue qui passera de nouveau, de telle sorte qu'Ă la fin il ne sera possible Ă qui que ce soit de dire que telle ou telle plante a dĂ©jĂ poussĂ© dans ce jardin. C'est la mĂȘme chose pour les ĂȘtres humains du monde compare-nous Ă des plantes. Les humains de diffĂ©rents types sont testĂ©s et s'ils ne peuvent pas se dĂ©brouiller Ă la satisfaction des Jardiniers, alors des catastrophes et des dĂ©sastres sont leur lot. Il y a de puissantes explosions et des tremblements de terre, et toute trace d'humanitĂ© est enterrĂ©e, enfouie profondĂ©ment sous le sol, laissant la place Ă une nouvelle race de gens. Et ainsi le cycle continue ; tout comme le fermier laboure sous les plantes, les Jardiniers du Monde provoquent des dĂ©sastres tels que toute trace d'habitations est anĂ©antie. â Il arrive qu'un fermier occupĂ© sur son lopin de terre dĂ©couvre un objet brillant dans le sol lĂ oĂč il est en train de creuser ; il se penche alors, le ramasse en se demandant ce que c'est. Il le mettra peut-ĂȘtre dans le devant de sa robe pour l'emporter Ă la maison et le montrer Ă sa femme et peut-ĂȘtre Ă ses voisins. Il se peut que ce soit un objet qui ait Ă©tĂ© enfoui un million d'annĂ©es auparavant et que maintenant, avec les tremblements de terre, cette piĂšce de mĂ©tal brillant ait refait surface. â Parfois, un os sera dĂ©couvert et le fermier passera peut-ĂȘtre quelques minutes Ă se demander de quelle sorte de crĂ©ature il peut bien provenir ; il y a eu en effet des crĂ©atures trĂšs Ă©tranges sur cette Terre. Il y a eu, par exemple, des femmes Ă la peau pourprĂ©e qui avaient huit seins de chaque cĂŽtĂ©, comme une chienne qui attend des petits. Je suppose qu'il Ă©tait trĂšs utile d'avoir seize seins, mais cette race s'est Ă©teinte car, en rĂ©alitĂ©, ce n'Ă©tait pas pratique. Si une femme avait donnĂ© naissance Ă de nombreux enfants, ses seins devenaient tellement pendants qu'elle pouvait difficilement marcher sans trĂ©bucher, et ainsi cette race s'Ă©teignit. Et puis il y eut une autre race dont les hommes mesuraient environ quatre pieds 1,20 m, aucun d'entre eux de plus haute taille, qui Ă©taient nĂ©s cavaliers â contrairement Ă toi qui peux Ă peine rester assis sur le poney le plus docile que nous ayons â avec des jambes si arquĂ©es qu'ils n'avaient nul besoin d'Ă©triers, de selles, ou autres choses du genre. La constitution naturelle de leur corps semblait avoir Ă©tĂ© spĂ©cialement conçue pour l'Ă©quitation. Malheureusement le cheval n'avait pas encore Ă©tĂ© inventĂ©â Ă cette Ă©poque. â Mais, MaĂźtre, dis-je, je n'arrive pas Ă comprendre comment nous pouvons ĂȘtre dans une montagne, Ă l'intĂ©rieur d'une montagne, et pourtant avoir une lumiĂšre aussi brillante que celle du soleil et beaucoup de chaleur. Cela me dĂ©concerte et je ne peux trouver aucune solution Ă cette Ă©nigme. Le Lama sourit, comme il souriait souvent Ă certaines de mes paroles, puis reprit â Ces roches que nous appelons des montagnes ont des propriĂ©tĂ©s spĂ©ciales elles peuvent absorber la lumiĂšre du soleil, l'absorber et l'absorber encore, et alors, si l'on sait comment s'y prendre, nous pouvons la libĂ©rer et obtenir tout degrĂ© d'Ă©clairage dĂ©sirĂ©. Comme le soleil brille plus ou moins tout le temps au sommet des montagnes, eh bien, nous emmagasinons continuellement sa lumiĂšre pour le moment oĂč celui-ci poursuit son voyage et devient hors de vue. Cela n'a rien de magique, c'est un phĂ©nomĂšne naturel absolument ordinaire tout comme celui des marĂ©es â Oh, j'oubliais que tu n'as jamais vu la mer ; c'est une vaste Ă©tendue d'eau, non potable, car elle provient d'une eau douce qui a coulĂ© tout au long du flanc d'une montagne puis Ă travers les plaines en entraĂźnant avec elle toutes sortes d'impuretĂ©s et d'Ă©lĂ©ments toxiques, et si l'on essayait d'en boire l'eau, on accĂ©lĂ©rerait sa mort. Ainsi nous sommes amenĂ©s Ă utiliser un peu de la lumiĂšre solaire emmagasinĂ©e. Elle tombe sur une sorte de plaque spĂ©ciale, puis un courant d'air froid entre en jeu de l'autre cĂŽtĂ© de cette plaque ; la lumiĂšre se manifeste alors sous forme de chaleur d'un cĂŽtĂ© et de froid de l'autre cĂŽtĂ©. C'est ainsi que des gouttelettes d'eau se forment, nĂ©es de la lumiĂšre du soleil et du froid de la terre. Cette eau, appelĂ©e eau distillĂ©e, est absolument pure et peut donc ĂȘtre recueillie dans des contenants ; nous avons ainsi de l'eau potable fraĂźche en quantitĂ©. â Mais, MaĂźtre, je ne peux tout simplement pas comprendre cette histoire d'avoir des choses vieilles d'un ou deux millions d'annĂ©es. L'eau, par exemple en tournant une chose de mĂ©tal nous avons eu de l'eau froide qui, Ă©videmment, a Ă©tĂ© emmagasinĂ©e dans un rĂ©servoir quelque part il y a environ un million d'annĂ©es. Eh bien, pourquoi ne s'est-elle pas Ă©vaporĂ©e ? Comment peut-elle ĂȘtre encore potable aprĂšs tant d'annĂ©es ? Cela me dĂ©concerte totalement. Je sais que le rĂ©servoir d'eau sur le toit du Potala se tarit rapidement, alors comment ceci peut-il avoir un million d'annĂ©es ? â Lobsang ! Lobsang ! Tu penses que nous avons maintenant de bonnes connaissances scientifiques, tu penses que nous en savons beaucoup sur la mĂ©decine et la science, mais mĂȘme pour le monde extĂ©rieur, nous ne sommes qu'une bande de sauvages sans Ă©ducation. Pourtant, nous comprenons des choses que le reste du monde ne comprend pas, le reste du monde Ă©tant un groupe de personnes matĂ©rialistes. Cette eau peut bien avoir un million, deux ou trois millions d'annĂ©es d'Ăąge, mais jusqu'Ă ce que nous arrivions ici, que nous brisions le scellement qui a remis tout en marche â eh bien, il pouvait ĂȘtre question d'une heure ou deux plus tĂŽt. Tu vois, il existe ce qui s'appelle l'animation suspendue. Nous avons entendu Ă maintes reprises que dans d'autres pays il y a des gens qui sont entrĂ©s dans une transe cataleptique pendant des mois ; une personne en particulier a maintenant dĂ©jĂ franchi la barre d'une annĂ©e et demie, et elle ne s'en porte pas plus mal pour autant, elle n'a pas vieilli, tout simplement â eh bien, elle est en vie. On ne peut pas percevoir de battements de cĆur, on ne peut discerner aucun signe de respiration Ă l'aide d'un miroir, alors qu'est-ce qui la maintient endormie et pourquoi cela ne lui fait-il pas de mal ? Il y a tant de chose Ă redĂ©couvrir, des choses communes Ă l'Ă©poque oĂč les Jardiniers venaient. Simplement Ă titre d'exemple, laisse-moi te montrer la piĂšce â regarde, la voici sur la carte â oĂč les corps Ă©taient maintenus dans un Ă©tat de vie suspendue. Une fois par an, deux lamas venaient dans cette piĂšce examiner les corps ; ils les retiraient l'un aprĂšs l'autre des cercueils de pierre et vĂ©rifiaient s'ils Ă©taient toujours en parfait Ă©tat. Si tout Ă©tait bien, ils faisaient marcher les corps d'un bout Ă l'autre de la piĂšce pour faire de nouveau travailler leurs muscles. Puis, aprĂšs les avoir nourris un peu, commençait la tĂąche de faire entrer le corps astral d'un Jardiner dans l'un de ces corps installĂ© dans un cercueil de pierre. C'est une expĂ©rience des plus particuliĂšres. â Comment, MaĂźtre ? Est-ce vraiment une chose difficile Ă faire ? â Maintenant, regarde-toi, Lobsang d'un cĂŽtĂ© tu me dis que tu ne peux croire pareille chose, et d'un autre cĂŽtĂ© tu essaies d'obtenir le plus d'informations possible. Oui, c'est une sensation atroce. Dans l'astral, tu es libre de prendre la taille qui te convient le mieux tu peux vouloir ĂȘtre trĂšs petit pour une raison quelconque, ou tu peux vouloir ĂȘtre trĂšs grand et de forte carrure pour quelque autre raison. Eh bien, tu choisis le corps dĂ©sirĂ©, tu t'allonges Ă son cĂŽtĂ©, et les lamas vont alors injecter une substance dans le corps apparemment mort et vont te soulever doucement pour te poser Ă plat ventre sur ce corps. Peu Ă peu, sur une pĂ©riode d'environ cinq minutes, tu vas disparaĂźtre, tu vas devenir de plus en plus flou, et puis tout Ă coup la forme dans le cercueil de pierre va donner une secousse, s'asseoir tout droit, et faire une sorte de commentaire comme "Oh, oĂč suis-je ? Comment suis-je arrivĂ© ici ?" Pendant un laps de temps, tu vois, ils ont la mĂ©moire de la derniĂšre personne Ă avoir utilisĂ© ce corps, mais en l'espace de douze heures le corps que tu as pris apparaĂźtra absolument normal et sera capable de toutes les choses que tu pourrais faire si tu Ă©tais sur Terre dans ton propre corps. Nous faisons cela parce que parfois nous ne pouvons pas risquer d'endommager le corps rĂ©el. Ces corps de substitution, eh bien, ce qui leur arrive est sans importance ; ils n'ont besoin que de trouver quelqu'un prĂ©sentant les bonnes conditions, et nous pouvons ensuite mettre le corps dans un cercueil de pierre et laisser la force vitale s'Ă©chapper vers un autre plan d'existence. Les gens n'ont jamais Ă©tĂ© forcĂ© Ă y pĂ©nĂ©trer, tu sais, cela s'est toujours fait en toute connaissance de cause et plein consentement. â Plus tard tu occuperas l'un de ces corps pendant un an moins un jour. Il faut garder cette marge d'un jour parce que ces corps ne peuvent durer au-delĂ de trois cent soixante-cinq jours sans que certaines choses compliquĂ©es leur arrivent. Il est donc prĂ©fĂ©rable que la prise en charge dure une annĂ©e moins un jour. Et ensuite â eh bien, le corps que tu es en train d'occuper reprendra sa place dans le cercueil de pierre, frissonnant du froid qui y rĂšgne, et c'est petit Ă petit que ta forme astrale Ă©mergera du corps de substitution pour entrer dans ton propre corps et reprendre le contrĂŽle de toutes ses fonctions, de toutes ses pensĂ©es, et de toutes ses connaissances. Et sur cela sera maintenant superposĂ© tout le savoir acquis durant les trois cent soixante-quatre derniers jours. â Ce systĂšme a Ă©tĂ© amplement expĂ©rimentĂ© par les peuples de l'Atlantide. Ils avaient un grand nombre de ces corps qui Ă©taient constamment pris en charge par des super-personnes qui dĂ©siraient acquĂ©rir une certaine expĂ©rience. L'ayant vĂ©cue, elles revenaient et reprenaient leur propre corps, laissant le corps de substitution pour la prochaine personne. â Mais, MaĂźtre, je suis sincĂšrement Ă©tonnĂ© par tout cela, parce que si un Jardinier du Monde possĂšde tous ces pouvoirs, pourquoi ne peut-il tout simplement regarder d'est en ouest et du nord au sud pour voir ce qui se passe. Pourquoi tout ce scĂ©nario d'occuper un corps de substitution ? â Lobsang, tu te montres obtus. Nous ne pouvons permettre que le trĂšs haut personnage soit blessĂ©, que son corps soit endommagĂ©, et par consĂ©quent nous lui fournissons un corps de remplacement, et s'il venait Ă perdre un bras ou une jambe, c'est bien dommage, mais cela ne fait pas de mal Ă la haute entitĂ© qui a pris en charge le corps. Je vais te l'expliquer comme ceci Ă l'intĂ©rieur de la tĂȘte d'une personne il y a un cerveau. Or, ce cerveau est aveugle, sourd et muet. Il ne peut rĂ©aliser que des fonctions animales et il n'a aucune connaissance rĂ©elle des sensations. Pour te donner un exemple, disons que la trĂšs haute entitĂ© Untel veuille expĂ©rimenter la sensation de brĂ»lure. Eh bien, dans son propre corps, il ne lui serait pas possible d'abaisser ses vibrations jusqu'Ă celles, grossiĂšres, brutes, nĂ©cessaires Ă une personne pour ressentir la brĂ»lure, et comme dans ce corps de catĂ©gorie infĂ©rieure les brĂ»lures peuvent ĂȘtre ressenties, la super-entitĂ© entre dans le corps de substitution et les conditions nĂ©cessaires sont ainsi obtenues ; peut-ĂȘtre la super-entitĂ© pourra-t-elle apprendre ce qu'il en est grĂące Ă ce corps de remplacement. Le corps peut voir, le cerveau ne le peut pas. Le corps peut entendre, le cerveau ne le peut pas. Le corps peut faire l'expĂ©rience de l'amour, de la haine, et de toutes ces sortes d'Ă©motions, mais la super-entitĂ© ne le peut pas et se voit donc obligĂ©e d'acquĂ©rir la connaissance par intermĂ©diaire. â Ainsi tous ces corps sont tous vivants et prĂȘts Ă ĂȘtre utilisĂ©s par quiconque veut s'en servir ? demandai-je. â Oh non, oh non, loin de lĂ . On ne peut introduire une entitĂ© dans l'un de ces corps Ă des fins mauvaises. La super-entitĂ© doit avoir une bonne raison absolument authentique pour vouloir prendre en charge un corps ; cela ne peut se faire pour satisfaire ses intĂ©rĂȘts sexuels ou monĂ©taires parce que cela ne contribue au progrĂšs de personne dans le monde. Habituellement, il arrive qu'il y ait une certaine tĂąche entreprise par les Jardiniers du Monde, une tĂąche difficile car Ă©tant de super-cerveaux ils ne peuvent ressentir les choses, ils ne peuvent voir les choses, aussi prennent-ils des arrangements pour qu'un nombre appropriĂ© d'entre eux de super-cerveaux prennent en charge un corps et viennent sur Terre en se faisant passer pour des Terriens. Je dis toujours que le plus grand problĂšme est l'odeur terrible de ces corps. Ils sentent la viande chaude en dĂ©composition, et cela peut prendre une demi-journĂ©e avant de pouvoir surmonter la nausĂ©e occasionnĂ©e par une telle prise de contrĂŽle. Ainsi, il n'y a vraiment aucun moyen qui permette Ă une super-entitĂ© qui aurait peut-ĂȘtre mal tournĂ© quelque part de prendre pour cible un corps de substitution. Elle peut observer ce que d'autres font, Ă©videmment, mais rien ne peut se faire qui nuira Ă la super-entitĂ©. â Eh bien, tout cela est une Ă©norme Ă©nigme pour moi, parce que si une super-entitĂ© se fait attendre pendant peut-ĂȘtre une trentaine d'annĂ©es, que se passe-t-il pour la Corde d'Argent ? Il est Ă©vident que la Corde d'Argent n'est pas simplement dĂ©connectĂ©e, autrement je suppose que le corps-en-attente se dĂ©graderait. â Non, non, non, Lobsang, rĂ©pliqua le Lama. Ces corps de substitution ont une forme de Corde d'Argent qui mĂšne Ă une source d'Ă©nergie qui garde la voie ouverte pour l'occupation du corps. Ceci est connu dans la plupart des religions du monde. La Corde d'Argent est connectĂ©e par des moyens mĂ©taphysiques Ă une source centrale, et les personnes qui s'occupent de ces corps peuvent Ă©valuer leur Ă©tat par la Corde d'Argent, elles peuvent augmenter ou diminuer l'alimentation selon l'Ă©tat du corps. Je secouai la tĂȘte, perplexe, puis demandai â Eh bien, comment se fait-il que chez certaines personnes la Corde d'Argent Ă©merge du sommet de la tĂȘte, tandis que chez d'autres elle Ă©merge du nombril ? Est-ce que cela signifie qu'une façon est meilleure que l'autre ? Est-ce que cela signifie que la sortie de la corde par le nombril est pour ceux qui ne sont pas tellement Ă©voluĂ©s ? â Non, non, pas du tout, peu importe d'oĂč Ă©merge la Corde d'Argent. Si tu appartiens Ă un certain type, ta Corde d'Argent peut Ă©merger, disons, de ton gros orteil ; aussi longtemps que le contact se fait, c'est tout ce qui compte. Et aussi longtemps que le contact se fait et est maintenu en bon ordre, le corps vit dans un Ă©tat de ce que nous appelons stase. Cela signifie que tout est immobile. Les organes du corps fonctionnent Ă leur niveau minimal, et tout au long d'une annĂ©e un corps consommera moins d'un bol de tsampa. Tu vois, nous devons faire de cette façon, car autrement nous serions perpĂ©tuellement en train de dĂ©ambuler dans ces tunnels de montagnes afin de nous assurer qu'un corps est correctement soignĂ©, et si nous avions des gens qui venaient ici pour nourrir les corps, cela en fait leur causerait des dommages, parce qu'une personne peut vivre sous des conditions de stase pendant plusieurs millions d'annĂ©es, du moment qu'elle reçoit l'attention nĂ©cessaire. Et cette attention nĂ©cessaire peut ĂȘtre, et est, fournie par la Corde d'Argent. â Alors, est-ce qu'une grande EntitĂ© peut descendre et jeter un coup d'Ćil pour voir quelle sorte de corps elle va occuper ? â Non, rĂ©pondit le Lama. Si l'EntitĂ© qui est sur le point d'occuper un corps le voyait, elle ne voudrait jamais entrer dans quelque chose d'aussi horrible. Tiens â suis-moi ; nous allons dans la Salle des Cercueils. Sur ce, il ramassa ses livres et sa canne et se mit debout sur des jambes plutĂŽt tremblantes. â Je pense que nous devrions d'abord examiner vos jambes, vous savez, car vous paraissez souffrir considĂ©rablement. â Non Lobsang, rĂ©pondit-il, allons d'abord voir les cercueils. AprĂšs je te promets que nous regarderons mes jambes. Nous cheminĂąmes d'un pas assez lent, le Lama consultant rĂ©guliĂšrement sa carte. â Ah ! dit-il enfin. Nous prenons le prochain tournant Ă gauche et le suivant de nouveau Ă gauche, et c'est lĂ que se trouve la porte par laquelle nous devons entrer. Nous continuĂąmes notre chemin Ă pas lourds, tournĂąmes Ă gauche, et prĂźmes le premier tournant Ă gauche encore. Et voilĂ , la porte y Ă©tait, une grande porte qui semblait faite d'or martelĂ©. En nous approchant, une lumiĂšre Ă l'extĂ©rieur de la porte clignota, puis se stabilisa en une lumiĂšre constante, et la porte s'ouvrit. Nous entrĂąmes, et je m'arrĂȘtai un moment en observant la scĂšne plutĂŽt sinistre. C'Ă©tait une salle merveilleusement amĂ©nagĂ©e, avec des poteaux et des barres. â Ceci permet Ă un corps nouvellement Ă©veillĂ© de se tenir, Lobsang, dit le Lama. La plupart du temps, ils sont un peu Ă©tourdis lorsqu'ils se rĂ©veillent, et c'est plutĂŽt embĂȘtant de voir celui qui vient juste de s'Ă©veiller tomber la tĂȘte la premiĂšre et se retrouver tellement dĂ©figurĂ©, qu'il ne peut ĂȘtre utilisĂ© pendant un certain temps. Cela bouleverse tous les arrangements pris, et peut-ĂȘtre nous faut-il trouver un autre corps et une autre entitĂ©, ce qui nous donne un gros surplus de travail. Aucun de nous n'apprĂ©cie cela le moins du monde. Mais approche et regarde ce corps. Ă contrecĆur je m'approchai de l'endroit que le Lama me montrait. Je n'aimais pas voir des cadavres ; cela me faisait me demander pourquoi les humains avaient une durĂ©e de vie si courte, courte en effet lorsqu'on sait qu'un certain arbre a environ quatre mille ans. Je regardai dans le cercueil de pierre et il y avait lĂ un homme nu. Sur son corps il y avait un nombre de... eh bien, cela ressemblait Ă des aiguilles avec des fils conducteurs trĂšs fins, et de temps Ă autre, pendant que je regardais, le corps tressaillait et faisait un petit saut, une vision vraiment des plus inquiĂ©tantes. Pendant que je le regardais, il ouvrit des yeux vides et les referma aussitĂŽt. â Nous devons quitter cette piĂšce maintenant, dit le Lama Mingyar Dondup, parce que cet homme sera occupĂ© trĂšs, trĂšs bientĂŽt, et c'est dĂ©rangeant pour tous s'il y a des intrusions. LĂ -dessus il se dirigea vers la porte et sortit. Je jetai un dernier coup d'Ćil autour de moi et le suivis plutĂŽt Ă contrecĆur parce que les gens dans les cercueils de pierre, hommes et femmes, Ă©taient totalement nus et je me demandai ce que ferait une femme occupant l'un de ces corps. â Je capte tes pensĂ©es, Lobsang, dit le Lama. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas ĂȘtre employĂ©e pour faire certaines choses ? Il faut nĂ©cessairement une femme parce qu'il y a des endroits oĂč les hommes ne peuvent entrer, tout comme il y a certains endroits oĂč les femmes ne sont pas admises. Mais hĂątons-nous car nous ne voulons pas retarder la super-EntitĂ© en attente. Nous pressĂąmes davantage le pas, puis le Lama remarqua â Tu sembles avoir beaucoup de questions Ă poser ; n'hĂ©site pas, parce que tu vas devenir un super-Lama et il te faut apprendre une incroyable quantitĂ© de choses, des choses qui ne sont enseignĂ©es qu'Ă un prĂȘtre sur un million. â Et bien, dis-je, une fois que la super-EntitĂ© s'est introduite dans le corps de l'hĂŽte, que se passe-t-il ensuite ? Est-ce qu'il se prĂ©cipite pour aller prendre un bon repas ? C'est ce que je ferais sĂ»rement Ă sa place ! Le Lama rĂ©pondit en riant â Non, il ne se prĂ©cipite nulle part ; il n'a pas faim parce que le corps de substitution a Ă©tĂ© bien entretenu et bien nourri, prĂȘt pour une occupation immĂ©diate. â Mais je ne vois pas l'intĂ©rĂȘt de tout cela, MaĂźtre. Je veux dire, on penserait qu'une super-EntitĂ© pĂ©nĂ©trerait un corps qui vient juste de naĂźtre au lieu de toutes ces complications avec des cadavres qui sont comme des zombies. â Lobsang, rĂ©flĂ©chis un peu. Un bĂ©bĂ© doit vivre plusieurs annĂ©es afin d'apprendre une chose, il doit aller Ă l'Ă©cole, il doit se soumettre Ă la discipline parentale, et c'est une vĂ©ritable perte de temps. Il perd peut-ĂȘtre trente ou quarante ans, alors que si le corps peut faire tout cela et venir ensuite dans ces cercueils, il a alors en vĂ©ritĂ© beaucoup plus de valeur, il connaĂźt toutes les conditions de vie de sa propre partie du monde, et il n'a pas Ă passer des annĂ©es Ă attendre et Ă apprendre, sans trop savoir Ă quoi tout cela rime. â J'ai dĂ©jĂ vĂ©cu des expĂ©riences, dis-je, et les choses qui me sont arrivĂ©es â eh bien, elles ne semblent pas avoir de sens. Peut-ĂȘtre aurai-je des Ă©claircissements avant de quitter cet endroit. Et, de toute façon, pourquoi les humains ont-ils une durĂ©e de vie si courte ? Quand nous lisons Ă propos des Sages, ceux qui possĂšdent vraiment la sagesse, ils semblent vivre cent, deux cents ou mĂȘme trois cents ans, et ils continuent d'avoir l'air jeune. â Eh bien, Lobsang, aussi bien te le dire maintenant, je suis ĂągĂ© de plus de quatre cents ans et je peux te dire exactement pourquoi les humains ont une vie si terriblement courte "Il y a plusieurs millions d'annĂ©es, quand ce globe en Ă©tait Ă ses dĂ©buts, une planĂšte s'approcha trĂšs prĂšs et faillit entrer en collision avec ce monde qui fut en fait chassĂ© de son orbite Ă cause des impulsions antimagnĂ©tiques de l'autre monde. Mais l'autre planĂšte entra vraiment en collision avec une petite planĂšte qui Ă©clata en morceaux qui sont maintenant connus sous le nom de la ceinture d'astĂ©roĂŻdes. Nous en reparlerons plus en dĂ©tail un peu plus tard. Pour le moment, je te dirai que quand ce monde Ă©tait en formation, il y avait partout d'Ă©normes volcans qui dĂ©versaient des quantitĂ©s de lave et de fumĂ©e. Or, la fumĂ©e s'Ă©levait et formait d'Ă©pais nuages tout autour de la Terre. Ce monde n'Ă©tait pas du tout censĂ© ĂȘtre un monde ensoleillĂ©. Tu vois, la lumiĂšre du soleil est toxique, la lumiĂšre du soleil a des rayons mortels trĂšs nocifs pour un ĂȘtre humain. En fait, les rayons sont nuisibles pour toutes les crĂ©atures. La couverture nuageuse faisait du monde une serre ; elle laissait passer tous les rayons bĂ©nĂ©fiques tandis qu'elle arrĂȘtait les mauvais, et les gens vivaient des centaines d'annĂ©es. Mais lorsque la planĂšte indĂ©sirable frĂŽla la Terre, elle balaya tous les nuages la couvrant, et en l'espace de deux gĂ©nĂ©rations la durĂ©e de vie des gens fut rĂ©duite Ă soixante-dix ans. "Cette mĂȘme planĂšte, lorsqu'elle entra en collision et dĂ©truisit le plus petit monde en formant la ceinture d'astĂ©roĂŻdes, dĂ©versa ses mers dans ce monde-ci. Or, nous avons de l'eau qui forme nos mers, mais cet autre monde avait une diffĂ©rente sorte de mer c'Ă©tait une mer de pĂ©trole, et sans cette collision notre monde n'aurait pas eu de produits pĂ©troliers et cela aurait Ă©tĂ© une trĂšs bonne chose, parce que de nos jours les mĂ©dicaments sont tirĂ©s du pĂ©trole et beaucoup d'entre eux sont vraiment trĂšs nocifs. Mais voilĂ , il faut vivre avec. En ces premiers jours, toutes les mers Ă©taient contaminĂ©es par la substance pĂ©troliĂšre, mais avec le temps ce pĂ©trole coula au fond des mers et au fond des lits marins et s'accumula en grands bassins rocheux, bassins rĂ©sultant des effets volcaniques sous les lits marins. "Avec le temps le pĂ©trole sera tout Ă fait Ă©puisĂ© parce que le type de pĂ©trole disponible actuellement en est un nuisible Ă l'Homme, sa combustion entraĂźnant la formation d'un gaz mortel. Cela provoque de trĂšs nombreuses morts et amĂšne Ă©galement les femmes enceintes Ă donner naissance Ă des enfants malades et mĂȘme, dans certains cas, Ă des monstres. Nous en verrons trĂšs bientĂŽt car il y a d'autres salles que nous allons visiter. Tu pourras voir tout cela dans une scĂšne en trois dimensions. Maintenant, je sais que tu brĂ»les de savoir comment des photographies ont pu ĂȘtre prises il y a un milliard d'annĂ©es. La rĂ©ponse est qu'il existe des civilisations absolument fantastiques dans cet Univers qui, dans ce temps-lĂ , possĂ©daient un Ă©quipement photographique qui pouvait pĂ©nĂ©trer le brouillard le plus Ă©pais ou l'obscuritĂ© la plus complĂšte, et qu'ainsi des photographies furent prises. Puis, aprĂšs un certain temps, les gens de la super-science vinrent sur cette Terre et virent les gens mourir comme des mouches, si l'on peut dire, parce que si des gens ne peuvent vivre que jusqu'Ă l'Ăąge de soixante-dix ans, c'est vraiment trĂšs court et cela ne donne pas Ă quelqu'un la chance d'apprendre autant qu'il le devrait. J'Ă©coutais avec une attention profonde. Je trouvais tout cela absolument captivant et, selon moi, le Lama Mingyar Dondup Ă©tait l'homme le plus intelligent du Tibet. "Nous, ici, sur la surface de la Terre, poursuivit le Lama, ne connaissons que la moitiĂ© du monde car ce monde est creux, tout comme de nombreux autres mondes, tout comme la Lune, et d'autres individus vivent Ă l'intĂ©rieur. Certaines personnes refusent d'admettre que la Terre est creuse, mais je le sais par expĂ©rience personnelle car j'y suis allĂ©. L'une des plus grandes difficultĂ©s est que les savants du monde entier nient l'existence de tout ce que EUX n'ont pas dĂ©couvert. Ils affirment qu'il n'est pas possible que des gens vivent Ă l'intĂ©rieur de la Terre, ils affirment qu'il n'est pas possible qu'une personne vive plusieurs centaines d'annĂ©es, et ils affirment qu'il n'est pas possible que la couverture de nuage, une fois balayĂ©e, ait provoquĂ© le raccourcissement de la durĂ©e de vie. Mais il en est ainsi. Les savants, vois-tu, se rĂ©fĂšrent toujours Ă des livres scolaires qui transmettent des informations qui ont environ cent ans au moment oĂč elles atteignent les salles de classe, et des endroits comme celui-ci â cette caverne oĂč nous sommes maintenant â furent spĂ©cialement mis en place ici par les hommes les plus sages qui aient vĂ©cu. Les Jardiniers de la Terre pouvaient tomber malades, tout comme les humains natifs, et parfois une opĂ©ration Ă©tait nĂ©cessaire, une opĂ©ration qui ne pouvait ĂȘtre effectuĂ©e sur Terre ; aussi, le patient Ă©tait mis en Ă©tat d'animation suspendue et scellĂ© dans une enveloppe de plastique. Les mĂ©decins dans les cavernes envoyaient ensuite des messages Ă©thĂ©riques spĂ©ciaux demandant un navire-hĂŽpital spatial, et celui-ci descendait rapidement et emmenait les conteneurs avec les gens malades, scellĂ©s Ă l'intĂ©rieur. Ils pouvaient alors soit ĂȘtre opĂ©rĂ©s dans l'espace, ou bien ĂȘtre ramenĂ©s dans leur propre monde. "Tu vois, il est facile de voyager Ă une vitesse bien supĂ©rieure Ă celle de la lumiĂšre. Certains disaient âOh, si tu voyages Ă trente milles 50 km Ă l'heure cela te tuera parce que la pression de l'air fera Ă©clater tes poumons.â Puis, quand cela se rĂ©vĂ©la faux, les gens dirent âOh, l'Homme ne voyagera jamais Ă soixante mille 100 km Ă l'heure parce que cela le tuerait.â Ils dĂ©clarĂšrent ensuite que l'on ne pourrait jamais voyager plus rapidement que la vitesse du son, et ils disent maintenant que rien ne pourra jamais dĂ©passer la vitesse de la lumiĂšre. La lumiĂšre a une certaine vitesse, tu sais, Lobsang. Elle est composĂ©e de vibrations qui, Ă©manant de quelque objet, a un impact sur l'Ćil humain, et celui-ci voit l'objet en question. Mais, assurĂ©ment, d'ici quelques annĂ©es les gens voyageront Ă une vitesse plusieurs fois supĂ©rieure Ă celle de la lumiĂšre, comme le font les visiteurs qui viennent ici dans leurs vaisseaux spatiaux. Le vaisseau qui se trouve dans l'autre salle se prĂ©parait tout juste Ă dĂ©coller lorsque la montagne fut secouĂ©e et scella la sortie. Et, bien sĂ»r, aussitĂŽt que cela se produisit la piĂšce fut automatiquement vidĂ©e de tout son air et les gens Ă bord se trouvĂšrent en Ă©tat d'animation suspendue ; mais ils sont dans cet Ă©tat depuis si longtemps que si nous tentions de les ranimer maintenant, ils seraient probablement complĂštement fous. C'est parce que certaines parties extrĂȘmement sensibles de leurs cerveaux se sont trouvĂ©es privĂ©es d'oxygĂšne et que sans oxygĂšne elles meurent, et les individus qui se retrouvent avec un cerveau mort â eh bien, il ne sert Ă rien de les garder en vie, ils ne sont dĂ©sormais plus humains. Mais je parle trop, Lobsang. Allons jeter un coup d'Ćil Ă quelques-unes des autres piĂšces." â MaĂźtre, je voudrais d'abord voir vos jambes parce que nous avons ici les moyens de les guĂ©rir rapidement et je ne vois pas pourquoi vous devriez souffrir quand, grĂące Ă cette super-science, vous pouvez ĂȘtre guĂ©ri trĂšs, trĂšs rapidement. â D'accord, Lobsang, mon mĂ©decin en herbe. Retournons donc Ă la salle de guĂ©rison voir ce qu'on peut faire pour mes jambes. Chapitre Cinq Nous marchĂąmes le long du couloir qui sĂ©parait une piĂšce de l'autre Ă l'extĂ©rieur de la salle principale, et arrivĂąmes bientĂŽt Ă la salle des soins mĂ©dicauxâ. DĂšs que nous en franchĂźmes le seuil, la lumiĂšre apparut aussi intense que la premiĂšre fois. L'endroit semblait intact, et rien n'indiquait que nous y Ă©tions dĂ©jĂ passĂ©s, aucun signe que nos pieds couverts de poussiĂšre aient laissĂ© des traces. Le sol semblait fraĂźchement poli et les piĂšces mĂ©talliques autour du bassin central semblaient tout rĂ©cemment astiquĂ©es. Je remarquai cela au passage et j'eus envie de poser encore plus de questions, mais avant tout â MaĂźtre, dis-je, veuillez mettre vos jambes dans le bassin et je vais retirer vos bandages. Le Lama s'assit sur le bord en cĂ©ramique et laissa pendre ses jambes dans le bassin. J'entrai dans celle-ci et commençai Ă retirer les pansements. Comme j'arrivais prĂšs de la peau, je me sentis mal, trĂšs mal. Les bandages ici Ă©taient jaunes et d'un aspect horrible. â Qu'est-ce qui t'arrive, Lobsang ? Tu as l'air de quelqu'un qui s'est gavĂ© de trop de nourriture Ă©trange. â Oh, MaĂźtre, vos jambes sont en si mauvais Ă©tat ; je pense qu'il faudrait essayer de faire venir des moines pour vous ramener au Chakpori, dis-je. â Lobsang, les choses ne sont pas toujours ce qu'elles paraissent. EnlĂšve tous les bandages, toutes les bandelettes ; fais-le les yeux fermĂ©s si tu veux, ou peut-ĂȘtre vaudrait-il mieux que je le fasse moi-mĂȘme. J'arrivai Ă la fin du bandage et m'aperçus qu'il me serait impossible d'aller plus loin tant il Ă©tait collĂ© en un horrible gĂąchis, gluant, croĂ»tĂ©, qui me fit reculer. Mais le Lama se pencha, attrapa le paquet de bandages et donna un coup sec qui fit venir Ă lui le restant d'oĂč pendaient des choses visqueuses. Sans sourciller, il jeta simplement les bandages sur le sol en disant â Bon, maintenant je vais appuyer sur cette valve et le bassin va se remplir. Je l'avais tout d'abord fermĂ©e parce que, Ă©videmment, je ne voulais pas que tu enlĂšves mon pansement avec de l'eau jusqu'Ă la taille. Tu sors du bassin et je vais ouvrir les vannes. Je m'empressai de sortir et jetai un coup d'Ćil Ă ces horribles jambes. Si nous avions Ă©tĂ© au Chakpori ou ailleurs, je pense que les deux auraient Ă©tĂ© amputĂ©es, et quoi de plus terrible pour le Lama Mingyar Dondup qui a toujours voyagĂ© d'un endroit Ă un autre pour venir en aide Ă quelqu'un. Mais tandis que je regardais, une matiĂšre d'un jaune bilieux et verdĂątre se dĂ©tacha en plaques de ses jambes et flotta Ă la surface. Le Lama se haussa un peu hors de l'eau pour ouvrir davantage l'arrivĂ©e d'eau, ce qui eut pour effet de faire monter le niveau et je vis alors la matiĂšre flottante disparaĂźtre dans ce que je pris pour un conduit d'Ă©vacuation. Il consulta de nouveau le livre et effectua alors certains ajustements Ă une sĂ©rie de â eh bien, je ne peux que leur donner le nom de valves â des valves de diffĂ©rentes couleurs, et je vis l'eau changer de couleur tandis qu'une forte odeur mĂ©dicinale se rĂ©pandait dans l'air. Je regardai de nouveau ses jambes qui Ă©taient maintenant roses, tout comme celles d'un nouveau-nĂ©. Puis il releva sa robe un peu plus pour avancer davantage sur le fond en pente afin que l'eau curative lui arrive Ă mi-cuisse. Il se tint lĂ . Il restait tantĂŽt immobile ou marchait tantĂŽt lentement mais, ce faisant, ses jambes allaient en guĂ©rissant. Elles passĂšrent d'un rose enflammĂ© Ă un rose parfaitement sain et finalement il n'y eut plus de traces des plaques jaunĂątres, plus la moindre trace ; le tout avait complĂštement disparu et je levai la tĂȘte pour jeter un regard aux bandages que j'avais enlevĂ©s. Un frisson passa sur mon cuir chevelu les bandages avaient disparu sans laisser de traces, sans laisser de marques, ils s'Ă©taient tout simplement volatilisĂ©s, et j'en fus tellement abasourdi et stupĂ©fait que je m'assis involontairement en oubliant que j'Ă©tais dans l'eau, une eau mĂ©dicamenteuse en plus. Lorsqu'on prend la position du lotus et que l'on se trouve dans l'eau, mieux vaut fermer la bouche. Je m'attendais Ă un bien plus mauvais goĂ»t et fus surpris du goĂ»t trĂšs agrĂ©able de ce mĂ©dicament. Et trĂšs vite je m'aperçus que la dent qui, jusque-lĂ , m'avait fait souffrir ne me faisait plus mal, et d'un bond je me levai et crachai quelque chose ; c'Ă©tait prĂ©cisĂ©ment cette dent qui gisait maintenant sur le bord du bassin, fendue en deux. â Maudite dent, me dis-je en la regardant, tu peux maintenant te faire tout le mal que tu veux ! Tandis que je la regardais, je vis quelque chose d'absolument Ă©trange. La dent se dĂ©plaça, elle se dĂ©plaça vers le mur le plus proche, et en le touchant elle disparut. Je me tins lĂ debout comme un idiot, dĂ©goulinant de ma tĂȘte rasĂ©e Ă mes pieds nus, cherchant Ă voir quelque chose qui n'Ă©tait plus lĂ . Je me retournai pour demander au Lama Mingyar Dondup s'il l'avait vue ; il se trouvait alors en un certain endroit du sol oĂč le carrelage Ă©tait de couleur diffĂ©rente et oĂč de l'air chaud, de nature curative, sortait du sol ; il fut bientĂŽt sec. â Ă ton tour, Lobsang. Tu ressembles Ă un poisson Ă moitiĂ© noyĂ©. Tu ferais mieux de venir ici te sĂ©cher. Ă vrai dire je me sentais vraiment comme un poisson Ă moitiĂ© noyĂ©, puis je me demandai comment un poisson pouvait ĂȘtre Ă moitiĂ© noyĂ© alors qu'il vivait dans l'eau ; je fis part de cette rĂ©flexion au Lama qui me rĂ©pondit â Oui, c'est parfaitement vrai ; si tu retires un poisson de l'eau, ses branchies commencent immĂ©diatement Ă s'assĂ©cher et si tu le remets dans l'eau il va effectivement se noyer. Nous ne connaissons pas le mĂ©canisme de la chose, mais nous savons que c'est un fait. Mais tu as l'air bien mieux depuis que tu es entrĂ© dans ce bassin de guĂ©rison ; tu paraissais Ă©puisĂ© et tu as maintenant l'air de quelqu'un qui pourrait courir une centaine de milles 160 km. Je le rejoignis ensuite et regardai ses jambes de plus prĂšs. Alors mĂȘme que je regardais, la couleur rose commença Ă disparaĂźtre et elles reprirent bientĂŽt leur couleur naturelle. Il n'y avait pas la moindre trace du fait que, une heure plus tĂŽt, les os aient Ă©tĂ© presque dĂ©pouillĂ©s de leur chair. VoilĂ que ses jambes Ă©taient saines, intactes, et dire que je m'Ă©tais arrĂȘtĂ© Ă penser Ă la façon de les amputer ! â MaĂźtre, dis-je, j'ai tellement de questions Ă vous poser que j'ai presque honte de vous en demander les rĂ©ponses, mais je ne peux pas comprendre comment il se fait que les aliments et les boissons qui sont ici depuis une infinitĂ© d'annĂ©es puissent ĂȘtre encore parfaitement frais et parfaitement potables. MĂȘme dans nos rĂ©frigĂ©rateurs de glace la viande se gĂąte petit Ă petit, et comment se fait-il que cet endroit, aprĂšs des millions d'annĂ©es, puisse ĂȘtre aussi neuf que s'il avait Ă©tĂ© construit hier ? â Nous vivons dans une drĂŽle d'Ă©poque, Lobsang, une Ă©poque oĂč personne ne fait confiance Ă personne. Ă un certain moment, une population de Blancs se refusa absolument Ă croire qu'il puisse exister des Noirs et des Jaunes ; c'Ă©tait simplement trop fantastique pour y croire. De mĂȘme, des gens qui voyageaient dans un autre pays virent des hommes Ă cheval. Or, ils n'avaient jamais vu de chevaux auparavant, ils ne savaient pas que pareille chose existĂąt, aussi s'enfuirent-ils, et de retour dans leur pays ils rapportĂšrent avoir vu un homme-cheval, un centaure. Mais mĂȘme quand il fut connu que les chevaux Ă©taient des animaux qui pouvaient ĂȘtre montĂ©s par des hommes, de nombreuses personnes continuĂšrent Ă ne pas y croire, pensant que le cheval Ă©tait une sorte particuliĂšre d'humain changĂ© en une forme animale. Il y a tant de choses de ce genre. Les gens ne croient pas en quelque chose de nouveau Ă moins de l'avoir vue eux-mĂȘmes de leurs propres yeux, ou touchĂ©e, ou dĂ©montĂ©e de leurs propres mains. Ici, nous rĂ©coltons les fruits d'une trĂšs, trĂšs haute civilisation en vĂ©ritĂ©, non pas celle de l'une des Atlantides car, comme je te l'ai dit, Atlantide n'est que le terme qui dĂ©signe la terre qui disparaĂźt. Non, ces lieux remontent loin, bien au-delĂ de l'Atlantide, et il existait un moyen automatique d'arrĂȘter tout dĂ©veloppement, toute croissance, jusqu'Ă ce qu'un humain se prĂ©sente Ă une certaine distance. Ainsi, si aucun humain ne vient ici de nouveau, cet endroit restera tel qu'il est maintenant, imprenable et sans aucun signe d'altĂ©ration ou de dissolution. Mais si les gens y venaient et utilisaient l'endroit comme nous l'avons fait, aprĂšs qu'un certain nombre de personnes l'aient utilisĂ©, il se dĂ©tĂ©riorerait, vieillirait. Heureusement, nous nous trouvons dans un lieu qui a Ă©tĂ© trĂšs, trĂšs rarement utilisĂ© ; en fait, il n'a Ă©tĂ© utilisĂ© que deux fois depuis sa construction. â MaĂźtre, comment pouvez-vous affirmer que cet endroit n'a Ă©tĂ© utilisĂ© que deux fois ? Le Lama me montra alors un objet qui pendait du plafond. â LĂ , dit-il, si quelqu'un passe au-delĂ , cela s'enregistre, et celui-ci indique le chiffre 3. Le dernier enregistrement est pour toi et moi. Quand nous quitterons, et ce ne sera pas avant trois ou quatre jours, le temps de notre sĂ©jour sera enregistrĂ©, prĂȘt pour les prochains occupants qui Ă leur tour se demanderont qui a bien pu les prĂ©cĂ©der. Mais tu sais, Lobsang, j'essaie de te faire rĂ©aliser que le degrĂ© de civilisation, quand cet endroit a Ă©tĂ© construit, Ă©tait le plus haut qui ait jamais Ă©tĂ© atteint sur ce monde. Tu vois, d'abord et avant tout, ces gens Ă©taient les Gardiens du Monde, les Jardiniers du Monde. Leur civilisation Ă©tait telle, qu'ils pouvaient faire fondre la roche â aussi dure fut-elle â et lui donner l'aspect du verre et la fonte Ă©tait ce que nous appelons une fusion Ă froid, c'est-Ă -dire sans production de chaleur, si bien qu'un endroit pouvait ĂȘtre utilisĂ© immĂ©diatement. â Mais je ne peux vraiment pas comprendre pourquoi ces gens si hautement civilisĂ©s tenaient Ă vivre Ă l'intĂ©rieur des montagnes. Vous m'avez dit que cette chaĂźne de montagnes s'Ă©tend d'un bout Ă l'autre du monde. Pourquoi devaient-ils se cacher ? â La meilleure chose Ă faire est d'aller dans la salle du passĂ©, du prĂ©sent, et du futur. C'est lĂ qu'est emmagasinĂ©e la connaissance de tout ce qui s'est produit dans le monde. L'histoire que tu as apprise en classe n'est pas toujours vĂ©ridique ; elle a Ă©tĂ© modifiĂ©e pour plaire au roi ou au dictateur au pouvoir Ă l'Ă©poque. Certains d'entre eux ont dĂ©sirĂ© que leur rĂšgne soit considĂ©rĂ© comme un Ăge d'Or. Mais en voyant la chose rĂ©elle, la rĂ©alitĂ© du Registre Akashique â eh bien, on ne peut pas se tromper. â Avez-vous dit le Registre Akashique, MaĂźtre ? Je croyais que l'on ne pouvait le voir que lorsque l'on se trouve sur le plan astral. Je ne savais pas que l'on pouvait venir dans les montagnes et voir tout ce qui s'est produit, rĂ©pliquai-je. â Oh mais, tu oublies que les choses peuvent ĂȘtre copiĂ©es. Nous avons atteint un certain niveau de civilisation, nous nous pensons incroyablement intelligents et nous nous demandons si quelqu'un pourra jamais l'ĂȘtre davantage, mais viens avec moi et je vais te montrer la vraie rĂ©alitĂ©. Allez, c'est une bonne marche, mais l'exercice te fera du bien. â MaĂźtre, n'y a-t-il aucun moyen que je puisse employer pour vous Ă©viter de marcher ? N'y a-t-il pas quelque chose comme un traĂźneau ? Ou pourrais-je vous tirer si vous Ă©tiez assis sur une Ă©toffe bien solide ? â Non, non merci, Lobsang, je suis tout Ă fait capable de marcher cette distance et, en fait, l'exercice peut me faire Ă©galement du bien. Mettons-nous en route. Nous nous mĂźmes effectivement en routeâ et j'aurais aimĂ© examiner de plus prĂšs certaines des choses intĂ©ressantes observĂ©es en chemin. J'Ă©tais extrĂȘmement intriguĂ© par les portes, chacune ayant une inscription gravĂ©e sur la porte elle-mĂȘme. â Toutes ces piĂšces, Lobsang, sont consacrĂ©es Ă diffĂ©rentes sciences, des sciences dont on n'a jamais entendu parler en ce monde, parce qu'ici nous sommes comme des aveugles essayant de trouver leur chemin dans une maison qui a de nombreux corridors. Mais je suis quelqu'un douĂ© de la vue puisque je peux lire ces inscriptions et, comme je te l'ai dit, je suis dĂ©jĂ venu dans ces cavernes. Finalement, nous arrivĂąmes Ă un mur apparemment infranchissable. Il y avait une porte sur la gauche, et une porte sur la droite, mais le Lama Mingyar Dondup les ignora et, se tenant plutĂŽt juste face Ă ce mur, il prononça un son trĂšs particulier sur un ton autoritaire. ImmĂ©diatement, sans aucun bruit, le mur se divisa en deux et les deux moitiĂ©s disparurent dans les cĂŽtĂ©s du corridor. Ă l'intĂ©rieur, il n'y avait qu'une faible lumiĂšre, un scintillement comme celui des Ă©toiles. Nous entrĂąmes dans la salle qui paraissait aussi vaste que le monde. Avec un trĂšs lĂ©ger bruissement, les deux moitiĂ©s de la porte se refermĂšrent derriĂšre nous, et cette fois nous Ă©tions de l'autre cĂŽtĂ© du mur apparemment infranchissable. La lumiĂšre s'intensifia quelque peu nous permettant d'entrevoir un grand globe flottant dans l'espace. En fait il n'Ă©tait pas vraiment rond, mais avait plutĂŽt une forme de poire et de ses deux extrĂ©mitĂ©s sortaient des Ă©clairs. â Ces Ă©clairs sont les champs magnĂ©tiques du monde. Tu apprendras tout Ă ce sujet un peu plus tard. Je me tenais lĂ , bouche bĂ©e. Il semblait y avoir de chatoyants rideaux de lumiĂšre en perpĂ©tuel changement autour des pĂŽles ; ils semblaient onduler et couler d'un pĂŽle Ă l'autre, mais avec une forte attĂ©nuation de couleurs au niveau de l'Ă©quateur. Le Lama prononça quelques mots, des mots dans une langue qui m'Ă©tait inconnue. ImmĂ©diatement apparut la faible lumiĂšre d'une aube, comme celle qui accompagne la naissance d'un nouveau jour, et je me sentis comme quelqu'un qui vient tout juste de se rĂ©veiller d'un rĂȘve. Mais ce n'Ă©tait pas un rĂȘve, comme je le dĂ©couvris rapidement. â Nous allons nous asseoir ici, dit mon MaĂźtre, parce que ceci est une console qui permet de faire varier les Ă©poques. Tu n'es plus dans la troisiĂšme dimension maintenant, rappelle-toi ; ici, tu es dans la quatriĂšme dimension, et peu de gens peuvent y survivre. Aussi, si tu te sens bouleversĂ© ou malade de quelque façon, avertis-moi aussitĂŽt pour que je puisse te venir en aide. Je pus vaguement voir la main droite du Lama tendue et prĂȘte Ă tourner un bouton. Il se tourna de nouveau vers moi en disant â Es-tu sĂ»r de te sentir bien, Lobsang ? Pas de nausĂ©e, pas de malaise ? â Non, MaĂźtre, je me sens trĂšs bien ; je suis absolument fascinĂ© et je me demande ce que nous verrons en premier. â Eh bien, tout d'abord nous devons voir la formation de ce monde, et ensuite l'arrivĂ©e des Jardiniers du Monde. Ils viendront tout d'abord repĂ©rer les lieux, et ils repartiront ensuite pour Ă©laborer des plans. Tu les verras revenir plus tard dans un Ă©norme vaisseau spatial, parce que c'est rĂ©ellement ce qu'est la Lune. Soudainement tout devint noir, la noirceur la plus noire que j'aie jamais connue ; mĂȘme par une nuit sans lune il y a toujours eu la faible clartĂ© des Ă©toiles, et mĂȘme dans une piĂšce fermĂ©e sans fenĂȘtre, il y avait encore une impression d'un peu de lumiĂšre. Mais ici il n'y avait rien, rien du tout. Et puis, je faillis tomber de mon siĂšge, je faillis bondir de frayeur Ă une vitesse incroyable, deux faibles points de lumiĂšre se frappĂšrent en se rejoignant, ils entrĂšrent en collision, et alors l'Ă©cran fut rempli de lumiĂšre. Je pus voir des gaz tourbillonnants et des fumĂ©es de diffĂ©rentes couleurs, et ensuite l'Ă©cran tout entier, le globe tout entier remplit tout l'espace. Je pus voir des riviĂšres de feu se dĂ©versant de volcans crachant des flammes. L'air Ă©tait oppressant. J'Ă©tais conscient, mais obscurĂ©ment, d'ĂȘtre en train d'observer quelque chose et en fait de ne pas ĂȘtre lĂ en personne. J'observai donc et je fus de plus en plus fascinĂ© de voir le monde rĂ©trĂ©cir quelque peu et les volcans devenir moins nombreux, tandis que les mers fumaient toujours Ă cause de la lave bouillante qui s'y Ă©tait dĂ©versĂ©e. Il n'y avait rien d'autre que des rochers et de l'eau. Il n'y avait qu'une Ă©tendue de terres, pas trĂšs grande, mais une seule masse solide qui donnait au globe un mouvement incohĂ©rent particulier. Il ne suivait pas un trajet circulaire, mais semblait plutĂŽt suivre celui qu'aurait tracĂ© la main tremblante d'un enfant. Au fur et Ă mesure que je regardais, la masse terrestre prit une forme de plus en plus sphĂ©rique tandis qu'elle se refroidissait. Mais il n'y avait toujours Ă sa surface que des rochers et de l'eau et de violentes tempĂȘtes y faisaient rage. Sous l'effet des vents, les cimes montagneuses basculĂšrent et dĂ©valĂšrent les pentes pour ĂȘtre rĂ©duites en poussiĂšre. Le temps s'Ă©coula et Ă prĂ©sent la terre recouvrait une partie du monde, car elle-mĂȘme Ă©tait faite de la poussiĂšre broyĂ©e des montagnes. Elle se souleva et trembla, et en certains endroits de grands jets de fumĂ©e et de vapeur Ă©mergĂšrent et tandis que j'observais, je vis une section de terre se dĂ©tacher soudainement de la masse continentale principale. Elle s'en dĂ©tacha et pendant quelques secondes elle sembla s'accrocher Ă la masse principale dans le vain espoir d'ĂȘtre rĂ©unie. Je pouvais voir des animaux glisser le long des pentes et tomber dans l'eau bouillante. Puis, la section sĂ©parĂ©e se fendit davantage, se dĂ©tacha complĂštement et disparut sous les vagues. Ătrangement, je constatai que je pouvais voir en mĂȘme temps l'autre cĂŽtĂ© du monde, et je vis, Ă ma grande stupĂ©faction, une terre sortir de la mer. Elle s'Ă©leva comme si une main gĂ©ante l'avait soulevĂ©, elle s'Ă©leva, trembla un peu, puis frĂ©mit en s'immobilisant. Cette terre, bien sĂ»r, n'Ă©tait que roches pas une plante, pas un brin d'herbe, ni rien qui ressembla Ă des arbres. Et tandis que je regardais, une montagne Ă proximitĂ© explosa en flammes, des flammes Ă©clatantes, rouges, jaunes et bleues, puis arriva alors un flux de lave, chauffĂ©e Ă blanc, coulant comme un flot d'eau chaude. Mais aussitĂŽt que la lave toucha l'eau, elle se gĂ©lifia et se solidifia, et bientĂŽt la surface de la roche nue fut couverte par une masse d'un jaune bleuĂątre qui se refroidit rapidement. Quittant l'Ă©cran des yeux je me demandai alors oĂč Ă©tait mon Guide. Il Ă©tait lĂ juste derriĂšre moi et me dit TrĂšs intĂ©ressant, Lobsang, trĂšs intĂ©ressant, pas vrai ? Nous voulons voir beaucoup plus de choses, aussi nous allons sauter la partie oĂč la terre stĂ©rile tremblait et se tordait en se refroidissant dans l'espace. Quand nous reprendrons, nous verrons les premiers types de vĂ©gĂ©tation. Je me calai dans mon fauteuil, absolument stupĂ©fait. Est-ce que tout ceci se passait rĂ©ellement ? Je me faisais l'effet d'un dieu assistant Ă la naissance du monde. J'eus une sensation bizarreâ parce que ce monde en face de moi paraissait plus grand que celui que je connaissais, et je â eh bien, il me semblait possĂ©der de remarquables pouvoirs de vision. Je pus voir les flammes dĂ©vorer le centre du monde et en faire un monde creux, quelque chose comme une balle, et pendant tout le temps que j'observais, des mĂ©tĂ©orites, de la poussiĂšre cosmique, et d'Ă©tranges, Ă©tranges choses tombĂšrent sur la surface de la Terre. Devant moi, Ă portĂ©e de main, pensai-je, tomba une machine. Je ne pouvais en croire mes yeux parce qu'elle s'Ă©ventra et des corps en tombĂšrent, des corps et des appareils, et je pensai en moi-mĂȘme "Dans l'Avenir quelqu'un pourrait dĂ©couvrir cette Ă©pave et se demander ce qui provoqua sa chute, se demander ce que c'Ă©tait." â Tu as raison, Lobsang, me dit alors mon Guide qui avait captĂ© ma pensĂ©e, cela s'est dĂ©jĂ produit. Ă l'Ăpoque actuelle, des mineurs de charbon ont dĂ©couvert des choses vraiment remarquables des artefacts rĂ©vĂ©lant une compĂ©tence inconnue sur cette Terre. Des instruments trĂšs Ă©tranges ont Ă©galement Ă©mergĂ© du charbon et, dans un cas, le squelette complet d'un homme de trĂšs grande taille, de trĂšs haute stature. Toi et moi, Lobsang, sommes les seuls Ă voir ceci, parce qu'avant que la machine ne soit achevĂ©e les Dieux que l'on appelle les Jardiniers du Monde se sont disputĂ©s pour des histoires de femmes et c'est pour cela que nous ne pouvons voir que la formation de ceci, notre Terre. Si la machine avait Ă©tĂ© terminĂ©e, nous aurions pu voir Ă©galement d'autres mondes. Cela n'aurait-il pas Ă©tĂ© une chose merveilleuse ? Les mĂ©tĂ©orites pleuvaient, soulevant des colonnes d'eau en touchant la masse liquide et provoquant de fortes empreintes lorsqu'ils heurtaient la roche ou le sol rudimentaire qui couvrait alors la Terre. Le Lama dĂ©plaça sa main vers un autre bouton â je suppose qu'on devrait en fait parler de commutateurs â et l'action dĂ©fila Ă si grande vitesse que je ne pus voir ce qu'il en Ă©tait, puis le rythme se ralentit et l'on vit Ă nouveau la surface du globe recouverte cette fois d'une vĂ©gĂ©tation luxuriante. Il y avait d'immenses fougĂšres, plus grandes que des arbres, qui se dressaient vers le ciel, un ciel maintenant couvert de nuages pourpres donnant Ă l'air lui-mĂȘme une teinte pourprĂ©e. Il Ă©tait fascinant au dĂ©but de voir une crĂ©ature aspirer, puis expirer ce qui ressemblait Ă une fumĂ©e pourpre. Mais je me lassai bientĂŽt de ce tableau et regardai plus loin. Il y avait des monstres horribles qui d'un pas lent et pesant avançaient Ă travers des marĂ©cages ; rien ne semblait pouvoir les arrĂȘter. Une crĂ©ature gigantesque â je n'ai pas la moindre idĂ©e de son nom â vint Ă l'encontre de tout un groupe d'autres crĂ©atures lĂ©gĂšrement plus petites. Celles-ci ne voulant pas s'Ă©carter, et la plus grosse ne s'arrĂȘtant pas, cette derniĂšre qui portait sur son nez une Ă©norme corne se mit alors Ă foncer dans le groupe, tĂȘte baissĂ©e. Sur le sol dĂ©trempĂ©, maculĂ© de sang et parsemĂ© d'intestins et d'autres choses de mĂȘme nature, arrivĂšrent ensuite d'Ă©tranges crĂ©atures Ă six pattes qui Ă©mergĂšrent de l'eau ; leurs mĂąchoires ressemblaient Ă deux pelles. Ils enfournĂšrent prestement tout ce qu'ils trouvĂšrent et quand ils eurent terminĂ©, ces animaux semblĂšrent encore chercher quelque chose Ă se mettre sous la dent. L'un de leurs compagnons avait butĂ© contre un tronc d'arbre ou quelque chose de ce genre et s'Ă©tait cassĂ© une patte. Avisant cela, ils se prĂ©cipitĂšrent sur lui et le dĂ©vorĂšrent tout vivant, ne laissant que les os pour tĂ©moigner de l'Ă©vĂ©nement. Mais bientĂŽt les os furent recouverts de feuillage qui avait poussĂ©, s'Ă©tait Ă©panoui et s'Ă©tait flĂ©tri, puis Ă©tait tombĂ© au sol. Des millions d'annĂ©es plus tard ceci deviendrait une veine de charbon et les os des animaux seraient dĂ©terrĂ©s en devenant une source d'Ă©tonnement. Le monde tourna plus vite maintenant, parce que les choses progressaient plus rapidement. Le Lama Mingyar Dondup tendit le bras vers un autre interrupteur et de son coude gauche me donna un petit coup dans les cĂŽtes en disant â Lobsang, Lobsang, tu ne dors pas, n'est-ce pas ? Tu dois voir ceci. Reste Ă©veillĂ© et regarde. Il mit en marche je ne sais trop quoi on pourrait dire une image, mais elle Ă©tait tridimensionnelle et on pouvait passer derriĂšre sans effort apparent. Le Lama me donna de nouveau un petit coup de coude dans les cĂŽtes et pointa le ciel pourpre. Il y avait lĂ un miroitement argentĂ©, un long tube d'argent fermĂ© aux deux extrĂ©mitĂ©s qui descendait lentement. Il finit par Ă©merger des nuages pourpres et plana plusieurs pieds m au-dessus du terrain, puis, comme s'il avait soudainement pris une grande dĂ©cision, il se laisse tomber doucement sur la surface du monde. Pendant quelques minutes il resta simplement lĂ , immobile. Il donnait l'impression d'un animal mĂ©fiant qui regardait aux alentours avant de quitter la sĂ©curitĂ© de son abri. Finalement la crĂ©ature sembla satisfaite et une grande section de mĂ©tal tomba de cĂŽtĂ© et frappa le sol avec un claquement mou. Un certain nombre de crĂ©atures Ă©tranges apparurent dans l'ouverture en regardant autour d'elles. Elles avaient environ deux fois la taille d'un homme de grande taille et Ă©taient deux fois plus larges, mais elles semblaient revĂȘtues d'une sorte de vĂȘtement qui les couvrait de la tĂȘte aux pieds. La partie couvrant la tĂȘte Ă©tait tout Ă fait transparente. Nous pouvions voir les visages austĂšres, autocratiques, des gens. Ceux-ci paraissaient penchĂ©s sur une carte et prenaient des notes. Ils dĂ©cidĂšrent finalement que tout allait bien et se mirent ainsi Ă descendre un par un le long de la paroi mĂ©tallique qu'ils avaient jetĂ©e sur le sol, mais dont une extrĂ©mitĂ© Ă©tait restĂ©e attachĂ©e au vaisseau. Ces hommes Ă©taient couverts d'une sorte de gaine ou de vĂȘtement de protection. L'un de ces hommes â je crois qu'il s'agissait d'hommes, car il Ă©tait difficile de le dĂ©terminer Ă travers toute la fumĂ©e et la difficultĂ© de voir Ă travers leurs casques transparents â mais l'un d'eux glissa de la grande piĂšce de mĂ©tal et tomba tĂȘte premiĂšre dans la vase. Presque avant qu'il n'ait touchĂ© la surface, d'abominables crĂ©atures jaillirent de la vĂ©gĂ©tation et l'attaquĂšrent. Ses camarades sortirent prĂ©cipitamment, pour le dĂ©fendre, des armes qu'ils portaient Ă leur ceinture. L'homme fut tirĂ© prestement sur passerelle de mĂ©tal ; l'on put voir que ce qui enveloppait le corps Ă©tait sĂ©rieusement dĂ©chirĂ©, apparemment par des animaux, et qu'il saignait abondamment. Deux des hommes le ramenĂšrent Ă l'intĂ©rieur du vaisseau, ou quelle que soit la chose, et ressortirent plusieurs minutes plus tard en tenant quelque chose dans leurs mains. Debout sur la paroi mĂ©tallique, tous deux appuyĂšrent sur un bouton de l'appareil qu'ils portaient et une flamme sortit d'un bec pointu. Tous les insectes furent carbonisĂ©s et balayĂ©s de la paroi de mĂ©tal qui fut alors relevĂ©e dans le corps du navire. Les hommes qui portaient le lance-flammes se dĂ©placĂšrent prudemment, projetant les flammes sur le sol et brĂ»lant toute une bande de terre d'un cĂŽtĂ© du navire. Ils Ă©teignirent alors leur appareil et s'empressĂšrent de rejoindre les autres hommes qui avaient traversĂ© une forĂȘt de fougĂšres. Ces fougĂšres Ă©taient aussi hautes que de grands arbres et il Ă©tait facile de suivre le passage de ceux-ci parce qu'apparemment ils avaient une sorte de dispositif de coupe qui, oscillant d'un cĂŽtĂ© Ă l'autre, coupait les fougĂšres presque jusqu'au niveau du sol. Je dĂ©cidai qu'il me fallait essayer de voir ce qu'ils faisaient. Je changeai de place et m'assis un peu plus sur la gauche. De lĂ j'avais une meilleure vue puisque je pouvais maintenant voir les hommes venir apparemment vers moi. En tĂȘte du groupe, deux hommes tenaient une machine qui glissait et coupait toutes les fougĂšres sur son chemin. Elle semblait munie d'une lame rotative, et ils eurent tĂŽt fait de passer Ă travers la forĂȘt de fougĂšres et de dĂ©couvrir une clairiĂšre oĂč Ă©taient rassemblĂ©s un certain nombre d'animaux. Les animaux regardĂšrent les hommes et les hommes regardĂšrent les animaux. L'un des hommes voulant tester leur agressivitĂ© pointa vers eux un tube en mĂ©tal et dĂ©clencha une petite saillie mĂ©tallique. Il y eut une formidable explosion et l'animal qui avait Ă©tĂ© visĂ© tomba tout simplement en morceaux, il s'effondra tout simplement. Cela me rappela un moine qui Ă©tait tombĂ© du sommet d'une montagne tout fut totalement dispersĂ©. Quant aux autres animaux, il n'y en eut plus aucun signe ; ils avaient pris la fuite Ă toute vitesse. â Nous ferions mieux de passer Ă autre chose, Lobsang ; nous avons encore beaucoup de choses Ă voir. Nous allons sauter environ mille ans. Le Lama manĆuvra l'un de ces interrupteurs et tout dans le globe se mit Ă tourbillonner, puis revint finalement Ă son rythme naturel de rotation. â Ceci est un moment plus appropriĂ©, Lobsang. Sois trĂšs attentif, parce que nous allons voir comment ces grottes furent fabriquĂ©es. Nous observĂąmes trĂšs attentivement et vĂźmes une rangĂ©e de collines trĂšs basses ; au fur et Ă mesure qu'elles se rapprochaient nous nous aperçûmes qu'il s'agissait de rocs recouverts d'une espĂšce de mousse verdĂątre, sauf tout en haut oĂč il n'y avait que de la roche dĂ©nudĂ©e. Sur un cĂŽtĂ© nous vĂźmes d'Ă©tranges maisons qui semblaient Ă moitiĂ© rondes. Imaginez une balle que l'on aurait coupĂ©e en deux et dont on aurait posĂ© la moitiĂ© Ă plat sur le sol et vous aurez une idĂ©e de ces constructions. Nous y vĂźmes des gens aller et venir. Ils Ă©taient vĂȘtus d'un quelconque tissu qui leur collait au corps et qui ne laissait aucun doute sur leur sexe. Toutefois ils ne portaient pas Ă prĂ©sent leurs casques transparents et, discutant entre eux, il semblait y avoir pas mal de disputes en cours. L'un des hommes Ă©tait apparemment le chef. Il donna brusquement des ordres ; une machine sortit de l'un des abris et se dirigea vers la crĂȘte rocheuse. L'un des hommes prit place Ă l'arriĂšre de l'appareil, sur un siĂšge mĂ©tallique. Alors la machine se mit en marche, dĂ©gageant quelque choseâ Ă partir d'embouts situĂ©s tout le long de l'avant, de l'arriĂšre et des cĂŽtĂ©s, et au fur et Ă mesure que la machine se dĂ©plaçait lentement, la roche fondait et semblait se rĂ©tracter. La machine Ă©mettait amplement de lumiĂšre et nous permettait ainsi de voir qu'elle perçait un tunnel directement dans la roche vivante. Elle continua d'aller de l'avant, puis elle se mit Ă tourner en rond, et au bout de quelques heures elle avait creusĂ© la grande caverne dans laquelle nous avions pĂ©nĂ©trĂ© en premier. C'Ă©tait une immense caverne et nous pĂ»mes voir qu'il s'agissait en fait d'un hangar ou d'un garage pour certaines de leurs machines qui survolaient constamment l'endroit. Tout cela nous laissa tout Ă fait perplexes ; nous ne pensions plus ni Ă boire ni Ă manger et le temps n'avait plus d'importance. Lorsque la grande piĂšce fut terminĂ©e, la machine suivit une trajectoire qui avait Ă©tĂ© apparemment marquĂ©e au sol, et cette trajectoire devint l'un des couloirs. Cela continua et continua, hors de notre vue, mais alors d'autres machines arrivĂšrent pour creuser des piĂšces de diffĂ©rentes tailles dans les couloirs. Elles semblaient simplement faire fondre la roche puis, en reculant, elles laissaient une surface aussi lisse que du verre. Il n'y avait ni poussiĂšre ni saletĂ©, mais simplement cette surface luisante. Au fur et Ă mesure que les machines effectuaient leur travail, des Ă©quipes d'hommes et de femmes entraient dans les piĂšces, transportant des boĂźtes et des boĂźtes et encore plus de boĂźtes, mais celles-ci paraissaient flotter dans l'air. Chose certaine, il ne fallait aucun effort pour les soulever. Mais un superviseur se tenait au milieu de la piĂšce et indiquait oĂč chaque boĂźte devait ĂȘtre dĂ©posĂ©e. Puis, quand la piĂšce eut son lot complet de boĂźtes, les travailleurs commencĂšrent Ă dĂ©baller certaines d'entre elles. Il y avait d'Ă©tranges appareils et toutes sortes d'objets curieux, parmi lesquels je reconnus un microscope. J'en avais vu un modĂšle trĂšs grossier auparavant chez le DalaĂŻ-Lama qui en avait reçu un d'Allemagne, et je connaissais donc le principe de l'appareil. Nous fĂ»mes attirĂ©s par une querelle qui semblait avoir lieu. C'Ă©tait comme si certains des hommes et des femmes Ă©taient opposĂ©s aux autres hommes et femmes. On criait et on gesticulait beaucoup, jusqu'Ă ce que finalement tout un groupe d'hommes et de femmes montent dans certains de ces vĂ©hicules qui voyagent dans les airs. Ils ne firent aucun adieu ou quoi que ce soit du genre, mais montĂšrent simplement Ă bord, fermĂšrent les portes, et les machines s'envolĂšrent. Quelques jours plus tard â jours selon la vitesse du globe que nous observions â un certain nombre de vaisseaux revinrent et planĂšrent au-dessus du camp. Puis le dessous des navires s'ouvrit pour dĂ©verser des choses. Nous observions et pouvions voir les gens s'enfuir dĂ©sespĂ©rĂ©ment de lĂ oĂč tombaient les choses. Puis ils se jetĂšrent Ă terre quand le premier objet frappa le sol et explosa dans un violent flash pourpre Ă©clatant. Nous eĂ»mes du mal Ă voir parce que nous Ă©tions totalement Ă©blouis par l'Ă©clat du flash, mais alors, sortant de la forĂȘt de fougĂšres apparurent de minces faisceaux de lumiĂšre vive dont l'un frappa l'une des machines dans les airs. Celle-ci disparut immĂ©diatement dans une gerbe de flammes. â Tu vois, Lobsang mĂȘme les Jardiniers de la Terre avaient leurs problĂšmes. Leur problĂšme Ă©tait le sexe ; il y avait trop d'hommes et pas assez de femmes, et quand les hommes sont restĂ©s longtemps Ă l'Ă©cart des femmes â eh bien, ils deviennent lascifs et recourent Ă une grande violence. Mais nous n'allons pas nous attarder lĂ -dessus, ce sont seulement des histoires de meurtres et de viols. Au bout d'un certain temps de nombreux vaisseaux repartirent, apparemment vers leur vaisseau mĂšre qui faisait le tour du globe loin dans l'espace. Au bout de quelques jours un certain nombre de grands vaisseaux revinrent et atterrirent. Des hommes lourdement armĂ©s en descendirent et ils commencĂšrent une chasse Ă l'homme Ă travers le feuillage. Ils tirĂšrent Ă vue sans poser de questions, c'est-Ă -dire qu'ils tiraient si la personne Ă©tait un homme. S'il s'agissait d'une femme, ils la capturaient et l'emmenaient Ă l'un des navires. Il fallut faire une pause. Nos entrailles criaient famine et nous avions soif. Nous prĂ©parĂąmes notre tsampa traditionnelle, et aprĂšs avoir bu de l'eau, mangĂ© et effectuĂ© quelques autres besognes, nous revĂźnmes dans la salle oĂč se trouvait le globe qui reprĂ©sentait le monde. Le Lama Mingyar Dondup actionna quelque chose, et nous vĂźmes de nouveau le monde. Il s'y trouvait maintenant des crĂ©atures, des crĂ©atures d'environ quatre pieds 1,20 m de haut et aux jambes trĂšs, trĂšs arquĂ©es. Elles avaient des armes en quelque sorte qui consistaient en un bĂąton Ă l'extrĂ©mitĂ© duquel Ă©tait attachĂ©e une pierre tranchante, qu'elles rendaient encore plus tranchante en la rognant et la rognant jusqu'Ă en obtenir un bord rĂ©ellement affilĂ©. Un certain nombre d'individus Ă©taient occupĂ©s Ă la fabrication de ces armes, tandis que d'autres en construisaient d'autres modĂšles qui consistaient en bandes de cuir du milieu desquelles ils plaçaient de grosses pierres. Deux hommes tiraient sur la laniĂšre de cuir que l'on avait saturĂ© d'eau pour la rendre extensible, et lorsqu'ils la relĂąchaient la pierre placĂ©e en son centre s'Ă©lançait vers l'ennemi. Mais nous Ă©tions davantage intĂ©ressĂ©s Ă voir comment changĂšrent les civilisations, aussi le Lama Mingyar Dondup actionna Ă nouveau les commandes et tout devint obscur dans le globe. Il sembla s'Ă©couler plusieurs minutes avant que la scĂšne ne s'illumine progressivement, comme si l'aube apparaissait lentement, pour faire place bientĂŽt Ă la vĂ©ritable lumiĂšre du jour, et nous vĂźmes une ville imposante toute hĂ©rissĂ©e de flĂšches et de minarets. D'une tour Ă l'autre s'Ă©tendaient des ponts Ă l'aspect fragile. Cela me paraissait incroyable qu'ils puissent se maintenir, encore moins supporter la circulation, mais je m'aperçus alors que toute la circulation Ă©tait aĂ©rienne. Bien sĂ»r, quelques personnes se promenaient sur les ponts et sur les diffĂ©rents niveaux de rues. Soudain un terrible mugissement retentit. Nous ne comprĂźmes pas tout d'abord qu'il venait du monde que nous regardions, mais trĂšs vite nous vĂźmes une multitude de points minuscules arriver sur la ville. Juste avant d'atteindre celle-ci, ces points minuscules dĂ©crivirent des cercles en laissant tomber des choses de leurs parties infĂ©rieures. L'imposante citĂ© s'effondra. Les tours furent arrachĂ©es tandis que les ponts s'Ă©crasĂšrent, donnant l'impression de longueurs de ficelles trop nouĂ©es et emmĂȘlĂ©es pour ĂȘtre d'une quelconque utilitĂ©. Nous vĂźmes des corps tomber des Ă©difices les plus hauts. Nous pensĂąmes qu'il devait s'agir de citoyens Ă©minents Ă©tant donnĂ© leurs vĂȘtements et la qualitĂ© du mobilier qui tombait avec eux. Nous regardions sans mot dire. Nous vĂźmes un autre lot de petits points noirs venir de l'autre direction et ils attaquĂšrent les envahisseurs avec une fĂ©rocitĂ© sans prĂ©cĂ©dent. Ils semblaient ne tenir aucun compte de leur propre vie ; ils tiraient sur l'ennemi et si cela ne rĂ©ussissait pas Ă les abattre, les dĂ©fenseurs plongeaient directement sur ces â eh bien, je ne peux que leur donner le nom de gros bombardiers. Le jour prit fin et la nuit tomba sur la scĂšne, une nuit illuminĂ©e par de gigantesques flamboiements alors que la ville brĂ»lait. Les flammes Ă©clataient partout ; de l'autre cĂŽtĂ© du globe nous pouvions voir des villes en flammes, et quand la lumiĂšre de l'aurore illumina la scĂšne suivie d'un soleil rouge sang, nous ne vĂźmes que des tas d'Ă©paves, des piles de cendres et de mĂ©tal tordu. â Allons un peu plus loin, dĂ©clara le Lama Mingyar Dondup. Nous ne voulons pas voir tout ceci, Lobsang, parce que, mon pauvre ami, tu verras tout cela dans la vie rĂ©elle avant que ton temps en ce monde ne prenne fin. Le globe qui reprĂ©sentait le monde tourna. De la noirceur Ă la lumiĂšre, de la lumiĂšre Ă la noirceur, j'en oublie le nombre de fois qu'il tourna, ou peut-ĂȘtre ne l'ai-je jamais su, mais finalement le Lama tendit la main et le tournoiement du globe ralentit Ă son rythme normal. Nous regardĂąmes attentivement d'un cĂŽtĂ© et de l'autre, et vĂźmes alors des hommes avec des morceaux de bois sous forme d'une charrue. Des chevaux traĂźnaient les charrues Ă travers le sol, et nous vĂźmes un Ă©difice aprĂšs l'autre tout simplement basculer, basculer dans la tranchĂ©e creusĂ©e par la charrue. Jour aprĂšs jour ils continuĂšrent Ă labourer, jusqu'Ă ce qu'il n'y ait plus le moindre signe qu'une civilisation ait dĂ©jĂ existĂ© dans cette rĂ©gion. â Je crois que c'est suffisant pour aujourd'hui, dit alors le Lama Mingyar Dondup. Nos yeux seront trop fatiguĂ©s pour faire quoi que ce soit demain, et nous voulons regarder ceci parce que cela va se produire maintes et maintes fois jusqu'Ă ce que, Ă la fin, les guerriers aient pratiquement exterminĂ© toute vie sur le monde. Allons manger quelque chose et nous retirer pour la nuit. Je le regardai avec surprise. â Nous coucher ? Mais comment savez-vous, MaĂźtre, que c'est dĂ©jĂ la nuit ? Le Lama me montra du doigt un petit carrĂ© qui se trouvait assez Ă©loignĂ© du sol, peut-ĂȘtre aussi haut que trois hommes se tenant debout sur les Ă©paules de l'autre. Il y avait lĂ une main, un pointeur, et sur ce qui semblait ĂȘtre un fond carrelĂ©, il y avait certaines divisions de lumiĂšre et d'obscuritĂ© ; la main pointait maintenant entre la lumiĂšre Ă son plus faible et l'obscuritĂ© Ă son plus sombre. â Et voilĂ , Lobsang, dit le Lama, un nouveau jour est sur le point de commencer. Nous avons tout de mĂȘme beaucoup de temps pour nous reposer. Pour ma part, je retourne Ă la fontaine de jouvence parce que mes jambes me font trĂšs mal. Je pense que j'ai dĂ» m'Ă©corcher sĂ©rieusement les os en me lacĂ©rant la chair. â MaĂźtre, MaĂźtre, dis-je, permettez-moi de vous aider. Je me prĂ©cipitai dans la salle oĂč se trouvait la fontaine et retroussai ma robe. L'eau commença alors Ă monter et je tournai la petite chose que le Lama avait appelĂ©e un robinet, je le tournai de façon Ă ce que l'eau continue Ă couler aprĂšs que je sois sorti ; je tournai ensuite une autre manette-robinet qui, selon ce que le Lama m'avait dit, dispensait une grande quantitĂ© de pĂąte mĂ©dicamenteuse dans l'eau oĂč elle se dissolvait rapidement en tourbillonnant avec l'eau. Le Lama s'assit sur le bord du bassin et mit ses jambes dans l'eau. â Ah ! s'exclama-t-il, cela fait du bien. Cela me soulage beaucoup, Lobsang. BientĂŽt mes jambes seront de nouveau parfaitement normales et tout ceci ne sera plus que quelque chose dont nous discuterons avec Ă©merveillement. Je frottai ses jambes vigoureusement, et de petits morceaux de tissu cicatriciel se dĂ©tachĂšrent jusqu'Ă ce que, finalement, il n'en resta plus aucun et que ses jambes aient repris une apparence normale. â Cela a meilleur aspect, dis-je. Pensez-vous que c'est suffisant pour l'instant ? â Oui, je suis certain que cela suffit. Nous ne voulons pas y passer la moitiĂ© de la nuit, n'est-ce pas ? Nous allons en rester lĂ pour l'instant et aller manger quelque chose. Ce disant, il sortit du bassin et je tournai la grande roue qui servait Ă faire s'Ă©couler l'eau quelque part. Je restai lĂ jusqu'Ă ce que le bassin fut complĂštement vide et tournai alors le robinet Ă fond afin de faire disparaĂźtre des morceaux de tissu cicatriciel. Je fermai ensuite les robinets et partis Ă la recherche du Lama. â Nous en avons assez fait pour aujourd'hui, Lobsang, dit mon Guide. Je te propose un bol d'eau et de tsampa, puis nous irons nous coucher. Nous mangerons mieux demain matin. Nous nous assĂźmes donc par terre dans la position habituelle du lotus, et mangeĂąmes notre tsampa Ă l'aide de cuillĂšres. Nous nous considĂ©rĂąmes extrĂȘmement raffinĂ©s nous ne nous servions pas de nos doigts mais plutĂŽt d'un instrument civilisĂ© qui, d'aprĂšs les images de l'un des livres, s'appelait une cuillĂšre. Mais avant mĂȘme d'avoir terminĂ© mon bol, je tombai Ă la renverse et sombrai dans un profond sommeil, loin des tournoiements du monde. Chapitre Six Je m'assis soudainement dans l'obscuritĂ©, me demandant oĂč j'Ă©tais. Ce faisant, la lumiĂšre apparut progressivement, mais pas comme celle d'une bougie qui donne une lueur un moment et de l'obscuritĂ© le moment suivant ; celle-ci arriva comme Ă l'aube, de telle sorte que les yeux ne subissaient aucune tension. Je pouvais entendre le Lama Mingyar Dondup s'affairant dans la cuisine. Il m'appela en disant â Je prĂ©pare ton petit dĂ©jeuner, Lobsang, parce qu'il te faudra manger ce genre de chose quand tu iras vivre dans la partie Occidentale de ce monde, alors aussi bien t'y habituer maintenant. LĂ -dessus il eut un petit rire joyeux. Je me levai et commençai Ă me diriger vers la cuisine. Puis, non, la Nature doit passer en premier, me dis-je, et je pris donc la direction opposĂ©e afin qu'elle PUISSE passer en premier. Cette tĂąche accomplie en toute sĂ©curitĂ©, je revins Ă la cuisine alors que le Lama Ă©tait en train de mettre quelque chose dans une assiette. C'Ă©tait une sorte de truc brun-rougeĂątre, et il y avait deux Ćufs, frits, je suppose, mais Ă cette Ă©poque je n'avais encore jamais mangĂ© de nourriture frite. Il me fit donc asseoir Ă la table et se tint derriĂšre moi. â Maintenant, Lobsang, ceci est une fourchette. Tu la prends dans ta main gauche et maintiens le morceau de bacon pendant que tu le coupes avec le couteau que tu tiens dans ta main droite. Puis, l'ayant coupĂ© en deux, tu utilises la fourchette pour porter le morceau de bacon Ă ta bouche. â Quelle idĂ©e stupide ! m'exclamai-je en prenant le bacon entre le pouce et l'index, me mĂ©ritant du coup un petit coup sec sur les jointures. â Non, non, non, Lobsang ! Tu iras en Occident pour accomplir une tĂąche spĂ©ciale et il te faudra vivre comme ils vivent ; pour cela, tu dois apprendre comment faire dĂšs maintenant. Prends ce bacon avec ta fourchette et porte-le Ă ta bouche. Quand il est dans ta bouche tu retires ta fourchette. â Je ne peux pas, MaĂźtre, dis-je. â Tu ne peux pas ? Et pourquoi ne peux-tu faire ce que je te dis ? demanda le Lama. â J'avais cette chose dans la bouche quand vous m'avez frappĂ© les doigts et j'ai avalĂ© cette fichue nourriture. â Tu as lĂ l'autre morceau, regarde. Pique avec ta fourchette et porte-le Ă ta bouche. Mets-le bien Ă l'intĂ©rieur de ta bouche et retire la fourchette. Je fis comme il me disait, mais trouvai tout cela bien stupide. Pourquoi quelqu'un aurait-il besoin d'un morceau de mĂ©tal courbĂ© pour mettre des aliments dans sa bouche ? C'Ă©tait la chose la plus absurde que j'aie entendu Ă ce jour, mais ce qui suivit l'Ă©tait encore plus. â Maintenant, tu places la partie bombĂ©e de ta fourchette sous l'un des Ćufs, et avec le couteau tu en coupes Ă peu prĂšs le quart. Tu le mets ensuite dans ta bouche et le manges. â Voulez-vous dire que si je vais en Occident je devrai manger de façon aussi folle ? demandai-je au Lama. â C'est exactement ce que je veux dire, alors aussi bien t'y habituer dĂšs Ă prĂ©sent. Les doigts et les pouces sont trĂšs utiles pour une certaine catĂ©gorie de gens, mais tu es censĂ© ĂȘtre d'une Ă©toffe supĂ©rieure. Pour quelle raison penses-tu que je t'aie amenĂ© ici ? â Mais, MaĂźtre, nous sommes tombĂ©s dans ce fichu endroit par accident ! dis-je. â Non pas, non pas, reprit le Lama. Nous sommes arrivĂ©s ici par accident, certes, mais c'Ă©tait notre destination. Tu vois, le vieil ermite Ă©tait le Gardien de cet endroit. Il en fut le Gardien pendant environ cinquante ans et je t'emmenais ici pour que tu apprennes quelque chose de plus. Mais j'ai l'impression que tu t'es abĂźmĂ© la cervelle en tombant sur ce rocher ! â Je me demande quel Ăąge ont ces Ćufs, ajouta pensivement le Lama. Il dĂ©posa son couteau et sa fourchette, alla au rĂ©cipient oĂč les Ćufs Ă©taient conservĂ©s, et je le vis se mettre Ă compter les zĂ©ros. â Lobsang, ces Ćufs et ce bacon ont environ trois millions d'annĂ©es, et pourtant les Ćufs sont aussi frais que s'ils avaient Ă©tĂ© pondus hier. Je jouai avec l'Ćuf et le reste du bacon. J'Ă©tais dĂ©concertĂ©. J'avais vu des choses se dĂ©tĂ©riorer mĂȘme quand elles Ă©taient conservĂ©es dans la glace, et maintenant on me disait que je mangeais des aliments vieux de trois millions d'annĂ©es. â MaĂźtre, je suis dans une si grande confusion et plus vous m'en dites, plus vous soulevez de questions dans mon esprit. Vous me dites que ces Ćufs ont environ trois millions d'annĂ©es et je suis d'accord avec vous pour dire qu'ils ont l'air d'avoir Ă©tĂ© fraĂźchement pondus, sans aucune trace de dĂ©tĂ©rioration. Mais comment est-ce possible qu'ils aient trois millions d'annĂ©es ? â Lobsang, dit le Lama, il faudrait une explication trĂšs complexe pour rĂ©ellement te satisfaire concernant certaines de ces choses, mais regardons cela d'une maniĂšre qui n'est pas strictement exacte, mais qui devrait te donner une idĂ©e de ce que je veux dire. Maintenant, supposons que tu aies une collection de blocs. Ces blocs, que nous appellerons des cellules, peuvent ĂȘtre assemblĂ©s pour former diffĂ©rentes choses. Si tu jouais comme le font les enfants, tu pourrais construire des maisons avec ces petits cubes, puis tu pourrais les dĂ©faire pour fabriquer quelque chose de complĂštement diffĂ©rent. Eh bien, le bacon, les Ćufs, ou quoi que ce soit d'autres sont composĂ©s de petits blocs, de petites cellules qui ont une vie sans fin parce que la matiĂšre ne peut ĂȘtre dĂ©truite. Si la matiĂšre pouvait ĂȘtre dĂ©truite, l'Univers entier s'arrĂȘterait. Ainsi la Nature fait en sorte que ces blocs spĂ©cifiques prennent une forme qui reprĂ©sente le bacon, et d'autres blocs, les Ćufs. Maintenant, si tu manges le bacon et les Ćufs, tu ne perds rien parce que finalement tout ceci passe Ă travers toi, subit des modifications chimiques en cours de route, pour finir par ĂȘtre rĂ©pandu sur la terre oĂč ils nourriront les plantes en croissance. Et peut-ĂȘtre qu'un cochon ou un mouton viendront manger les plantes et grandiront Ă leur tour. C'est ainsi que tout dĂ©pend de ces blocs, de ces cellules. â Prenons des cellules qui sont ovales ; nous dirons que c'est le type naturel de la cellule. Elles donneront Ă une personne une silhouette bien proportionnĂ©e, mince, et peut-ĂȘtre grande. C'est parce que les cellules, les cellules ovales, sont toutes disposĂ©es dans une seule direction. Mais supposons que nous ayons un homme qui aime manger, qui mange bien au-delĂ de ses besoins, car on ne devrait manger que ce qu'il faut pour satisfaire sa faim immĂ©diate. Mais, de toute façon, cet homme mange pour le plaisir de manger, et ses cellules ovales deviennent rondes, et elles sont rondes parce qu'elles ont Ă©tĂ© remplies par un excĂšs de nourriture sous forme de graisse. Maintenant, bien sĂ»r, une forme ovale a une certaine longueur et si tu l'arrondis sans augmenter sa capacitĂ©, elle sera lĂ©gĂšrement moins longue ; c'est ainsi que notre gros homme est plus petit que ce qu'il aurait Ă©tĂ© s'il avait Ă©tĂ© mince. Je m'assis sur mes talons, rĂ©flĂ©chissant sĂ©rieusement Ă tout cela, et lui dis â Mais Ă quoi servent toutes ces cellules si ce n'est pas pour contenir quelque chose qui donne la vie et qui permettent Ă quelqu'un de faire quelque chose qu'une autre personne ne peut pas faire ? Le Lama rit et reprit â Je te donnais seulement une explication trĂšs grossiĂšre. Il existe diffĂ©rentes sortes de cellules. Une sorte de cellules que tu traites correctement peut faire de toi un gĂ©nie, mais la mĂȘme sorte de cellules que tu maltraites peut faire de toi un dĂ©ment. Je commence Ă me demander de quel cĂŽtĂ© tu penches en ce moment ! Nous avions fini notre petit dĂ©jeuner en transgressant la rĂšgle qui veut que l'on ne parle pas en mangeant par respect pour la nourriture. Mais je suppose que le Lama savait ce qu'il faisait et peut-ĂȘtre avait-il une permission spĂ©ciale pour enfreindre quelques-unes de nos lois. â Poursuivons notre visite. Il y a toutes sortes de choses Ă©tranges Ă voir ici, tu sais, Lobsang, et nous dĂ©sirons voir la montĂ©e et la chute des civilisations. Ici, tu peux voir cela avec exactitude, tel que cela s'est produit. Mais il n'est pas bon de passer tout notre temps Ă regarder dans le globe. On a besoin d'un changement, d'une rĂ©crĂ©ation ; rĂ©crĂ©ation signifie re-crĂ©ation, cela signifie que les cellules qui te permettent de voir ont Ă©tĂ© mises Ă rude Ă©preuve Ă recevoir autant d'images trĂšs semblables, ce qui fait qu'il te faut dĂ©tourner les yeux et regarder quelque chose de diffĂ©rent. Tu as besoin d'un changement et cela s'appelle re-crĂ©ation ou rĂ©crĂ©ation. Viens avec moi dans cette piĂšce. Je me levai Ă contrecĆur et le suivis en traĂźnant les pieds, donnant une impression exagĂ©rĂ©e de lassitude. Mais le Lama Mingyar Dondup connaissait tous ces trucs ; il en avait probablement fait autant avec son Guide. Sur le seuil de la porte je faillis tourner les talons et dĂ©guerpir. Il y avait lĂ quantitĂ© d'hommes et de femmes. Certains d'entre eux Ă©taient nus, et je vis une femme juste en face de moi, la premiĂšre femme nue que je voyais de ma vie, et je fis volte-face aprĂšs avoir formulĂ© des excuses Ă la dame pour avoir violĂ© son intimitĂ©. Mais le Lama Mingyar Dondup me saisit par les Ă©paules, et il riait tellement qu'il pouvait Ă peine parler. â Lobsang, Lobsang ! L'expression de ton visage, si cocasse, compense toutes les misĂšres que nous avons eues au cours de ce voyage. Il s'agit de gens prĂ©servĂ©s, de gens qui ont vĂ©cu auparavant sur diffĂ©rentes planĂštes. Ils furent amenĂ©s ici â vivants â pour servir de spĂ©cimens. Ils sont encore bien vivants, tu sais ! â Mais, MaĂźtre, comment peuvent-ils ĂȘtre toujours vivants aprĂšs un ou deux millions d'annĂ©es ? Pourquoi ne sont-ils pas rĂ©duits en poussiĂšre ? â Eh bien, c'est de nouveau l'animation suspendue. Ils sont dans un cocon invisible qui empĂȘche toute cellule de fonctionner. Mais, tu sais, tu dois entrer et venir examiner ces personnages, hommes et femmes, parce que tu auras beaucoup affaire aux femmes. Tu Ă©tudieras la mĂ©decine Ă Chongqing, et tu auras plus tard de trĂšs nombreuses femmes comme patientes. Il vaut donc mieux les connaĂźtre dĂšs Ă prĂ©sent. Ici, par exemple, tu as une femme qui Ă©tait sur le point de donner naissance Ă un enfant ; nous pourrions la rĂ©animer et faire naĂźtre l'enfant pour contribuer Ă ta formation, car ce que nous faisons est d'une importance primordiale et, s'il est nĂ©cessaire pour nous de sacrifier une, deux ou trois personnes, c'est quelque chose qui en vaut la peine si cela peut sauver ce monde et ses millions d'ĂȘtres. Je regardai de nouveau les gens et me sentis rougir violemment Ă la vue des femmes nues. â MaĂźtre, il y a une femme complĂštement noire lĂ -bas, mais comment est-ce possible ? Comment une femme peut-elle ĂȘtre entiĂšrement noire ? â Eh bien, Lobsang, je dois dire que ton Ă©tonnement me surprend. Il existe des gens de plusieurs couleurs diffĂ©rentes blancs, hĂąlĂ©s, bruns, et noirs, et sur certains mondes il existe des gens bleus et des gens verts. Tout cela dĂ©pend de la sorte de nourriture qu'eux-mĂȘmes, ainsi que leurs parents et leurs grands-parents, avaient l'habitude de manger. Cela dĂ©pend d'une sĂ©crĂ©tion du corps qui provoque la coloration. Mais viens examiner ces gens ! Le Lama se retourna et me quitta, entrant dans une piĂšce intĂ©rieure. Je me retrouvai seul avec ces gens qui n'Ă©taient pas morts mais pas vivants non plus. Timidement, je touchai le bras de la plus belle femme qu'il y avait lĂ , et il n'Ă©tait pas froid mais assez chaud, trĂšs semblable Ă la tempĂ©rature de mon propre corps, bien que celle-ci ait considĂ©rablement augmentĂ© depuis quelques instants ! Une pensĂ©e me vint alors Ă l'esprit. â MaĂźtre, MaĂźtre, j'ai une question urgente Ă vous poser. â Ah, Lobsang, je vois que tu as choisi la plus jolie femme du lot. Bien, laisse-moi admirer ton goĂ»t. VoilĂ une trĂšs belle femme, et nous voulons ce qu'il y a de mieux, parce que certaines vieilles rombiĂšres de musĂ©es sont totalement repoussantes. C'est dire que ceux qui ont planifiĂ© cette collection n'ont choisi que les plus belles. Mais quelle est ta question ? Il s'assit sur un tabouret et je fis de mĂȘme. â Comment se dĂ©veloppent les gens, comment se dĂ©veloppent-ils pour ressembler Ă leurs parents ? Pourquoi n'Ă©mergent-ils pas comme un bĂ©bĂ© et ne se mettent-ils pas Ă ressembler ensuite Ă un cheval ou Ă toute autre crĂ©ature ? â Les gens sont composĂ©s de cellules. DĂšs un trĂšs jeune Ăąge, les cellules contrĂŽlant le corps sont, si je peux dire, imprimĂ©es avec le caractĂšre et l'apparence gĂ©nĂ©rale des parents. Ainsi, ces cellules ont une mĂ©moire absolue de ce Ă quoi elles devraient ressembler, mais en vieillissant chaque cellule oublie un tout petit peu ce que le modĂšle devrait ĂȘtre. Les cellules, dirons-nous, s'Ă©cartentâ de la mĂ©moire cellulaire originale intĂ©grĂ©e. Par exemple, tu peux avoir une femme, comme celle que tu observes, qui peut avoir Ă©tĂ© â eh bien â endormie, de sorte que ses cellules suivent aveuglĂ©ment le modĂšle de la cellule prĂ©cĂ©dente. Je te dis tout cela de la maniĂšre la plus simple possible ; tu en apprendras davantage sur ce sujet au Chakpori et, plus tard, Ă Chongqing. Mais chaque cellule du corps a une mĂ©moire prĂ©cise de ce Ă quoi elle doit ressembler quand elle est en bonne santĂ©. Au fur et Ă mesure que le corps vieillit, la mĂ©moire du modĂšle initial se perd ou perd sa capacitĂ©, pour quelque raison, de suivre le modĂšle prĂ©cis et s'Ă©carte ainsi lĂ©gĂšrement des cellules originales, puis, s'en Ă©tant une fois Ă©cartĂ©, il devient de plus en plus facile d'oublier de plus en plus ce Ă quoi le corps doit ressembler. Nous appelons cela le vieillissement, et quand un corps ne peut plus suivre le modĂšle exact imprimĂ© dans ses cellules, nous disons que les choses se sont dĂ©tĂ©riorĂ©es et le corps est mentalement malade. AprĂšs encore quelques annĂ©es le changement devient de plus en plus marquĂ© et la personne meurt finalement. â Mais qu'en est-il des personnes atteintes du cancer ? Comment en arrivent-elles Ă une pareille condition ? demandai-je. â Nous avons parlĂ© des cellules qui oublient le modĂšle qu'elles doivent suivre, rĂ©pondit mon Guide. Elles oublient le modĂšle qui a dĂ» ĂȘtre imprimĂ© pendant la formation du bĂ©bĂ©, mais nous disons que lorsqu'une personne souffre d'un certain type de cancer, les cellules de mĂ©moire deviennent alors des cellules de mĂ©moire dĂ©formĂ©es qui ordonnent une nouvelle croissance lĂ oĂč il ne devrait y avoir aucune croissance. Le rĂ©sultat de cela en est que nous avons dans un corps humain une grande masse qui interfĂšre avec les autres organes, peut-ĂȘtre en les dĂ©plaçant, peut-ĂȘtre en les dĂ©truisant. Mais il y a diffĂ©rents types de cancer. Un autre type est celui oĂč les cellules qui devraient contrĂŽler la croissance oublient qu'elles doivent produire de nouvelles cellules d'une certaine sorte et l'on a alors une inversion complĂšte. Certains organes du corps dĂ©pĂ©rissent. La cellule est Ă©puisĂ©e, elle a fait sa part de travail, d'entretien du corps, et elle a maintenant besoin d'ĂȘtre remplacĂ©e afin que le corps puisse continuer d'exister. Mais la cellule a perdu le modĂšle, a oubliĂ© le modĂšle de croissance, si tu le prĂ©fĂšres ainsi, et l'ayant oubliĂ©, elle fait une supposition et se met soit Ă dĂ©velopper de nouvelles cellules Ă un rythme effrĂ©nĂ©, ou Ă dĂ©velopper des cellules qui dĂ©vorent les cellules saines en laissant une masse saignante et putride Ă l'intĂ©rieur du corps. Alors le corps meurt bientĂŽt. â Mais, MaĂźtre, demandai-je ensuite, comment le corps peut-il savoir s'il sera masculin ou fĂ©minin ? Qui prend en charge la formation du bĂ©bĂ© avant que le corps ne soit nĂ© ? â Eh bien, cela dĂ©pend des parents. Si c'est une croissance alcaline qui dĂ©bute, on aura l'un des deux sexes ; si on a un type de cellule acide, ce sera le sexe opposĂ© ; on a mĂȘme parfois la naissance de monstres. Les parents peuvent ne pas ĂȘtre rĂ©ellement compatibles et ce que la femme produit n'est ni mĂąle ni femelle ; il peut s'agir des deux, il se peut mĂȘme que le bĂ©bĂ© ait deux tĂȘtes ou encore trois bras. Eh bien, nous savons que les Bouddhistes ne devraient pas prendre la vie, mais que faire, comment laisser un monstre survivre ? Un monstre qui a Ă peine un cerveau rudimentaire â eh bien, si nous laissons de tels monstres grandir et propager leur espĂšce, nous nous retrouverons bientĂŽt avec de plus en plus de monstres, parce qu'il semble que les mauvaises choses se multiplient plus rapidement que les bonnes. â Mais tu verras tout cela en dĂ©tail Ă Chongqing, ajouta mon Guide. Je ne fais que te donner maintenant une explication rudimentaire pour que tu saches Ă quoi t'attendre. Un peu plus tard je vais t'emmener dans une autre piĂšce et te montrerai des monstres qui sont nĂ©s, ainsi que des cellules normales et anormales. Tu verras alors Ă quel point l'organisme humain est une chose merveilleuse. Mais d'abord et avant tout, examine quelques-unes de ces personnes, en particulier les femmes. Voici un livre qui te montre ce Ă quoi ressemblent l'extĂ©rieur et l'intĂ©rieur d'une femme. Pour une personne qui se verra devenir une femme sĂ©duisante, ses cellules de mĂ©moire, c'est-Ă -dire les cellules qui portent la mĂ©moire pour reproduire avec prĂ©cision les cellules du corps exactement comme auparavant, sont alors en bon Ă©tat. Il faut Ă©galement s'assurer que la mĂšre reçoive une quantitĂ© adĂ©quate de nourriture du type appropriĂ© et qu'elle ne subisse aucun choc, etc., etc. Et, bien sĂ»r, il n'est gĂ©nĂ©ralement pas sage d'avoir des rapports sexuels lorsqu'une femme est enceinte d'environ huit mois. Cela peut perturber tout l'Ă©quilibre des choses. â Maintenant, ajouta-t-il, je dois Ă©crire un compte rendu pour dire ce que nous faisions ici, comment nous sommes entrĂ©s, et je dois Ă©mettre une hypothĂšse sur la façon dont nous allons sortir ! â Mais MaĂźtre, dis-je un peu agacĂ©, Ă quoi cela sert-il d'Ă©crire ainsi puisque personne ne vient jamais ici ? â Oh ! mais les gens viennent ici, Lobsang, ils viennent bel et bien ici. Les ignorants appellent leurs vaisseaux OVNI. Ils viennent ici et logent dans les piĂšces au-dessus de celle-ci. Ils viennent simplement pour recevoir des messages et relater ce qu'ils ont dĂ©couvert. Tu vois, ces gens sont les Jardiniers de la Terre. Ils possĂšdent de vastes connaissances mais, quelque part au fil des siĂšcles, ils ont rĂ©gressĂ©. Tout d'abord, ces gens Ă©taient absolument comme des dieux, avec des pouvoirs presque illimitĂ©s. Ils pouvaient tout faire, ils Ă©taient capables d'Ă peu prĂšs tout. Puis, le Jardinier en Chefâ envoya certains d'entre eux sur la Terre qui s'Ă©tait formĂ©e â je t'ai dĂ©jĂ parlĂ© de tout cela auparavant. Ces derniers, voyageant Ă plusieurs fois la vitesse de la lumiĂšre, revinrent par la suite Ă leur base situĂ©e dans un autre Univers. â Comme c'est si souvent le cas sur Terre et, en fait, sur de nombreux autres mondes, il y eut lĂ -bas une rĂ©volution. Certains n'aimaient pas les maniĂšres de ces sages, les Jardiniers de la Terre, qui Ă©taient celles d'emmener avec eux les femmes de leur entourage, tout particuliĂšrement quand la femme Ă©tait l'Ă©pouse d'un autre homme. Il y eut inĂ©vitablement des querelles et les Jardiniers se divisĂšrent en deux factions, ce que j'appellerai le bon parti et les dissidents. Ces derniers pensaient que, compte tenu des longues distances parcourues et de leurs tĂąches difficiles, ils avaient droit Ă une rĂ©crĂ©ation sexuelle. Eh bien, lorsqu'ils ne pouvaient obtenir des femmes de leur propre race, ils venaient sur Terre et prenaient les femmes les plus grandes qu'ils trouvaient. Les choses n'Ă©taient pas agrĂ©ables du tout parce que les hommes Ă©taient physiquement trop grands pour ces femmes, et la faction qui Ă©tait venue sur cette Terre se querella et se sĂ©para en deux camps. L'un alla vivre en Orient, l'autre en Occident, et en se servant de leurs vastes connaissances, ils construisirent des armes nuclĂ©aires sur le principe d'un explosif Ă neutrons et d'une arme au laser. Ils effectuĂšrent alors des raids sur leurs territoires respectifs, toujours avec l'intention de voler, ou plus exactement de kidnapper, les femmes de leurs adversaires. â Les attaques donnĂšrent lieu Ă des contre-attaques, et leurs grands vaisseaux ne cessaient de se croiser Ă trĂšs grande vitesse d'un bout Ă l'autre du monde. Ce qui se passa n'est plus que de l'histoire ancienne la faction la moins importante qui comprenait ceux du bon parti, par dĂ©sespoir lĂącha une bombe au-dessus de l'endroit oĂč vivaient ceux du mauvais parti. De nos jours, les gens associent cette rĂ©gion aux Terres Bibliquesâ. Tout fut dĂ©truit. Le dĂ©sert d'aujourd'hui Ă©tait autrefois une mer scintillante oĂč naviguaient de nombreux navires. Mais lorsque la bombe tomba, le sol s'inclina et toute l'eau se dĂ©versa dans la MĂ©diterranĂ©e jusqu'Ă l'ocĂ©an Atlantique, et il ne resta plus dans la rĂ©gion que l'eau du Nil. Nous pouvons en rĂ©alitĂ© voir tout cela, Lobsang, parce que nous avons ici des machines qui saisissent des scĂšnes du passĂ©. â Des scĂšnes du passĂ©, MaĂźtre ? Voir ce qui s'est passĂ© il y a un million d'annĂ©es ? Cela ne semble pas possible. â Lobsang, tout est vibration ou, si tu prĂ©fĂšres, si tu veux faire plus scientifique, tu diras que toute chose a sa propre frĂ©quence. Ainsi, si nous pouvons trouver la frĂ©quence â et c'est possible â de ces Ă©vĂ©nements, nous pouvons les rechercher, nous pouvons faire vibrer nos instruments Ă une frĂ©quence plus Ă©levĂ©e qui rattrapera rapidement les impulsions qui furent Ă©mises il y a un million d'annĂ©es. Et si nous rĂ©duisons alors la frĂ©quence de nos machines, si nous accordons notre frĂ©quence avec celles Ă©mises Ă l'origine par les sages d'autrefois, nous pouvons voir exactement ce qui s'est produit. Il est trop tĂŽt pour te parler de tout ceci, mais nous voyageons dans la quatriĂšme dimension afin de pouvoir devancer la troisiĂšme dimension, et si nous restons simplement assis tranquillement, nous pouvons en fait voir tout ce qui s'est passĂ©, et nous pouvons trouver bien drĂŽles certaines choses Ă©crites dans les livres d'histoire en comparant ces ouvrages de fiction Ă ce qui s'est rĂ©ellement passĂ©. Les livres d'histoire sont un crime car l'histoire dĂ©forme ce qui s'est passĂ©, ce qui nous mĂšne dans de mauvaises directions. Oh oui, Lobsang, nous avons la machine ici, en fait dans la piĂšce Ă cĂŽtĂ©, et nous pouvons voir ce que les gens ont appelĂ© le DĂ©luge. Nous pouvons voir ce que les gens ont nommĂ© l'Atlantide. Mais, comme je te le disais, le terme Atlantide Ă©tait employĂ© pour des terres qui ont sombrĂ©. Elles ont sombrĂ© dans une certaine mesure dans la rĂ©gion de la Turquie, et un certain continent prĂšs du Japon a sombrĂ© Ă©galement. Viens avec moi, je vais te montrer quelque chose. Le Lama se leva et je le suivis. â Bien sĂ»r, nous avons enregistrĂ© plusieurs de ces scĂšnes parce que c'est un travail ardu de s'accorder aux incidents eux-mĂȘmes. Mais nous nous sommes accordĂ©s de façon trĂšs prĂ©cise, et nous avons un enregistrement absolu de ce qui s'est prĂ©cisĂ©ment passĂ©. Maintenant il tripota quelques petites bobines qui se trouvaient en rangs serrĂ©s contre un mur pour finir par s'arrĂȘter sur une en particulier celle-ci fera l'affaire ; regarde. Il plaça la petite bobine dans une machine, et le grand modĂšle de la Terre â oh, il devait faire vingt-cinq pieds prĂšs de 8 m de diamĂštre â sembla revenir Ă la vie. Ă mon grand Ă©tonnement, il tourna et se dĂ©plaça latĂ©ralement, recula un peu plus loin, et s'arrĂȘta. Je regardai la scĂšne sur ce monde, puis, ce n'Ă©tait plus le fait de regarderâ. J'Ă©tais lĂ . J'avais l'impression d'ĂȘtre bel et bien lĂ . C'Ă©tait une belle contrĂ©e ; l'herbe y Ă©tait la plus verte que j'aie jamais vue, et je me tenais au bord d'une plage de sable argentĂ©. Les gens Ă©taient lĂ Ă se prĂ©lasser, certains portant des maillots de bain trĂšs dĂ©coratifs et trĂšs suggestifs, tandis que d'autres ne portaient rien. Ces derniers paraissaient certainement plus dĂ©cents que ceux qui ne portaient qu'un morceau de tissu qui ne faisait que susciter l'intĂ©rĂȘt sexuel. Je regardai vers le large. La mer scintillait et reflĂ©tait le bleu du ciel. Tout Ă©tait calme. De petits bateaux Ă voiles Ă©taient engagĂ©s dans une compĂ©tition amicale, cherchant Ă savoir lequel Ă©tait le plus rapide, lequel Ă©tait le mieux manĆuvrĂ©. Et alors â alors â tout Ă coup, il y eut un formidable boom, et la terre s'inclina. LĂ oĂč nous Ă©tions la terre s'inclina et la mer se retira jusqu'Ă ce que devant nous tout ce que nous pĂ»mes voir Ă©tait ce qui avait Ă©tĂ© le fond de la mer. Ă peine avions-nous repris notre souffle que nous fĂ»mes affectĂ©s par une sensation des plus particuliĂšres. Nous nous aperçûmes que nous nous Ă©levions rapidement dans les airs, pas seulement nous, mais la terre Ă©galement, et la petite crĂȘte de collines rocheuses montait et montait et montait, et devenait de prodigieuses montagnes, une chaĂźne de montagnes qui s'Ă©tendait Ă perte de vue dans toutes les directions. J'eus l'impression de me tenir tout au bord d'une pointe de terre ferme, et comme je me penchai prudemment et craintivement pour regarder en bas, je sentis mon estomac se retourner la terre s'Ă©tait tellement Ă©levĂ©e, que je pensai que nous Ă©tions montĂ©s jusqu'aux Champs CĂ©lestes. Autour de moi il n'y avait pas Ăąme qui vive ; j'Ă©tais tout seul, effrayĂ©, la mort dans l'Ăąme. Le Tibet s'Ă©tait Ă©levĂ© de trente mille pieds 9 000 m en une trentaine de secondes. Je m'aperçus que je haletais. L'air ici Ă©tait rarĂ©fiĂ©, et chaque respiration me laissait pantelant. Soudainement, une veine d'eau sous trĂšs forte pression, sembla-t-il, Ă©mergea d'une rupture dans la chaĂźne de montagnes. Elle se stabilisa un peu, puis se fraya son propre chemin en descendant de cette haute chaĂźne de montagnes, tout droit Ă travers cette nouvelle terre qui avait Ă©tĂ© le fond de la mer. Et c'est ainsi que naquit le puissant Brahmapoutre qui se jette dans le golfe du Bengale. Mais ce n'Ă©tait pas une eau propre et saine qui atteignit le golfe du Bengale ; c'Ă©tait une eau contaminĂ©e par des cadavres d'humains, d'animaux, par des arbres, etc. Mais l'eau n'Ă©tait pas la chose la plus importante car, Ă ma stupĂ©faction mĂȘlĂ©e d'horreur, je montais, la terre montait, la montagne s'Ă©levait de plus en plus haut, et je montais avec elle. BientĂŽt, je me retrouvai dans une vallĂ©e aride bordĂ©e de montagnes majestueuses, Ă environ trente mille pieds 9 000 m d'altitude. Ce globe, ce simulacre du monde Ă©tait quelque chose d'absolument fantastique, parce qu'on ne faisait pas qu'observer les Ă©vĂ©nements, on les vivait, les vivait rĂ©ellement. En voyant le globe pour la premiĂšre fois je m'Ă©tais dit "Hmm, un truc genre spectacle miteux comme la lanterne magique que certains missionnaires apportent." Mais en regardant dans la chose, j'eus l'impression de tomber des nuages, du ciel, et en bas, en bas, pour venir me poser aussi lĂ©gĂšrement qu'une feuille qui tombe. Et je vĂ©cus alors les vĂ©ritables Ă©vĂ©nements survenus il y a des millions d'annĂ©es. Ceci Ă©tait le produit d'une civilisation puissante, trĂšs, trĂšs au-delĂ de l'habiletĂ© des artisans ou des savants actuels. Je ne saurais trop insister sur le fait que ceci Ă©tait du vĂ©cu. Je constatai que je pouvais marcher. Par exemple, il y avait une ombre noire qui m'intĂ©ressait particuliĂšrement et quand je marchai vers elle, je sentis que j'Ă©tais vraiment EN TRAIN de marcher. Et puis, peut-ĂȘtre pour la premiĂšre fois, des yeux humains contemplĂšrent la petite montagne sur laquelle, des centaines de siĂšcles plus tard, serait construit l'imposant Potala. â Je ne peux vraiment rien comprendre Ă tout ceci, MaĂźtre, dis-je. Vous me mettez Ă l'Ă©preuve au-delĂ de la capacitĂ© de mon cerveau. â Sottises, Lobsang, sottises. Toi et moi avons vĂ©cu ensemble de trĂšs, trĂšs nombreuses vies. Nous avons Ă©tĂ© amis vie aprĂšs vie, et tu vas continuer aprĂšs moi. J'ai dĂ©jĂ vĂ©cu plus de quatre cents ans dans cette vie et je suis la personne, la seule personne dans tout le Tibet Ă comprendre le fonctionnement complet de ces choses. C'est l'une de mes tĂąches. Et mon autre tĂąche il me regarda malicieusement, est celle de te former, de te transmettre mon savoir de sorte que lorsque dans un avenir proche je mourrai avec un poignard dans le dos, tu puisses ĂȘtre en mesure de te souvenir de cet endroit, de te souvenir comment y entrer, comment utiliser tous les appareils, et revivre les Ă©vĂ©nements du passĂ©. Tu seras en mesure de voir lĂ oĂč le monde a mal tournĂ©, et je pense qu'il sera trop tard dans ce cycle particulier d'existence pour y changer grand-chose. Mais peu importe, les gens apprennent Ă la dure parce qu'ils rejettent le moyen facile. Toute cette souffrance n'est pas nĂ©cessaire, tu sais, Lobsang. Tous ces combats entre les Afridi nom d'une tribu pachtoune ; elle est localisĂ©e dans la rĂ©gion de la passe de Khyber entre l'Afghanistan et le Pakistan â NdT et l'ArmĂ©e Britannique Indienne est inutile ; ils se battent continuellement et ils semblent penser que c'est la seule façon de faire les choses. La meilleure façon de faire une chose c'est la persuasion, pas cette tuerie, ces viols, ces assassinats, et ces tortures. Cela fait du tort Ă la victime, mais fait encore plus de tort Ă l'agresseur parce que tout cela retourne au Sur-Moi. Toi et moi, Lobsang, avons un assez bon bilan. Notre Sur-Moi est trĂšs satisfait de nous. â Vous avez dit notre Sur-Moiâ, MaĂźtre ? Est-ce que cela veut dire que nous avons le mĂȘme ? â Eh oui, jeune sage, c'est exactement ce que cela veut dire. Cela signifie que toi et moi serons rĂ©unis vie aprĂšs vie, non seulement sur ce monde, non seulement dans cet Univers, mais partout, en tous lieux, Ă tout moment. Toi, mon pauvre ami, tu vas avoir une vie trĂšs dure cette fois-ci. Tu seras victime de calomnies, de toutes sortes d'attaques mensongĂšres. Et pourtant, si les gens t'Ă©coutaient le Tibet pourrait ĂȘtre sauvĂ©. Au lieu de cela, dans les annĂ©es Ă venir le Tibet sera envahi par les Chinois et dĂ©truit. Il se retourna rapidement, mais j'eus le temps de voir des larmes dans ses yeux. J'allai dans la cuisine boire un verre d'eau. â MaĂźtre, dis-je, j'aimerais que vous m'expliquiez comment il se fait que ces choses ne se gĂątent pas ? â Eh bien, regarde l'eau que tu es en train de boire. Quel Ăąge a cette eau ? Elle peut ĂȘtre aussi vieille que le monde lui-mĂȘme. Elle n'est pas gĂątĂ©e, n'est-ce pas ? Les choses ne se gĂątent que lorsqu'elles sont traitĂ©es de maniĂšre incorrecte. Par exemple, supposons que tu te coupes un doigt et qu'il commence Ă guĂ©rir ; tu te le coupes encore et il recommence Ă guĂ©rir ; tu te le coupes de nouveau et il recommence de nouveau Ă guĂ©rir, mais pas nĂ©cessairement suivant le modĂšle qui Ă©tait le sien avant que tu ne te coupes. Les cellules de rĂ©gĂ©nĂ©ration s'en sont trouvĂ©es confuses elles avaient commencĂ© Ă se dĂ©velopper selon leur modĂšle intĂ©grĂ©, et furent de nouveau coupĂ©es. Encore une fois, elles se sont mises Ă se dĂ©velopper selon leur modĂšle intĂ©grĂ©, et ainsi de suite. Finalement, elles ont oubliĂ© le modĂšle qu'elles auraient dĂ» suivre et se dĂ©veloppĂšrent plutĂŽt en une grosse masse, et c'est ce qu'est le cancer. Le cancer est la croissance incontrĂŽlĂ©e de cellules lĂ oĂč elles ne devraient pas se trouver, et si chacun recevait un enseignement appropriĂ© et avait le plein contrĂŽle de son corps, il n'y aurait pas de cancer. Si l'on s'apercevait que nos cellules se mettent Ă se dĂ©velopper d'une façon que j'appellerai dĂ©sordonnĂ©e, le corps pourrait alors arrĂȘter le processus Ă temps. Nous avons prĂȘchĂ© Ă ce sujet, et avons prĂȘchĂ© dans diffĂ©rents pays, et les gens se sont grandement moquĂ©s de ces natifs qui osaient venir d'un quelconque pays inconnu, des bridĂ©sâ qu'ils nous appelaient, c'est-Ă -dire ce qu'il y a de plus minable dans l'existence. Mais tu sais, nous sommes peut-ĂȘtre des bridĂ©sâ, mais un jour viendra oĂč ce sera un mot honorable, digne de respect. Si seulement les gens nous Ă©coutaient, nous pourrions guĂ©rir le cancer, guĂ©rir la tuberculose. Tu as eu la tuberculose, Lobsang, tu t'en souviens, et avec ta coopĂ©ration, je t'ai guĂ©ri ; si je n'avais pas eu ta coopĂ©ration, je n'aurais pas pu te guĂ©rir. Nous restĂąmes silencieux dans un Ă©tat de communion spirituelle l'un avec l'autre. Notre association en Ă©tait une purement spirituelle, sans aucune connotation charnelle. Bien sĂ»r, il y avait certains lamas qui utilisaient leurs chelas Ă mauvais escient, des lamas qui n'auraient pas dĂ» ĂȘtre lamas mais qui auraient dĂ» ĂȘtre â eh bien, des ouvriers, ou autre chose, parce que les femmes leur manquaient. Nous n'avions pas besoin de femmes, ni non plus d'une quelconque relation homosexuelle. La nĂŽtre, comme je l'ai dit, Ă©tait une relation purement spirituelle, comme le mĂ©lange de deux Ăąmes qui se mĂȘlent pour s'embrasser dans l'esprit, puis se retire de l'esprit de l'autre, se sentant rafraĂźchies et en possession de nouvelles connaissances. Il existe ce sentiment dans le monde d'aujourd'hui que le sexe est la seule chose qui compte, le sexe Ă©goĂŻste, non pas pour perpĂ©tuer la race, mais simplement pour les sensations agrĂ©ables qu'il procure. Le vĂ©ritable sexe est celui que nous avons quand nous quittons ce monde, la communion de deux Ăąmes, et quand nous retournerons Ă notre Sur-Moi, nous ferons l'expĂ©rience du plus grand plaisir, de la plus grande euphorie de toutes. Nous rĂ©aliserons alors que les difficultĂ©s que nous avons endurĂ©es sur cette abominable Terre Ă©taient simplement dans le but de chasser nos impuretĂ©s, de chasser nos mauvaises pensĂ©es, mais Ă mon avis, le monde est trop dur. Il est si dur et les humains ont tellement dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© qu'ils ne peuvent plus supporter les difficultĂ©s, ils ne peuvent plus profiter des Ă©preuves, mais deviennent de pire en pire, de plus en plus mauvais, dĂ©chargeant leur rancĆur sur les petits animaux. Tout cela est dĂ©plorable parce que les chats, par exemple, sont connus comme les yeux des Dieux. Les chats peuvent aller partout personne ne prĂȘte attention Ă un chat assis lĂ , les pattes antĂ©rieures repliĂ©es et la queue soigneusement enroulĂ©e autour du corps, les yeux mi-clos â les gens pensent que le chat se repose. Mais non, le chat travaille, il est en train de transmettre tout ce qui se passe. Votre cerveau ne peut rien voir sans vos yeux. Votre cerveau ne peut Ă©mettre un son sans votre voix, et les chats sont une autre extension des sens qui permet aux Jardiniers de la Terre de savoir ce qui se passe. Un jour, nous en serons heureux, un jour nous rĂ©aliserons que les chats nous ont sauvĂ©s de nombreuses erreurs fatales. C'est dommage qu'on ne les traite pas avec plus de bienveillance, n'est-ce pas ? Chapitre Sept "Lobsang ! LOBSANG ! Viens, nous avons du travail Ă faire !" Je me levai tellement vite que je butai contre mes chaussures, ou plutĂŽt mes sandales ; il n'y avait rien de tel que des chaussures au Tibet. Tout le monde portait des sandales ou, pour une longue randonnĂ©e Ă cheval, des bottes qui montaient jusqu'aux genoux. Quoi qu'il en soit, il y avait mes sandales qui valsĂšrent dans la piĂšce, et moi qui partis dans une autre direction. Je rejoignis le Lama qui me dit â Maintenant, il nous faut faire un peu d'histoire, mais de la vraie histoire, pas les Ă©lucubrations qu'ils mettent dans les livres oĂč les choses ont Ă©tĂ© changĂ©es pour ne pas contrarier qui que ce soit occupant une position de pouvoir. Il me conduisit dans la piĂšce que nous en Ă©tions venus Ă appeler la Salle du Mondeâ, et nous nous assĂźmes dans le petit coin que nous appelions la consoleâ. C'Ă©tait vraiment une chose merveilleuse ; ce simulacre du monde semblait plus grand que la piĂšce qui le contenait, chose que tout le monde sait ĂȘtre impossible. Mais le Lama qui devina mes pensĂ©es me dit â Bien entendu, quand nous entrons ici nous nous trouvons sous l'influence de la quatriĂšme dimension, et dans la quatriĂšme dimension nous pouvons avoir un modĂšle plus grand que la piĂšce qui le contient si cette piĂšce est en trois dimensions. Toutefois ne nous inquiĂ©tons pas de cela, mais plutĂŽt de ceci ce que nous voyons dans ce monde ce sont les Ă©vĂ©nements rĂ©els du monde au cours des annĂ©es passĂ©es, quelque chose comme un Ă©cho. Si tu Ă©mets un gros bruit dans une zone d'Ă©cho, il te sera renvoyĂ©. Eh bien, cela te donne une idĂ©e trĂšs succincte de ce dont il s'agit et qui, bien sĂ»r, n'est pas strictement exacte parce que j'essaie de t'expliquer en termes de troisiĂšme dimension ce qui se passe dans les quatriĂšme et cinquiĂšme dimensions. Tu devras donc faire confiance Ă tes sens quant Ă ce que tu vas voir, et ce que tu verras sera parfaitement exact. Nous avons vu la formation du monde, ajouta-t-il en se tournant de nouveau, nous avons vu les toutes premiĂšres crĂ©atures â des hominidĂ©s â Ă ĂȘtre placĂ©s sur ce monde ; passons donc Ă la prochaine Ă©tape. La piĂšce s'assombrit et je me sentis tomber. Instinctivement je m'agrippai au bras du Lama et il mit un bras autour de mes Ă©paules. â Tout va bien, Lobsang, tu ne tombes pas ; c'est simplement que ton cerveau est en train de changer pour s'adapter aux quatre dimensions. La sensation de chute cessa et je me retrouvai dans un monde choquant et effrayant. Il y avait lĂ d'Ă©normes animaux d'une laideur surpassant tout ce que j'avais vu auparavant. De grandes crĂ©atures passaient, battant l'air de leurs ailes avec un bruit affreux pareil Ă du vieux cuir non huilĂ©, des ailes qui pouvaient Ă peine supporter leur corps. Cependant elles volaient et parfois d'une d'elles piquait vers le sol pour ramasser quelque chose que d'autres avaient laissĂ© tomber, mais une fois par terre elle y restait, ses ailes n'Ă©tant pas assez puissantes pour la ramener dans les airs, et elle n'avait pas de pattes pour s'aider. Des bruits indescriptibles vinrent du marais Ă ma gauche, des bruits Ă©pouvantables qui me glacĂšrent de peur. Et alors, tout prĂšs de moi, sortant de la boue, Ă©mergea une tĂȘte minuscule au bout d'un cou dĂ©mesurĂ©. Celui-ci devait faire environ vingt pieds 6 m de long, et il fallut Ă la chose beaucoup d'efforts pour s'extirper complĂštement et venir sur la terre ferme. Le corps Ă©tait rond, avec une queue effilĂ©e pour Ă©quilibrer les contours du cou et de la tĂȘte. Mais tandis que je regardais cette chose, et craignant qu'elle me regarde Ă son tour, j'entendis un horrible fracas et des craquements comme si quelque chose d'Ă©norme chargeait Ă travers la forĂȘt et Ă©crasait les troncs d'arbres comme nous le ferions de brins de paille. J'eus un aperçu de la plus formidable crĂ©ature que j'aie vue de ma vie. â Avançons d'un siĂšcle ou deux et voyons l'arrivĂ©e des premiers humains. J'eus l'impression de m'assoupir ou je ne sais quoi, parce que lorsque je regardai de nouveau le globe â mais non â non, j'Ă©tais SUR le globe, j'Ă©tais DANS le globe, j'en faisais partie. Mais, quoi qu'il en soit, lorsque je regardai de nouveau je vis s'avancer d'affreuses crĂ©atures aux sourcils Ă©pais et le cou enfoncĂ© dans les Ă©paules. Elles marchaient et j'en comptai six, portant chacune en guise d'arme un gros segment d'arbre se terminant par un nĆud pour augmenter sa rĂ©sistance, et la partie qu'ils tenaient Ă©tait plus effilĂ©e. Ces crĂ©atures avançaient et une femme les accompagnait portant un bĂ©bĂ© qu'elle allaitait tout en marchant. Ils avaient beau patauger dans la boue, on n'entendait aucun bruit d'Ă©claboussures ou autres. Tout Ă©tait silencieux. Je les regardai s'Ă©loigner, puis, encore une fois, j'eus l'impression de m'assoupir, car en regardant de nouveau, je vis une ville merveilleuse. Elle Ă©tait faite de pierres brillantes de diffĂ©rentes couleurs, des ponts barraient les rues et des oiseaux mĂ©caniques volaient dans les airs en suivant le tracĂ© des rues avec des passagers Ă bord. Ces choses pouvaient s'arrĂȘter et planer pendant que les gens y montaient ou en descendaient. Puis, tout Ă coup, tout le monde se tourna en regardant vers l'horizon lointain, au-dessus de la chaĂźne de montagnes, alertĂ©es par un mugissement qui venait de lĂ -bas. Et l'on vit apparaĂźtre un essaim d'oiseaux mĂ©caniques qui se mirent Ă encercler la ville et Ă tournoyer au-dessus. Les gens s'enfuirent dans toutes les directions. Certains Ă©taient Ă genoux en train de prier, mais les prĂȘtres, je remarquai, ne s'arrĂȘtĂšrent pas pour prier ils mettaient toute leur Ă©nergie Ă courir. AprĂšs quelques minutes de survol, des portes s'ouvrirent en dessous de ces choses mĂ©caniques, et des boĂźtes en mĂ©tal en tombĂšrent. Les oiseaux mĂ©caniques refermĂšrent leurs portes et repartirent Ă toute vitesse. La ville fut projetĂ©e dans les airs et retomba sous forme de poussiĂšre, et c'est Ă ce moment que l'on entendit le bruit de l'explosion, car la vue est tellement plus rapide que l'ouĂŻe. Nous entendĂźmes les hurlements des gens coincĂ©s sous des poutres ou enterrĂ©s dans les dĂ©combres. De nouveau, il y eut une somnolence ; je ne peux dire autrement â une somnolence â parce que j'Ă©tais inconscient d'une coupure quelconque entre ce que j'avais vu et ce que je voyais maintenant. C'Ă©tait une pĂ©riode plus tardive, et je pouvais voir que l'on construisait une grande ville, une ville d'une beautĂ© incomparable. C'Ă©tait vĂ©ritablement de l'art. Des flĂšches s'Ă©lançaient vers le ciel et des piĂšces de mĂ©tal finement ciselĂ©es reliaient les Ă©difices les uns aux autres. On voyait des gens qui allaient Ă leurs occupations quotidiennes, achetant, vendant, debout aux coins des rues et en pleine discussion. Puis un grondement, un effrayant grondement se fit entendre suivi bientĂŽt de l'arrivĂ©e en masse de ces oiseaux mĂ©caniques en formation au-dessus des tĂȘtes, et tous les gens riaient, applaudissaient, saluaient. Les oiseaux mĂ©caniques continuĂšrent tranquillement leur chemin. Ils traversĂšrent la chaĂźne de montagnes, on entendit un terrible fracas, et ainsi l'on sut que notre cĂŽtĂ©â prenait sa revanche sur l'ennemi pour la destruction qu'il avait causĂ©e. Mais â mais les oiseaux mĂ©caniques revenaient, ou plutĂŽt ne revenaient pas, car ce n'Ă©tait pas les nĂŽtres ; ils Ă©taient diffĂ©rents ; certains Ă©taient de formes diffĂ©rentes, plusieurs Ă©taient de diffĂ©rentes couleurs ; ils arrivĂšrent au-dessus de notre ville et lĂąchĂšrent leurs bombes de nouveau, balayant celle-ci dans une tempĂȘte de feu. Le feu rugissait et faisait rage et tout dans la ville fut brĂ»lĂ© et rasĂ©. Les dĂ©licats entrelacs des ponts virĂšrent au rouge puis au blanc, puis fondirent et du mĂ©tal liquide tomba comme de la pluie. Je me retrouvai bientĂŽt sur une plaine, la seule chose qui restait. Il n'y avait plus d'arbres, les lacs artificiels avaient disparu, transformĂ©s en vapeur. Je me tenais lĂ , regardant autour de moi, et je me demandai quel Ă©tait le sens de tout cela ; pourquoi ces Jardiniers de la Terre se battaient-ils contre d'autres Jardiniers ? Cela dĂ©passait totalement mon entendement. Puis le monde lui-mĂȘme trembla et s'assombrit. Je me retrouvai assis sur une chaise Ă cĂŽtĂ© du Lama Mingyar Dondup. Je n'avais jamais vu personne avec une telle expression de tristesse. â Lobsang, ceci s'est produit sur ce monde depuis des millions d'annĂ©es. Il y a eu des gens de haut niveau de culture, mais pour une raison quelconque, ils se sont affrontĂ©s et se sont bombardĂ©s jusqu'Ă ce qu'il ne reste que quelques humains ; ils se sont cachĂ©s dans des cavernes pour en sortir quelques annĂ©es plus tard et recommencer une nouvelle civilisation. Puis cette civilisation allait disparaĂźtre Ă son tour et ses restes allaient ĂȘtre enfoncĂ©s sous la terre par les paysans qui laboureraient les terres ravagĂ©es par les batailles. Le Lama semblant extrĂȘmement triste, s'assit le menton au creux de ses mains. Puis il dit â Je pourrais te montrer l'histoire du monde dans sa totalitĂ©, mais il faudrait y passer ta vie entiĂšre. Je ne vais donc te montrer que des extraits, comme on dit, et te parlerai du reste. C'est bien triste Ă dire, mais divers types de gens ont Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©s comme habitants de ce monde. Il y eut une race entiĂšrement noire qui arriva aprĂšs un grand chaos. Deux races blanches s'Ă©taient querellĂ©es pour Ă©tablir laquelle Ă©tait la plus puissante et, bien sĂ»r, eurent recours Ă la guerre. C'est toujours la guerre, toujours les mauvaises pensĂ©es des gens. Si seulement les gens croyaient en un Dieu, il n'y aurait rien de tout cela. Toujours est-il que cette race entiĂšrement noire fit un horrible gĂąchis de ce monde, jusqu'au moment oĂč ces gens atteignirent finalement un trĂšs haut niveau de civilisation, beaucoup plus Ă©levĂ© que le nĂŽtre actuellement. Mais alors deux races diffĂ©rentes de gens noirs se querellĂšrent et cherchĂšrent frĂ©nĂ©tiquement Ă fabriquer une arme plus puissante que celle de leur adversaire. Ils finirent par y arriver, et le signal fut en fait donnĂ© de libĂ©rer ces â eh bien â sortes de missiles, ce qui causa un Ă©norme bouleversement sur ce monde. La majoritĂ© des gens fut exterminĂ©e, tout juste comme on annihilerait une colonie de fourmis fĂ©roces. â Il y a toujours des survivants, et nous avons donc maintenant une race blanche, une race noire, et une race jaune. Il y a eu jadis une race verte ; Ă cette Ă©poque les gens vivaient des centaines d'annĂ©es car leurs cellules de mĂ©moireâ Ă©taient capables de reproduire les cellules moribondes avec exactitude. Ce n'est que depuis que les cellules ont perdu leur aptitude Ă se reproduire avec prĂ©cision que nos vies sont si courtes. Dans l'une des guerres il y eut de formidables explosions, et la majeure partie de la couverture nuageuse de la Terre fut emportĂ©e, emportĂ©e dans l'espace, et la lumiĂšre du soleil afflua avec tous ses rayons mortels. Au lieu de vivre sept ou huit cents ans, les gens virent leur durĂ©e de vie rĂ©duite Ă environ soixante-dix ans. â Le soleil n'est pas un bon, un bienfaisant fournisseur de lumiĂšre, etc., etc. Il Ă©met des rayons nocifs pour les gens. Tu peux constater par toi-mĂȘme que les gens trop exposĂ©s aux rayons solaires ont la peau qui s'assombrit. Or, si le soleil Ă©tait bĂ©nĂ©fique la Nature n'aurait pas Ă©prouvĂ© le besoin de mettre un Ă©cran contre la lumiĂšre. Ainsi les rayons, ultra-violets et autres, affectĂšrent les humains en les rendant pires qu'ils ne l'Ă©taient dĂ©jĂ , de sorte que les deux clans de Jardiniers de la Terre devinrent encore plus fĂ©roces. Un cĂŽtĂ© Ă©tait bon et voulait voir la race humaine devenir fĂ©conde et se consacrer au bien, mais les gens exposĂ©s Ă trop de soleil se mirent Ă contracter la tuberculose ou le cancer. Sur toute la surface du monde, les gens furent sujets Ă diverses maladies de la peau de caractĂšre tenace, maladies que l'on ne pouvait pas soigner. AprĂšs tout, ces rayons solaires pouvaient traverser plusieurs pieds de pierre, et il Ă©tait inutile pour les habitants du monde de se rĂ©fugier dans des maisons parce que les rayons pouvaient toujours les atteindre. â De vieux contes disent qu'il y avait Ă cette Ă©poque des gĂ©ants. Oui, c'est vrai. Les gĂ©ants Ă©taient un clan de Jardiniers de la Terre. Ils faisaient deux Ă trois fois la taille d'un homme moyen, ils se dĂ©plaçaient lentement, de façon plutĂŽt lĂ©thargique, et n'aimaient pas travailler. Ils essayĂšrent de retourner Ă leur base d'origine, mais en y allant ils constatĂšrent qu'il y avait eu des problĂšmes lĂ -bas. Un clan de Jardiniers Ă©tait bon, avec un bon leader, mais l'autre clan Ă©tait mauvais. Ces derniers prospĂ©raient par des mĂ©chancetĂ©s de toutes sortes, et restaient sourds aux appels de ceux qui voulaient un monde pacifique avec une vie plus saine. â Ces bons Jardiniers comprenant Ă quel point il Ă©tait inutile de rester Ă leur base d'origine, rĂ©approvisionnĂšrent leurs vaisseaux, chargĂšrent de nouvelles barres de combustible, et reprirent leur vol vers la Terre. â Leurs vaisseaux pouvaient voyager plus vite que la lumiĂšre. Ils allaient si vite qu'aucun humain ne pouvait les contrĂŽler, et ils devaient donc ĂȘtre manipulĂ©s par une sorte d'ordinateur Ă©quipĂ© d'un bouclier spĂ©cial pour tenir les mĂ©tĂ©orites ou les autres obstacles Ă distance ; sans ces boucliers les vaisseaux auraient Ă©tĂ© criblĂ©s de mĂ©tĂ©orites ou de poussiĂšre cosmique, entraĂźnant, bien sĂ»r, une perte d'air et la mort de tout l'Ă©quipage. â Finalement ils revinrent sur Terre et tombĂšrent en pleine guerre. Le mauvais cĂŽtĂ© â le clan malĂ©fique des Jardiniers de la Terre â s'Ă©taient associĂ©s trop librement avec les gens de la Terre, leur rĂ©vĂ©lant plusieurs de leurs secrets. Depuis cette Ă©poque, le monde n'a cessĂ© de se dĂ©tĂ©riorer, et il faudra une nouvelle guerre mondiale au cours de laquelle beaucoup de gens mourront. Beaucoup d'autres se cacheront dans des cavernes ou dans des crevasses de hautes montagnes. Comme leurs Sages leur avaient prĂ©dit tout ce qui allait arriver, ces gens se dirent que ce n'Ă©tait pas la peine de s'appliquer Ă bien vivre puisque, dans quelques courtes annĂ©es, la Terre elle-mĂȘme serait peut-ĂȘtre dĂ©truite. Et nous nous rapprochons maintenant dangereusement de ce moment. J'Ă©coutai tout cela, puis je dis â L'astrologue en chef m'a prĂ©dit une vie horrible, une vie rĂ©ellement de misĂšre. Or, comment cela va-t-il aider le monde ? â Oui, tout ce que l'astrologue en chef a prĂ©dit s'est rĂ©alisĂ©, et il est vrai que tu vas traverser des moments trĂšs, trĂšs difficiles oĂč toutes les mains se lĂšveront contre toi. Mais souviens-toi que tu rĂ©ussiras dans ce que tu feras, et que lorsque tu quitteras ce monde tu ne seras pas coincĂ© dans l'astral, mais que tu iras beaucoup plus haut. Et, bien sĂ»r, tu ne retourneras jamais sur la Terre. Je ne suis pas certain que le moment soit venu de te dire tout ce qui va se passer ici, mais jetons un coup d'Ćil Ă quelques Ă©vĂ©nements du passĂ©. Je pense, toutefois, que nous devrions d'abord prendre un repas parce que ces reprĂ©sentations en trois dimensions fatiguent et on oublie l'heure. Nous fĂ»mes fidĂšles Ă notre nourriture habituelle, la tsampa, et nous bĂ»mes de l'eau froide. â Il va falloir que tu t'habitues Ă diffĂ©rentes nourritures, me dit alors le Lama, parce que dans d'autres parties du monde, les gens ne connaissent pas du tout la tsampa ; ils ont de la nourriture prĂ©cuite, scellĂ©e dans une boĂźte de conserve, et aussi longtemps que le contenant reste intact la nourriture est comestible, peu importe combien de temps elle est gardĂ©e avant d'ĂȘtre mangĂ©e. Mais, bien sĂ»r, ces boĂźtes de conserve doivent ĂȘtre gardĂ©es au froid, ce qui empĂȘche la dĂ©composition. De nos jours en Occident ils utilisent ce qu'ils appellent des glaciĂšres, de trĂšs grosses caisses remplies de glace qui entoure les boĂźtes de conserve de nourriture, et aprĂšs quelques jours les caisses doivent ĂȘtre ouvertes pour voir jusqu'Ă quel point la glace a fondu. Si elle a beaucoup fondu, il faut alors de nouveau remplir toute la caisse de nouvelle glace. On peut toujours dire, toutefois, si la nourriture s'est gĂątĂ©e parce que les boĂźtes de conserve gonflent, montrant qu'il y a la pression d'un gaz, le gaz de la dĂ©composition, Ă l'intĂ©rieur. Il faut alors jeter de telles conserves sous peine de s'empoisonner. â Maintenant nettoyons nos bols, et retournons visionner ce monde dont nous faisons partie. Le Lama se leva et racla les restes de tsampa, puis se dirigeant vers un tas de sable, il en prit une poignĂ©e avec laquelle il nettoya son bol. J'en fis autant tout en me disant que c'Ă©tait une horrible corvĂ©e d'avoir Ă faire le nettoyage de nos bols Ă chaque fois. Je me demandai pourquoi personne n'avait inventĂ© quelque chose pour contenir la nourriture et qui pourrait ĂȘtre jetĂ©e aprĂšs avoir mangĂ©. Je pensai Ă tous les moines et tous les lamas, occupĂ©s avec leur poignĂ©e de sable fin ; toutefois, cette procĂ©dure est beaucoup plus hygiĂ©nique que celle consistant Ă laver un bol en bois, vous savez, car si celui-ci contient quelque chose de liquide, alors, Ă©videmment, elle s'infiltrera dans le bois. Et supposons que vous ayez un beau fruit juteux dans votre bol ; vous mangez le fruit et il reste un peu de jus. Si vous lavez votre bol, vous saturez alors le bois et permettez au jus de pĂ©nĂ©trer. Non, jusqu'Ă ce qu'il y ait un meilleur systĂšme, le sable trĂšs fin est beaucoup, beaucoup mieux que l'eau. â Depuis combien de temps pensez-vous que ce monde existe, MaĂźtre ? Le Lama me sourit tout en disant â Eh bien, tu en as dĂ©jĂ vu une partie, et je pense que nous devrions en voir un peu plus sur le passĂ©, le prĂ©sent et le futur ; qu'en dis-tu ? Nous nous dirigeĂąmes lentement vers ce grand hall oĂč se trouvait le simulacre du monde, attendant que quelqu'un l'utilise. â Tu sais, Lobsang, nous avons tous tendance Ă croire que ce monde est Ă©ternel, et pourtant cet Univers est en fait en train de se dĂ©truire actuellement. Il a Ă©tĂ© bel et bien Ă©tabli que tous les mondes s'Ă©loignent rapidement les uns des autres. Maintenant, la meilleure façon de t'expliquer cela est de te redire que le temps sur ce monde est entiĂšrement artificiel. Le temps rĂ©el est le temps de l'espace. Te souviens-tu de ces allumettes que je t'ai montrĂ©es qui peuvent ĂȘtre frottĂ©es sur une surface rugueuse et dont le bout s'embrase ? Eh bien, si tu Ă©tais un Dieu dans l'espace, la naissance, la vie, et la mort de ce monde ou de tout autre monde ressembleraient au grattement de cette allumette. Tout d'abord il y a la chaleur engendrĂ©e par la friction de la pointe de l'allumette sur quelque chose de dur. Puis, la pointe Ă©clate en flamme, et s'Ă©teint ensuite, ne laissant Ă l'allumette qu'une tĂȘte rouge brĂ»lante qui se refroidit rapidement pour ne devenir qu'une masse noire brĂ»lĂ©e. Il en est ainsi de la Terre, et de toutes les autres planĂštes. Elle nous semble, nous qui vivons sur cette Terre, ĂȘtre Ă©ternelle, mais si tu imagines qu'une personne des plus minuscules soit placĂ©e sur la tĂȘte de l'allumette lorsqu'elle se refroidit, elle croira qu'elle vit sur un monde qui durera Ă tout jamais. Comprends-tu lĂ oĂč je veux en venir ? â Oui, MaĂźtre, je comprends. Un lama qui avait Ă©tudiĂ© dans une grande Ă©cole en Allemagne m'a dĂ©jĂ parlĂ© en ces mĂȘmes termes. Il utilisa pratiquement les mĂȘmes mots que vous, mais il ajouta qu'aprĂšs plusieurs millions d'annĂ©es la tĂȘte de l'allumette, ou le monde, atteindrait environ vingt millions de degrĂ©s Fahrenheit 11 000 000 °C parce qu'il lui faut une certaine tempĂ©rature pour que l'hydrogĂšne qui se trouve dans l'atmosphĂšre puisse ĂȘtre transformĂ© en carbone, en oxygĂšne et en divers autres Ă©lĂ©ments. Il m'a Ă©galement dit qu'avant la fin du monde le globe terrestre gonfle. â Oui, c'est parfaitement vrai. Tu dois te souvenir qu'ils ne savent rien de ces choses dans le monde Occidental, car ils n'ont rien de semblable Ă ce que nous avons ici. Nous avons en fait ici les instruments que les super-scientifiques d'il y a peut-ĂȘtre un milliard d'annĂ©es ont fabriquĂ©s â ont fabriquĂ©s pour durer un milliard d'annĂ©es ou plus. Ces machines sont restĂ©es ici pendant des centaines, des milliers de siĂšcles, jusqu'Ă ce qu'arrive quelqu'un qui sache les faire fonctionner. Je sais comment les faire marcher, Lobsang, et je vais t'apprendre, et tu auras une vie d'Ă©preuves afin de savoir Ă quoi ressemble vraiment le monde. Et grĂące Ă cette formation que tu pourras ramener Ă Patra, tu pourras faciliter la tĂąche Ă d'autres mondes. â MaĂźtre, vous avez mentionnĂ© le mot Patraâ, mais je ne connais aucun monde portant ce nom, dis-je. â Non, je le sais, mais tu vas bientĂŽt le connaĂźtre. Je vais te montrer Patra en ce monde, mais il y a tant de choses Ă voir d'abord, et j'ai toujours trouvĂ© inutile d'avoir un instrument qui produise des rĂ©sultats prĂ©visibles ; mais aussi, si l'opĂ©rateur ne sait pas comment faire fonctionner la machine et comment elle en est arrivĂ©e au rĂ©sultat final, il s'agit vraiment d'un trĂšs mĂ©diocre opĂ©rateur. Aucun instrument ne devrait ĂȘtre utilisĂ© Ă moins que l'opĂ©rateur potentiel ne puisse faire les choses pour lesquelles l'instrument a Ă©tĂ© conçu. Nous atteignĂźmes la piĂšce â on devrait dire une salle, en fait, Ă cause de sa taille â et entrĂąmes. ImmĂ©diatement apparut une faible lueur et nous vĂźmes l'aube faire lentement place Ă la lumiĂšre du jour. C'Ă©tait une aube d'un genre diffĂ©rent de ce que nous voyons aujourd'hui, car maintenant toutes ces magnifiques couleurs que nous voyons au lever et au coucher du soleil ne sont que des reflets de la pollution de l'atmosphĂšre. Ă cette Ă©poque la pollutionâ Ă©tait en fait de la nourriture pour la Terre, de la nourriture pour le sol qui est le produit des Ă©ruptions volcaniques, et ce sont ces volcans qui donnĂšrent aux mers leur teneur en sel. Sans sel on ne pourrait pas vivre. Nous nous assĂźmes derriĂšre la console. â Regardons un peu au hasard, dit le Lama Mingyar Dondup. Nous avons tout notre temps. LĂ -bas ils doivent ĂȘtre contents d'ĂȘtre un moment dĂ©barrassĂ©s de nous, surtout de toi petit chenapan, qui t'amuses Ă lancer des choses sur les crĂąnes rasĂ©s des gens. Alors â au tout dĂ©but les animaux, la premiĂšre forme de vie sur Terre, Ă©taient vraiment d'Ă©tranges crĂ©atures. Par exemple, le brachiosaure de son nom scientifique Brachiosaurus â NdT Ă©tait probablement la plus Ă©trange crĂ©ature qui ait jamais Ă©tĂ© vue sur cette Terre. Il y a eu toutes sortes de choses bizarres. Par exemple, l'ultrasaurus Ă©tait un animal trĂšs particulier. Il devait avoir une pression artĂ©rielle trĂšs Ă©levĂ©e car sa tĂȘte pouvait ĂȘtre Ă plus de soixante pieds 18 m dans les airs ; en plus, cet animal pesait environ quatre-vingts tonnes et avait deux cerveaux celui situĂ© dans la tĂȘte actionnait les mĂąchoires et les pattes de devant, et celui Ă l'arriĂšre, c'est-Ă -dire celui juste derriĂšre le bassin, activait la queue et les pattes arriĂšre. Cela me rappelle toujours une question que l'on m'a posĂ©e "Qu'arrive-t-il lorsque l'une ou plusieurs des pattes d'un mille-pattes perdent la cadence ?" C'est une question Ă laquelle il m'est impossible de rĂ©pondre avec un degrĂ© quelconque de prĂ©cision. Tout ce que je peux dire c'est que la crĂ©ature avait peut-ĂȘtre quelque autre crĂ©ature spĂ©ciale veillant sur elle et voyant Ă ce qu'elle ne se croise pas les pattes en marchant. â Eh bien, Lobsang, que veux-tu voir ? continua le Lama. Nous avons beaucoup de temps et tu peux donc me dire ce qui t'intĂ©resse le plus. Je rĂ©flĂ©chis un moment et rĂ©pondis â Ce lama Japonais que nous avons accueilli nous a racontĂ© un tas de choses curieuses et je ne sais toujours pas si je peux le croire ou non. Il nous a racontĂ© que le monde Ă©tait autrefois trĂšs chaud, qu'il devint tout Ă coup trĂšs froid, et que sa surface se recouvrit de glace. Pouvons-nous voir cela ? â Oui, bien sĂ»r que nous le pouvons. Il n'y a pas la moindre difficultĂ©. Mais, tu sais, cela s'est produit plusieurs fois. Tu vois, le monde a des milliards d'annĂ©es, et aprĂšs un certain nombre de millions d'annĂ©es, il y a une pĂ©riode glaciaire. Par exemple, au PĂŽle Nord actuellement il y a une profondeur de six cents pieds 183 m de glace dans l'eau, et si toute la glace fondait et que les icebergs fondaient Ă©galement, tout le monde sur Terre se noierait parce que tout serait submergĂ© â sauf pour nous au Tibet qui serions trop hauts pour que l'eau nous atteigne. Il se tourna vers la console, consulta toute une colonne de chiffres, et alors la lumiĂšre de la grande salle, ou de la piĂšce, ou comme il vous plaira de l'appeler, s'estompa. Pendant quelques secondes nous fĂ»mes dans l'obscuritĂ©, puis apparut une lueur rougeĂątre, trĂšs particuliĂšre, absolument particuliĂšre et, venant des pĂŽles, le Nord et le Sud, arrivĂšrent des traĂźnĂ©es de lumiĂšre bigarrĂ©es. â C'est l'aurore borĂ©ale, ou l'Aura du monde. Nous pouvons la voir parce que, mĂȘme si nous semblons ĂȘtre sur Terre, nous sommes loin de cette manifestation, et c'est pourquoi nous la voyons. La lumiĂšre devint plus vive, devint Ă©blouissante, si brillante qu'il nous fallut la regarder les yeux pratiquement fermĂ©s. â OĂč est le Tibet ? demandai-je. â Nous sommes debout dessus, Lobsang, nous nous tenons dessus. Et tout ce que tu vois lĂ en bas est de la glace. Je regardai cette glace, me demandant de quoi il s'agissait parce que â eh bien, il y avait de la glace verte, il y en avait de la bleue, et il y en avait qui Ă©tait complĂštement transparente, aussi transparente que l'eau la plus limpide. Je ne pouvais tout simplement pas comprendre. â J'en ai assez vu, dis-je, c'est un spectacle dĂ©primant. Le Lama rit et activa Ă nouveau les commandes de la console ; le monde tourna et vacilla avec la vitesse. Il tournait si vite que tout Ă©tait gris ; il n'y avait ni obscuritĂ© ni luminositĂ©, seulement cette grisaille, puis il ralentit et nous nous trouvĂąmes devant une grande ville, une ville fantastique. C'Ă©tait une ville qui avait Ă©tĂ© construite juste avant l'avĂšnement des SumĂ©riens. Elle avait Ă©tĂ© construite par une race dont il n'existe plus maintenant aucune trace Ă©crite, aucune mention Ă son sujet dans l'histoire et, en fait, il n'y eut que la plus vague allusion aux SumĂ©riens dans les livres d'histoire. Mais ils arrivĂšrent en conquĂ©rants, pillĂšrent, violĂšrent et ravagĂšrent la ville, et l'ayant rĂ©duite Ă un Ă©tat tel qu'il ne resta plus pierre sur pierre, ils partirent et â selon les livres d'histoire â ils disparurent quelque part sans laisser de trace. Bien entendu, sans laisser de traceâ, car ils partirent et quittĂšrent la Terre dans d'immenses vaisseaux spatiaux. Je ne pouvais pas comprendre comment ces gens pouvaient ĂȘtre assez sauvages pour venir et tout simplement dĂ©truire une ville â apparemment par plaisir. Bien sĂ»r ils capturĂšrent beaucoup de femmes et c'Ă©tait peut-ĂȘtre en partie la raison. Il me vint Ă l'esprit que je regardais quelque chose qui pourrait changer toute l'histoire de l'humanitĂ©. â MaĂźtre, dis-je, j'ai vu toutes ces choses, j'ai vu toutes ces merveilleuses, merveilleuses inventions, mais il me semble que trĂšs peu de personnes les connaissent. Or, sĂ»rement que si tout le monde les connaissait viendrait un moment oĂč il y aurait la paix dans le monde entier, car qu'y aurait-il Ă combattre si tout pouvait ĂȘtre connu grĂące Ă ces instruments ou ces machines ? â Non, Lobsang, il n'en est pas ainsi, mon garçon, il n'en est pas ainsi. S'il y avait la moindre chance que les gens soient au courant de ceci, on verrait accourir des hommes d'affaires corrompus avec leurs gardes armĂ©s qui prendraient possession de tout et tueraient tous ceux d'entre nous qui savons, puis ils utiliseraient les instruments pour contrĂŽler le monde. Pense Ă cela. Un capitaliste corrompu devenu le roi du monde, et faisant de tous et chacun son esclave. â Eh bien, je ne peux pas comprendre l'attitude des gens, parce que nous savons que le Tibet sera envahi par les Chinois, nous savons qu'ils emporteront tous nos prĂ©cieux livres pour les Ă©tudier. Qu'est-ce qui les empĂȘchera de conquĂ©rir le monde ? â Lobsang, mon cher ami, te voilĂ simplet, faible d'esprit, ou je ne sais quoi. Tu ne crois pas que nous laisserions un conquĂ©rant s'emparer de ces choses-lĂ , n'est-ce pas ? Pour commencer, nous en avons des copies exactes dans l'ExtrĂȘme-Arctique, lĂ oĂč les hommes peuvent Ă peine se mouvoir Ă cause du froid. Mais Ă l'intĂ©rieur des chaĂźnes de montagnes tout est chaud, paisible et confortable, lĂ oĂč nous pouvons avoir les yeux sur le monde, voir exactement ce qui se passe et, si nĂ©cessaire, prendre des mesures. Mais tout ce matĂ©riel â il indiqua d'un geste autour de lui â tout ceci sera dĂ©truit, explosĂ©, et mĂȘme piĂ©gĂ©. D'abord les Britanniques et les Russes tenteront de conquĂ©rir le Tibet, mais ils Ă©choueront ; ils seront la cause d'une terrible quantitĂ© de morts, mais ils ne rĂ©ussiront pas Ă vaincre. Toutefois, ils auront donnĂ© aux Chinois l'idĂ©e de la façon de s'y prendre pour rĂ©ussir, et ceux-ci viendront et conquerront le Tibet, le conquerront en partie, du moins. Mais malgrĂ© tout, ils ne pourront mettre la main sur aucune de ces machines, sur aucun des livres Saints ou des livres mĂ©dicaux, car nous prĂ©voyons tout ceci depuis des annĂ©es, depuis des siĂšcles, en fait, et de faux ouvrages ont Ă©tĂ© prĂ©parĂ©s qui seront mis en place dĂšs que les Chinois commenceront l'invasion. La ProphĂ©tie, tu le sais, dit que le Tibet survivra jusqu'Ă ce que des roues entrent dans notre pays, et quand des roues entreront au Tibet, ce sera la fin de notre pays. Mais n'aies aucune crainte, tous nos trĂ©sors, tout notre grand savoir vieux de millions d'annĂ©es, sont cachĂ©s en toute sĂ©curitĂ©. Je connais l'endroit ; j'y suis allĂ©. Et toi, Ă©galement, tu en connaĂźtras l'emplacement parce qu'on va te le montrer. Je serai tuĂ© au cours de ta vie, en fait avant que tu ne quittes le Tibet, et tu seras l'un des rares hommes Ă pouvoir faire fonctionner ces machines et Ă savoir les entretenir. â BontĂ© divine ! mais il faudrait plusieurs vies pour apprendre Ă entretenir ces machines ! m'Ă©criai-je. â Non, tu apprendras qu'elles se rĂ©parent elles-mĂȘmes. Tu n'auras qu'Ă effectuer quelques manipulations et la machine, ou plutĂŽt, les autres machines, vont rĂ©parer celle qui est dĂ©fectueuse. Tu vois, elles n'en ont pas pour tellement longtemps Ă exister, ces machines, car d'ici plusieurs annĂ©es encore, en 1985, les circonstances vont changer et il y aura une troisiĂšme Guerre Mondiale qui durera assez longtemps, et aprĂšs l'an 2000 il y aura de trĂšs nombreux changements, certains pour le meilleur, d'autres pour le pire. Nous sommes en mesure de les voir Ă travers le Rapport Akashique des ProbabilitĂ©s. Or, l'Homme n'est pas sur des rails, tu sais, incapable de s'Ă©carter d'une trajectoire dĂ©finie. L'Homme a la libertĂ© de choix Ă l'intĂ©rieur de certaines limites, celles-ci Ă©tant dĂ©terminĂ©es par le type astrologique de la personne. Mais nous pouvons voir de façon trĂšs prĂ©cise ce qui arrivera Ă un pays, et c'est ce que nous allons faire trĂšs bientĂŽt, car je veux te montrer quelques-unes des merveilles du monde. Nous allons nous rĂ©gler sur diffĂ©rentes situations, Ă diffĂ©rentes Ă©poques. â Mais, MaĂźtre, comment vous est-il possible de vous mettre Ă l'Ă©coute de sons depuis longtemps disparus, de sons, d'images, et de tout le reste ? Quand une chose s'est produite, elle est bel et bien terminĂ©e. â Non pas, Lobsang, non pas. La matiĂšre est indestructible, et les impressions qui Ă©manent de ce que nous disons ou faisons nous quittent et circulent dans l'Univers, circulent encore et encore dans l'Univers. Avec cette grosse machine nous pouvons remonter environ deux milliards d'annĂ©es en arriĂšre. Toutefois, Ă deux milliards d'annĂ©es l'image est un peu floue mais tout de mĂȘme assez claire pour voir ce que c'est. â Eh bien, je ne comprends pas comment on peut extraire des sons et des images du nĂ©ant. â Lobsang, dans quelques annĂ©es il y aura quelque chose appelĂ© le sans filâ la TSF â NdT. On est en train de l'inventer Ă l'heure actuelle, et avec elle on pourra capter ce qu'on appellera des programmes radio, et si le rĂ©cepteur est d'assez bonne qualitĂ© il pourra capter n'importe quel Ă©metteur du monde, et plus tard encore ils auront ces boĂźtes radio qui capteront des images. Tout cela a Ă©tĂ© fait auparavant, et Ă mesure que les civilisations se succĂšdent, les mĂȘmes choses sont parfois rĂ©-inventĂ©es. Il arrive qu'une version amĂ©liorĂ©e en rĂ©sulte, mais dans ce cas-ci, apparemment, la chose appelĂ©e sans fil donne beaucoup de problĂšmes parce que l'information doit ĂȘtre rapportĂ©e du monde astral par les scientifiques qui croient l'inventer. Mais, de toute façon, crois-moi sur parole que nous pouvons continuer et voir ce qui va se passer dans le monde. Malheureusement notre limite supĂ©rieure sera de trois mille ans ; nous ne pouvons aller plus loin, nos images deviennent trop floues, trop confuses, pour que nous puissions les dĂ©chiffrer. Quant Ă toi, beaucoup de souffrances et beaucoup de voyages t'attendent, et tu seras la victime de toutes sortes de gens sans scrupules qui n'aimeront pas ce que tu fais et essaieront de ternir ta rĂ©putation. Sur cette machine, durant les prochains jours Ă venir, tu vas voir de nombreux points saillants de ta vie. Mais voyons d'abord certaines choses prises au hasard. Maintenant, regarde voici les Ă©vĂ©nements importants dans un endroit appelĂ© Ăgypte. Le Lama ajusta divers contrĂŽles et nous vĂźmes l'obscuritĂ©, puis tout au haut de la ligne d'horizon de l'obscuritĂ© se dĂ©tachaient des triangles noirs. Cela n'avait aucun sens pour moi, aussi poussa-t-il graduellement un contrĂŽle et le monde passa petit Ă petit Ă la lumiĂšre du jour. â Regarde, dit-il, voici la construction des Pyramides. Dans les annĂ©es Ă venir les gens vont se demander et se demander comment ces grands blocs de pierre ont pu ĂȘtre dĂ©placĂ©s sans toutes sortes de mĂ©canismes. Elles le furent par lĂ©vitation. â Oui, MaĂźtre, j'ai beaucoup entendu parler de la lĂ©vitation, mais je n'ai pas la moindre idĂ©e de la façon dont cela fonctionne. â Eh bien, tu vois, le monde a une attraction magnĂ©tique. Si tu lances un objet dans les airs, le magnĂ©tisme de la Terre le fera retomber. Si tu tombes d'un arbre, tu vas vers le bas, non vers le haut, parce que le magnĂ©tisme de la Terre est tel qu'il te fait retomber sur la Terre. Mais nous possĂ©dons des dispositifs qui sont anti-magnĂ©tiques Ă la Terre ; nous devons les garder avec grand soin sous bonne garde en tout temps, parce que si une personne non entraĂźnĂ©e mettait la main sur l'une de ces choses, elle pourrait se retrouver dans les airs sans pouvoir revenir sur Terre. La chute, dans ce cas, serait vers le haut. Le contrĂŽle se fait Ă l'aide de deux grilles dont l'une est accordĂ©e au magnĂ©tisme de la Terre, tandis que l'autre est en opposition Ă son magnĂ©tisme. Maintenant, quand les grilles sont dans une certaine position, les plaques vont flotter, sans monter ni descendre. Mais si on pousse un levier qui modifie la relation des grilles l'une par rapport Ă l'autre, dans un sens donnĂ©, le levier renforce alors le magnĂ©tisme de la Terre, et ainsi les plaques, ou la machine, s'affaissent sur la Terre. Mais si l'on veut faire monter, nous poussons le levier dans l'autre sens pour que prenne effet l'anti-magnĂ©tisme et que la Terre repousse au lieu d'attirer, et l'on peut ainsi faire monter dans les airs. C'est le dispositif utilisĂ© par les Dieux quand ils ont créé ce monde tel qu'il est maintenant. Un homme pouvait soulever ces blocs de cent tonnes et les mettre en position sans forcer, puis, lorsque le bloc Ă©tait dans la position prĂ©cise dĂ©sirĂ©e, le courant magnĂ©tique Ă©tait coupĂ© et le bloc se trouvait immobilisĂ© en position par l'attraction de la gravitĂ© terrestre. C'est ainsi que les Pyramides furent construites, c'est ainsi que de nombreuses choses Ă©tranges, inexplicables, furent construites. Par exemple, nous disposons de cartes de la Terre depuis des siĂšcles, et nous sommes les seuls Ă avoir ces cartes parce que nous seuls avons ces dispositifs d'anti-gravitĂ© et ils ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour cartographier le monde avec exactitude. Mais ce n'est plus l'heure de continuer Ă discuter. Je pense qu'il est temps de manger quelque chose, puis nous examinerons mes jambes, et ce sera ensuite le moment d'aller dormir car demain est un nouveau jour, un jour sans prĂ©cĂ©dent. Chapitre Huit â Lobsang ! Allez, c'est l'heure de la leçon. Mon esprit se reporta Ă une autre leçon. C'Ă©tait au Potala. Je m'Ă©tais absentĂ© quelques jours avec le Lama Mingyar Dondup, et de retour au Potala, il me dit â Les leçons de cet aprĂšs-midi sont sur le point de commencer ; tu ferais mieux d'y aller maintenant. Je hochai la tĂȘte quelque peu dĂ©couragĂ© et me rendis Ă la salle de classe. Le Lama-Professeur leva la tĂȘte, puis son visage prenant une expression de rage, il me pointa du doigt en criant â Dehors ! Dehors ! Je ne veux pas de toi dans ma classe. Il n'y avait rien d'autre Ă faire je tournai les talons et sortis. Quelques-uns parmi les autres chelas gloussĂšrent quelque peu, et le Lama-Professeur se jeta sur eux en distribuant des coups de bĂąton Ă la ronde. Je me rendis Ă ce que nous appelions notre terrain de jeu et m'y promenai en traĂźnant les pieds. Le Lama Mingyar Dondup tourna le coin, m'aperçut, et venant Ă moi il me dit â Je te croyais en classe. â J'y suis allĂ©, MaĂźtre, mais le Professeur Ă©tait en colĂšre contre moi ; il m'a ordonnĂ© de sortir et m'a dit qu'il n'y aurait dĂ©sormais plus de place pour moi dans ses cours. â Vraiment ? rĂ©pondit mon Guide. Viens avec moi, nous allons voir ensemble de quoi il est question. Nous marchĂąmes cĂŽte Ă cĂŽte le long du corridor. Le plancher en Ă©tait toujours particuliĂšrement glissant Ă cause du beurre fondu qui se rĂ©pandait chaque fois que nous passions avec nos lampes Ă beurre et qui se solidifiait du fait de la tempĂ©rature trĂšs basse. Le misĂ©rable endroit ressemblait parfois Ă une patinoire. Mais nous marchĂąmes ensemble jusqu'Ă la salle de classe et nous entrĂąmes. Le Lama-Professeur Ă©tait en pleine fureur et frappait les garçons au hasard. En voyant le Lama Mingyar Dondup, il parut secouĂ© et devint vraiment trĂšs pĂąle, puis il retourna Ă son estrade. â Quel est le problĂšme ici ? demanda le Lama Mingyar Dondup. â Aucun problĂšme ici sauf que ce garçon en me pointant du doigt dĂ©range toujours la classe. On ne sait jamais s'il va ĂȘtre prĂ©sent ou absent, et je ne veux pas enseigner Ă un tel garçon. â Ah bon, c'est donc cela ! Ce garçon, Lobsang Rampa, est soumis aux ordres spĂ©ciaux du Grand TreiziĂšme, et vous devez obĂ©ir Ă ces ordres exactement comme je le fais. Suivez-moi, nous allons voir le Grand TreiziĂšme immĂ©diatement. Le Lama Mingyar Dondup se retourna et sortit, suivi du Lama-Professeur qui, sans broncher, tenait toujours son bĂąton Ă la main. â Ăa alors ! s'exclama l'un des garçons, je me demande ce qui va se passer maintenant ; je pensais qu'il Ă©tait devenu fou. Il s'est dĂ©chaĂźnĂ© sur nous tous et tu peux voir les meurtrissures sur nos visages. Que va-t-il arriver maintenant ? Il n'eut pas longtemps Ă attendre parce que le Lama Mingyar Dondup revint trĂšs bientĂŽt, accompagnĂ© d'un Lama assez jeune et Ă l'air studieux. Le Lama Mingyar Dondup nous le prĂ©senta solennellement en disant â Il sera votre Professeur Ă partir de maintenant et je veux voir une grande amĂ©lioration dans votre comportement et dans le travail Ă faire. Il se tourna vers le nouveau Professeur et lui dit â Lobsang Rampa est sous ordres spĂ©ciaux. Il devra parfois s'absenter de cette classe pour plusieurs jours. Vous ferez de votre mieux pour l'aider Ă rattraper son retard. Les deux Lamas se saluĂšrent en s'inclinant gravement, et Mingyar Dondup nous quitta. Je ne m'expliquai pas pourquoi ce souvenir ancien m'Ă©tait brusquement revenu en mĂ©moire, mais â â HĂ©, Lobsang, tu n'as pas entendu un mot de ce que j'ai dit, n'est-ce pas ? â Non, MaĂźtre, j'Ă©tais en train de penser Ă cette Ă©poque oĂč je ne pouvais pas ĂȘtre acceptĂ© en classe, et je me demandais comment un tel Lama pouvait tout aussi bien devenir Professeur. â Oh, eh bien, il y a de bonnes personnes et il y en a de mauvaises, et je suppose que cette fois-lĂ nous sommes tombĂ©s sur une mauvaise personne. Mais peu importe, tout est rĂ©glĂ© maintenant. Nous pouvons dire que je suis dĂ©sormais ton Gardien. Je ne sais pas s'il me faut une laisse ou un collier pour toi, mais je suis ton Gardien et je suis celui qui prend les dĂ©cisions, ce qu'aucun autre Professeur ne peut faire. Il me sourit en mĂȘme temps que j'affichai un trĂšs large sourire. Je pouvais apprendre avec Mingyar Dondup. Il ne s'arrĂȘtait pas au rĂšglement, mais il nous parlait des choses du grand monde extĂ©rieur oĂč il avait tant voyagĂ©. â Eh bien, Lobsang, nous ferions mieux de commencer Ă un niveau trĂšs Ă©lĂ©mentaire, parce que tu devras enseigner aux gens du grand monde extĂ©rieur, et mĂȘme si tu connais probablement toute la premiĂšre partie de ce que je vais te dire, la rĂ©pĂ©tition ne te fera pas de mal du tout. Elle pourra mĂȘme servir Ă t'enfoncer la connaissance d'un pouce cm ou deux de plus. La façon dont il dit cela impliquait un compliment et je rĂ©solus Ă nouveau de lui faire honneur. Si j'ai rĂ©ussi ou Ă©chouĂ©, seul le temps le dira, quand nous serons de retour Ă Patra. â Nous allons imaginer un corps vivant. La personne est Ă©tendue et s'endort ; sa forme astrale sort alors de ce corps et voyage quelque part, et si le dormeur n'est pas une personne trĂšs Ă©voluĂ©e, il se rĂ©veillera en pensant qu'il a rĂȘvĂ©, et rien de plus. Mais dans le cas d'une personne entraĂźnĂ©e, elle paraĂźtra profondĂ©ment endormie, alors que tout ce temps elle fait un voyage astral contrĂŽlĂ© et reste toujours consciente de ce qui se passe prĂšs de son corps physique. Elle sortira de son corps physique et voyagera lĂ oĂč elle le dĂ©sire, lĂ oĂč elle a dĂ©cidĂ© d'aller. On peut voyager partout au monde par le voyage astral, et si l'on s'entraĂźne on peut se souvenir de tout ce qui est arrivĂ© quand on retourne Ă son corps de chair. â Lorsqu'une personne meurt c'est parce que la personne astrale veut se dĂ©barrasser de son corps de chair. Ce dernier est peut-ĂȘtre invalide et ne fonctionne plus correctement, ou peut-ĂȘtre a-t-il appris tout ce qu'il avait besoin d'apprendre dans cette incarnation particuliĂšre, car les gens reviennent sur Terre encore et encore jusqu'Ă ce que leurs leçons soient apprises. Toi et moi sommes diffĂ©rents parce que nous venons d'un niveau au-delĂ de l'astral, nous venons de Patra dont nous reparlerons un peu plus tard. â Lorsque la forme astrale est complĂštement libĂ©rĂ©e du corps physique, que la Corde d'Argent a Ă©tĂ© coupĂ©e et la Coupe d'Or brisĂ©e, l'entitĂ© qui Ă©tait dans ce corps est alors libre d'aller et venir, libre de faire plus ou moins ce qu'elle veut. Puis aprĂšs un certain temps elle se fatigue de â eh bien â simplement errer, et elle consulte une section spĂ©ciale des AutoritĂ©s en place dont la seule tĂąche est de conseiller les gens de l'astral sur ce qui leur conviendrait le mieux devraient-ils rester dans l'astral et en apprendre un peu plus, ou devraient-ils retourner sur Terre dans des circonstances diffĂ©rentes afin d'apprendre Ă la dure. Vois-tu, quand les gens sont au stade du Sur-Moi â oh, c'est encore loin de toi pour le moment, Lobsang â ils ne peuvent pas ressentir la douleur, et ils apprennent plus rapidement par la douleur que par la gentillesse. Par consĂ©quent, il sera peut-ĂȘtre planifiĂ© que cette personne doive retourner sur Terre avec une forte envie de tuer ; elle naĂźtra de parents qui seront les plus susceptibles de lui donner l'occasion de tuer quelqu'un. Maintenant, sa tĂąche sera de lutter contre son dĂ©sir innĂ© d'assassiner, et si elle traverse la vie sans tuer personne, cette vie aura Ă©tĂ© un succĂšs complet. Elle aura appris Ă se contrĂŽler et, dans ce cas, elle sera en mesure d'avoir une pĂ©riode de repos dans l'astral, puis, de nouveau, elle s'adressera au ComitĂ© des Conseillers pour savoir ce qu'ils attendent d'elle la prochaine fois. Elle pourrait se voir dotĂ©e d'une inclination Ă devenir un grand missionnaire, enseignant les mauvaises choses. Eh bien, encore une fois, elle naĂźtra de parents qui peuvent lui donner l'opportunitĂ© d'ĂȘtre un missionnaire, et alors tout dĂ©pendra de sa compĂ©tence dans ce travail, et si elle rĂ©alisait qu'elle enseigne les mauvaises choses, elle pourrait apporter un changement et en retirer beaucoup d'avantages. Elle pourrait, par exemple, rĂ©aliser qu'il ne peut pas y avoir d'immaculĂ©e conception Ă moins que la progĂ©niture ne soit une fille. Sous certaines circonstances les femmes peuvent donner naissance Ă des enfants sans l'aide, nul doute agrĂ©able, d'un homme, mais dans tous les cas l'enfant ainsi nĂ© sera une fille. Si elle grandit, se marie et a un enfant, il sera alors du sexe fĂ©minin, ou un enfant mĂąle de trĂšs faible constitution. Tu n'auras jamais une personne de caractĂšre dominant qui soit nĂ©e sans l'aide d'un homme. â Dans l'astral, les gens peuvent voir leurs erreurs et font peut-ĂȘtre quelque chose pour remĂ©dier au mal qu'ils ont fait Ă d'autres personnes. Savais-tu, Lobsang, que chaque personne sur Terre doit passer par l'ensemble du Zodiaque et Ă©galement par tous les quadrants du Zodiaque, parce que la composition astrologique d'une personne a une trĂšs grande influence sur la façon dont elle progresse et sur sa situation sociale. Par exemple, une personne nĂ©e sous le signe du BĂ©lier pourrait devenir un excellent boucher, mais si ses parents Ă©taient de statut social assez Ă©levĂ©, elle pourrait devenir un excellent chirurgien pas beaucoup de diffĂ©rence entre les deux, tu sais. On m'a affirmĂ© qu'un cochon et un humain ont le mĂȘme goĂ»t ; non pas que j'aie dĂ©jĂ essayĂ© ou que je compte essayer. Je rĂ©flĂ©chis Ă ceci un moment avant de dire â MaĂźtre, est-ce que cela signifie que nous devons vivre sous chaque signe du Zodiaque â Mars, VĂ©nus, et tous les autres â et vivre ensuite sous le mĂȘme signe astrologique du Soleil avec tous ses diffĂ©rents quadrants ? â Eh bien oui, bien sĂ»r que oui. La diffĂ©rence causĂ©e par chaque quadrant est presque incroyable, parce que si nous prenons un signe du Soleil, la premiĂšre partie du quadrant contiendra alors non seulement le signe du Soleil, mais aussi de fortes indications provenant du signe prĂ©cĂ©dent. Alors que dans le centre des quadrants le signe du Soleil sera l'influence prĂ©dominante, en progressant Ă travers un signe donnĂ© et en arrivant Ă la derniĂšre partie du quadrant, les indications seront alors trĂšs fortes en faveur du signe suivant sur le tableau. Je te dis tout cela parce qu'il se peut que tu doives expliquer ce genre de choses aux gens dans l'avenir. Ainsi chaque personne passe Ă travers chaque partie du Zodiaque non pas nĂ©cessairement dans le mĂȘme ordre, mais dans l'ordre qui lui permet de tirer le meilleur parti des choses qui doivent ĂȘtre apprises. â On ne cesse de me rappeler, MaĂźtre, que j'aurai une vie trĂšs difficile, pleine de souffrances, etc., etc. Eh bien, pourquoi doit-il y avoir tant de souffrances ? Le Lama Mingyar Dondup regarda ses pieds pendant un instant, puis reprit â Tu as une trĂšs grande tĂąche Ă accomplir, une noble tĂąche, et tu vas te rendre compte que des gens qui eux-mĂȘmes ne sont pas nobles vont tenter de t'empĂȘcher de rĂ©ussir, qui s'abaisseront Ă toutes sortes de piĂšges pour t'empĂȘcher de parvenir au succĂšs. Tu vois, les gens deviennent envieux si tu fais quelque chose, Ă©cris quelque chose, ou dessines quelque chose qui est assurĂ©ment supĂ©rieur au livre ou au dessin qui Ă©tait le meneur incontestĂ© avant ton effort. Maintenant, je sais que tout cela semble trĂšs dĂ©routant, mais il en est ainsi. Tu seras l'objet de jalousies inouĂŻes et â pauvre Ăąme â tu auras beaucoup de problĂšmes causĂ©s par les femmes, non pas Ă cause de relations sexuelles avec elles, mais parce que, par exemple, la femme de quelqu'un te montrera de l'amitiĂ© et son mari, incomprĂ©hensif, sera fou de jalousie. Et puis, d'autres femmes seront jalouses parce qu'elles t'auront souri et que tu ne leur auras pas rendu leur sourire. Oh, Lobsang, mĂ©fie-toi des femmes ; c'est ce que j'ai fait toute ma vie et je m'en rĂ©jouis. Je tombai dans un sombre silence, rĂ©flĂ©chissant Ă mon terrible destin, et le Lama me dit alors â Rassure-toi, je sais que tu ne connais rien du tout aux femmes, mais bientĂŽt tu auras l'occasion d'examiner l'intĂ©rieur et l'extĂ©rieur de leurs corps, parce que lorsque tu nous quitteras pour aller Ă Chongqing dans quelques annĂ©es, tu verras des cadavres, hommes et femmes, dans des salles de dissection. Au dĂ©but, ton estomac fera pas mal des siennes, mais peu importe, aprĂšs un jour ou deux tu auras dĂ©jĂ pris l'habitude de les voir, et d'aprĂšs le Rapport des ProbabilitĂ©s, tu vas devenir vraiment un excellent docteur, un bon chirurgien, parce que â eh bien, je dois le dire â tu es un peu impitoyable et il faut ĂȘtre impitoyable pour ĂȘtre un bon chirurgien. Donc, quand nous sortirons de cette cellule, cette cage ou cette caverne â appelle-la comme tu veux â tu te rendras dans une autre, lĂ oĂč tu auras un peu de pratique avec des instruments chirurgicaux et oĂč tu pourras apprendre des choses grĂące au langage universel. Et, bien sĂ»r, je suis prĂȘt Ă t'aider de toutes les maniĂšres possibles. â MaĂźtre, vous avez mentionnĂ© Patra plusieurs fois ces derniers jours, mais je n'avais jamais entendu ce mot auparavant et je suis certain que trĂšs peu de gens au Potala ou au Chakpori utilisent ce mot. â Eh bien, il ne sert Ă rien de mentionner une chose qui est trĂšs, trĂšs au-delĂ de la portĂ©e de la personne moyenne. Patra, c'est le Champ CĂ©leste des Champs CĂ©lestes. Tous les gens, quand ils quittent la Terre, vont dans le monde astral. C'est rĂ©ellement un monde, comme tu as dĂ» le constater Ă travers tes voyages astraux. C'est un monde qui ressemble Ă cette Terre Ă bien des Ă©gards, mais qui a de beaucoup plus nombreuses facettes agrĂ©ables, oĂč tu peux te mĂȘler aux gens, tu peux lire, tu peux parler, et tu peux assister Ă des rĂ©unions et apprendre comment les autres se dĂ©brouillent. Pourquoi cette personne-ci Ă©choue-t-elle, et pourquoi cette autre personne rĂ©ussit-elle ? Mais Ă partir de l'astral, les gens retournent sur Terre ou sur une quelconque autre planĂšte afin de mener avec plus de succĂšs, une nouvelle vie. Mais il existe une trĂšs, trĂšs rare planĂšte appelĂ©e Patra. C'est le Paradis des Paradis. Seules les meilleures Ăąmes y vont, seuls ceux qui ont fait le plus grand bien. Par exemple, LĂ©onard de Vinci est lĂ Ă travailler sur des projets qui aideront d'autres Terresâ. Socrate est lĂ . Aristote et de nombreux autres comme lui sont lĂ . Tu n'y trouveras aucun charlatans â ils y sont exclus catĂ©goriquement â et il est dĂ©jĂ prĂ©vu que tu te rendes Ă Patra Ă la fin de cette vie. Tu iras lĂ parce que, au cours de plusieurs vies, tu as eu Ă©preuves aprĂšs Ă©preuves que tu as surmontĂ©es avec succĂšs, et la tĂąche que tu fais maintenant â eh bien, n'importe qui d'autre dirait que c'est une tĂąche impossible, mais tu vas rĂ©ussir et tu resteras Ă Patra pendant un bon bout de temps. Il n'y a lĂ aucune friction, aucune dispute, aucune famine ni cruautĂ©. â Est-ce que les chats sont autorisĂ©s sur Patra, MaĂźtre ? â BontĂ© Divine ! oui, bien sĂ»r qu'ils le sont. Les chats ont une Ăąme tout comme les gens. Il y a un tas d'ignorants qui pensent que cette chose Ă quatre pattes n'est qu'un stupide animal, presque sans sentiments, certainement sans intelligence, et dĂ©finitivement sans Ăąme. Ce n'est pas vrai. Les chats ont une Ăąme, les chats peuvent progresser. Ils peuvent progresser Ă travers le monde de l'Astral et ĂȘtre renseignĂ©s au sujet de Patra. Ă Patra ils peuvent ĂȘtre avec les gens qu'ils ont aimĂ©s sur Terre, ou peut-ĂȘtre sur une autre planĂšte. Oh oui, Lobsang, tu dois dire trĂšs clairement aux gens que les chats sont des personnes, qu'ils sont des individus, qu'ils sont de petites personnes trĂšs Ă©voluĂ©es qui ont Ă©tĂ© mises sur Terre dans un but spĂ©cial. Aussi dois-tu traiter les chats avec grand respect ; mais je sais que tu le fais. â Allons faire un tour parce que mes jambes se raidissent et je pense ĂȘtre prĂȘt pour une bonne marche afin de les dĂ©gourdir. Allons, viens ! Remue tes jambes paresseuses et nous allons voir certaines autres choses que tu n'as encore jamais vues. â MaĂźtre ! J'appelai le Lama Mingyar Dondup qui Ă©tait dĂ©jĂ assez loin devant moi. Il s'arrĂȘta pour me permettre de le rejoindre, et je continuai â MaĂźtre, vous connaissez cet endroit, vous le connaissez trĂšs bien alors que je pensais qu'il s'agissait d'une dĂ©couverte. Vous me faisiez marcher, MaĂźtre ! â Non, je ne te faisais pas marcher, Lobsang, dit-il en riant, et cette entrĂ©e par laquelle nous sommes arrivĂ©es â eh bien, c'Ă©tait une surprise. Je ne m'attendais certainement pas Ă une entrĂ©e lĂ , parce qu'il n'y a rien Ă son sujet sur les cartes, et je me demande plutĂŽt pourquoi il devait y en avoir une Ă cet endroit. Tu seras d'accord avec moi qu'il n'y avait aucun signe de dĂ©formation rocheuse. Je suppose que ce devait ĂȘtre parce que ce vieil ermite Ă©tait en charge de diverses fournitures ici et qu'il aimait avoir cette entrĂ©e toute proche de son ermitage. Mais â non, non, je ne me moquais pas de toi. Il nous faudra voir comment sortir d'ici demain, parce que maintenant mes jambes ont si bien guĂ©ri que je suis capable d'entreprendre la descente de la montagne. â Eh bien, vous aurez piĂštre allure Ă redescendre de la montagne avec vos robes en lambeaux, rĂ©pliquai-je. â Ah, mais j'aurai plutĂŽt belle allure toi et moi apparaĂźtrons demain dans des robes toutes neuves, vieilles d'un million d'annĂ©es environ ! Puis, une pensĂ©e lui venant aprĂšs coup â Et tu te prĂ©senteras comme un moine, non pas comme un chela ou un acolyte. Ă partir de maintenant tu dois rester avec moi, aller oĂč je vais, et apprendre tout ce que je peux t'apprendre. Il se retourna, fit seulement quelques pas, s'inclina devant une porte, et plaça ses mains dans une certaine position. Lentement, je vis un pan de mur glisser sur le cĂŽtĂ© dans un silence total, sans friction d'un roc sur l'autre, un silence si absolu que le phĂ©nomĂšne en Ă©tait encore plus mystĂ©rieux. Le Lama me donna une petite poussĂ©e entre les omoplates en disant â Viens. Ceci est quelque chose que tu dois voir. Il s'agit de Patra. Voici comment Patra se prĂ©sente pour nous. Bien sĂ»r ce globe et il dĂ©signa un grand globe qui remplissait totalement une grande salle est simplement pour que nous puissions voir ce qui se passe Ă Patra Ă tout moment. Il posa sa main sur mon Ă©paule et nous avançùmes de quelques yards m jusqu'Ă un mur Ă©quipĂ© d'instruments et d'un immense Ă©cran â oh, d'environ quatre hommes de hauteur et trois hommes de largeur. â C'est pour toute enquĂȘte particuliĂšre, dĂ©taillĂ©e, dit-il. Les lumiĂšres de la salle baissĂšrent. Pareillement, au mĂȘme rythme, la lumiĂšre du globe qu'il avait appelĂ© Patra s'illumina. C'Ă©tait une sorte de couleur or-rosĂątre, et qui donnait une merveilleuse sensation de chaleur et celle que l'on Ă©tait vraiment le bienvenu. Le Lama appuya de nouveau sur l'un des boutons et la brume dans le globe, ou autour du globe, disparue comme un brouillard de montagne disparaĂźt devant les rayons du soleil. Je scrutai avidement. C'Ă©tait vraiment un monde merveilleux. Il me sembla me tenir sur un mur de pierre contre lequel des vagues battaient doucement. Puis, sur ma droite, je vis arriver un navire. Je savais que c'Ă©tait un navire parce que j'en avais vu des images. Il arriva, jeta l'ancre contre le mur juste devant moi, et une foule de gens en descendirent, ayant tous une mine rĂ©jouie. â Eh bien, c'est une foule Ă l'air heureux, MaĂźtre. Que faisaient-ils donc ? â Oh, c'est Patra. Tu peux avoir ici toutes sortes de loisirs. Ces gens, je suppose, se sont dit qu'il serait agrĂ©able de faire une petite traversĂ©e tranquille vers l'Ăźle. Je pense qu'ils ont pris le thĂ© lĂ -bas et puis qu'ils sont revenus. â Ce niveau est Ă plusieurs plans au-dessus du monde astral. Les gens ne peuvent venir ici que s'ils sont, dirons-nous, des super-personnes. Cela implique souvent de terribles souffrances pour ĂȘtre digne de cet endroit, mais quand quelqu'un arrive ici et voit de quoi il s'agit, voit le calibre des gens, il devient alors Ă©vident que l'endroit vaut toutes les souffrances. â Ici nous pouvons voyager par la pensĂ©e. Nous sommes sur cette planĂšte et nous voulons voir une certaine personne. Eh bien, nous pensons Ă elle, nous pensons fortement Ă elle, et si elle est dĂ©sireuse de nous voir nous sommes subitement soulevĂ©s de terre, montons dans les airs, et voyageons promptement vers notre destination. En y arrivant, nous y trouvons la personne que nous voulions voir, prĂȘte Ă nous accueillir, debout devant sa porte d'entrĂ©e. â Mais, MaĂźtre, quel genre de personnes viennent ici, comment arrivent-elles ici ? Et les considĂ©reriez-vous comme des prisonniers ? Ils ne peuvent vraisemblablement pas quitter cet endroit. â Ce n'est assurĂ©ment, assurĂ©ment pas une prison. C'est un lieu d'avancement et seules les bonnes personnes peuvent venir ici. Celles qui ont fait d'Ă©normes sacrifices, peuvent venir, celles qui ont donnĂ© le meilleur d'elles-mĂȘmes pour aider leurs prochains, hommes et femmes. Normalement, nous devons passer du corps de chair au corps astral. As-tu remarquĂ© qu'ici personne n'a de Corde d'Argent ? Personne n'a le Nimbe d'Or autour de sa tĂȘte ? Ils n'en ont pas besoin ici parce que tout le monde est pareil. Nous avons toutes sortes de bonnes personnes ici. Socrate, Aristote, LĂ©onard de Vinci, et d'autres comme eux. Ici, ils perdent les petits dĂ©fauts qu'ils avaient, parce que pour se maintenir sur Terre ils avaient dĂ» adopter un dĂ©faut. Ils Ă©taient d'une si haute vibration qu'ils ne pouvaient tout simplement pas demeurer sur Terre sans un quelconque dĂ©faut ; c'est ainsi qu'avant que Mendelssohn Felix Mendelssohn â NdT, ou quelqu'un d'autre, puisse descendre sur Terre, il lui fallut un dĂ©faut innĂ© pour cette vie particuliĂšre. Quand ladite personne mourut et arriva au monde astral, le dĂ©faut disparut, et l'entitĂ© disparut Ă©galement. J'ai mentionnĂ© Mendelssohn, le musicien ; il arriva sur le plan astral et quelqu'un de similaire Ă un policier l'attendait pour lui retirer la Corde d'Argent et le Nimbe d'Or, et l'envoyer Ă Patra. Il y rencontra lĂ des amis et des connaissances et ils furent en mesure de discuter de leurs vies passĂ©es et de rĂ©aliser des expĂ©riences qu'ils voulaient faire depuis longtemps. â Comment les gens s'organisent-ils pour la nourriture, ici, MaĂźtre ? Il ne semble pas y avoir de nourriture, de boĂźtes de nourriture, en cet endroit que je suppose ĂȘtre un quai. â Non, tu ne trouveras pas beaucoup de nourriture sur ce monde. Les gens n'en ont pas besoin. Ils prennent toute leur Ă©nergie physique et mentale par un systĂšme d'osmose, c'est-Ă -dire qu'ils absorbent l'Ă©nergie distribuĂ©e par la lumiĂšre de Patra. S'ils veulent manger pour le plaisir, ou boire pour le plaisir, ils sont bien sĂ»r parfaitement capables de le faire, sauf qu'ils ne peuvent s'empiffrer et ne peuvent boire ces boissons alcoolisĂ©es qui pourrissent le cerveau d'une personne. De telles boissons sont trĂšs, trĂšs mauvaises, tu sais, et elles peuvent retarder le dĂ©veloppement d'un individu pendant plusieurs vies. â Maintenant, jetons un bref coup d'Ćil Ă l'endroit. Ici le temps n'existe pas, et il est donc inutile que tu demandes Ă quelqu'un depuis combien de temps il est lĂ , parce qu'il va simplement te regarder sans rien comprendre et penser que tu n'es pas du tout conscient des conditions en vigueur. Les gens ne s'ennuient jamais Ă Patra, ils ne s'en lassent jamais, il y a toujours quelque chose de nouveau Ă faire, des gens nouveaux Ă rencontrer, et on ne peut y trouver un ennemi. â Allons ! montons maintenant dans les airs pour voir d'en haut ce petit village de pĂȘcheurs. â Mais je croyais que les gens n'avaient pas besoin de manger, MaĂźtre ! Alors pourquoi voudraient-ils un village de pĂȘcheurs ? â Eh bien, ils ne capturent pas de poissons au sens ordinaire du terme ; ils le font pour voir comment ils peuvent ĂȘtre amĂ©liorĂ©s pour leur donner de meilleurs sens. Sur Terre, tu sais, les poissons sont vraiment stupides et ils mĂ©ritent d'ĂȘtre capturĂ©s, mais ici on les attrape dans des filets, on les garde en tout temps dans l'eau, et puisqu'ils sont traitĂ©s gentiment, ils n'ont pas de ressentiment. Ils comprennent que l'on essaie de faire du bien Ă toute l'espĂšce. De mĂȘme avec les animaux, aucun d'eux n'a peur de l'homme sur ce monde. Ce sont plutĂŽt des amis. Mais faisons simplement de rapides visites en divers endroits parce qu'il nous faudra bientĂŽt partir d'ici pour retourner au Potala. Soudainement, je me sentis monter dans les airs et je parus perdre la vue. Je fus subitement pris d'un mal de tĂȘte intolĂ©rable et, Ă vrai dire, je crus que j'allais mourir. Le Lama Mingyar Dondup m'agrippa et posa sa main sur mes yeux. â Je suis terriblement dĂ©solĂ©, Lobsang, dit-il, j'ai oubliĂ© que tu n'as pas Ă©tĂ© traitĂ© pour la vision de la quatriĂšme dimension. Il nous faut redescendre Ă la surface pour environ une demi-heure. Sur ce je me sentis couler, puis j'accueillis avec grande joie la sensation de quelque chose de solide sous mes pieds. â C'est le monde de la quatriĂšme dimension et il y a parfois des Ă©manations de la cinquiĂšme dimension. Lorsque l'on emmĂšne une personne Ă Patra il lui faut bien sĂ»r une vision pour quatre dimensions, car sinon la tension est trop forte pour elle. Le Lama me fit allonger sur une banquette et laissa tomber des choses dans mes yeux. AprĂšs plusieurs minutes il me mit des lunettes de protection, des lunettes qui me couvraient complĂštement les yeux. â Oh ! je peux voir maintenant, dis-je. C'est merveilleux ! Auparavant, les choses Ă©taient belles, extraordinairement belles, mais maintenant que je pouvais voir dans la quatriĂšme dimension, elles Ă©taient si glorieuses, qu'elles ne peuvent tout simplement pas ĂȘtre dĂ©crites en termes de trois dimensions ; je m'usai pratiquement la vue Ă regarder autour de moi. Puis nous montĂąmes de nouveau dans les airs et je n'avais tout simplement jamais rien vu d'aussi beau auparavant. Les hommes Ă©taient d'une beautĂ© incomparable, mais les femmes â eh bien, elles Ă©taient si belles que je ressentis des remous quelque peu Ă©tranges Ă l'intĂ©rieur, malgrĂ© que, bien sĂ»r, elles aient toujours Ă©tĂ© des Ă©trangĂšres pour moi car ma mĂšre avait Ă©tĂ© une mĂšre vraiment trĂšs stricte et ma sĆur â eh bien, je l'avais Ă peine vue. Nous Ă©tions tenus fermement Ă part parce qu'il avait Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© avant ma naissance que j'entrerais Ă la Lamaserie. Mais la beautĂ©, la beautĂ© absolue et la tranquillitĂ© dĂ©fient rĂ©ellement toute description en langage tridimensionnel. C'est comme si un aveugle de naissance essayait de dĂ©crire quelque chose sur Terre. Comment va-t-il dĂ©crire les couleurs ? Il est nĂ© aveugle, alors que sait-il Ă propos des couleurs, sur ce qu'il y a Ă dĂ©crire ? Il peut dire quelque chose au sujet de la forme et du poids d'une chose, mais sa beautĂ© rĂ©elle est totalement au-delĂ de sa comprĂ©hension. Il en va ainsi pour moi maintenant j'ai Ă©tĂ© traitĂ© pour ĂȘtre en mesure de voir dans la troisiĂšme dimension, la quatriĂšme dimension, et la cinquiĂšme, de sorte que quand le temps viendra pour moi de quitter cette Terre, j'irai directement Ă Patra. Ainsi, ces gens qui disent qu'ils ont un cours d'instruction dirigĂ© par le Dr Rampa par l'intermĂ©diaire de la Planche Ouija â eh bien, ce ne sont que des cinglĂ©s. Je vous le rĂ©pĂšte, quand je quitterai ce monde je serai totalement hors de votre portĂ©e. Je serai tellement loin de vous qu'il vous est mĂȘme impossible d'arriver Ă le comprendre ! Il m'est tout Ă fait impossible de vous dĂ©crire Patra. C'est comme d'essayer de parler d'une exposition de tableaux Ă un aveugle de naissance â vous n'arriverez Ă rien. Mais il existe autre chose que des tableaux. Certains des grands hommes du passĂ© Ă©taient ici dans ce monde de Patra et ils travaillaient Ă essayer d'aider d'autres mondes, des mondes Ă deux dimensions, et des mondes Ă trois dimensions. Bon nombre des soi-disant inventions sur Terre ne sont pas les inventions de ceux qui les revendiquent ; la personne, homme ou femme, n'a fait que ramener l'idĂ©e de quelque chose qu'elle a vue dans le monde astral, et elle est revenue sur Terre avec le souvenir de quelque chose qui devait ĂȘtre inventĂ© ; elle a eu une idĂ©e gĂ©nĂ©rale de la façon de faire et â eh bien â elle a construit ce qui devait ĂȘtre construit et l'a fait breveter en son propre nom. Le Lama Mingyar Dondup semblait extraordinairement bien connu Ă Patra. Partout oĂč il se rendait on le saluait et il me prĂ©sentait toujours aux gens comme un vieil ami Ă eux dont ils se souvenaient, tandis que moi je les avais oubliĂ©s Ă cause de l'argile adhĂ©rente de la Terre. â Cela ne fait rien, disaient-ils en riant, tu reviendras bientĂŽt parmi nous et tu te souviendras alors de tout. Le Lama Mingyar Dondup parlait avec un scientifique et ce dernier disait â Bien sĂ»r le gros problĂšme que nous avons maintenant est que les gens de diffĂ©rentes races ont diffĂ©rentes perspectives. Par exemple, sur certains mondes les femmes sont traitĂ©es Ă l'Ă©gal des hommes, mais sur d'autres mondes elles sont traitĂ©es comme des ustensiles de mĂ©nage ou des esclaves, et quand elles arrivent dans un pays qui donne totale libertĂ© aux femmes, elles sont troublĂ©es et complĂštement perdues. Nous travaillons pour essayer de trouver un moyen par lequel hommes et femmes de tous les pays auraient un point de vue commun. Dans le monde astral, les ĂȘtres sont orientĂ©s dans une certaine mesure en ce sens, mais, bien sĂ»r, personne ne peut venir Ă Patra Ă moins qu'il ne se rende pleinement compte des droits de chacun. Il me regarda, sourit, et dit alors â Je vois que tu reconnais dĂ©jĂ les droits de notre Ami le Chat. â Oui, monsieur, rĂ©pondis-je, j'aime les chats. Je pense que quel que soit le lieu, ce sont les plus magnifiques animaux. â Tu as une merveilleuse rĂ©putation avec les animaux, tu sais, et lorsque tu nous reviendras Ă Patra, toute une horde de chats seront lĂ pour t'accueillir. Tu auras un manteau de fourrure vivant. Il sourit parce qu'un gros chat marron et blanc grimpait sur moi pour s'asseoir sur mon Ă©paule, et posait sa patte gauche sur ma tĂȘte pour se stabiliser, exactement comme le ferait un humain. â Eh bien, Bob, dit le Lama Mingyar Dondup, nous sommes obligĂ©s de te dire au revoir pour le moment, mais Lobsang sera bientĂŽt de retour Ă la Maison et tu auras alors amplement l'occasion de grimper sur son Ă©paule. Bob, le chat, acquiesça solennellement, sauta sur une table et se frotta contre moi en ronronnant, ronronnant et ronronnant. â Allons de l'autre cĂŽtĂ© de Patra, dit le Lama Mingyar Dondup. Il y a lĂ le royaume des fleurs et des plantes, et les arbres en particulier attendent de te revoir. Ă peine avait-il fini de parler que nous arrivĂąmes Ă ce merveilleux endroit oĂč il y avait des fleurs et des arbres incroyablement beaux. J'Ă©tais paralysĂ© de peur Ă l'idĂ©e de marcher sur les fleurs. Le Lama me regarda et, comprenant parfaitement ma situation difficile, me dit â Oh, je suis vraiment dĂ©solĂ©, Lobsang, j'aurais dĂ» te prĂ©venir. Ici, au royaume des fleurs, tu dois t'Ă©lever d'environ un pied 30 cm au-dessus du sol. C'est l'une des facultĂ©s de la quatriĂšme dimension. Pense que le sol est plus haut d'un pied 30 cm et de cette maniĂšre, en marchant en pensant que le sol est Ă cette distance, tu marcheras en fait Ă un pied de la surface oĂč poussent ces plantes. Mais nous n'allons pas nous y risquer maintenant. Nous allons plutĂŽt jeter un coup d'Ćil Ă d'autres parties de ce monde. Aux hommes-machines, par exemple. Des machines ayant une Ăąme, des fleurs ayant une Ăąme, des chats ayant une Ăąme. â Je suppose que nous ferions mieux de rentrer, Lobsang, dit-il ensuite, parce que je dois te montrer certaines choses pour te prĂ©parer en partie pour la vie que tu auras Ă vivre. J'aimerais pouvoir voyager avec toi et te venir davantage en aide, mais mon Karma est tel que je serai tuĂ© par les Communistes qui vont me poignarder dans le dos. Mais, c'est sans importance ; retournons Ă notre propre monde. Chapitre Neuf Nous quittĂąmes ce qui se nommait la Salle Ă Quatre Dimensionsâ et traversĂąmes l'immense hall jusqu'Ă celle oĂč Ă©tait indiquĂ© Ce Mondeâ. La distance Ă©tait d'environ un quart de mille 400 m, ce qui fait que nos pieds Ă©taient assez douloureux au moment oĂč nous y arrivĂąmes. Le Lama Mingyar Dondup entra et s'assit sur le banc prĂšs de la console. Je le suivis et m'assis Ă cĂŽtĂ© de lui. Il appuya sur un bouton et la lumiĂšre dans la piĂšce s'Ă©teignit. Ă la place nous pouvions voir notre monde sous un Ă©clairage trĂšs, trĂšs tamisĂ©. Je regardai autour de moi en me demandant ce qui s'Ă©tait passĂ©, oĂč Ă©tait la lumiĂšre ? Je regardai alors le globe terrestre â et tombai aussitĂŽt Ă la renverse, me frappant la tĂȘte sur le dur plancher. J'avais vu, en regardant dans le monde, un horrible dinosaure Ă la gueule grande ouverte qui me regardait droit dans les yeux, et ce, Ă environ six pieds 1 m 83 de moi. Je me relevai, plutĂŽt penaud, honteux de m'ĂȘtre laissĂ© effrayer par une crĂ©ature morte depuis des milliers d'annĂ©es. â Il nous faut parcourir certaines parties de l'histoire, dit le Lama, parce qu'il y a tellement de choses dans les livres d'histoire qui sont absolument incorrectes. Regarde ! Sur le globe je vis une chaĂźne de montagnes, et au pied de l'une d'elles il y avait une multitude de soldats et leurs aides de camp, parmi lesquels de nombreuses femmes. Ă cette Ă©poque, apparemment, les soldats ne pouvaient pas se passer de la consolation procurĂ©e par les corps fĂ©minins, et les femmes les accompagnaient donc Ă la guerre afin de pouvoir les satisfaire aprĂšs une victoire. Et s'il n'y avait pas de victoire, les femmes Ă©taient capturĂ©es par l'ennemi et utilisĂ©es prĂ©cisĂ©ment dans le mĂȘme but que si leur cĂŽtĂ© avait Ă©tĂ© victorieux. Il y avait une scĂšne trĂšs animĂ©e. Des hommes se pressaient autour d'un nombre considĂ©rable d'Ă©lĂ©phants, et un homme se tenait debout sur l'un d'eux en discutant avec la foule Ă ses pieds. â Je vous dis que ces Ă©lĂ©phants ne traverseront pas les montagnes oĂč il y a de la neige. Ils sont habituĂ©s Ă la chaleur et ne peuvent pas survivre au froid. En plus, comment obtiendrons-nous les tonnes et les tonnes de nourriture dont ils auront besoin ? Je suggĂšre que l'on dĂ©charge les Ă©lĂ©phants et fasse porter les charges par des chevaux natifs de la rĂ©gion. C'est la seule façon de traverser. L'agitation se poursuivit. Ils discutaient et gesticulaient comme une bande de vieilles commĂšres, mais l'homme Ă dos d'Ă©lĂ©phant eut gain de cause et l'on dĂ©chargea les bĂȘtes. Puis tous les chevaux des environs furent rĂ©quisitionnĂ©s sans tenir compte des protestations des paysans auxquels ils appartenaient. Bien sĂ»r je ne comprenais pas un mot de ce qu'ils disaient, mais cet instrument particulier que le Lama m'avait placĂ© sur la tĂȘte transmettait tout ce qui Ă©tait dit Ă mon cerveau au lieu de passer par mes oreilles. C'est ainsi que j'Ă©tais en mesure de tout suivre dans les moindres dĂ©tails. Enfin, l'immense cavalcade fut prĂȘte et les femmes furent Ă©galement hissĂ©es sur les chevaux. On ne rĂ©alise gĂ©nĂ©ralement pas que les femmes sont en fait beaucoup plus fortes physiquement que les hommes. Je suppose qu'elles prĂ©tendaient ĂȘtre faibles parce que de cette façon les hommes transportaient les charges et les femmes, elles, chevauchaient des poneys. La cavalcade s'Ă©branla et commença Ă gravir le sentier de la montagne ; Ă mesure qu'elle avançait on pouvait se rendre compte qu'il n'y aurait pas eu le moindre espoir de faire passer les Ă©lĂ©phants par l'Ă©troit sentier rocailleux, et lorsque la neige apparut, les chevaux eux-mĂȘmes ne furent guĂšre disposĂ©s Ă avancer et il fallut les pousser. Le Lama Mingyar Dondup sauta quelques siĂšcles, et quand il arrĂȘta la rotation, nous vĂźmes qu'il y avait une bataille en cours. Nous ne savions pas oĂč cela se passait, mais elle paraissait trĂšs sanglante. Plonger une Ă©pĂ©e dans le corps d'une personne n'Ă©tant pas suffisant, le vainqueur coupait la tĂȘte de la victime et les tĂȘtes Ă©taient toutes jetĂ©es dans une grande pile. Nous observĂąmes un moment tous ces hommes qui s'entretuaient ; ce n'Ă©tait que fanions volants et cris rauques, et sur les bords du champ de bataille les femmes regardaient la scĂšne sous des tentes grossiĂšrement fabriquĂ©es. Sans doute leur Ă©tait-il Ă©gal que la victoire revienne Ă l'un ou l'autre camp puisque, dans tous les cas, leur sort serait le mĂȘme. Comme nous, nĂ©anmoins, elles regardaient, peut-ĂȘtre par simple curiositĂ©. Une pression sur le bouton, et le monde tourna plus vite. Le Lama l'arrĂȘta de temps Ă autre et il me parut tout Ă fait incroyable qu'Ă chaque arrĂȘt il semblait y avoir une guerre en cours. Nous avançùmes jusqu'au temps des Croisades, ce dont le Lama m'avait dĂ©jĂ parlĂ©. Il Ă©tait de bon tonâ Ă l'Ă©poque pour les hommes de haute naissance de partir Ă l'Ă©tranger faire la guerre aux Sarrasins. Les Sarrasins Ă©taient un peuple cultivĂ© et courtois, mais ils Ă©taient parfaitement prĂ©parĂ©s Ă dĂ©fendre leur patrie, et de nombreux titres de noblesse Britannique prirent fin sur le champ de bataille. Nous assistĂąmes Ă la Guerre des Boers qui suivit son cours. Les deux cĂŽtĂ©s Ă©taient absolument convaincus de la lĂ©gitimitĂ© de leur cause, et les Boers semblaient avoir une cible particuliĂšre non pas le cĆur, ni non plus l'estomac, mais plus bas, de sorte que si un homme Ă©tait blessĂ© et parvenait Ă rentrer chez lui, il n'allait certainement ĂȘtre d'aucune utilitĂ© Ă sa femme. Tout ceci me fut expliquĂ© en chuchotant. Puis, tout Ă coup, la bataille prit fin. Les deux cĂŽtĂ©s semblĂšrent aussi bien ĂȘtre les vainqueurs que les vaincus car ils s'entremĂȘlĂšrent et puis, finalement, les envahisseurs â les CroisĂ©s â se placĂšrent d'un cĂŽtĂ© du champ de bataille, tandis que les Sarrasins se plaçaient du cĂŽtĂ© opposĂ© lĂ oĂč ils avaient, eux aussi, des femmes qui les attendaient. Les blessĂ©s et les mourants Ă©taient laissĂ©s lĂ oĂč ils Ă©taient tombĂ©s, car il n'y avait rien d'autre Ă faire. Il n'y avait pas de service mĂ©dical, alors si un homme Ă©tait gravement blessĂ© il demandait souvent Ă ses amis de le sortir de sa misĂšre, et la façon de faire Ă©tait de lui mettre un poignard dans la main et de s'Ă©loigner. Si l'homme voulait vraiment en finir, il n'avait qu'Ă se planter le couteau dans le cĆur. Le monde tournoya, et ce fut alors une guerre fĂ©roce qui semblait engloutir la plupart des pays. Il y avait des gens de toutes les couleurs qui se battaient et utilisaient des armes, de gros canons sur roues, et dans les airs au bout de cordes, il y avait des choses que je sais maintenant qu'on appelait des ballons. Ils Ă©taient trĂšs hauts afin qu'un homme dans un panier attachĂ© au ballon puisse avoir l'Ćil sur les lignes de l'ennemi et soit en mesure de prĂ©voir la meilleure façon d'attaquer, ou savoir s'ils allaient ĂȘtre attaquĂ©s. Nous vĂźmes ensuite de bruyants engins surgissant dans les airs et qui tirĂšrent sur les ballons qui s'abattirent en flammes. Partout ce n'Ă©tait qu'un marĂ©cage de boue et de sang parsemĂ© de dĂ©bris humains. Il y avait des cadavres suspendus aux fils barbelĂ©s, et on entendait de temps en temps un crump, crumpâ, et de grosses masses volaient dans les airs qui, quand elles heurtaient le sol, explosaient avec des rĂ©sultats dĂ©sastreux pour le paysage ainsi que pour l'ennemi. Une pression sur le bouton et l'image changea. La mer s'Ă©talait devant nous et nous pĂ»mes distinguer des points si Ă©loignĂ©s toutefois qu'on n'y voyait vraiment que des points, mais quand le Lama Mingyar Dondup les fit se rapprocher, nous vĂźmes qu'il s'agissait d'Ă©normes navires mĂ©talliques Ă©quipĂ©s de longs tubes de mĂ©tal qui se dĂ©plaçaient d'avant en arriĂšre en crachant de grands missiles. Ces derniers parcouraient vingt milles 32 km ou plus avant de tomber sur un navire ennemi. Nous vĂźmes un navire de guerre qui dĂ» ĂȘtre touchĂ© dans sa section d'armement, parce que le missile atterrit sur le pont et ce fut alors comme si le monde explosait le navire se souleva et Ă©clata en mille morceaux. Des piĂšces mĂ©talliques et des dĂ©bris de chair humaine volaient dans toutes les directions, et avec tout ce sang qui retombait, un brouillard rouge semblait recouvrir la place. Finalement, une sorte d'arrangement sembla entrer en vigueur, les soldats ayant cessĂ© de tirer. De notre point d'observation, nous vĂźmes un homme lever subrepticement son arme et tirer sur son commandant ! Le Lama Mingyar Dondup pressa rapidement quelques boutons et nous fĂ»mes de retour Ă l'Ă©poque de la Guerre de Troie. Je murmurai â MaĂźtre, ne sautons-nous pas d'une date Ă l'autre sans tenir compte de la suite des Ă©vĂ©nements ? â Oh, mais je te montre tout ceci pour une raison particuliĂšre, Lobsang. Regarde. Et il pointa du doigt un soldat troyen qui brandit soudainement sa lance et la planta directement dans le cĆur de son commandant. â Je viens juste de te montrer que la nature humaine ne change pas. Cela continue ainsi encore et encore. Prends un homme il tuera son commandant et, peut-ĂȘtre, dans une autre rĂ©incarnation il fera exactement la mĂȘme chose. J'essaie de t'apprendre certaines choses, Lobsang, et non de t'enseigner l'histoire des livres, parce que ces histoires-lĂ sont trop souvent modifiĂ©es pour convenir aux dirigeants politiques de l'Ă©poque. Assis lĂ sur notre banc, le Lama nous brancha sur de nombreuses scĂšnes diffĂ©rentes. Il pouvait y avoir parfois six cents ans entre elles. Cela nous donnait certainement l'occasion de juger ce que faisaient rĂ©ellement les politiciens. Nous vĂźmes s'Ă©lever des empires par pure traĂźtrise, et nous vĂźmes tomber des empires pareillement par pure traĂźtrise. â Maintenant, Lobsang, dit soudainement le Lama, nous allons ici entrevoir l'avenir. Le globe s'obscurcit, s'Ă©claircit, et s'obscurcit de nouveau, puis apparut un Ă©trange spectacle. Nous vĂźmes un immense paquebot, aussi grand qu'une ville, naviguant comme un roi des mers. Puis brusquement il y eut un crissement dĂ©chirant quand le navire fut ouvert sous la ligne de flottaison par la projection d'un puissant iceberg. Le navire commença Ă couler. Les gens furent pris de panique certains gagnĂšrent les bateaux de sauvetage, d'autres tombĂšrent dans la mer au fur et Ă mesure que le navire s'inclinait, et un orchestre jouait jusqu'Ă ce que le paquebot s'engloutit avec un effrayant gargouillement. D'Ă©normes bulles d'air en sortirent, et d'Ă©normes taches de pĂ©trole. Puis petit Ă petit d'Ă©tranges choses remontĂšrent Ă©galement Ă la surface le sac Ă main d'une femme, le corps d'un enfant. â Ceci, Lobsang, est un autre Ă©vĂ©nement en dehors de son ordre chronologique. Il a eu lieu avant la guerre que tu viens de voir. Mais, peu importe ; tu peux feuilleter un livre d'images et peut-ĂȘtre obtenir autant de connaissances que si tu lisais tout le livre dans le bon ordre. J'essaie de te faire comprendre certaines choses. L'aube se leva. Les premiers rayons du soleil reflĂ©taient des teintes rougeĂątres sur le sommet des icebergs et s'Ă©talaient vers le bas au fur et Ă mesure que le soleil montait. Ce faisant, il perdit sa couleur rouge et redevint la lumiĂšre ordinaire, normale, du jour. La mer Ă©tait jonchĂ©e d'une collection absolument incroyable d'objets. Des chaises brisĂ©es, toutes sortes de paquets et, bien sĂ»r, les inĂ©vitables cadavres, blancs et cireux. Il y avait des hommes, ou ce qui avait Ă©tĂ© des hommes, en tenue de soirĂ©e. Il y avait des femmes, ou ce qui avait Ă©tĂ© des femmes, Ă©galement en robes du soir, mais que l'on pourrait mieux dĂ©crire comme dĂ©shabillĂ©s du soir. Nous regardĂąmes et regardĂąmes, mais aucun navire de secours n'apparut. â Eh bien, Lobsang, dit le Lama, nous allons passer Ă autre chose ; cela ne sert Ă rien de nous attarder ici quand il n'y a rien que nous puissions faire. Il tendit la main vers les commandes et sur le bouton qui Ă©tait au bout d'une petite tige, et le globe tourna plus vite. LumiĂšre â obscuritĂ© â obscuritĂ© â lumiĂšre, et ainsi de suite, puis nous nous arrĂȘtĂąmes. Nous nous trouvĂąmes dans un endroit appelĂ© Angleterre, et mon Guide traduisit certains noms pour moi Piccadilly, la Statue d'Ăros, et toutes sortes de choses comme cela, puis il s'arrĂȘta directement en face d'un vendeur de journaux â bien sĂ»r, nous Ă©tions tout Ă fait invisibles pour l'homme, puisque nous Ă©tions dans une zone de temps diffĂ©rent. Ce que nous Ă©tions en train de voir Ă©tait ce qui ne s'Ă©tait pas encore produit, nous avions un aperçu du futur. Nous Ă©tions au dĂ©but d'un siĂšcle, mais nous regardions quelque chose qui se passait soit en 1939, soit en 1940 ; je ne pouvais pas bien discerner les chiffres, non pas que cela fut important. Mais il y avait de grandes affiches. Le Lama me les lisait Ă haute voix. Il y Ă©tait question de quelqu'un appelĂ© Neville Chamberlain se rendant Ă Berlin avec son parapluie. Puis nous nous glissĂąmes dans ce que le Lama appela un cinĂ©-actualitĂ©s. Sur un Ă©cran nous vĂźmes des hommes au visage sombre portant des casques d'acier et tout un attirail militaire. Ils dĂ©filaient d'une bien curieuse façon. â Le Pas de l'Oieâ, trĂšs pratiquĂ© dans l'armĂ©e allemande, dit le Lama. Puis l'image changea pour montrer, dans une autre partie du monde, des gens affamĂ©s qui tout simplement tombaient morts de faim et de froid. Nous gagnĂąmes la rue, et sautĂąmes quelques jours. Puis le Lama arrĂȘta la rotation du globe pour nous permettre de souffler un peu, car survoler le monde Ă travers diffĂ©rentes Ă©poques Ă©tait vraiment une expĂ©rience Ă©prouvante et Ă©puisante, tout particuliĂšrement pour moi, un garçon qui n'avait jamais quittĂ© son pays, qui n'avait jamais vu de choses avec des roues auparavant. Oui, c'Ă©tait vraiment troublant. Je me tournai vers le Lama Mingyar Dondup et lui dit â MaĂźtre, concernant cette affaire de Patra, je n'ai jamais entendu parler de cet endroit, je n'ai jamais entendu aucun de nos professeurs mentionner Patra. Ils nous enseignent que quand nous quittons cette Terre nous allons dans le monde astral pendant la pĂ©riode de transition, et nous y vivons jusqu'Ă ce que nous soyons assaillis par l'envie de revenir sur Terre dans un corps diffĂ©rent, ou d'aller dans un autre monde dans un corps diffĂ©rent. Mais personne n'a rien dit au sujet de Patra, et je me sens vraiment confus. â Mon cher Lobsang, il y a beaucoup de choses dont tu n'as pas encore entendu parler, mais ça viendra. Patra est un monde. C'en est un de loin supĂ©rieur Ă celui-ci et au monde astral. C'est un monde oĂč vont les gens lorsqu'ils possĂšdent des vertus trĂšs spĂ©ciales, ou quand ils ont fait Ă©normĂ©ment de bien pour les autres. On n'en parle pas parce que ce serait trop dĂ©courageant. Beaucoup sont choisis comme candidats possibles pour Patra et, au dernier moment, la personne rĂ©vĂšle une faiblesse ou une dĂ©viance de pensĂ©e, et elle perd ainsi sa chance d'aller Ă Patra. â Toi et moi, Lobsang, sommes bel et bien assurĂ©s d'y aller dĂšs que nous quitterons ce monde, mais cela ne se terminera pas lĂ car nous vivrons Ă Patra pendant un certain temps, puis nous irons encore plus haut. C'est sur Patra que nous voyons des gens qui ont consacrĂ© leur temps Ă la recherche pour le bien de l'Homme et des Animaux, pas seulement celui de l'Homme, tu sais, mais aussi pour le monde animal. Les animaux ont une Ăąme et ils progressent ou non exactement comme le font les humains. Ces derniers se croient trop souvent les Seigneurs de la CrĂ©ation et pensent qu'un animal n'est lĂ que pour ĂȘtre utilisĂ© par l'Homme. Ils ne peuvent commettre une plus grave erreur. â Eh bien, MaĂźtre, vous m'avez montrĂ© ce qu'Ă©tait la guerre, une guerre qui a durĂ© des annĂ©es. J'aimerais maintenant voir ce qui s'est passĂ©, comment cela s'est terminĂ©e, etc. â TrĂšs bien, dit le Lama, passons alors au moment juste avant la fin de la guerre. Il se retourna, consulta un livre indiquant des dates, rĂ©gla les commandes de la console, et le simulacre de notre monde revint Ă la vie, redevenant tout illuminĂ©. Nous vĂźmes une campagne dĂ©vastĂ©e, avec des rails sur lesquelles roulaient certaines machines qui transportaient des marchandises ou des passagers. En cette occasion particuliĂšre, il y avait ce qui semblait ĂȘtre des boĂźtes trĂšs dĂ©corĂ©es sur roues, avec des cĂŽtĂ©s en verre et des gardes armĂ©es en grand nombre qui patrouillaient tout autour. Nous vĂźmes ensuite des serviteurs sortir des nappes blanches et les Ă©tendre sur les tables, puis enlever les draps qui couvraient divers meubles. Il y eut ensuite un temps mort. J'en profitai pour visiter un certain endroit et vĂ©rifier que ma propre natureâ fonctionnait bien, et quand je revins â oh, deux ou trois minutes plus tard â je vis ce qui me parut un trĂšs grand nombre de personnes que je crus costumĂ©es, mais je m'aperçus alors qu'il s'agissait des chefs des soldats et des chefs des marins qui reprĂ©sentaient apparemment tous les pays en guerre. Un groupe de personnes ne se mĂȘlait pas Ă l'autre groupe de personnes. Ils finirent par ĂȘtre tous installĂ©s, assis Ă des tables dans cette chose en forme de boĂźte qui Ă©tait une sorte de vĂ©hicule. Je les regardai et, bien sĂ»r, je n'avais jamais rien vu de semblable car tous les leaders portaient des mĂ©dailles, des rangĂ©es de mĂ©dailles. Certains avaient des rubans autour du cou d'oĂč pendaient Ă©galement des mĂ©dailles, et je me rendis compte immĂ©diatement que c'Ă©tait de hauts membres d'un gouvernement qui essayait d'impressionner l'autre clan par la quantitĂ© de mĂ©tal sur leur poitrine et le nombre de rubans autour de leur cou. Je me demandais avec un rĂ©el Ă©tonnement comment ils arrivaient Ă s'entendre, vu le cliquetis de toutes ces piĂšces de mĂ©tal sur leurs poitrines. Il y avait beaucoup d'agitation de mains, et les messagers Ă©taient tenus occupĂ©s Ă faire passer des notes d'un homme Ă l'autre, ou mĂȘme Ă une autre partie des vĂ©hicules. Bien sĂ»r, je n'avais jamais vu de train auparavant, et tellement de choses ne signifiaient rien pour moi Ă l'Ă©poque. Finalement, ils prĂ©sentĂšrent un document qui fut passĂ© de personne Ă personne, chacun signant son nom, et il Ă©tait extrĂȘmement intĂ©ressant de voir tous les diffĂ©rents types de signatures, les diffĂ©rents types d'Ă©criture, et il me parut parfaitement Ă©vident qu'en vĂ©ritĂ© un clan ne valait pas mieux que l'autre ! â Ce que tu vois en ce moment Lobsang, me dit le Lama, marquera la fin d'une guerre qui aura durĂ© plusieurs annĂ©es. Ces hommes viennent de proposer et de signer un armistice selon lequel chacun retourne dans son pays pour se consacrer Ă la reconstruction de son Ă©conomie en ruine. Je regardai, et regardai attentivement, car il n'y avait pas de rĂ©jouissance mais des visages sombres, et les regards ne marquaient pas la joie que la bataille ait pris fin ; ils marquaient la haine, une haine mortelle qui me faisait voir que l'un des clans pensait "TrĂšs bien, vous avez gagnĂ© cette manche, nous vous aurons la prochaine fois." Le Lama Mingyar Dondup nous garda Ă la mĂȘme Ă©poque. Nous vĂźmes des soldats, des marins et des aviateurs qui continuaient Ă se battre jusqu'Ă ce que vienne une certaine heure d'un certain jour. Ils Ă©taient toujours en guerre jusqu'Ă ce jour-lĂ et onze heures arrivĂšrent avec, bien sĂ»r, la perte d'un nombre incalculable de vies. Nous vĂźmes un avion avec ses cercles rouge, blanc et bleu effectuant un vol paisible pour retourner Ă sa base. Il Ă©tait onze heures cinq, et sortant des nuages apparut un avion de chasse, une chose Ă l'aspect malĂ©fique, en vĂ©ritĂ©. En rugissant il se plaça directement derriĂšre l'avion rouge, blanc et bleu, et quand le pilote pressa un bouton en face de lui, un flot de quelque chose sortit de l'armement qui mit le feu Ă l'avion rouge, blanc et bleu. Il plongea, en flammes, puis il s'Ă©crasa au sol dans un dernier bangâ un meurtre venait d'ĂȘtre commis. C'Ă©tait un meurtre puisque la guerre Ă©tait finie. Nous vĂźmes de grands navires sur les mers remplis de soldats retournant dans leurs propres pays. Ils Ă©taient absolument chargĂ©s, Ă tel point que certains hommes devaient dormir sur le pont, d'autres dans les canots de sauvetage, mais les navires allaient tous vers un trĂšs grand pays dont je n'arrivais pas Ă comprendre la politique, car dĂšs le dĂ©part ils avaient vendu des armes aux deux cĂŽtĂ©s, et puis, quand ils dĂ©cidĂšrent de se joindre Ă la guerre â eh bien, ils se battaient contre leurs propres armes. Je pensai que c'Ă©tait sĂ»rement le comble de la dĂ©mence. Lorsque les gros navires arrivĂšrent au port, l'endroit tout entier sembla exploser d'une joie dĂ©lirante. Des banderoles de papier volaient dans les airs, les voitures klaxonnaient, les navires mugissaient tout autant, et partout des fanfares jouaient leurs propres morceaux, sans se soucier les unes des autres. Tout cela faisait un vacarme Ă©pouvantable. Plus tard nous vĂźmes ce qui semblait ĂȘtre l'un des chefs des forces victorieuses descendant en voiture une large avenue bordĂ©e d'immenses Ă©difices de chaque cĂŽtĂ©, et de tous les Ă©tages de ces Ă©difices tombaient des confettis de papier, des rubans, et tout ce genre de chose. Plusieurs personnes soufflaient avec force dans un quelconque instrument qui ne pouvait certainement pas ĂȘtre appelĂ© un instrument musical. Il semblait y avoir une grande cĂ©lĂ©bration parce que maintenant beaucoup de profits allaient ĂȘtre tirĂ©s de la vente des armes de l'ex-Gouvernement Ă d'autres pays, de plus petits pays, qui souhaitaient faire la guerre Ă un voisin. C'Ă©tait vraiment un spectacle pitoyable que l'on voyait sur ce monde. Les soldats, les marins, et les aviateurs Ă©taient de retour dans leur pays, victorieux, pensaient-ils, mais maintenant â eh bien, comment allaient-ils gagner leur vie ? Il y avait des millions de gens sans travail. Il n'y avait pas d'argent, et beaucoup d'entre eux devaient faire la queue devant ce qu'on appelait les soupes populairesâ, une fois par jour. Ils recevaient lĂ une infĂąme bouillie dans une boĂźte de conserve qu'ils rapportaient Ă la maison pour partager avec leur famille. La perspective Ă©tait vraiment sombre. Dans un certain pays, les misĂ©reux en haillons ne pouvaient plus continuer. Ils marchaient le long des trottoirs, scrutant l'espace oĂč le trottoir devenait la chaussĂ©e, la rue ; ils cherchaient un croĂ»ton de pain ou n'importe quoi, un mĂ©got de cigarette, vraiment n'importe quoi. Et bientĂŽt on les voyait s'arrĂȘter et s'appuyer contre peut-ĂȘtre l'un de ces poteaux qui portaient des fils, des avis ou des lumiĂšres, puis s'effondrer sur le sol et rouler dans le caniveau â morts, morts de faim, morts de dĂ©sespoir. Au lieu de la tristesse les badauds Ă©prouvaient de la joie un peu plus de gens morts, sĂ»rement qu'il y aurait bientĂŽt assez d'emplois. Mais non, ces soupes populairesâ se multipliaient, et toutes sortes de gens en uniforme ramassaient les morts et les chargeaient dans des fourgonnettes pour qu'ils soient â je suppose â enterrĂ©s ou brĂ»lĂ©s. Nous regardĂąmes diverses scĂšnes rĂ©parties au fil des ans, puis nous vĂźmes qu'un pays se prĂ©parait de nouveau Ă la guerre le pays qui avait perdu la derniĂšre fois. Il y avait de grands prĂ©paratifs, des mouvements de jeunesse, et tout le reste. Ils s'entraĂźnaient au vol en construisant un bon nombre de petits avions, prĂ©tendant qu'il s'agissait de choses rĂ©crĂ©atives. Nous vĂźmes un trĂšs bizarre petit homme avec une petite moustache, aux yeux pĂąles, exorbitĂ©s. Chaque fois qu'il apparaissait et commençait Ă vocifĂ©rer, une foule s'assemblait rapidement. Des Ă©vĂ©nements de ce genre se passaient partout dans le monde, et dans de nombreux cas les pays entraient en guerre. Finalement, il y eut une trĂšs grosse guerre dans laquelle la majoritĂ© du monde se trouva impliquĂ©e. â MaĂźtre, dis-je, je n'arrive pas Ă comprendre comment vous pouvez faire surgir des images de choses qui ne se sont pas encore produites. Le Lama me regarda, puis il regarda la machine qui Ă©tait lĂ , prĂȘte Ă nous montrer encore plus d'images. â Eh bien, Lobsang, il n'y a en fait rien de trĂšs difficile Ă cela, car si tu prends un groupe de personnes tu peux parier tout ce que tu possĂšdes que quand ils feront quelque chose ils s'y prendront tous de la mĂȘme maniĂšre. Si une femme est poursuivie par un homme, elle s'enfuira dans une direction et se cachera. Maintenant, si cela se produit une deuxiĂšme et une troisiĂšme fois, son chemin sera tracĂ©, et tu es tout Ă fait certain alors lorsque tu prĂ©dis qu'il y aura une quatriĂšme fois que la femme s'enfuira Ă sa cachette, et que son tourmenteur sera bientĂŽt capturĂ©. â Mais, MaĂźtre, dis-je, comment est-il possible de produire des images de quelque chose qui ne s'est pas encore produit ? â Malheureusement, Lobsang, tu n'es pas encore assez agĂ© pour ĂȘtre en mesure d'apprĂ©cier une explication, mais briĂšvement, des choses correspondantes se produisent dans la quatriĂšme dimension et nous obtenons ici sur la troisiĂšme dimension ce qui en est plus ou moins un Ă©cho. Certaines personnes ont l'aptitude de voir trĂšs en avance, et savent exactement ce qui se passera. Je suis un de ceux qu'on appelle un clairvoyant trĂšs sensible et un tĂ©lĂ©pathe, mais tu vas me surpasser trĂšs, trĂšs largement, parce que tu as Ă©tĂ© entraĂźnĂ© Ă cet effet presque avant ta naissance. Tu penses que ta famille a Ă©tĂ© dure avec toi. C'est vrai, elle a Ă©tĂ© trĂšs dure, mais c'Ă©tait un ordre des Dieux. Tu as une tĂąche spĂ©ciale Ă accomplir et il te fallait apprendre tout ce qui pourrait t'ĂȘtre utile. Quand tu seras plus grand tu comprendras ce que sont les trajectoires du temps, les diffĂ©rentes dimensions, et tout ce genre de choses. Je te parlais hier du fait de tracer une ligne imaginaire sur la Terre et dĂ©couvrir que tu te trouves dans un jour diffĂ©rent. Il s'agit, bien sĂ»r, d'une affaire entiĂšrement artificielle afin que les nations du monde puissent commercer ; elles ont ainsi ce systĂšme artificiel oĂč le temps est changĂ© artificiellement. â Lobsang, il y a un point que tu n'as apparemment pas remarquĂ©. Les choses que nous voyons maintenant, et discutons maintenant, sont des choses qui ne se produiront pas avant cinquante ans ou plus. â Vous m'avez stupĂ©fiĂ© en disant cela, MaĂźtre, parce que sur le moment tout m'a paru naturel, mais â oui â je peux voir maintenant que nous ne possĂ©dons pas la science nĂ©cessaire pour certaines choses. Il faut donc que ce soit quelque chose dans l'avenir. Le Lama hocha gravement la tĂȘte et dit â Oui, en 1930 ou 1940, ou quelque part entre les deux, la Seconde Guerre Mondiale commencera et elle fera rage presque Ă travers le monde entier. Elle apportera la ruine totale Ă certains pays, et ceux qui gagneront la guerre perdront la paix, ceux qui perdront la guerre gagneront la paix. Je ne peux pas te dire quand la guerre commencera vraiment parce que cela ne sert Ă rien de le savoir et que de toute maniĂšre nous n'y pouvons rien. Mais ce devrait ĂȘtre autour de 1939, ce qui est encore un bon nombre d'annĂ©es Ă venir. â AprĂšs cette guerre â la Seconde Grande Guerre â il y aura de continuelles guĂ©rillas, des grĂšves constantes, et pendant tout ce temps les Syndicats essaieront d'augmenter leur pouvoir et de prendre le contrĂŽle de leur pays. â Je suis dĂ©solĂ© de te dire que vers 1985 quelque Ă©trange Ă©vĂ©nement se produira qui prĂ©parera la scĂšne pour la TroisiĂšme Guerre Mondiale. Cette guerre se fera entre les peuples de toutes les nationalitĂ©s et de toutes les couleurs, et elle donnera naissance Ă la Race HĂąlĂ©e. Il ne fait aucun doute que les viols sont quelque chose de terrible, mais il n'en reste pas moins que si un homme noir viole une femme blanche, nous avons lĂ une autre couleur hĂąlĂ©e, celle de la Race HĂąlĂ©e. Nous devons avoir une couleur uniforme sur cette Terre. C'est l'une des choses vraiment nĂ©cessaires avant qu'il puisse y avoir une paix durable. â Nous ne pouvons pas donner de dates exactes quant au jour, l'heure, la minute et la seconde, comme le croient certains idiots, mais nous pouvons dire qu'autour de l'an 2000 il y aura une intense activitĂ© dans l'Univers, et une intense activitĂ© dans ce monde. AprĂšs une lutte acharnĂ©e, la guerre sera rĂ©solue avec l'aide des gens de l'espace, ces gens qui n'aiment pas ici le Communisme. â Mais il est maintenant l'heure de voir si mes jambes sont assez bonnes pour reprendre la descente de la montagne, parce que nous devons retourner au Potala. Nous examinĂąmes toutes les machines que nous avions utilisĂ©es, nous assurant qu'elles Ă©taient propres et laissĂ©es dans le meilleur Ă©tat possible. Nous veillĂąmes Ă ce que tous les interrupteurs fonctionnent correctement, puis le Lama Mingyar Dondup et moi enfilĂąmes de nouvelles robes, de nouvellesâ robes vieilles d'un million d'annĂ©es ou plus et taillĂ©es dans un merveilleux tissu. On aurait pu nous prendre pour deux vieilles blanchisseuses Ă nous voir remuer les vĂȘtements pour trouver quelque chose qui nous attire particuliĂšrement et qui satisfasse cette dose de vanitĂ© que nous avions encore en nous. Nous fĂ»mes finalement satisfaits. J'Ă©tais vĂȘtu comme un moine, et Mingyar Dondup portait quant Ă lui une robe correspondant Ă un trĂšs haut statut, en vĂ©ritĂ©, mais je savais qu'il avait droit Ă un rang plus Ă©levĂ© encore. Nous trouvĂąmes d'amples tuniques qui allaient par-dessus nos nouveaux habits, et nous les enfilĂąmes afin de protĂ©ger nos vĂȘtements durant la descente. AprĂšs avoir eu Ă manger et Ă boire, nous fĂźmes chacun nos adieux Ă cette petite piĂšce qui avait un trou dans un coin. Puis nous nous mĂźmes en route. â MaĂźtre ! m'Ă©criai-je, comment allons-nous cacher l'entrĂ©e ? â Lobsang, ne doute jamais des Puissances SupĂ©rieures. Il est dĂ©jĂ prĂ©vu que lorsque nous quitterons cet endroit un rideau de pierre massive de plusieurs pieds 1 pied = 30 cm d'Ă©paisseur va glisser et couvrir l'entrĂ©e en la camouflant complĂštement. Il nous faudra ainsi nous donner la main et nous prĂ©cipiter, sortir ensemble le plus vite possible avant que le gros rocher tombe en place et scelle ces secrets pour empĂȘcher les Chinois de les trouver, parce que, comme je te l'ai dit, les Chinois vont envahir notre pays et il n'y aura plus de Tibet. Ă la place, il y aura un Tibet secret avec les plus sages d'entre les Sages vivant dans des cavernes et des tunnels comme celui-ci, et ces hommes enseigneront aux hommes et aux femmes d'une nouvelle gĂ©nĂ©ration qui suivra beaucoup plus tard, et qui apportera la paix Ă cette Terre. Au bout du couloir que nous suivions s'ouvrit brusquement un carrĂ© de lumiĂšre. Nous nous prĂ©cipitĂąmes et dĂ©bouchĂąmes Ă l'air libre. Je regardai avec amour le Potala et le Chakpori, puis je pris conscience du sentier escarpĂ© devant nous et me demandai sĂ©rieusement comment nous allions nous en sortir. Au mĂȘme moment se produisit un formidable vacarme, comme si le monde touchait Ă sa fin. La dalle de pierre Ă©tait tombĂ©e, et nous ne pouvions pas en croire nos yeux. Il n'y avait aucune trace d'ouverture, aucune trace de sentier. C'Ă©tait comme si cette aventure n'Ă©tait jamais arrivĂ©e. Nous nous frayĂąmes donc un chemin au flanc de la montagne. Je regardai mon Guide et pensai Ă la mort qu'il aurait aux mains des traĂźtres Communistes. Et je pensai Ă ma propre mort qui surviendrait dans un pays Ă©tranger. Mais par la suite, le Lama Mingyar Dondup et moi serions rĂ©unis dans le lieu SacrĂ© de Patra. * * * Ăpilogue Et c'est ainsi qu'une autre histoire vraie vient de se terminer. Il ne me reste plus maintenant qu'Ă attendre dans mon lit d'hĂŽpital que ma Corde d'Argent soit coupĂ©e et ma Coupe d'Or brisĂ©e, afin de pouvoir partir pour ma Demeure Spirituelle â Patra. Il y a tant de choses que j'aurais pu faire. J'aurais aimĂ©, par exemple, parler devant la SociĂ©tĂ© des Nations â ou quel que soit le nom qu'on lui donne aujourd'hui â en faveur du Tibet. Mais il y avait trop de jalousie, trop de malveillance, et le DalaĂŻ-Lama Ă©tait dans une position difficile du fait qu'il recevait l'aide de gens et ne pouvait aller Ă l'encontre de leurs dĂ©sirs. J'aurais pu Ă©crire davantage sur le Tibet, mais lĂ encore il y a eu de la jalousie et des articles mensongers, et la presse a toujours cherchĂ© des aspects effrayants et horribles, ou ce qu'ils appellent vicieuxâ, ce Ă quoi ils se livrent eux-mĂȘmes quotidiennement. La transmigration est une rĂ©alitĂ©. C'est un fait rĂ©el de la vie, et en vĂ©ritĂ© une trĂšs grande science d'autrefois. C'est comme un homme qui, voyageant par la voie des airs jusqu'Ă sa destination, trouve une voiture l'attendant au moment oĂč il descend de l'avion, avec la diffĂ©rence que dans ce cas un Grand Esprit prend la relĂšve d'un corps afin d'accomplir une tĂąche qui lui a Ă©tĂ© assignĂ©e. Ces livres, mes livres, sont vrais, absolument vrais, et si vous croyez que ce livre-ci relĂšve de la science-fiction, vous avez tort. Son contenu scientifique aurait pu ĂȘtre fortement accru si les scientifiques avaient manifestĂ© quelque intĂ©rĂȘt, mais de la fiction â il n'y en a pas la moindre trace dans cet ouvrage, pas mĂȘme une libertĂ© artistiqueâ. Me voici, allongĂ© dans mon ancien lit d'hĂŽpital, en attente de la libĂ©ration de la longue nuit d'horreur qu'est la vieâ sur Terre. Mes chats ont Ă©tĂ© un soulagement et une joie, et je les aime plus que je ne peux aimer un humain. Un tout dernier mot. Certains ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă essayer de tirer profitâ de ma personne. Certains ont fait courir le bruit que j'Ă©tais mort et qu'Ă©tant de l'Autre CĂŽtĂ©â, je leur avais ordonnĂ© de dĂ©buter un cours par correspondance, que de l'Autre CĂŽtĂ©â je le dirigerais et Ă©tablirais ladite correspondance par l'intermĂ©diaire de la Planche Ouija. Maintenant, la Planche Ouija est une totale supercherie, et pire encore, parce que dans certains cas elle peut permettre Ă des entitĂ©s malfaisantes ou malicieuses de prendre possession de la personne qui l'utilise. Que les Bons Esprits vous protĂšgent. FIN CI-DESSUS Le XIIIe DalaĂŻ-Lama assis, quatriĂšme Ă partir de la gauche, avec sa suite et l'officier britannique Sir Charles Bell, Darjeeling, Inde, 1911. Lorsque les troupes chinoises entrĂšrent dans Lhassa, en 1910, le XIIIe DalaĂŻ-Lama se rĂ©fugia en Inde. VĂ©ritable augure de l'invasion communiste qui eut lieu quarante ans plus tard, le DalaĂŻ-Lama expliqua Ă Sir Charles Je suis venu en Inde pour demander l'aide du gouvernement britannique. S'il n'intervient pas, les Chinois occuperont le Tibet, dĂ©truiront notre religion et notre systĂšme politique et placeront Ă la tĂȘte du pays des officiels chinois. »
0ThbyM. fod3xry35i.pages.dev/73fod3xry35i.pages.dev/300fod3xry35i.pages.dev/20fod3xry35i.pages.dev/298fod3xry35i.pages.dev/120fod3xry35i.pages.dev/249fod3xry35i.pages.dev/122fod3xry35i.pages.dev/393fod3xry35i.pages.dev/81
fouiller des glaciÚres ou des machines à glaçons